La lettre juridique n°655 du 19 mai 2016 : Urbanisme

[Jurisprudence] La nature de l'"aménagement léger" autorisé dans les espaces protégés en bordure de littoral - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 4 mai 2016, n° 376049, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4599RNN)

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N2769BWH

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[Jurisprudence] La nature de l'"aménagement léger" autorisé dans les espaces protégés en bordure de littoral - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/31688465-jurisprudencelanaturedelamenagementlegerautorisedanslesespacesprotegesenborduredelitto
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par Aurélie Bretonneau, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 19 Mai 2016

Dans un arrêt rendu le 4 mai 2016, la Haute juridiction a dit pour droit que la réfection de clôture dans les espaces protégés en bordure de littoral n'est pas interdite. Etait ici posée la question de savoir ce qu'est un "aménagement léger" au sens de l'article L. 121-24 (N° Lexbase : E4403E79), anciennement L. 146-6 (N° Lexbase : L3326KGB), du Code de l'urbanisme, relatif à la préservation des espaces remarquables caractéristiques et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Etait en cause l'édification d'une clôture, sous deux angles : la liste des aménagements légers que le législateur a habilité le pouvoir réglementaire à poser à l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3325HC7) est-elle limitative ? Existe-t-il des aménagements qui, du fait de leur faible importance, ne constituent même pas des aménagements légers au sens de cette disposition et sont donc non seulement autorisés, mais qui plus est sans exigence procédurale spécifique ? Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Aurélie Bretonneau, sur cet arrêt. La loi "littoral" (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9), désormais codifiée, depuis l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015, relative à la partie législative du livre Ier du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2163KIX), aux articles L. 121-1 (N° Lexbase : L2318KIP) à L. 121-51 du Code de l'urbanisme, instaure une protection des espaces graduée en fonction de leur degré de préservation et de leur proximité du rivage : extension de l'urbanisation encadrée pour les espaces déjà urbanisés, a fortiori lorsqu'ils sont proches du rivage ; construction cantonnée à certains aménagements légers, sous réserve d'exigences procédurales, dans les espaces remarquables, caractéristiques du patrimoine ou nécessaires au maintien des équilibres biologiques ; interdiction pure et simple de toute construction dans les zones non urbanisées de la bande littorale sauf à ce que la proximité de l'eau soit requise.

Les faits de l'espèce se déroulent dans le Var, sur le site de la batterie de Capon, entre la plage de Pampelonne et la plage des Salins, sur la commune de Saint-Tropez. La société X, propriétaire d'une parcelle sur ce site, s'est trouvée gênée par le comportement de promeneurs peu scrupuleux, qui s'y seraient installés pour pique-niquer et camper. Aussi la société a-t-elle déposé, le 18 décembre 2012, une déclaration préalable de travaux pour l'édification, sur toute la longueur de sa parcelle (60 mètres), d'une clôture d'1,80 mètre de hauteur, posée sur un muret à édifier affleurant à 20 cm du sol environ. Il est en effet des secteurs, soit classés soit délimités comme tels par la commune, où l'édification d'une clôture est soumise à déclaration de travaux (C. urb., art. R. 421-2 N° Lexbase : L7450HZX). Le maire de Saint-Tropez a émis une décision expresse de non-opposition le 6 mars 2013. Le préfet du Var, auquel cette décision a été transmise le 12 mars suivant, l'a déférée au tribunal administratif de Toulon qui a fait droit à ses conclusions en estimant que l'édification d'une clôture n'était pas au nombre des aménagements légers autorisés par la loi littoral dans les espaces remarquables et tombait donc sous le coup de l'inconstructibilité de principe. Il a également estimé méconnues les dispositions de l'article L. 130-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1581IWH) relatif à la protection des espaces boisés. A l'époque où les premiers juges ont statué, l'article R. 811-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0564I8E) vous rendait compétents pour connaître en cassation directe des conclusions dirigées contre une décision de non-opposition à déclaration préalable.

Vous évacuerez rapidement certains moyens du pourvoi : le jugement est suffisamment motivé s'agissant de la qualification d'espace remarquable, qui n'est pas erronée. S'agissant de ce degré de contrôle, nous pensons en effet que la décision CE, 3 septembre 2009 "Commune de Canet-en-Roussillon et Seran" (1), qui a entendu trancher les hésitations de la jurisprudence en faveur d'un contrôle de la qualification juridique en cassation (2), a entendu le faire de façon globale pour la qualification d'espace relevant du champ de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, même elle portait en l'espèce sur un milieu nécessaire au maintien des équilibres biologiques plus que sur un espace remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel ou culturel du littoral. C'est d'ailleurs l'orientation que semble avoir retenu votre jurisprudence ultérieure, tout en laissant aux juges du fond le soin d'apprécier souverainement les constatations de fait à partir desquelles la qualification s'opère, comme la localisation de la parcelle dans une zone naturelle ou encore l'existence d'altérations liés à l'activité humaine (3). En l'espèce, les juges du fond, qui n'ont rien dénaturé en relevant que le terrain d'assiette est situé à proximité immédiate du rivage, dans la partie naturelle d'un site inscrit, éloignée de toute construction, et qu'il est densément boisé, ont pu en déduire sans erreur de qualification qu'il formait un espace boisé remarquable protégé au titre des articles L. 146-6 et R. 146-1 du Code de l'urbanisme, dans sa numérotation alors applicable (N° Lexbase : L8640IUK).

Par ailleurs, le tribunal administratif n'a pas pu se tromper dans le maniement des règles de dévolution de la preuve puisque, sauf cas très particulier qui n'existe pas en l'espèce, de telles règles n'existent pas en excès de pouvoir (4).

En revanche, nous pensons qu'il a incorrectement manié l'article L. 130-1, aux termes duquel le classement d'un espace boisé interdit tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre l'espace. Il s'est en effet borné à relever qu'il n'était pas établi qu'il n'y aurait ni coupe ni abattage, alors qu'il lui appartenait de porter une appréciation précise sur l'ampleur des travaux projetés et leurs conséquences sur la conservation des espaces. Vous pourrez le censurer sur ce terrain.

Mais nous sommes en urbanisme et vous devez donc également vous prononcer sur le bien-fondé du second terrain d'annulation retenu par le tribunal administratif. Ce qui nous mène au point intéressant du pourvoi, à savoir l'erreur que les juges du fond auraient commise en refusant de compter la clôture litigieuse au nombre des aménagements légalement réalisables au sein des espaces remarquables protégés par l'article L. 146-6. Les requérants soulèvent une erreur de droit à avoir affirmé que la liste des aménagements légers que le pouvoir réglementaire, habilité à ce faire par décret en Conseil d'Etat par l'article L. 146-6, a dressé à l'article R. 146-2, serait limitative. Ils voient également une erreur de qualification juridique à ne pas avoir fait relever la clôture de cette catégorie, mais sur ce point, le moyen doit être requalifié en dénaturation, car la qualification d'aménagement léger relève de l'appréciation souveraine (5). Enfin, vous avez-vous-mêmes montré une méconnaissance par les juges du fond du champ d'application de la loi, avec dans l'idée que la clôture pourrait ne même pas relever des dispositions des articles L. 146-6 et R. 146-2, non pas parce que le terrain d'assiette ne serait pas remarquable, mais parce que l'aménagement serait trop léger pour tomber sous le coup d'une quelconque inconstructibilité.

Il est temps de nous attarder un peu sur les textes.

Le premier alinéa de l'article L. 146-6 pose une obligation de préservation des espaces qu'il vise. Cette obligation est assignée, selon ses termes, aux "documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols".

Le deuxième alinéa précise que, "toutefois, des aménagements légers peuvent y être implantés lorsqu'ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public", et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de définir la nature et les modalités de réalisation de ces aménagements légers. Il précise que les projets d'aménagements légers sont soumis à autorisation après soit enquête publique, soit mise à disposition du public d'au moins quinze jours dont l'autorité administrative doit, avant de prendre sa décision, dresser le bilan. L'article R. 421-22 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7470HZP) soumet également ces travaux à permis d'aménager.

Les alinéas suivants posent d'autres exceptions au principe de préservation, pour les canalisations et les travaux ayant pour objet la conservation ou la protection des espaces.

L'article R. 146-2, enfin, inscrit au nombre des aménagements légers pouvant être implantés : les chemins piétonniers, équestres ou cyclables non cimentés ni bitumés, ainsi que les objets mobiliers destinés à l'accueil ou l'information du public (a), les aires de stationnement (b), la réfection des bâtiments existants et leur extension limitée nécessaire à l'activité économique (c), les constructions nécessaires à l'activité agricole ou de pêche (d) et les aménagements nécessaires à la préservation des monuments classés (e).

L'idée qui fonde l'argumentation des requérants est que l'impossibilité d'édifier une simple clôture heurte le bon sens. Plus juridiquement, elle porte atteinte au droit de propriété, dont le droit de clore est un corolaire consacré par l'article 647 du Code civil (N° Lexbase : L3248ABW). Ce droit n'est certes pas d'ordre public et il peut y être dérogé soit par voie conventionnelle soit pour assurer la protection de l'intérêt général. Mais si vous estimiez que l'atteinte résultant d'une interdiction de clore dans les espaces remarquables était disproportionnée à l'objectif poursuivi, vous pourriez être tentés de faire des textes une interprétation constructive, conforme à ce qui vous semble nécessaire au respect du droit de propriété.

Au vu de l'économie des textes que nous venons de rappeler, plusieurs façons existent de contourner pour les clôtures l'interdiction de construire, dont aucune ne nous semble praticable au regard de l'esprit des textes et de votre jurisprudence. Nous vous les exposons néanmoins.

La première possibilité serait d'estimer que les dispositions de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme ne sont pas opposables aux décisions de non-opposition à déclaration de travaux. Vous avez jugé que les dispositions de la loi "littoral" en général et de l'article L. 146-6 en particulier sont opposables (soit directement soit par le prisme d'une directive territoriale compatible avec la loi) aux autorisations individuelles d'urbanisme telles que les permis de construire (6), mais la question de savoir si une décision de non-opposition est un document relatif à l'occupation et à l'utilisation des sols au sens de cet article n'est pas expressément tranchée en jurisprudence. Le code nous semble toutefois régler la question dans un sens défavorable aux requérants : la combinaison des articles R. 431-36 (N° Lexbase : L7646HZ9) et R. 431-16 (N° Lexbase : L0963KWL) du Code de l'urbanisme applicables au litige prévoyait en effet qu'un dossier de déclaration de travaux portant sur certaines constructions visées à l'article R. 146-2 devait comporter une notice justifiant les travaux au regard de ces dispositions, ce qui n'a bien entendu de sens que si les auteurs du code ont entendu soumettre les déclarations de travaux aux dispositions correspondantes de la loi "littoral". Vous avez de toute façon une conception extensive du champ des décisions relatives à l'utilisation ou à l'occupation du sol auxquelles ces dispositions issues de la loi littoral sont opposables, puisque vous y rangez les autorisations de défricher, alors même que celles-ci sont prises sur le fondement du Code forestier (7) ou encore les autorisations de coupe et d'abattage d'arbres, qui ne peuvent être accordées que si l'aménagement en vue duquel elles sont formées est autorisé par l'article R. 146-2 (8).

La deuxième possibilité consisterait à estimer que même soumis à déclaration de travaux, certains aménagements, en l'occurrence les clôtures, seraient si légers qu'ils échapperaient par le bas au couperet de l'article R. 146-2. En d'autres termes, ils ne constitueraient même pas des aménagements légers au sens de cet article.

Au vrai, cette thèse ne nous emballe pas non plus. D'abord, parce que vous avez très expressément jugé que la protection instituée par l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme implique par elle-même l'inconstructibilité de principe des espaces caractéristiques du littoral, sous la seule réserve de l'implantation d'aménagements légers prévus au deuxième alinéa du même article (9). Vous vous êtes donc fermement engagés dans une logique du "tout ou rien" excluant de créer une catégorie d'aménagement autre que celles régies par le décret. Ensuite, parce que le nouvel article L. 121-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2320KIR) (C. urb., art. L. 146-1 N° Lexbase : L7341ACU à l'époque des faits), précise que les dispositions de la loi "littoral" "sont applicables [...] pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, l'ouverture de carrières, la recherche et l'exploitation de minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement". Cet inventaire à la Prévert a beau n'être pas très charpenté, et n'avoir qu'un intérêt tout relatif puisque chaque article du chapitre a ensuite, en fonction des espaces, son champ d'application propre, il semble bien signifier que le législateur n'a pas entendu traiter la question des clôture par prétérition et que s'il est dit que toute construction est interdite dans les espaces remarquables, alors les constructions de clôtures sont notamment visées. Enfin, parce que nous adhérons spontanément mal à l'idée qu'une clôture, qui en l'espèce est constitué de grillage planté sur un muret en dur mais qui, légalement, pourrait tout aussi bien prendre la forme d'un mur, est un aménagement plus léger que ne l'est un simple chemin de terre. C'est d'autant moins vrai à nos yeux au regard de l'objet de la protection des espaces remarquables, qui est de sauvegarder la possibilité que la nature puisse un jour reprendre ses droits : si l'herbe repousse spontanément sur un chemin de terre, il est peu probable qu'elle parvienne à déloger une clôture sans une intervention humaine. Or, les chemins de terre figurent au nombre des aménagements légers de l'article R. 146-6. Dans ces conditions, faire des clôtures des aménagements infra-légers, qui ne seraient pas soumises aux exigences procédurales posées par cet article alors que les chemins de terre le sont, nous semble très difficilement atteignable. Sans compter qu'il faudrait de façon prétorienne dégager quand même des conditions de fond -celles, posées par l'article R. 146-2, tenant à ce que la localisation et l'aspect ne dénaturent pas le caractère du site, ne compromette pas sa qualité architecturale ou paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux, nous semblant incontournables-.

Cette solution nous semblerait beaucoup plus acceptable si elle était limitée à réfection de clôture existante. Mais traitons ici des cas où une déclaration de travaux est exigée. Or les dispositions de l'article R. 421-12 du Code de l'urbanisme prescrivant une telle déclaration pour les clôtures ne vise que l'édification, ce à quoi la jurisprudence n'a rattaché, à notre connaissance, que les cas de réfection substantielle, notamment en cas de surélévation importante résultant de la réfection (10). Dès lors, il nous semble difficile de partir du principe qu'une réfection soumise à déclaration est par principe inoffensive.

La troisième possibilité, qui est celle pour laquelle plaident à titre principal les requérants, consisterait à dire que la liste de l'article R. 146-2 n'est pas limitative, et qu'elle doit être comprise comme visant également, au nombre des aménagements légers autorisés sous réserve du respect des conditions que cet article pose, l'édification de clôtures.

Cette solution a pour elle, par rapport à la précédente, ce que nous voyons comme un avantage, mais que vous pourriez percevoir comme un inconvénient, de soumettre les clôtures non seulement aux conditions de fond de l'article R. 146-2, sans que vous ayez à les reprendre par voie prétorienne à votre compte, mais aussi aux exigences procédurales qu'il pose, évitant de créer le hiatus qui nous semblait peu soutenable avec les formalités à suivre pour aménager un chemin de terre. Nous admettons volontiers qu'il peut paraître lourd d'en passer par un permis d'aménager et une mise à disposition du public de quinze jours pour édifier une clôture, mais cette lourdeur est tout aussi frappante pour les chemins, et permettrait peut-être d'éviter qu'on autorise d'immenses clôtures en dur défigurant le site ou entravant la circulation de la faune, même si de telles autorisations ne tiendraient pas longtemps devant un juge.

Cette solution a aussi contre elle de solides arguments.

D'abord, s'agissant d'une liste dérogeant à une inconstructibilité de principe posée par le législateur, elle est d'interprétation stricte. Votre jurisprudence l'a illustré à plusieurs reprises : à propos d'une aire de jeu et de sport (11) ; à propos d'une aire de stationnement (à l'époque où elles ne figuraient pas dans la liste) (12) ; à propos d'une cale d'accès à la mer (13).

Ensuite, la compléter implique que vous endossiez le rôle du pouvoir réglementaire -et, accessoirement, de la section des travaux publics du Conseil d'Etat-. Si nous ne sommes pas par principe hostile à ce que le juge administratif, aux côtés de la gomme, use parfois le crayon, nous estimons plus difficile de le faire dans certaines configurations que dans d'autres, en particulier dans des domaines où les textes sont nombreux, les interventions du pouvoir réglementaire et même du législateur fréquentes, les règles touffues et pesées au trébuchet -surtout s'il s'agit pour le juge non pas d'apporter au texte une légère retouche, mais d'y ajouter un nouvel alinéa-.

Un tel effort ne nous semblerait surmontable que si nous avions la conviction d'y être à coup sûr obligée. Vous y avez d'ailleurs consenti dans un tel cas en jugeant, par une décision du 6 février 2013 (14), que le pouvoir réglementaire n'avait pu, en ne les mentionnant pas dans sa liste, exclure la possibilité de réaliser les aménagements légers nécessaires à la lutte contre l'incendie.

Mais en l'espèce, nous n'avons pas la certitude que la suppression du droit de clore au nom de la protection des espaces remarquables soit une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Il existe de nombreuses configurations dans lesquelles clore n'est pas possible, en particulier en cas d'entrave à la libre circulation dans certains espaces. Ainsi, l'article L. 441-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3472HZM) a longtemps permis à l'autorité compétente de s'opposer définitivement à l'édification d'une clôture si les travaux faisaient obstacles à la libre circulation des piétons admise par les usages locaux ; sur la bande littorale ou en bordure de lac, le droit de clore est limité par l'existence de servitudes de passage ; il peut aussi buter sur des contraintes de sécurité. Nous n'avons pas grand doute pour admettre que l'objectif de protection des sites posé par le législateur est d'intérêt général et nous notons d'ailleurs qu'il justifie de nombreuses atteintes au droit de propriété, pouvant aller jusqu'à la privation du droit de construire. La privation du droit de clore, dans ces conditions, ne nous émeut pas au point que nous nous sentions tenus de vous inciter à rectifier de vous-même une erreur du pouvoir réglementaire.

Ce d'autant que si vous nous suivez, la privation du droit de clore découlant de l'application de l'article R. 146-2 ne concernera que ceux des propriétaires qui, soient vivaient très bien sans clôture au moment de l'édiction de la loi "littoral", soit ont acquis leur terrain non clos depuis et en toute connaissance de cause. Car nous vous invitons à faire droit au moyen d'erreur de droit subsidiaire que soulèvent les requérants, tirés de ce que c'est à tort que la cour a refusé d'assimiler la réfection d'une clôture existante à la réfection d'un bâtiment existant, expressément autorisée par le c de l'article R. 146-2. Il nous semble en effet que puisque que l'objet de la législation est de figer autant que possible les espaces remarquables dans leur état d'occupation existant, il serait paradoxal de permettre la réfection de bâtiments déjà implantés et non celle des clôtures les entourant. La situation un brin absurde que décrivent les requérants, conduisant à ne pouvoir réparer une clôture devenue laide et dangereuse par son état de délabrement, sera donc, moyennant le respect des conditions réglementaires, être résorbée par cette voie.

Nous vous invitons donc à annuler l'arrêt de la cour pour erreur de droit à avoir jugé que l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme ne permettait pas la réfection de clôture. Vous renverrez ensuite l'affaire à la cour, à qui il appartiendra de déterminer s'il s'agit bien, pour le tout, d'une réfection en l'espèce, et de vérifier que les conditions par ailleurs posées par l'article R. 146-2 du Code de l'urbanisme sont respectées. Et vous mettrez à la charge de l'Etat les 2 500 euros que la société demande au titre des frais irrépétibles.

Tel est le sens de nos conclusions.


(1) CE 4° et 5° s-s-r., 3 septembre 2009, n° 306298, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7466EKQ).
(2) V., antérieurement, dans le sens de l'appréciation souveraine, CE, 27 septembre 2006, n° 275923 (N° Lexbase : A3346DRD) ; CE, 6 novembre 2006, n° 282539 (N° Lexbase : A2895DSZ) ; CE, 13 novembre 2002, n° 219034, 219384 (N° Lexbase : A0757A4S). Voir, en revanche, sur le contrôle normal exercé au fond depuis l'origine : CE, 20 novembre 1995, n° 144817 (N° Lexbase : A6588ANC).
(3) CE, 20 mai 2011, n°s 325552, 325553, 335931 (N° Lexbase : A0315HSH).
(4) CE, 26 novembre 2012, n° 354108 (N° Lexbase : A6325IXK).
(5) CE, 20 mai 2011, n°s 325552, 325553, 335931, préc., très explicitement fichée sur ce point.
(6) CE, 29 juillet 1994, n° 85532 (N° Lexbase : A9890B8S), p. 409 ; pour la question spécifique de l'article L. 146-6, voir CE, 29 juin 1998, n° 160256 (N° Lexbase : A7207ASQ), T., p. 1213 ; CE, 13 novembre 2002, n° 219034, 219384, préc..
(7) CE, 14 novembre 2011, n°s 333675, 333676 (N° Lexbase : A9253HZQ).
(8) CE, 6 février 2013, n° 348278, 348279 (N° Lexbase : A4646I79).
(9) CE, 27 septembre 2006, n° 275922 (N° Lexbase : A3345DRC).
(10) CE, 20 décembre 2000, n° 209589 (N° Lexbase : A2051AIS), BJDU 1/2001, p. 13, concl. L. Touvet ; CE, 23 juin 1995, n° 120147 (N° Lexbase : A4411ANP).
(11) CE, 20 octobre 1995, n° 151282 (N° Lexbase : A6212ANE), aux Tables, p. 1072.
(12) CE, 27 juin 2005, n° 256668 (N° Lexbase : A8691DIQ) ; CE, 18 octobre 2006, n°s 264292, 265147 (N° Lexbase : A9519DRY).
(13) CE, 13 février 2009, n° 295885 (N° Lexbase : A1148EDU).
(14) CE, 6 février 2013, n° 348278,348279 (N° Lexbase : A4646I79).

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