Réf. : Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France (N° Lexbase : L9035K4E)
Lecture: 23 min
N1865BWY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Hocine Zeghbib, Maître de conférences, Université Paul Valéry - Montpellier III, codirecteur scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"
le 24 Mars 2016
Pour le ministre de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve, "cette nouvelle loi constitue une avancée majeure pour mieux accueillir et intégrer les étrangers entrés de façon régulière sur le territoire, développer l'attractivité de la France pour les talents étrangers et renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière". Construit autour du triptyque "intégration /attractivité /lutte contre l'immigration irrégulière", la loi prétend à une forme d'équilibre entre générosité et sévérité de l'arsenal juridique qu'il introduit, modifie ou pérennise dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Comportant 68 articles, le texte de loi contient, en nombre restreint, certaines dispositions dont on peut dire qu'elles sont innovantes (I) et d'autres, plus nombreuses, dont on peut dire qu'elles encadrent plus sévèrement l'entrée et le séjour des étrangers (II).
I - Des mesures traduisant une innovation relative
La première de ces mesures est contenue dans l'article 4 de la nouvelle loi. Cette disposition modifie l'article L. 311-1 (N° Lexbase : L9214K4Z) qui énumère les différents titres de séjour autorisant un étranger à résider en France au-delà de trois mois : visa de long séjour d'une durée maximale d'un an (désormais délivré de plein droit aux conjoints de Français conformément au 3°, b du nouvel article L. 211-2-1 N° Lexbase : L1397I37), carte de séjour temporaire d'une durée maximale d'un an, carte de résident d'une durée de dix ans ou d'une durée indéterminée et carte de séjour portant la mention "retraité". Dans le 4° de ce même article, le législateur ajoute un nouveau titre de séjour, "la carte de séjour pluriannuelle". C'est l'une des innovations importantes introduites par la loi du 7 mars 2016. Si le titre est nouveau en soi, les différentes mentions qu'il comporte ne sont souvent que la synthèse simplifiée de titres de séjour déjà existants et en simplifient les conditionnalités internes.
La seconde série de mesures innovantes est consacrée à l'amélioration de la protection de certaines catégories de personnes.
1 - La carte de séjour pluriannuelle
L'une des mesures mises en avant par le Gouvernement "pour mieux accueillir et intégrer les étrangers entrés de façon régulière sur le territoire" est introduite par l'article 17 de la nouvelle loi qui crée une section 3, intitulée "La carte de séjour pluriannuelle", dans le chapitre III du titre 1er du livre III du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette section regroupe les articles L. 313-17 (N° Lexbase : L9195K4C) à L. 313-24.
La carte de séjour pluriannuelle générale délivrée après un premier document de séjour
Elle est délivrée à certains étrangers "au terme d'une première année de séjour régulier" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-1, 2° et 3°). Elle a une durée de validité maximale de quatre ans mais peut-être délivrée pour une période moindre selon les cas : pour les étudiants, la carte délivrée couvre la durée des études. Cependant, la loi ouvre le droit pour un étudiant titulaire du grade de master ou équivalent d'occuper un emploi salarié s'il présente un contrat de travail, à durée indéterminée ou à durée déterminée, en relation avec sa formation et assorti d'une "rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret en Conseil d'Etat". Il obtient alors une carte de séjour temporaire d'une validité de un an, période à l'issue de laquelle il pourra demander une carte de séjour pluriannuelle (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-10 N° Lexbase : L9223K4D). Pour les étrangers malades, la carte de séjour pluriannuelle est "de la durée prévisible des soins". Elle est délivrée pour une durée de deux ans seulement aux conjoints de français, au père et à la mère d'un mineur français, aux personnes ayant des liens personnels et familiaux en France et pour les étrangers bénéficiant de la protection subsidiaire. En outre, le demandeur ne doit pas s'être soustrait de manière injustifiée aux obligations découlant du contrat d'accueil et d'intégration rebaptisé par la nouvelle loi "contrat d'intégration républicaine". Ni la délivrance, ni le renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle ne sont de droit : le demandeur doit continuer à remplir les conditions préalables à la recevabilité de sa première demande. En outre, "à l'expiration de la durée de validité de sa carte, l'étranger doit quitter la France, à moins qu'il n'en obtienne le renouvellement ou qu'il ne lui soit délivré un autre document de séjour". C'est l'un des points faibles de cette nouvelle mesure : destinée, selon les autorités, à assurer la stabilité du séjour, donc de l'intégration de l'étranger, elle s'avère être plus proche de la précarité que de la stabilité du séjour ouverte par la carte de dix ans de la loi "Georgina Dufoix" de 1984 (3). On ajoutera que le nouvel article L. 313-5-1 (N° Lexbase : L9193K4A) confère des pouvoirs de contrôle accrus au préfet qui pourra "procéder aux vérifications utiles pour s'assurer du maintien du droit au séjour de l'intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou plusieurs entretiens" et refuser le renouvellement du titre ou prononcer son retrait.
Différentes mentions peuvent être accolées à la carte de séjour pluriannuelle : mention "passeport talent", mention "travailleur saisonnier", mention "salarié détaché 'ICT'".
La carte de séjour pluriannuelle mention "passeport talent"
Institué dans le but de "développer l'attractivité de la France", ce titre de séjour, d'une validité maximale de quatre ans délivré dès la première admission au séjour, remplace la carte "compétences et talents" et vise à "faciliter l'entrée et le séjour en France de personnes dans le cadre de mobilités de l'excellence, de la connaissance et du savoir". S'adressant à une assez large palette d'étrangers dotés de "talents" pouvant être mis au service du pays, ce titre peut aussi bénéficier, de plein droit, au conjoint et enfants majeurs auxquels est délivré une carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'passeport talent (famille)' donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Légèrement améliorée, la formule n'est pas pour autant nouvelle dans son principe et n'a eu que peu de résultats tangibles depuis son instauration par la loi "Sarkozy" de 2006 (4) à laquelle il était reproché par l'opposition de l'époque, au Gouvernement aujourd'hui, de pratiquer la politique de "l'immigration choisie" au détriment des étrangers déjà présents sur le territoire.
La carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'travailleur saisonnier'.
Instaurée par l'article L. 313-23 (N° Lexbase : L9201K4K), cette carte est délivrée, dès la première admission, pour une durée de maximale de trois ans. Elle présente la particularité de cibler une activité professionnelle exercée à titre saisonnier par un étranger venu spécialement pour cette raison conformément à l'article L. 1242-2 3° du Code du travail (N° Lexbase : L1795KGL), c'est-à-dire les "emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois". Le "travailleur saisonnier" devra s'engager à maintenir sa résidence hors de France et son séjour sur le territoire ne pourra être supérieur à six mois par année. Ce titre de séjour ne peut en aucun cas évoluer vers un droit au séjour et n'ouvre pas droit à être rejoint par le conjoint et les enfants. Du reste, cette disposition était déjà prévue par le 4° de l'article L. 313-10 (N° Lexbase : L5040IQQ) mais la durée maximale de validité de trois ans ne pouvait être accordée qu'à titre dérogatoire.
La carte de séjour pluriannuelle portant la mention 'salarié détaché ICT' (intra-corporate transfers)
Cette carte n'est une nouveauté qu'en partie puisqu'elle existait déjà aux 5° et 6° de l'article L. 313-10. Elle est spécifique aux salariés détachés et leur est délivrée pour la durée de leur mission sans pouvoir pour autant excéder trois ans. Elle est également délivrée, de plein droit, aux membres de la famille du travailleur détaché et leur ouvre l'accès au marché du travail sans tenir compte de la situation de l'emploi. Elle s'adresse à deux catégories de "salariés détachés" : ceux qui viennent directement d'un établissement situé dans un État tiers et ceux qui viennent d'un État membre. Pour les premiers, la délivrance de la carte "salarié détaché 'ICT'" n'est plus soumise à la condition du niveau de rémunération auparavant fixé à 1,5 fois au moins le salaire minimum de croissance et sont fusionnées les deux cas dans lesquels le "transfert" était possible : détachement ou contrat de travail depuis trois mois au moins. Désormais, la carte est délivrée au travailleur se déplaçant en France en vue "d'occuper un poste d'encadrement supérieur ou d'apporter une expertise dans un établissement ou une entreprise du groupe qui l'emploie, s'il justifie d'une ancienneté professionnelle dans celui-ci d'au moins trois mois". Pour la seconde catégorie, les nouvelles dispositions législatives viennent remplacer "la carte bleue européenne" auparavant délivrée au "salarié détaché 'ICT'", admis au séjour dans un Etat membre à ce titre et qui vient en France pour une mission d'une durée supérieure à quatre-vingt dix jours. Dans ce cas, le titre qui lui sera délivrée en France pour la durée de sa mission portera la mention "salarié détaché mobile 'ICT'". Dans ce cas comme dans les précédents, l'autorisation administrative préalable de travail n'est pas exigée. Ce titre autorise la famille du travailleur à le rejoindre et à accéder au marché du travail.
2 - Une meilleure protection de certaines catégories de personnes
La loi "Besson" de 2011 (5) n'avait pas apporté de solutions à certaines situations vécues par certaines catégories d'étrangers séjournant régulièrement en France : le séjour des retraités immigrés, le séjour des personnes malades et des accompagnants de mineurs malades, le droit au séjour des conjoints de Français et celui des victimes de violence conjugale ou de mariage forcé ainsi que l'accès à la nationalité par certains étrangers.
Le séjour des immigrés retraités
Le 6° de l'article L. 311-1 (article 4 de la loi) précise que la "carte de séjour portant la mention 'retraité', d'une durée de dix ans" est délivrée "à l'étranger qui, après avoir résidé en France sous couvert d'une carte de résident, a établi ou établit sa résidence habituelle hors de France et qui est titulaire d'une pension contributive de vieillesse, de droit propre ou de droit dérivé, liquidée au titre d'un régime de base français de Sécurité sociale [...]" (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 317-1 N° Lexbase : L1289HPG). Elle donne accès de plein droit au territoire à condition que le séjour n'excède pas un an. Elle est renouvelable de plein droit et ouvre, de plein droit également, l'obtention d'une carte de résident permanent si son titulaire "justifie de sa volonté de s'établir en France et d'y résider à titre principal" (cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 314-11 11° N° Lexbase : L9260K4Q). Pour l'obtention de la carte de résident, les titulaires de la "carte retraité" ne sont pas soumis à la condition d'intégration républicaine, tout comme, s'ils sont âgés d'au moins soixante-cinq ans, ils sont exonérés de la condition de ressources en cas de demande de regroupement familial. Le passage de la "carte retraité" à la carte de résident permet l'accès aux prestations sociales qui sont soumises, comme on le sait, au principe de territorialité.
Le séjour des personnes en situation irrégulière malades et des accompagnants de mineurs étrangers malades
Pour les personnes malades et en situation irrégulière, l'article 13 de la loi modifie le 11° de l'article L. 313-11 et dispose qu'une carte de séjour pluriannuelle est délivrée "à l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié". Sa durée de validité couvre "la durée prévisible des soins". Le changement est assez significatif dans la mesure où c'est la situation personnelle du demandeur qui sera prise en compte en premier lieu et non plus la situation sanitaire générale du pays d'origine comme c'était préalablement le cas. Toutefois, outre les difficultés d'appréciation que cette mesure laisse présager, on regrettera que cette disposition écarte la compétence de la commission du titre de séjour pour laisser toute latitude à l'autorité administrative aussi bien pour la délivrance que pour le refus de renouvellement du titre. D'autre part, l'appréciation de l'état de santé n'est plus du ressort de l'Agence régionale de santé, mais "d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration", office relevant de la tutelle du ministère de l'Intérieur, ce qui peut interroger en terme de protection des droits. S'agissant du séjour des accompagnants d'un mineur étranger atteint d'une grave pathologie, l'article 14 de la loi modifie l'article L. 311-12 (N° Lexbase : L9225K4G) et rend obligatoire la délivrance de l'autorisation de séjour provisoire au profit des deux parents ou du tuteur légal du mineur admis à séjourner pour pathologie grave et reconnue comme telle par l'autorité administrative. Sa durée couvre la période de prise en charge médicale de l'étranger mineur et donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle.
Le séjour des conjoints de Français, des victimes de violences familiales et conjugales et aux victimes de mariage forcé
La carte de résident est délivrée de plein droit aux conjoints de Français au bout de trois ans de résidence régulière, c'est-à-dire après l'année du visa longue durée et les deux années au titre de la carte de séjour pluriannuelle. Les parents d'enfants français bénéficient de la même disposition. En effet, s'ils en remplissent les conditions, ces deux catégories de personnes obtiennent de plein droit ces titres alors qu'auparavant, il s'agissait d'une simple possibilité que les préfectures satisfaisaient avec parcimonie. Ces améliorations ont été introduites par les articles 15 et 16 de la loi qui modifient l'article L. 313-12. Ces mesures bénéficient également aux victimes de violences "conjugales ou familiales", l'introduction du terme "familial" élargissant le bénéfice de la mesure pour tenir compte de l'évolution de la notion de famille. Le nouvel article L. 316-3 (N° Lexbase : L9973K47) (article 25 de la loi) prévoit également un titre de séjour 'vie privée et familiale' au profit des victimes de mariage forcé.
L'accès à la nationalité de certains étrangers
Durant les débats à l'Assemblée nationale, certains députés ont relayé une question pendante depuis longtemps : dans une même fratrie, au sein d'une même famille, ceux des enfants nés à l'étranger ne pouvaient devenir Français que par la procédure difficile et parfois hasardeuse de la naturalisation au contraire de leurs frères et soeurs devenus Français par le droit du sol. Finalement rendus aux arguments du Gouvernement, les députés ont voté une disposition, consacrée par l'article 59 de la loi du 7 mars 2016 insérant un article 21-13-2 (N° Lexbase : L9328K4A) dans le Code civil ainsi libellé : "peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 (N° Lexbase : L0695KWN) à 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'Etat, lorsqu'elles ont un frère ou une soeur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 (N° Lexbase : L2463ABT) ou 21-11 (N° Lexbase : L5440H7M)". Les personnes remplissant les conditions d'âge d'arrivée en France et d'études en France peuvent désormais, par simple déclaration en préfecture, devenir Français mais seulement à leur majorité. D'autre part, l'accès à la nationalité par cette nouvelle voie d'acquisition n'est pas totalement "libre" puisque le législateur a instauré, à la demande du Gouvernement, un "portique de contrôle" puisque l'article 59 de la loi du 7 mars 2016 dispose que "l'article 21-4 (N° Lexbase : L1171HP3) est applicable aux déclarations souscrites en application du premier alinéa du présent article". Autrement dit, le Gouvernement se réserve le droit, à l'occasion d'une déclaration d'acquisition de la nationalité, de s'y opposer pour indignité ou défaut d'assimilation.
Si des améliorations sont incontestablement introduites, elles restent limitées tant dans leur nombre que dans leur champ d'application : ce qui est donné d'une main, il est souvent tenté de le reprendre de l'autre même si, au final, la balance penche davantage du côté de la protection des droits. L'article 48 modifiant l'article L. 611-12 (N° Lexbase : L9301K4A) en est une illustration saisissante : l'autorité administrative, pour vérifier si les conditions d'obtention du titre de séjour détenu sont toujours valides, peut saisir toute une série d'organismes publics et privés de demandes d'information sur l'étranger, ce qui ressemble fort à de l'intrusion dans la vie privée. D'autre part, que le législateur n'ait pas pris en compte, par exemple, le cas des mineurs entrés en France avant l'âge de treize ans ou qu'il n'ait pas consacré des dispositions spécifiques à la régularisation des étrangers présents irrégulièrement en France depuis au moins dix ans laisse augurer du traitement sévère réservé aux étrangers en situation irrégulière comme le donnent à voir les dispositions prévues en la matière par la nouvelle loi.
II - Des mesures traduisant une continuité prononcée
Les dispositions consacrées à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière donnent la mesure du degré de continuité entre la loi du 7 mars 2016 et les différentes lois publiées depuis 2003. Elles accentuent la sévérité déjà grande du régime de l'OQTF, élargissent les conditions de recours à l'assignation à résidence et limitent la portée de la libre circulation des citoyens européens. A la marge, les nouvelles dispositions réaménagent les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention dans un sens plus favorable à la protection des droits.
1 - L'éloignement forcé et ses modalités d'exécution
Il convient de rappeler très brièvement le régime en vigueur avant la nouvelle loi : un étranger en situation irrégulière peut être éloigné du territoire dans un certain nombre de cas énumérés par la loi. Pour ce faire, l'autorité administrative compétente doit édicter une OQTF pouvant être assortie ou non d'un délai de départ volontaire (DDV) de trente jours. Une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) peut également être prononcé à la même occasion. En cas d'exécution forcée de l'OQTF, la même autorité peut prendre une mesure de placement en rétention administrative d'une durée maximale de quarante-cinq jours ou simplement assigner l'étranger à résidence. C'est ce régime que la nouvelle loi modifie pour le rendre, le plus souvent, plus contraignant pour l'étranger et plus efficace pour l'administration.
La complexification du régime de l'OQTF
Elle résulte à la fois de la création de nouveaux cas d'OQTF et des procédures qui organisent l'éloignement exécutoire. L'OQTF peut intervenir dans le cas des demandeurs d'asile déboutés, dans le cas où l'étranger constitue une menace à l'ordre public et en cas de travail sans autorisation. A l'origine, ces mesures devaient être soumises à une procédure d'urgence remettant en cause les délais de recours habituels. Mais le législateur a finalement renoncé à modifier le régime d'éloignement des déboutés du droit d'asile : introduction d'un chapitre VII bis intitulé "Le contentieux des décisions de maintien en rétention en cas de demande d'asile" correspondant à l'article L. 777-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2244KPS) renvoyant lui-même aux dispositions de droit commun en matière d'OQTF et de droit d'asile (6). S'agissant des deux autres cas d'OQTF, créés par l'article 27 de la loi introduisant un 7° et un 8° dans l'article L. 511-1 (N° Lexbase : L9267K4Y), une procédure accélérée a été retenue dans laquelle le délai de recours au juge administratif est de quinze jours seulement, le tribunal disposant de six semaines pour statuer (Cf. article 27 de la loi ajoutant un 3° I bis à l'article L. 512-1 N° Lexbase : L9266K4X). Le projet initial prévoyait une procédure accélérée avec un délai de sept jours pour la saisine du juge et quinze jours pour le jugement. Toutefois, la procédure de jugement reste sévère et critiquable puisque le même article prévoit que l'audience, à juge unique, "se déroule sans conclusion du rapporteur public" et qu'elle peut se faire, si l'intéressé donne son accord, par visioconférence. Globalement, le régime de l'OQTF, s'il gagne en garantie des droits en cas de placement en rétention en faisant de nouveau intervenir le JLD sous quarante-huit heures contre cinq jours auparavant et en lui confiant tout le contentieux lié au placement et à la prolongation de la rétention, se durcit incontestablement par ailleurs. En effet, une OQTF peut être assortie ou non d'un DDV de trente jours, délai pouvant désormais être prolongé par le préfet. Lorsqu'elle est prononcée sans DDV ou lorsque, accordé, ce délai n'a pas été respecté, l'OQTF est désormais automatiquement assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pouvant aller jusqu'à une durée de trois ans (cf. l'article 27 de la loi introduisant dans l'article L. 511-1 un III a). En outre, une IRTF d'une durée de deux années au plus peut être prononcée en cas d'une éventuelle menace à l'ordre public ou en raison de "l'historique" lié à une OQTF antérieure (cf. article 28 de la loi introduisant un nouvel article L. 511-3-2 N° Lexbase : L9270K44).
L'assignation à résidence conjuguée à la rétention administrative
Durant les débats sur le projet de loi, le Gouvernement prétendait mettre en conformité la législation avec la Directive "retour" (7) préconisant l'usage prioritaire de l'assignation à résidence. Ainsi, la loi devait être plus favorable à la protection des droits si elle systématisait le recours à l'assignation à résidence au détriment de la rétention qui devait donc rester secondaire. Il était également espéré une diminution de la durée de la rétention actuellement de quarante-cinq jours. Sur les deux points, la loi du 7 mars 2016 diverge. Sur la durée de la rétention, alors que l'expérience montre que la grande majorité des éloignements sont réalisés dans les dix jours suivant le placement en rétention, la durée de quarante-cinq jours est maintenue. Seul le découpage de la période change du fait de l'intervention du JLD désormais possible après un délai de quarante-huit heures au lieu de cinq jours auparavant : quarante-huit heures durant lesquelles l'administration peut procéder à l'éloignement sans intervention d'un juge, ensuite première prolongation pour vingt-huit jours et deuxième prolongation pour quinze jours. S'agissant de l'assignation dont la durée est fixée à six mois, son champ s'est élargi pour offrir à l'autorité administrative un instrument suffisamment souple et en même temps contraignant pour les étrangers visés (cf. article 39 de la loi introduisant un alinéa 8 dans l'article L. 561-1 N° Lexbase : L9292K4W). Elle peut être combinée indéfiniment avec la rétention administrative, passant d'une période de quarante-cinq jours à une période de six mois et ainsi de suite, les périodes de rétention pouvant également se succéder à condition d'être entrecoupées d'une période "libre" de sept jours (cf. article 35 de la loi introduisant un article L. 551-1 N° Lexbase : L9286K4P) Le contrôle des personnes assignées à résidence est renforcé et des rendez-vous auprès des représentations consulaires peuvent être organisés en vue de l'obtention des documents nécessaires à l'éloignement forcé ; si nécessaire, l'étranger récalcitrant y est conduit par les forces de police ou de gendarmerie (cf. article 34 de la loi qui introduit un article L. 513-5 N° Lexbase : L9207K4R). En outre, l'interpellation de l'assigné à résidence au domicile peut intervenir mais sur autorisation préalable du JLD prononcée dans des conditions présentant cependant peu de garantie réelle (cf. article 40 introduisant un point II dans l'article L. 561-2 N° Lexbase : L9293K4X). Enfin, on observera qu'une peine d'emprisonnement de trois ans est encourue par les personnes assignées à résidence en cas de non-respect des conditions d'assignation (cf. ancien article L. 624-4 N° Lexbase : L9304K4D).
2 - Des mesures restrictives ciblées
Outre le fait que la nouvelle loi laisse subsister des standards de droit différents entre ceux applicables en métropole et ceux applicables dans l'outre-mer, attitude pour laquelle la France a été condamnée par le passé par la CEDH mais qui ne fera pas l'objet de commentaires ici, le nouveau texte ne règle pas favorablement le cas du placement des mineurs en rétention. Il crée même une nouvelle mesure frappant les ressortissants des Etats membres de l'UE.
Les mineurs en rétention et en zone d'attente
Logiquement et au regard des engagements internationaux et nationaux, un mineur ne peut faire l'objet d'un éloignement forcé du territoire. Il ne peut donc pas, normalement, être placé en rétention administrative. La pratique est pourtant différente : le mineur n'est pas visé en tant que tel mais en tant qu'enfant d'une famille dont le père et/ou la mère font eux-mêmes l'objet d'un placement en vue de leur éloignement forcé. A ce titre, les autorités pratiquent, à une échelle suffisamment importante pour être condamnée par la CEDH, le "placement par ricochet" d'enfants mineurs en rétention. Une circulaire avait déjà tenté d'apporter une solution à cette épineuse question mais sans interdire l'enfermement des mineurs préconisant simplement de substituer l'assignation à résidence au placement en rétention des familles avec mineurs (8). La loi du 7 mars 2016 n'apporte pas plus de solution définitive à la question. En effet, elle réaffirme la possibilité du placement en rétention "par ricochet" d'un mineur dans son article 35 modifiant l'article L. 551-1 mais seulement "si, en considération de l'intérêt du mineur, le placement en rétention de l'étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l'intéressé et le mineur qui l'accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert". Le fait que le même article ajoute que "l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en considération primordiale pour l'application du présent article" ne constitue pas une garantie suffisante au regard de la pratique administrative. Une autre préoccupation est relative au sort des mineurs non accompagnés placés en zone d'attente. Dans ce cas également l'intérêt de l'enfant devrait l'emporter sur toutes les autres préoccupations et le mineur a normalement vocation à bénéficier d'une protection spécifique au titre de l'aide sociale à l'enfance (10). Pour ce faire, son admission sur le territoire devrait être la règle. La loi du 7 mars 2016 fait pourtant l'impasse sur cette épineuse question.
L'interdiction de circulation sur le territoire français
Le texte de loi opère une totale innovation en matière de libre circulation européenne. En effet, un ressortissant d'un Etat membre de l'UE peut voir l'OQTF dont il fait l'objet assortie d'une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans en cas "d'abus" de sa liberté de circulation ou bien si sa présence constitue "une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française". Cette nouvelle mesure est consacrée par l'article 28 de la loi introduisant un article L. 511-3-2 (N° Lexbase : L9270K44) dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le non-respect de cette interdiction est frappé d'une peine d'emprisonnement de trois ans (cf. article 43 introduisant un article L. 624-1-1 N° Lexbase : L9204K4N). Par cette mesure, qui n'existe pour l'heure dans aucune autre législation européenne, le législateur français touche de près (peut-être même de trop près) à un droit considéré comme "liberté fondamentale" par la CJUE. Ce traitement restrictif de la liberté de circulation des citoyens de l'UE est un bon révélateur, s'il en faut, de l'inventivité des autorités en matière de sévérité et de continuité dans la législation sur le droit des étrangers.
Pour finir sur une note plus optimiste, il convient de signaler que la loi du 7 mars 2016 donne enfin expression à une très ancienne revendication des défenseurs des droits : la possibilité pour les journalistes d'accéder aux zones d'attente et aux lieux de rétention administrative (10). L'article 44 de la loi introduit, à cet effet, deux nouvelles dispositions : l'article L. 221-6 (N° Lexbase : L9205K4P) pour les zones d'attente et L. 533-7 pour les lieux de rétention. Dans les deux cas, cette possibilité est ouverte sous réserve de ne pas porter atteinte à la "dignité des personnes et aux exigences de sécurité et de bon fonctionnement" de la structure concernée. L'article 45 modifie, quant à lui, l'article L. 223-1 (N° Lexbase : L9297K44) pour ouvrir l'accès "aux zones d'attente du délégué du haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou de ses représentants ainsi que des associations humanitaires ou ayant pour objet d'aider les étrangers à exercer leurs droits".
En définitive, la loi relative au droit des étrangers en France présente bien les caractéristiques d'un texte à la recherche de son point d'équilibre : bien accueillir pour bien intégrer mais en même temps bien renvoyer ceux parmi les étrangers qui ont forcé ou abusé de l'hospitalité. Dans cette entreprise acrobatique, le pari de l'accueil est loin d'être gagné tandis que celui de l'éloignement forcé peine à s'inscrire totalement dans le cadre de l'Etat de droit, objectif que se fixait le Gouvernement et qui s'avère, dans de nombreux cas, un simple alibi. Si le texte est plus protecteur pour les victimes de violences familiales, pour les parents d'enfants français ou d'enfants arrivés à l'âge de six ans qui peuvent plus facilement devenir Français, c'est au prix de l'enfermement des mineurs en lieu de rétention et en zone d'attente ou encore de l'automaticité des interdictions de territoire et autre interdiction de circulation. C'est aussi au prix de la généralisation de l'assignation à résidence dans des conditions ne présentant pas toutes les garanties nécessaires. C'est enfin au prix du renoncement aux règles minimales de l'Etat de droit dans l'outre-mer en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement des étrangers.
(1) Adopté en Conseil des ministres le 23 juillet 2014, examiné par la Commission des lois le 1er juillet 2015 puis en séance du 20 au 23 juillet 2015. Modifié par le Sénat à deux reprises, le projet de loi est définitivement adopté par l'Assemblée Nationale le 18 février 2016.
(2) Cons. const. décision n° 2016-728 DC du 3 mars 2016 (N° Lexbase : A0432QEQ).
(3) Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984, portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 et du Code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titre uniques de séjour et de travail (N° Lexbase : L2699K74).
(4) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL).
(5) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4).
(6) Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA).
(7) Directive 2008/115/CE du parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS).
(8) Circulaire du 6 juillet 2012, mise en oeuvre de l'assignation à résidence prévue à l'article L. 561-2 CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l'article L. 551-1 du même code (N° Lexbase : L6862ITC).
(9) Voir, par exemple, la circulaire interministérielle du 25 janvier 2016, relative à la mobilisation des services de l'Etat auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels (N° Lexbase : L2701K78).
(10) Possibilité déjà ouverte pour les prisons et les centres éducatifs fermés par la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (N° Lexbase : L4255I84).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:451865