La lettre juridique n°648 du 24 mars 2016 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le caractère non déductible des frais d'acquisition d'un fonds de commerce

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2016, n° 383930, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4476QD7)

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par Florent Roemer, Docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, Ancien élève de l'Ecole Nationale des Impôts, Doyen de la Faculté de droit, économie et administration de Metz, Membre de l'Institut François Gény (Université de Lorraine)

le 24 Mars 2016

La Haute juridiction administrative, dans un arrêt rendu le 26 février 2016, a décidé que le coût d'acquisition des éléments constituant un fonds de commerce ne peut être qualifié de charge déductible de l'entrepris lorsque cette acquisition vise exclusivement à agrandir ses locaux et non à poursuivre l'activité du fonds de commerce (CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2016, n° 383930, mentionné aux tables du recueil Lebon). Au cas présent, la société requérante (une pharmacie) a fait l'acquisition du fonds de commerce de bar et de brasserie relatif aux locaux jouxtant son propre établissement et a inscrit cet élément à l'actif immobilisé du bilan clôturé le 31 décembre 2007. En 2008, cette société a conclu un nouveau bail afin d'exercer une activité de pharmacie et de parapharmacie dans les locaux nouvellement acquis. Selon la société, les sommes versées pour l'acquisition des éléments du fonds de commerce de bar et de brasserie doivent être considérées comme une charge déductible dans la mesure où l'opération n'avait pour but que d'agrandir la pharmacie et non pas de poursuivre l'activité de bar et de brasserie. En outre, la société requérante considère que la somme versée pour le rachat du fonds de commerce peut être analysée comme une indemnité d'éviction versée par le propriétaire en cas de non-renouvellement du bail de son locataire. L'analyse du contribuable est remise en cause par l'administration fiscale, qui est suivie par le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 21 juin 2013, n° 1217334 N° Lexbase : A2262QYG), et par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 24 juin 2014, n° 13PA02507 N° Lexbase : A6611MSN). Dans cette affaire se posent donc la question du traitement fiscal du fonds de commerce (I) et celle de l'indemnité d'éviction (II).

I - Le traitement fiscal du fonds de commerce

Les dépenses intégrées dans les frais généraux se traduisent par une diminution de l'actif net de l'entreprise et sont immédiatement déductibles du résultat imposable, à la différence des dépenses qui contribuent à l'acquisition d'un droit ou d'un bien qui demeurent durablement dans l'entreprise et qui doivent être inscrits à l'actif immobilisé dont ils participent à l'enrichissement. La déduction est alors opérée par la constatation d'amortissements, le cas échéant. Lorsqu'il s'agit des frais d'acquisition d'éléments incorporels, leur qualification d'immobilisation dépend du fait que ceux-ci procurent à l'entreprise une source régulière de profit, ce qui peut être le cas des éléments constitutifs d'un fonds de commerce. Celui-ci est composé d'un ensemble d'éléments concourant à constituer une unité économique dont l'objet est de nature commerciale, comprenant des éléments corporels, tels que le matériel, les marchandises et les équipements, et des éléments incorporels, tels que la clientèle, le droit au bail et le nom commercial. Au sens juridique, le fonds de commerce est un "meuble incorporel" qui constitue une universalité juridique.

L'acquisition du fonds de commerce peut être effectuée soit en début d'activité, soit en cours d'activité par le biais d'une entreprise préexistante. Quelles que soient les modalités d'acquisition de ce fonds de commerce, les dépenses exposées sont exclues des charges déductibles, car elles sont considérées comme contribuant à l'acquisition d'un élément de l'actif de l'entreprise. Ainsi, par exemple, le prix payé par un entrepreneur de transports pour l'acquisition d'un fonds de pâtisserie, situé dans le même immeuble que le siège de son établissement, en vue d'étendre son activité à l'exploitation d'une agence de voyages, engendre une augmentation de valeur du fonds de commerce inscrit à l'actif de l'entreprise et, même si l'entrepreneur considère que la clientèle du fonds acheté ne présente pour lui aucune valeur, celle-ci ne peut pas être considérée comme une charge déductible (1). Il en est de même lorsque l'acquisition du fonds est suivie de la démolition des murs et de l'installation au même emplacement d'un magasin vendant les mêmes articles que précédemment, le prix d'acquisition du fonds ayant eu pour contrepartie l'entrée d'un nouvel élément d'actif dans le patrimoine de la société, ne peut être regardé comme une dépense de premier établissement dont l'amortissement serait déductible (2). En revanche, si après acquisition du fonds, les locaux sont détruits et un nouveau magasin entièrement distinct du précédent est construit, le prix d'acquisition du fonds et les indemnités versées aux propriétaires peuvent être considérés comme des frais de premier établissement, amortissables sur les premiers exercices bénéficiaires (3). Enfin, les frais d'acquisitions d'une entreprise concurrente, qu'il s'agisse de l'acquisition du fonds de commerce ou de la clientèle, ne sont pas davantage déductibles des résultats imposables, dans la mesure où l'opération conduit à l'entrée dans le patrimoine de l'entreprise d'un nouvel élément d'actif (4). C'est le cas de l'achat des actions d'une société concurrente dissoute un an après l'opération dans la mesure où il a conduit à une augmentation de la valeur de l'actif du fait de l'appropriation d'une partie de la clientèle (5).

Au-delà des opérations concernant le fonds de commerce lui-même, d'autres opérations ayant pour conséquence de transférer une clientèle au profit d'une entreprise se voient appliquer le même raisonnement. C'est le cas de l'acquisition de la clientèle (6). C'est également le cas d'un engagement de non-concurrence qui peut être considéré comme un élément incorporel de l'actif immobilisé si, en raison de son ampleur, de sa durée et du degré de protection qu'il implique, il conduit à un accroissement de la valeur de l'actif incorporel de l'entreprise, notamment par le gain de parts de marché. L'intensité de l'engagement de non-concurrence est déterminante et nécessite une analyse économique : si les engagements ont pour conséquence d'obtenir de nouvelles parts de marché, ils contribuent à augmenter la valeur de l'actif, à la différence des engagements qui n'ont que pour effet de préserver et de maintenir la clientèle déjà existante de l'entreprise (7). Par ailleurs, lors de la rupture d'un engagement de non-concurrence il convient de déterminer si les sommes versées constituent une charge déductible ou bien si elles ont permis l'acquisition d'un élément d'actif. Les versements qui sont la contrepartie d'un détournement de clientèle représentent l'acquisition d'un élément d'actif incorporel. Au contraire, les sommes qui ont un caractère indemnitaire et réparent le dommage causé au concurrent en le désorganisant peuvent être considérées comme des charges.

Pour ce qui concerne l'acquisition d'un droit au bail, les versements effectués par le nouveau locataire d'un local commercial conduisent nécessairement à l'acquisition d'une immobilisation incorporelle et ne peuvent pas être considérées comme des charges déductibles. Les dépenses exposées en vue d'obtenir la conclusion d'un bail au profit de l'entreprise versante ont pour contrepartie l'entrée d'un élément d'actif dans le patrimoine de celle-ci ; elles ne peuvent, en conséquence, être regardées ni comme des dépenses de premier établissement, ni comme une charge d'exploitation déductible.

En l'espèce, l'administration fiscale a refusé l'argument consistant à considérer que les frais devaient être considérés comme des charges déductibles dans la mesure où l'acquisition visait exclusivement à agrandir la pharmacie, et non pas à poursuivre l'activité de bar et de brasserie. Cette position est logiquement confirmée par les juges dans la mesure où, comme le rappelle le Conseil d'Etat, les éléments d'un fonds de commerce doivent être nécessairement inscrits à l'actif du bilan de l'entreprise et doivent suivre le régime fiscal des éléments incorporels de l'actif immobilisé, même si l'activité initiale du fonds de commerce acquis par l'entreprise est différent de l'activité qui sera effectivement exercée.

II - Le traitement fiscal de l'indemnité d'éviction

En principe, l'indemnité d'éviction versée par une entreprise propriétaire à un de ses locataires pour le renouvellement du bail des locaux dont elle veut reprendre la disposition peut, dans la mesure où elle ne présente pas un caractère exagéré, soit être considérée comme une charge déductible des résultats de l'exercice au cours duquel elle a été versée, soit faire l'objet d'un amortissement échelonné. En revanche, si le propriétaire exerce dans les locaux dont il a repris la disposition un commerce identique à celui antérieurement exercé l'indemnité d'éviction représente notamment le prix d'acquisition de la clientèle du locataire et ne peut pas être déduite dans le cadre de la détermination du résultat fiscal. C'est le cas par exemple, lorsqu'un contribuable, exploitant une entreprise de transports routiers de voyageurs et concessionnaire d'une marque d'automobiles, reprend, moyennant le versement d'une indemnité d'éviction, la disposition des locaux dont il est propriétaire et dans lesquels il entreprend la profession de garagiste et de distributeur d'essence qui y étaient précédemment exercée par le locataire évincé, il bénéficie, en fait, de la clientèle de ce dernier et ne peut, par la suite, déduire de ses bénéfices l'intégralité de l'indemnité susvisée, car celle-ci a eu notamment pour contrepartie une augmentation de valeur de son propre fonds de commerce (8).

C'est pour cette raison que la société requérante souhaite que les frais engagés pour l'acquisition du fonds de commerce soient analysés comme une indemnité d'éviction, afin de pouvoir les déduire de son résultat. Toutefois, le Conseil d'Etat rappelle que la pharmacie n'était pas propriétaire des locaux concernés et que, dans ces conditions, la somme versée ne peut pas être regardée comme une indemnité d'éviction.


(1) CE 7° s-s., 20 décembre 1967, n° 66562 et 66563, Dupont, 1968, p. 140 ; D. adm. 4 C-21-11 n° 6, 30 octobre 1997 ; BOFIP-BIC-CHG-20-10-20, § 40 (N° Lexbase : X4655ALY).
(2) CE 7° s-s., 12 novembre 1945, n° 72288 et n° 72417, RI, 6458-1 ; dans le même sens, CE 7° s-s., 2 juin 1942, n° 66009, RO, 21ème vol., p. 132.
(3) CE, 20 décembre 1937, n° 58082, RO, p. 730, Dupont, 1938, p. 170.
(4) CE, 6 mars 1931, n° 6003, RO, 5570, Dupont, 1931, p. 408 ; CE 8° s-s., 30 janvier 1939, n° 61712, RO, 19ème vol., p. 48 ; CE 8° s-s., 21 mars 1938, n° 56913, RO, 18ème vol., p. 185 ; D. adm. 4 C-2-31 n° 10, 30 octobre 1997 ; BOFIP-BIC-CHG-20-30-20, § 80 (N° Lexbase : X3891ALP).
(5) CAA Nancy, 9 juillet 1991, n° 89NC01093 (N° Lexbase : A4641A8E).
(6) CE 8° s-s., 27 février 1950, n° 98252, RO, 25ème vol., p. 20 ; CE 8° s-s., 8 juillet 1960, n° 44364, Dupont, 1960, p. 447, RO, p. 122 ; CE 7° et 8° s-s-r., 15 février 1978, n° 5305 (N° Lexbase : A4217AIZ), RJF, 4/78, n° 153 ; CAA Lyon, 17 juin 1992 n° 90LY00756 (N° Lexbase : A3148A84) ; CAA Paris, plén., 5 décembre 1995, n° 93PA00909 (N° Lexbase : A8266BHM), RJF, 1/96, n° 9 ; CAA Lyon, 20 octobre 2009, n° 07LY00299 (N° Lexbase : A4066EPB), RJF, 3/10, n° 203.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 3 novembre 2003, n° 232393, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0892DAB).
(8) CE, 11 mai 1964, n° 58730 ; BOFIP-BIC-CHG-20-10-20, 3 février 2016, § 80, préc..

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