La lettre juridique n°650 du 7 avril 2016 : Pénal

[Jurisprudence] Quand le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale interdit de sanctionner la diffusion sur internet de l'image d'une femme nue contre sa volonté

Réf. : Cass. crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4888Q78)

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par Romain Ollard, Professeur à l'Université de La Réunion et Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit pénal", "Droit pénal spécial" et "Procédure pénale"

le 07 Avril 2016

Dans une décision du 16 mars 2016, qui aura les honneurs d'une publication au bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient décider que "n'est pas pénalement réprimé le fait de diffuser sur internet, sans son accord, l'image" d'une femme enceinte posant nue ! Aussi surprenante soit-elle de prime abord, la solution se justifie pourtant au regard des conditions d'application de l'article 226-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2241AMX) qui incrimine le fait de "porter [...] à la connaissance du public ou d'un tiers [...] tout enregistrement ou document obtenu" au moyen d'un acte d'espionnage d'autrui, lequel n'était pas constitué en l'espèce en raison du consentement du modèle, sinon à la diffusion, du moins à la fixation de son image. Pour autant, quoi que justifiée au regard du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale -pour une fois mobilisé à bon escient-, d'autres qualifications étaient sans doute envisageables, de sorte qu'il est regrettable que l'action publique, désormais éteinte en raison de l'autorité de la chose jugée, ait été si mal fondée à l'origine. L'affaire. Une femme avait porté plainte en raison de la diffusion sur internet, par son ancien compagnon, d'une photographie prise par lui, à l'époque de leur vie commune, la représentant nue alors qu'elle était enceinte. L'indélicat fut poursuivi sur le fondement de l'article 226-2 du Code pénal, pour avoir porté à la connaissance du public un document -en l'occurrence une photographie- "obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1", c'est-à-dire au moyen d'un acte d'espionnage portant "atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui". L'arrêt de condamnation prononcé par la cour d'appel est censuré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, au triple visa des articles 111-4 (N° Lexbase : L2255AMH), 226-1 (N° Lexbase : L2092AMG) et 226-2 du Code pénal, au motif que "le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, soit des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, soit l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, n'est punissable que si l'enregistrement ou le document qui les contient a été réalisé sans le consentement de la personne concernée". Or, selon la Haute juridiction, la prise de la photographie ayant été réalisée en l'espèce avec le consentement de l'intéressée, sa diffusion ne saurait être pénalement réprimée, quand bien même une telle diffusion aurait été réalisée "sans son accord".

Rôle du consentement dans les qualifications d'atteintes à la vie privée. La solution permet d'éclairer l'articulation des deux qualifications d'atteintes à la vie privée, prévues aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal. Tandis que la première de ces qualifications incrimine des actes d'investigation et d'espionnage portant atteinte à l'intimité d'autrui (fixation de l'image d'une personne dans un lieu privé ou captation de paroles prononcées à titre confidentiel), la seconde sanctionne des actes -par hypothèse postérieurs- de divulgation des informations ainsi recueillies. Or, le délit d'espionnage d'autrui constitue un délit privé en ce sens que le défaut de consentement de la victime est un élément constitutif de l'infraction (1), ainsi que vient d'ailleurs le préciser expressément le texte d'incrimination qui exige que la captation, l'enregistrement ou la transmission de l'image ou des paroles aient été réalisés "sans le consentement" de la victime. Cette restriction se justifie dans la mesure où la personne qui consent à la captation de son image ou de ses paroles ne saurait invoquer une "atteinte" à l'intimité de sa vie privée. En conséquence, pour que soit caractérisée l'infraction -définie à l'article 226-2- de diffusion de "document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 du Code pénal", faut-il nécessairement que l'enregistrement ou la fixation de l'image sur un support aient été réalisés sans le consentement de la victime. Tout comme le recel de choses, le délit de l'article 226-2 constitue, en effet, une infraction de conséquence dont la répression implique ipso facto la constitution de celle d'espionnage d'autrui : si l'infraction préalable d'espionnage d'autrui n'est pas constituée dès lors que le modèle a consenti à la fixation de son image, l'infraction de conséquence de diffusion de cette image ne saurait elle-même être considérée comme constituée, quand bien même l'acte de diffusion n'aurait pas été consenti.

Solution fondée sur l'interprétation stricte. Rendue au visa de l'article 111-4 du Code pénal, la solution semble ainsi parfaitement fondée sur le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale. L'on sait toutefois que ce principe est parfois utilisé par la Cour de cassation comme un instrument de politique juridique en son pouvoir lui permettant de réprimer ou au contraire de relaxer les prévenus, au gré des espèces. Par exemple, l'on se souvient à cet égard que la Cour de cassation -tant la Chambre criminelle (2) que l'Assemblée plénière (3)- a pu décider, précisément au nom du principe de l'interprétation stricte, que le foetus ne pouvait être considéré comme la victime d'un homicide par imprudence. Ce faisant, la haute juridiction refusait d'assimiler l'enfant à naître à un "autrui" au sens du texte d'incrimination et admettait, plus loin, que seule une personne juridique peut être victime d'un homicide par imprudence, lors même que le Code pénal intègre cette infraction parmi les atteintes à la "personne humaine" (4). Reposant sur une pétition de principe (5), la solution ne peut s'expliquer que par des considérations de pure opportunité, sans qu'il soit ici question de s'interroger sur leur bien-fondé. A l'inverse, la Cour de cassation a pu juger que l'infraction d'appels téléphoniques malveillants (6) pouvait être constituée par l'envoi répété de simples SMS, dès lors du moins que ceux-ci se manifestaient par un signal sonore (7), considérant ainsi que le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale n'interdisait pas de considérer des messages écrits comme des "appels" téléphoniques (8). On le voit à travers ces quelques exemples qu'il serait possible de multiplier à l'envi, le principe de l'interprétation stricte est parfois mobilisé par la jurisprudence comme un instrument -bien commode- lui permettant de rendre des solutions en opportunité -en équité ?-, sous couvert de solutions juridiquement fondées sur l'analyse exégétique des textes.

Raisonnements alternatifs ? Dans ces conditions, un autre raisonnement aurait-il pu être mené en l'espèce en considérant notamment que, malgré le consentement de la victime à la fixation de son image -ce qui interdisait assurément de caractériser le délit d'espionnage d'autrui-, le défaut de consentement à sa diffusion suffisait à caractériser l'infraction prévue à l'article 226-2 ? Une telle analyse pourrait se targuer des solutions forgées en matière de recel de choses qui se contentent, pour admettre la répression du receleur, d'une infraction d'origine objectivement punissable, peu important que l'infraction préalable soit effectivement poursuivie ou punie. Bien plus, une jurisprudence singulière s'est développée en matière de complicité qui décide qu'il suffit, pour caractériser l'existence d'un fait principal punissable, que l'auteur ait commis une infraction réalisée en son seul élément matériel. Alors qu'en vertu de la théorie classique de l'emprunt de criminalité, la répression du complice suppose que l'auteur principal ait commis une infraction réalisée en tous ses éléments constitutifs, tant matériel que moral, la théorie dite de l'emprunt de matérialité ainsi développée se satisfait d'une infraction constituée en son seul élément matériel, c'est-à-dire d'un acte objectivement illicite accompli par l'auteur. Ainsi, dans une affaire où le passager d'un véhicule automobile avait dissimulé en son sein de la drogue à l'insu du conducteur propriétaire, la Chambre criminelle a pu admettre de punir le passager comme complice par provocation de l'infraction de transport de stupéfiants lors même que le conducteur ne pouvait être puni comme auteur, à défaut d'élément moral (9) : même si l'auteur principal échappe à la répression à défaut d'intention coupable, le complice, lui, peut être sanctionné en présence d'un "fait principal punissable" conçu comme un acte objectivement illicite, jugé suffisant (10). Par mimétisme, n'était-il pas possible de considérer en l'espèce que l'infraction préalable d'espionnage d'autrui était constituée en son élément matériel, par un acte objectif de fixation de l'image de la victime ? Il s'agirait alors d'admettre que, pour constituer l'infraction préalable nécessaire à la répression de l'article 226-2 du Code pénal, celle de l'article 226-1 est suffisamment constituée par un acte de fixation de l'image, peu important à cet égard la présence ou non des éléments subjectifs de la répression, tels que l'élément psychologique de l'infraction ou, comme en l'espèce, le consentement de la victime. Une telle analyse pourrait d'ailleurs se prévaloir de la lettre même de l'article 226-2 du Code pénal qui sanctionne la diffusion d'un document obtenu à l'aide de "l'un des actes" défini à l'article précédent, si bien que la seule matérialité des actes de fixation de l'image serait suffisante à constituer l'infraction préalable de l'article 226-1 du Code pénal.

Quoique séduisante, l'analyse semblait toutefois difficilement pouvoir être retenue en l'espèce car si un acte objectif de fixation de l'image d'autrui pouvait sans doute être retenu, un tel acte n'était pas objectivement illicite en raison du consentement donné par le modèle. En présence d'un tel accord, aucun acte d'investigation ou d'espionnage d'autrui n'avait en effet été réalisé de sorte que l'infraction définie à l'article 226-1, même conçue en son seul élément matériel, ne pouvait être considérée comme constituée. Admettre le contraire reviendrait à trahir l'esprit du texte qui implique que les actes décrits aient été réalisés dans la clandestinité (11). Dans ces conditions, à défaut de constitution de l'infraction préalable d'espionnage d'autrui, celle -de conséquence- incriminée à l'article 226-2 ne saurait être réprimée. Aussi gênante soit la solution, le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale imposait donc, comme l'a fort justement décidé la Cour de cassation, de conclure à l'impunité en l'espèce.

Qualifications alternatives ? D'autres qualifications pénales étaient-elles envisageables en l'espèce ? Evidemment, la qualification générale de recel, qui incrimine le fait "de bénéficier, par tout moyen du produit d'un crime ou d'un délit" (12), vient immédiatement à l'esprit. Toutefois, en sa qualité d'infraction de conséquence impliquant là encore la caractérisation d'une infraction d'origine, la qualification doit être exclue pour les mêmes raisons : l'infraction d'espionnage d'autrui n'étant pas constituée en raison du consentement du modèle, l'infraction de conséquence de recel ne saurait elle-même être réprimée. Une qualification largement méconnue -au moins de l'auteur des poursuites- paraissait pourtant s'appliquer parfaitement aux faits de l'espèce. La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 (N° Lexbase : L5066IPC) a, en effet, introduit un nouvel article 226-4-1 dans notre Code pénal (N° Lexbase : L7408IP3) qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, y compris au moyen d'un "réseau de communication au public en ligne", "d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération". Or, il s'agissait là semble-t-il de la qualification idoine dès lors, d'une part, que l'image d'une personne diffusée sur internet constitue une "donnée" permettant son identification et, d'autre part, que la représentation de la nudité de la victime est assurément de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération.

Autorité de la chose jugée. Dans ces conditions, il est regrettable que les poursuites n'aient pas été mieux fondées dès l'origine car une telle erreur de qualification est devenue irrattrapable. En présence d'une décision -celle de la Cour de cassation- définitive et insusceptible de recours, l'action publique se trouve en effet irrémédiablement éteinte en vertu de l'autorité de la chose jugée, laquelle interdit qu'une personne définitivement jugée pour un fait puisse à nouveau être poursuivie "à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente" (13). Aussi injuste que puisse paraître la solution en l'espèce, c'est là la résultante -classique- de l'effet conjugué du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale et de la règle non bis in idem...


(1) Délit privé quant à la constitution de l'infraction dès lors que le défaut de consentement de la victime en est un élément constitutif, le délit d'espionnage d'autrui l'est encore au regard de sa répression puisque, par exception au principe de l'opportunité des poursuites, l'ouverture de l'action publique est subordonnée à un dépôt de plainte de la victime, de son représentant légal ou de ses ayants droit (C. pén., art. 226-6 N° Lexbase : L2179AMN). Dans ce prolongement, lorsqu'une plainte préalablement déposée est retirée, ce retrait est une cause d'extinction de l'action publique, en application de l'article 6, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ).
(2) Cass. crim., 30 juin 1999, n° 97-82.351 (N° Lexbase : A6337AGS), D., 1999, p. 710 ; JCP éd. G, 2000, II, 10231 ; Cass. crim., 4 mai 2004, n° 03-86.175, F-P+B (N° Lexbase : A2091DCG), Bull. crim. n° 108.
(3) Ass. plén., 29 juin 2001, n° 99-85.973 (N° Lexbase : A6448ATY), D., 2001, p. 2917 ; JCP éd. G, 2001, II, 10569, rapp. Sargos et note M.-L. Rassat.
(4) C. pén., Titre 2, Livre 2.
(5) M.-L. Rassat, note précitée.
(6) C. pén., art. 222-16 (N° Lexbase : L9322I3N).
(7) Cass. crim., 30 septembre 2009, n° 09-80.373, F-P+F (N° Lexbase : A2996EMW), RPDP, 2010, p. 899, note V. Malabat.
(8) Depuis lors, l'article 222-16 (N° Lexbase : L9322I3N) dans sa rédaction nouvelle issue de la loi n° 2014-873 (N° Lexbase : L9079I3N) prévoit toutefois que l'infraction peut être constituée non seulement par des appels téléphoniques malveillants réitérés mais encore des "envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques".
(9) Cass. crim., 8 janvier 2003, n° 01-88.065, F-P+F ([LXB=A5987A4I ]), D., 2003, J. 2661, note E. Bonis-Garçon.
(10) Sur la question, J.-H. Robert, Imputation et complicité, JCP éd. G, 1975, I, 2720 ; J.-Ch. Saint-Pau, V. Malabat, DP, 2004, Chr. 2.
(11) Cass. crim., 4 mars 1997, n° 96-84-773 (N° Lexbase : A0021CGU), Bull. n° 83 ; Rev. sc. crim. 1997, p. 669, obs. Dintilhac.
(12) C. pén., art. 321-1, al. 2 (N° Lexbase : L1940AMS).
(13) C. proc. pén., art. 368, applicable en matière criminelle (N° Lexbase : L4375AZ3).

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