Réf. : Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-25.729, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1654QDM)
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
le 31 Mars 2016
Désireux d'en prendre connaissance, le requérant avait assigné le requis en référé afin d'obtenir la communication des pièces séquestrées. Statuant en la seule présence du défendeur, et hors la présence du demandeur, le juge avait dressé la liste des pièces dont il autorisait la communication, après avoir vérifié qu'elles ne portaient pas atteinte au secret des affaires.
Le requérant avait interjeté appel de cette décision afin d'être autorisé à prendre connaissance des documents séquestrés par l'huissier et d'en débattre contradictoirement.
La question était ainsi une nouvelle fois posée : comment concilier le secret des affaires, qui constitue un enjeu important de la vie des entreprises et de l'activité économique, avec les droits de la défense ?
Saisie de cette question, la cour d'appel avait à se prononcer sur la délicate conciliation du principe du contradictoire et de la protection du secret des affaires. Estimant que celle-ci est assurée en réservant la consultation des documents litigieux aux seuls avocats tenus au secret professionnel à l'égard de toute personne leur confiant une information confidentielle en raison de leur qualité, les juges du fond (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 25 septembre 2014, n° 13/13105 N° Lexbase : A1103MX7) annulèrent l'ordonnance et autorisèrent l'avocat du requérant à prendre connaissance des documents séquestrés pour débattre contradictoirement de leur communication au cours d'une nouvelle audience devant le juge des référés.
Un pourvoi fut formé contre cette décision.
Sous des atours très classiques, la conciliation des droits de la défense et du secret des affaires, la question posée à la Cour de cassation présentait une originalité certaine : le secret professionnel de l'avocat permet-il d'assurer la conciliation du secret des affaires et de la contradiction ? Répondant par l'affirmative, les juges du fond avaient fait appel au secret professionnel de l'avocat afin de concilier la contradiction et le secret des affaires (I), mais cette décision est cassée pour violation de la loi. Après avoir rappelé que, selon l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l'avocat et son client ou entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et les pièces du dossier, la première chambre civile a cassé la décision des juges du fond (1) (II).
I - La recherche d'un équilibre entre le principe de la contradiction et le secret des affaires
Permettant aux parties d'obtenir, sur requête ou en référé, une mesure d'instruction afin de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige (2), l'article 145 du Code de procédure civile a vocation à améliorer la situation probatoire des parties (3). Mais le destinataire de la mesure se trouve corrélativement exposé au risque d'avoir à dévoiler des documents couverts par le secret des affaires (4). La mise en oeuvre de cette disposition impose donc de veiller au respect des droits (5) de chacune des parties. L'équilibre des droits en concours préside à l'élaboration de la solution : le juge doit apprécier la hiérarchie des droits qui s'affrontent lors de la mise en oeuvre de la mesure.
C'est un subtil équilibre qui est recherché. Alors que la pratique avait dégagé un mécanisme permettant d'assurer le respect de la contradiction tout en ménageant le secret des affaires (A), les juges du fond avaient en l'espèce renforcé la contradiction en permettant à l'avocat du requérant de prendre connaissance des pièces sous séquestre (B).
A - La solution de la pratique
La jurisprudence considère classiquement que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime et qu'elle est nécessaire à la protection des droits du requérant (6). Les juges admettent encore que les faits de l'espèce peuvent justifier que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, mais dans une telle hypothèse, la Cour de cassation impose aux juges du fond de caractériser les circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction (7).
C'est donc un subtil équilibre entre les droits en concours que le juge doit assurer dans la mise en oeuvre de l'article 145 du Code de procédure civile.
Sur la proposition de la doctrine, qui avait suggéré une forme de rédaction du dispositif de l'ordonnance prévoyant un débat contradictoire sur le devenir des documents avant que ceux-ci ne soient exposés (8), la Cour de cassation avait approuvé les dispositifs permettant d'assurer la protection du secret des affaires contre les plaideurs indélicats (9).
Cette pratique, développée notamment par le tribunal de commerce de Paris, permet de restaurer un débat contradictoire sur l'opportunité de la diffusion des pièces (10) et réduit le risque d'une instrumentalisation de la procédure : les juges vérifient que les conditions requises sont réunies puis autorisent la mesure. Les informations sont ensuite mises sous séquestre entre les mains d'un tiers et non communiquées aux parties adverses dans l'attente de leur examen et d'un débat contradictoire devant la juridiction afin de veiller au respect du secret des affaires, des droits de la défense et de la vie privée des personnes concernées (11). Ainsi, le requérant n'a pas accès spontanément aux pièces saisies alors que le requis dispose de la possibilité de former une requête en rétractation permettant un débat contradictoire sur l'opportunité de présenter ces pièces à l'autre partie. C'est cette pratique qui avait guidé la rédaction de l'ordonnance du président du tribunal de commerce en l'espèce.
B - Le renforcement de la contradiction par les juges du fond
Le président du tribunal de commerce avait ordonné à un huissier de justice de se faire remettre et conserver sous séquestre des documents sur support informatique permettant au requérant de faire valoir ses droits. Celui-ci avait assigné le requis en référé pour obtenir communication des pièces. Afin de ménager le secret des affaires, le juge du tribunal de commerce avait en la seule présence de la société défenderesse, et hors la présence de la demanderesse, dressé la liste des pièces dont il autorisait la communication, après avoir vérifié qu'elles ne portaient pas atteinte au secret des affaires. Le requérant se trouvait donc dépossédé du débat contradictoire sur l'opportunité de la communication des pièces.
La cour d'appel avait rappelé que, sous le visa des articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), la Haute juridiction affirme que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et que cette exigence implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d'influencer sa décision. Les juges d'appel en avaient déduit que l'examen des documents séquestrés avait été réalisé sur la base d'un tri préalablement effectué non contradictoirement. Pour cette raison, les juges du fond avaient imposé la restauration du contradictoire en autorisant l'avocat du requérant à "prendre connaissance des documents séquestrés pour débattre équitablement de leur communication au cours d'une nouvelle audience devant le juge des référés". La cour d'appel précisait que "la conciliation du principe du contradictoire et de la protection due au secret des affaires est assurée en réservant la consultation des documents litigieux aux seuls avocats, tenus au secret professionnel à l'égard de toute personne leur confiant une information confidentielle en raison de leur qualité" (12). C'est précisément sur ce fondement que la cassation pour violation de la loi est prononcée.
II - Le rejet du secret professionnel de l'avocat comme point d'équilibre entre le secret des affaires et la contradiction
Statuant sous le visa de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (A), la Cour de cassation rejette le secret professionnel de l'avocat comme point d'équilibre entre le secret des affaires et la contradiction (B).
A - L'étendue du secret professionnel de l'avocat
Aux termes de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, "en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle' (13), les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel " (14). Ce texte dresse une liste des pièces couvertes par le secret professionnel en fonction de la relation dans laquelle elles s'inscrivent. La jurisprudence a précisé l'économie du secret professionnel de l'avocat : les messages adressés par un avocat à un autre avocat, qui ne comportent pas la mention 'officiel', sont couverts par le secret professionnel (15), peu important qu'ils aient été transmis par le client de son auteur au client de son destinataire (16) ou encore, pour information, à l'expert-comptable à l'initiative de son auteur qui ne pouvait en autoriser la divulgation (17). En revanche, la confidentialité des correspondances adressées par l'avocat à son client ne s'impose pas à ce dernier lequel, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les produire en justice (18).
Les juges du fond avaient, en l'espèce, appliqué le secret professionnel dans une relation qui n'est pas prévue par le texte en l'étendant aux pièces détenues par l'adversaire du client de l'avocat. Cette extension du secret professionnel de l'avocat permettait de faire peser sur l'auxiliaire de justice la conciliation des droits de la défense de son client et du droit au secret des affaires de l'adversaire de celui-ci. Cette solution est cassée par la Cour de cassation.
B - La solution de la Cour de cassation
La première chambre civile de la Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel sous le visa de l'article 66-5 de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Aux termes de cette disposition, seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l'avocat et son client ou l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et les pièces du dossier. Le secret professionnel des avocats ne s'étend pas aux documents détenus par l'adversaire de leur client, susceptible de relever du secret des affaires et dont le refus de communication constitue l'objet même du litige. Publiée au bulletin, la décision n'apporte pas de réponse univoque à la question de la conciliation du principe du contradictoire et de la protection du secret des affaires.
La solution, en effet, ne se prononce pas sur la conciliation du secret des affaires et de la contradiction. Elle rejette l'extension du secret professionnel de l'avocat et, par conséquent, ne permet pas que celui-ci constitue le point d'équilibre du droit au secret et de la contradiction.
(1) H. Slim, Le secret professionnel des avocats et la difficile articulation du principe du contradictoire et du secret des affaires, JCP éd. G, 2016, 312.
(2) Cass. mixte, 7 mai 1982, n° 79-11.974 (N° Lexbase : A4595CGB).
(3) Rapp. Cass. civ. 1, 4 mai 2011, n° 10-13.712, F-D (N° Lexbase : A2553HQM).
(4) Cass. com., 10 février 2015, n° 14-11.909, F-D (N° Lexbase : A4401NBM).
(5) Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-25.781, F-D (N° Lexbase : A2553HQM).
(6) Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-13.880, F-D (N° Lexbase : A5901KAS) ; Cass. soc., 19 décembre 2012, n° 10-20.526, FS-P+B (N° Lexbase : A1590IZW).
(7) Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-18.895, F-P+B (N° Lexbase : A1513MST).
(8) M. Foulon, Y. Strickler, Le constat sur requête avant tout procès, Dr. et patrimoine, 2006, p. 71, §. 39 ; V. également J. Guigue, Rendre au juge sa place en matière d'expertise, Gaz. Pal., 29-30 juillet 2015, n° 210-211, p. 2148.
(9) Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 09-10.618, F-P+B (N° Lexbase : A4778EQZ) ; M. Foulon, Y. Strickler, Requête in futurum et protection du futur défendeur, Gaz. Pal., 8-9 mars 2013, n° 67-68, p. 824.
(10) Le secret des affaires et la confidentialité de la procédure, Rev. proc. coll., 2015, entretien 1).
(11) Cass. civ. 2, 25 juin 2015, n° 14-16.435, F-D (N° Lexbase : A9941NLR) ; Cass. civ. 2, 14 novembre 2013, n° 12-26.930, F-P+B (N° Lexbase : A6204KPH).
(12) H. Slim, Etendue du secret professionnel de l'avocat, JCP éd. G, 2016, act., 198.
(13) Cass. civ. 2, 4 décembre 2014, n° 13-25.469, F-D (N° Lexbase : A0675M77).
(14) Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.219, F-P+B+I (N° Lexbase : A9493HXU).
(15) Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-22.952, F-D (N° Lexbase : A6484MYS) ; Cass. civ. 1, 1er octobre 2014, n° 13-22.747, F-D (N° Lexbase : A7952MXS).
(16) Cass. com., 18 septembre 2012, n° 11-21.898, F-D (N° Lexbase : A2560ITY).
(17) Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-21.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3027EQ8).
(18) Cass. civ. 3, 15 février 2006, n° 04-20.521, FS-P+B (N° Lexbase : A9841DMG) ; Cass. civ. 1, 30 mai 2013, n° 12-24.090, F-D (N° Lexbase : A9591KEX).
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