Lecture: 4 min
N2498BWG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 11 Mai 2016
Rapidement, en octobre 2011, une jeune femme, en couple avec son "amoureux" -la précision lexicale romantique revêt ici une certaine importance- souhaitait acheter une voiture d'occasion, pour la somme de 4 000 euros. Ne disposant pas des fonds nécessaires, elle demanda à son compagnon de lui "avancer" la somme en question. Le bon homme s'exécuta et sa demoiselle put acquérir le véhicule de son coeur. Malheureusement, l'histoire d'amour tourne court en août 2012 ; et en 2013, Monsieur demande à son ex. de lui rembourser la somme. Il invoque un prêt, elle évoque un don manuel. Il est vrai qu'en matière de reconnaissance de dette, le régime de la preuve est en principe des plus stricts. En vertu de l'article 1341 du Code civil, il doit être passé acte devant notaire ou sous signatures privées de toutes choses excédant la somme de 1 500 euros. Cette règle reçoit exception, en application de l'article 1348 du Code civil, notamment lorsque l'une des parties n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique. La preuve testimoniale est alors admise. Il peut encore être dérogé à l'existence d'une preuve littérale, en application de l'article 1347 du Code civil, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire un acte émanant du débiteur poursuivi et rendant vraisemblable le fait allégué.
Or, les relations intimes liant les parties ont pu empêcher l'amoureux de se procurer un écrit et permettent de retenir, comme preuve de l'engagement de Mademoiselle, les propres déclarations de celle-ci. Justement, le demandeur avait conservé deux SMS de celle-ci ; le premier dans lequel elle lui demandait s'il était "toujours prêt à [lui] avancer et qu'[elle le] rembourse petit à petit" ; le second où elle lui demandait un "relevé" pour lui "faire des virements sur [son] compte", reconnaissant, selon la cour, de façon claire et explicite, l'existence d'un prêt de 4 000 euros qu'elle s'engageait à rembourser.
Premièrement, le fait qu'un SMS soit admis à titre de preuve, ou simplement de commencement de preuve par écrit, n'est pas une nouvelle. Le 23 mai 2007, la Chambre sociale de la Cour de cassation décidait que, si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. Ce faisant, elle emboîtait le pas à la Chambre criminelle qui acceptait déjà le SMS à titre de preuve d'un fait contraventionnel ou délictueux, en rappelant, le 7 février 2007 puis le 30 septembre 2009, que la preuve d'appels téléphoniques malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité d'autrui pouvait être rapportée par la production de SMS. Finalement, la première chambre civile, dans un arrêt en date du 17 juin 2009, a, également, admis la recevabilité des SMS comme preuve dans la procédure de divorce pour faute, malgré la facilité déconcertante pour tout un chacun de falsifier ce type de communication, comme le soulignait déjà nos auteurs dans le commentaire de ces décisions respectives. Et la cour d'appel de Dijon, le 6 juillet 2012, reconnaissait qu'un SMS témoignant de la nouvelle orientation sexuelle d'un époux pouvait valoir preuve d'une faute dans le cadre de la vie commune des époux, désormais en instance de divorce.
Mais jusque-là, force est de constater que, si le SMS était admis à titre de preuve, c'était de la preuve d'une faute, dont il s'agissait. Le pas vers une reconnaissance de dette, la preuve d'un engagement portant effets contractuels, pouvait ne pas s'avérer aussi simple. Après tout, la Haute juridiction semblait beaucoup plus encline, le 8 février 2011, à écarter le SMS quand il s'agissait de respecter les droits de la défense du salarié, notamment quand il convenait de déterminer la date certaine de sa convocation à un entretien préalable à un licenciement.
Mais, la cour d'appel de Grenoble ne s'embarrasse pas de ces considérations et accepte le SMS comme moyen de preuve d'un prêt entre concubins.
Ah... Deuxièmement, dans un arrêt rendu le 20 septembre 2012, la cour d'appel de Paris avait, déjà, fait preuve d'une certaine souplesse quant à l'établissement de la preuve écrite de la remise de fonds par une personne soutenant avoir prêté de l'argent à son compagnon. Alors que l'ex-compagnon faisait valoir que les fonds (d'un montant total de 16 000 euros) lui avaient été remis à titre de cadeau d'anniversaire, l'ex-compagne faisait valoir que les liens amoureux très forts qu'elle nourrissait à l'égard du débiteur constituaient un empêchement moral à solliciter un écrit. L'argument est accueilli par la cour qui, faisant application des articles 1341 et 1348 du Code civil, retient que le tribunal a justement considéré qu'en raison des liens unissant les parties, qui duraient depuis deux années au moment de la remise des fonds, la créancière s'était trouvée dans l'impossibilité morale de se procurer une preuve écrite du prêt invoqué. La cour retient également que le SMS formulé dans les termes suivants "et mtnt tu fais kom si je t t eski8é parce ce je te dois d l argent" constitue un commencement de preuve par écrit du prêt dès lors que l'ex-compagnon ne contestait pas en être l'auteur. Dans ces conditions, la cour avait estimé que l'ex-compagne était fondée à soutenir qu'elle avait remis à son ex-compagnon la somme de 16 000 euros à titre de prêt.
D'où l'utilité d'un accès à une base de données jurisprudentielles des plus complètes : à la lumière des centaines de questions sur le sujet, posées sur les blogs et les réseaux sociaux, comme 80 % des avocats français, ayant accès à la documentation Lexbase, vous avez sans doute la possibilité d'apporter un éclairage rigoureux sur la question.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:452498