La lettre juridique n°653 du 5 mai 2016 : Avocats

[Jurisprudence] La preuve numérique et le principe de délicatesse de l'avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 15.14.557, F-P+B (N° Lexbase : A3449Q8A)

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par Olivia Baldes, Docteur en droit, qualifié Maître de conférences

le 05 Mai 2016

La délicatesse ressortant naturellement de la sensibilité de l'être est également un principe essentiel à l'exercice de la profession d'avocat. Ainsi, l'avocat doit être constamment guidé par ce principe dans ses rapports avec ses clients, les autres professionnels du droit ou encore ses confrères. Aussi, manque au principe de délicatesse, l'avocat qui prend connaissance de messages couverts par le secret des correspondances dès lors qu'ils figuraient sur une messagerie personnelle quel qu'en soit le contenu et en les produisant devant la commission de conciliation. Tel est l'apport d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2016. En l'espèce, un avocat prenait connaissance de mails échangés entre ses deux collaboratrices via leur messagerie "gmail" alors que l'ordinateur professionnel de l'une d'entre elles était resté allumé sur sa boite de réception électronique. A la lecture des mails injurieux, l'avocat prenait la décision de mettre fin à leur contrat de collaboration libérale.

Celles-ci ont alors porté l'affaire devant les instances ordinales. Dès la phase de conciliation, l'avocat produisait pour les besoins de sa défense les mails consultés. L'une d'elles saisissait aussitôt la commission de déontologie à propos de la production desdits mails.

Une poursuite disciplinaire à l'initiative du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris était ouverte reprochant à l'avocat d'avoir produit des documents couverts par le secret des correspondances, et ainsi manqué aux principes essentiels de la profession d'avocat définis à l'article 1.3 du RIN (N° Lexbase : L1523KZG).

La cour d'appel de Paris ayant, par arrêt du 22 janvier 2015 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 22 janvier 2015, n° 14 /01680 N° Lexbase : A9097M9S), déclaré l'avocat coupable d'avoir manqué au principe de délicatesse, celui-ci a formé un pourvoi en cassation.

L'avocat soulève plusieurs arguments au soutien de son pourvoi.

Il argue, d'abord, que le caractère professionnel de l'ordinateur, outil informatique mis à la disposition de la collaboratrice confère à la messagerie consultée par le biais de cet outil un caractère également professionnel. Cette messagerie consultée par l'outil informatique dans le cadre de la collaboration doit donc être analysée comme une annexe professionnelle, étant relevé par ailleurs que la collaboratrice laissant sa messagerie et l'ordinateur ouvert consentait à sa consultation par les membres du cabinet.

Par suite, l'avocat soutient que la production d'un courriel ne suppose l'accord du collaborateur ou à défaut une autorisation judiciaire que si le contenu du courriel relève de la vie privée de ce dernier. Or, il considère que les mails produits relèvent de la sphère professionnelle des collaboratrices n'étant pas davantage accompagnés de la mention "personnel".

Enfin, il retient que constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel au succès de ses prétentions.

Face à ces arguments, la Haute juridiction (1) revient non seulement sur la nature privée de l'adresse électronique des collaboratrices conférant à tous leurs messages un caractère personnel et révélant, dans le même temps l'indifférence de l'outil informatique par lequel l'accès est fait (I) mais également sur le principe déontologique de délicatesse inhérent à la profession et venant supplanter les principes classiques applicables en la matière (II).

I - Le caractère nécessairement privé de l'adresse électronique professionnelle de l'avocat collaborateur

Dans un premier temps, la Cour de cassation revient sur la nature privée de l'adresse "gmail" mise à la disposition des internautes par la société Google conférant non seulement un caractère personnel à l'ensemble des mails échangés via cette adresse par les collaboratrices mais mettant également en relief l'indifférence du support via lequel l'adresse peut être consultée.

En effet, il ressort de l'arrêt qui nous occupe, que c'est bien la nature privée de la messagerie qui confère son caractère aux courriels échangés et non le support informatique. Peu important que les mails soient consultés via l'outil informatique mis à la disposition des collaborateurs par le cabinet. Dès lors, l'usage de l'ordinateur professionnel ne confère pas à l'ensemble des opérations effectuées via cet outil un caractère nécessairement professionnel.

Au soutien de sa prétention, l'avocat évoquait un arrêt de la Chambre sociale du 16 mai 2013 (2) qui a retenu que les courriels adressés et reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à la disposition par l'employeur, pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels. On retiendra, toutefois, qu'il s'agit, dans cet arrêt, à la différence de l'arrêt commenté, d'une adresse électronique mise à la disposition du salarié par l'employeur. Il est donc tout à fait cohérent de considérer l'ensemble de cette messagerie comme étant professionnelle et comme nécessaire d'apposer par le salarié la mention "personnel" aux correspondances dont il souhaite voir revêtir ce caractère.

Cette jurisprudence ne trouve pas écho dans notre affaire et ce d'autant, ainsi que le soulève le conseil de discipline, que les collaboratrices ne sont pas salariées du cabinet.

A ce titre, il paraît essentiel de revenir sur le statut particulier de l'avocat collaborateur qui jouit d'une double casquette. Libéral, il conserve une latitude certaine pour la gestion de ses dossiers personnels, mais se trouve lié, dans la pratique, aux consignes du cabinet d'accueil pour la gestion des dossiers internes.

On observe que certaines confusions ressortent de ce statut ambigu notamment quant à l'usage et la propriété des outils informatiques utilisés pour les besoins de la profession.

Classiquement, le contrat de collaboration permet à l'avocat collaborateur d'user des outils informatiques du cabinet mais avec cette particularité que le cabinet d'accueil doit également laisser un temps suffisant au collaborateur pour gérer sa clientèle propre et lui permettre d'user de ces mêmes outils informatiques dans ce cadre (3). La frontière entre ce qui appartient en propriété au cabinet d'accueil et l'usage que le collaborateur peut en faire est mince et sera définie en fonction des principes essentiels de la profession.

Un arrêt tout aussi récent de la Cour de cassation (4) en date du 6 avril 2016 est venu mettre en opposition l'usage qui peut être fait de l'outil informatique mis à la disposition du collaborateur pour ses besoins personnels et les utilisations abusives de cet outil appartenant au cabinet d'accueil par le collaborateur. Ainsi, l'insertion dans l'ordinateur d'un logiciel de gestion de dossiers, qui plus est, sans l'accord de la société civile professionnelle (SCP), est une immixtion portant atteinte au droit de propriété du cabinet d'accueil.

Une frontière se dessine peu à peu entre la propriété de l'appareil, l'usage professionnel pour les besoins du cabinet qui en est fait par le collaborateur et l'usage personnel par ce dernier communément admis.

Au fil de la jurisprudence, on relève que l'appareil appartient au cabinet d'accueil ; le collaborateur ne devant pas porter atteinte à ce droit. L'usage professionnel de l'outil informatique pour les besoins du cabinet par le collaborateur reste accessible au cabinet d'accueil. En revanche, l'usage à des fins professionnelles privées ou strictement privées de l'outil informatique par le collaborateur relève de sa sphère intime et son accès nécessite l'accord de ce dernier.

Si propriété et usage ne doivent pas être confondus par l'avocat collaborateur, ce dernier détient également un droit de propriété sur ses propres outils informatiques en ceux compris sa messagerie professionnelle personnelle.

Aussi, dès lors que la messagerie électronique est considérée comme privée, le collaborateur n'a pas à rajouter la mention "personnel" aux mails transmis. Le caractère privé de la messagerie s'étend à l'ensemble des correspondances échangées via cet outil quand bien même l'accès à cette messagerie passerait par l'ordinateur du cabinet d'accueil.

Enfin, le fait que la collaboratrice ait laissé sa boite mail privée ouverte, et donc visible et accessible de tous, ne permet pas d'en déduire le consentement de la personne quant à la consultation de sa boite électronique privée.

Son inattention est, en tout état de cause, couverte par le principe de délicatesse, principe essentiel de la profession.

II - Les droits de la défense de l'avocat lors de l'instance ordinale soumis au principe de délicatesse

L'avocat précise devant le conseil de discipline que c'est un tiers qui lui aurait remis les échanges de mails de ses collaboratrices. Ainsi, l'avocat n'aurait pas directement consulté les courriels et ne les aurait produits que pour les besoins de sa défense.

Si le caractère déloyal de l'obtention de la preuve peut, dans certains cas, être légitimé par les besoins de la défense (5), il semblerait que la qualité d'avocat de l'agent poursuivi ait ici induit la solution retenue.

En l'espèce, on observera que ce n'est pas le caractère purement déloyal dans l'obtention de la preuve qui est mis en exergue, mais plutôt la provenance douteuse de cette preuve.

D'ailleurs, le débat ne porte pas sur la question de savoir si l'avocat a consulté lui même les messages privés sur l'ordinateur mis à la disposition de la collaboratrice. En fait, il ressort de l'arrêt que le conseil de discipline retenait que "la provenance frauduleuse" de tels mails devait être relevée par l'avocat qui devait dès lors s'abstenir de les produire pour les besoins de sa défense. Il ressort de l'arrêt que c'est bien la qualité d'avocat qui impose avec davantage de rigueur l'observation du respect du secret des correspondances et de la vie privée.

En effet, au delà de ces principes classiques de secret des correspondances et de vie privée, l'avocat est soumis à des principes liés à l'exercice de sa profession énoncés à l'article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), repris in extenso dans le RIN à l'article 1.3 tel que le principe de délicatesse, de confraternité et de loyauté.

La déontologie à laquelle est soumis l'avocat regroupe un ensemble de règles qu'il se doit de suivre en toute circonstance. En ce sens, la faute disciplinaire ou déontologique n'est ni une faute pénale, ni une faute civile et revêt ses propres caractéristiques emprunt de moralité et d'éthique. Son régime suit également ces spécificités.

Ainsi, cet arrêt est l'occasion de rappeler que les principes essentiels de la profession, et en l'espèce, plus particulièrement, le principe de délicatesse supplante les droits de la défense de l'avocat qui, plus qu'un métier, est un état qui "veut son homme tout entier" disait Loisel.

La délicatesse à laquelle est soumis l'avocat dans ses rapports devient plus subtile que le principe de loyauté procédurale auquel est soumis tout justiciable.

Reste que la question qui pouvait se poser est celle de savoir si les collaboratrices ne manquaient pas, non plus, aux principes de la profession en injuriant par des échanges de mail, sur leur lieu de travail, l'avocat et le cabinet avec lequel elles étaient liées par un contrat de collaboration.

En tout état de cause, l'avocat qui souhaiterait se constituer une preuve informatique et éviter toute difficulté quant à la question de l'admissibilité de ce mode de preuve se devrait de solliciter, au préalable, l'autorisation de la juridiction d'accéder aux courriels de ses collaborateurs en application de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49) soit dans le cadre d'une ordonnance sur requête permettant d'éviter dans un premier temps une procédure contradictoire, soit dans le cadre d'un référé probatoire.


(1) cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E6573ETM) 
(2) Cass. soc., 16 mai 2013, n° 12-13.372, F-D (N° Lexbase : A5008KDT).
(3) A titre d'information, le contrat de collaboration est aujourd'hui le plus souvent accompagné d'une clause rédigée en ces termes : "pour le cas où [CAB] conserverait dans la mémoire de ses ordinateurs, la trace et/ou le contenu des correspondances électroniques reçues et/ou expédiées par [COL], tant dans le cadre de son activité professionnelle pour les dossiers du Cabinet que pour sa clientèle personnelle ou à titre privé, il s'interdira formellement d'utiliser ou d'invoquer le contenu de l'une quelconque des correspondances privées ou afférentes à l'un des dossiers personnels de [COL], et ce à quelque titre que ce soit. En cas de rupture du contrat de collaboration, [CAB] remettra à [COL] les fichiers de correspondances et dossiers personnels en format électronique et détruira toute copie de ces fichiers sur ses ordinateurs". Extrait du site www.avocatparis.org géré par l'Ordre des avocats de Paris qui donne un exemple de contrat de collaboration portant cette mention.
(4) Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-17.475, F-P+B (N° Lexbase : A1592RCX).
(5) Le principe de loyauté de la preuve, principe non défini en droit, n'est pas uniforme et s'applique de manière différente selon les matières. Aussi, il semble pouvoir être écarté d'une part s'il apparaît que l'atteinte ainsi portée reste équilibrée au regard du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts protégés, d'autre part, si la preuve ainsi obtenue a pu être discutée contradictoirement. CEDH, 10 octobre 2006, Req. 7508/02 (N° Lexbase : A6919DRP) ; CEDH, 13 mai 2008, Req. 65097/01 (N° Lexbase : A4987D89).

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