La lettre juridique n°655 du 19 mai 2016 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Questions à...] L'actualité de la TVA - Questions à Maître Odile Courjon, Avocat associée chez Taj - Société d'avocats, Member of Deloitte Touche Tohmatsu Limited

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 20 Mai 2016

Plusieurs évolutions récentes sont apparues concernant la TVA. En effet, tout d'abord, la Commission européenne a présenté son plan d'action sur la TVA. Celui-ci trace la voie pour la création d'un espace TVA unique dans l'Union européenne. On entend par là un espace TVA capable de favoriser un marché unique plus approfondi et plus équitable et de contribuer à stimuler l'emploi, la croissance, les investissements et la concurrence. La problématique liée à la montée de l'économie numérique sera évoquée. Enfin, il s'agira de s'intéresser l'autoliquidation de la TVA d'importation. Pour en savoir plus sur ces sujets, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Odile Courjon, Avocat associée chez Taj - Société d'avocats, Member of Deloitte Touche Tohmatsu Limited.

Lexbase : Que pensez-vous du "plan d'action" mis en place par la Commission européenne et présenté le 7 avril 2016 ? L'espace TVA unique est-il concrètement réalisable ?

Odile Courjon : Le plan d'action présenté par la Commission européenne est ambitieux. Rappelons qu'il est l'aboutissement des travaux démarrés en 2010 et des consultations de tous les Etats membres et des experts, praticiens (VAT Expert Group). L'espace TVA unique ne pourra émerger que si l'écart TVA (le VAT Gap qui est l'écart entre les recettes de TVA attendues et celles réellement perçues) est résorbé. Chiffré aujourd'hui à près de 170 milliards d'euros dans l'UE, cet écart de TVA résulte notamment du manque de coopération entre Etats membres et entre administrations (fiscales et douanières) dans chaque Etat membre.

Le plan d'action présenté est donc à la fois un vaste plan de lutte contre la fraude au régime intra-communautaire et la construction d'un régime définitif de TVA pour les échanges transfrontaliers (intra-UE).

Le régime définitif sera fondé sur le principe de la taxation des biens dans leur pays de destination. Le mécanisme du guichet unique de TVA utilisant les technologies informatiques les plus avancées, permettra d'éradiquer la fraude en traitant de la même manière les livraisons de biens nationales, et également transfrontalières. La TVA serait ainsi perçue par l'Etat membre du départ des biens et reversée à l'Etat membre d'arrivée des biens.

L'extension de l'actuel guichet unique (réservé aux services électroniques) évitera la lourdeur d'une chambre de compensation communautaire. Depuis plus de vingt ans, les entreprises se sont habituées au régime intra-communautaire, à ne pas décaisser la TVA sur les biens achetés, auprès d'entreprises établies dans d'autres Etats membres. Ainsi, l'instauration d'un décaissement de TVA risque de perturber le marché intra et de créer une tension sur les systèmes de remboursement de TVA. Aussi, pour pallier à ces inconvénients, la Commission a proposé que les opérateurs fiables, certifiés par leurs administrations fiscales, y compris les PME, puissent continuer à acheter des biens en exonération de TVA dans un autre Etat membre et à autoliquider la TVA dans l'Etat d'arrivée des marchandises.

La Commission présentera en 2017 une proposition législative qui en détaillera les modalités plus concrètes. Au demeurant, l'extension du guichet unique de TVA, fonctionnant uniquement en collecte, au niveau de l'UE (donc sans opérer de déduction de TVA), est une voie d'avenir.

Lexbase : Quelles sont les problématiques liées à la TVA face à l'essor de l'économie numérique ?

Odile Courjon : La dernière réforme TVA pour l'économie numérique remonte au "Paquet TVA" (adopté en 2008, mis en oeuvre en 2010). Adoptant les principes de l'OCDE, les mesures avaient modifié le lieu de taxation des prestations de services électroniques, de radiotélévision et de télécommunications dans un contexte B to C (de business à consommateur). A la demande du Luxembourg, le lieu de taxation de ces prestations n'a changé qu'au 1er janvier 2015 (le Luxembourg ayant négocié un report de mise en oeuvre pour conserver la taxation au lieu d'établissement des prestataires établis sur son territoire de 2010 à fin 2014).

Aujourd'hui, la taxation sur ces prestations intervient dans le pays de consommation (lieu de résidence du consommateur) quel que soit le pays du prestataire. Le Mini One Stop Shop (MOSS) est le guichet électronique qui permet la collecte par le prestataire au taux du bien dans le pays de résidence du consommateur. Le MOSS a été le premier guichet de TVA permettant la collecte sur ces trois prestations numériques et fonctionne bien puisque les recettes des Etats membres ont beaucoup augmenté.

Le plan actuel proposé par la Commission consiste à élargir le MOSS à la vente en ligne de biens matériels commandés par internet (actuellement soumis au régime lourd des ventes à distance).

A nouveau, l'extension du guichet unique va faciliter et simplifier la collecte de TVA car le vendeur des biens évitera de devoir s'immatriculer à la TVA dans d'autres Etats membres. Les seuils nationaux actuels (35 000 euros de vente en France depuis le 1er janvier 2016) devraient évoluer probablement vers un seuil global européen, déclencheur du recours obligatoire au MOSS élargi.

Egalement, à l'importation, lorsque le vendeur des biens est situé hors UE, les exonérations de TVA pour les biens de faible valeur (22 euros actuellement) devraient disparaître. La Commission souhaitera également pouvoir procéder à des contrôles dans le pays d'origine du vendeur non-EU, afin de protéger les opérateurs établis dans l'UE de toute concurrence déloyale venant des opérateurs frauduleux ne collectant pas la taxe de consommation auprès de leurs clients résidents dans l'UE.

Lexbase : La fraude à la TVA a pris une ampleur importante ces dernières années car elle est difficilement prouvable pour l'administration. Pensez-vous, comme la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 2 juin 2015, n° 14LY00096, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0161NMW), qu'il faudrait assouplir les règles de preuve afin de faciliter la tâche de l'administration ? Quelles sont les autres solutions pour endiguer ce phénomène ?

Odile Courjon : La jurisprudence française a toujours été très dure vis-à-vis des entreprises en exigeant d'elles des diligences lourdes et des preuves rétroactives, au motif qu'elles savaient ou ne pouvaient ignorer l'existence d'une fraude par leurs clients ou leurs fournisseurs selon le cas. Si la lutte contre la fraude est absolument nécessaire, la solution passe aussi par un régime de TVA reposant sur des outils fiables qui sécurisent les opérateurs de bonne foi. Les solutions pour endiguer le problème sont celles que propose la Commission européenne à savoir, une coopération entre les Etats membres et entre les administrations elles-mêmes qui ont souvent déjà toutes les informations concernant l'opérateur et les transactions. C'est bien l'inadéquation entre la solvabilité d'un opérateur et le volume des transactions qu'il réalise qui est un symptôme de fraude.

Lexbase : Selon vous, quelles seraient les mesures les plus urgentes à adopter afin d'améliorer le système de la TVA en France ?

Odile Courjon : Le système de TVA est complexe et lourd en France car il est ancien. Elaboré dans les années 1960, il doit constamment s'adapter au monde économique actuel. Toutefois, le régime français a considérablement évolué ces dernières années. Récemment, c'est l'autoliquidation de la TVA d'importation qui a beaucoup retenu l'attention des entreprises. La DGFiP y a toujours été favorable. Déjà mise en oeuvre en 2015, sous conditions d'obtention d'une procédure de domiciliation unique (PDU) par la douane, ce régime vient à nouveau d'être voté en supprimant la condition préalable de PDU pour les opérateurs établis dans l'Union européenne. Pour ces opérateurs, l'autoliquidation deviendra possible sur simple option fiscale ou douanière, et évitera le décaissement de trésorerie aux importateurs dès que la proposition de loi sur l'économie bleue sera définitivement adoptée.

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