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N1902BWD
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 24 Mars 2016
Le présent arrêt doit être rapproché d'un arrêt de la deuxième chambre civile du 4 février 2016 (1). Ces deux arrêts devant être mis en perspective avec une solution, commentée dans la présente chronique (2), toujours rendue par la deuxième chambre civile. Il résulte clairement de l'ensemble, non pas une volonté de se mettre en opposition avec la position adoptée par la Chambre mixte en date du 7 février 2014 (3), mais plutôt d'exploiter les incertitudes ouvertes par cette décision. Ces incertitudes étaient de deux ordres : comment doivent être formulées les questions indispensables au prononcé de la nullité ? Quid des déclarations spontanées de l'assuré ?
Sur la première question, on sait que la deuxième chambre civile a répondu en précisant "qu'en l'état de ces constatations et énonciations, faisant ressortir la précision et l'individualisation des déclarations consignées dans le formulaire de déclaration des risques signé par l'assurée, la cour d'appel a souverainement décidé qu'elles correspondaient nécessairement à des questions posées par l'assureur lors de la souscription du contrat, notamment sur l'identité du conducteur principal" (4). Autrement dit, les questions peuvent s'évincer logiquement de la précision des éléments d'information concernant l'assuré quand elle existe. Il ne s'agit plus de déclarations générales que l'assuré approuve, mais de la retranscription de réponses précises (5). Par conséquent, les questions n'ont pas nécessairement besoin d'être formalisées par écrit. Il n'est pas certain que la Chambre criminelle soit du même avis (6).
Les deux arrêts rendus en 2016 s'attachent à un autre aspect du problème. Depuis la consécration du questionnaire, la jurisprudence avait admis que le procédé de la déclaration spontanée de l'assuré n'était pas aboli. Autrement dit, l'assureur pouvait fonder son appréciation des risques sur des informations que l'assuré lui livrait sans question préalable de sa propre initiative (7). Il pouvait aussi invoquer la nullité du contrat sur le caractère mensonger de ces déclarations. Certains auteurs considéraient que la position de la Chambre mixte n'avait pas mis fin à cette position (8). L'arrêt de la deuxième chambre civile en date du 4 février 2016 conforte cette opinion (9). En l'espèce, une SCI procède à des travaux de rénovation sur un immeuble. Avant l'achèvement de ces travaux, elle contacte l'agent de l'assureur, afin de passer à une police multirisques habitation, en affirmant que les travaux sont finis. L'immeuble est détruit par un incendie. A la demande de garantie, l'assureur oppose la nullité du contrat. Les juges du fond l'admettent et la deuxième chambre civile valide la prise en compte des déclarations spontanées : "le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration, les déclarations faites par l'assuré à sa seule initiative lors de la conclusion du contrat". On peut considérer que l'on se trouve dans une situation différente de celle traitée par l'arrêt de Chambre mixte. L'assuré décide de se placer hors du système question/réponse pour porter à la connaissance de l'assureur un élément qui lui semble déterminant. Il est évident, que lorsque cet élément n'est pas conforme à la réalité, les sanctions doivent s'appliquer en fonction de l'état d'esprit qui anime l'assuré. L'assuré sort donc, à ses risques et périls, du rôle que lui assigne, pour sa protection, le législateur.
De spontané en spontané, l'arrêt du 3 mars 2016 aborde un thème différent plutôt situé sur le terrain probatoire. Dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, il n'est pas question de déclaration spontanée lors de la souscription du contrat. Les juges s'interrogeaient ici sur le point de savoir si la nullité pouvait se fonder sur la reconnaissance postérieure au sinistre, par le conducteur d'un véhicule, d'une fausse déclaration intentionnelle lors de la conclusion du contrat inspirée par la volonté de réaliser une économie de primes. La deuxième chambre civile, admet, quand cet aveu existe, qu'il dispense le juge de rechercher si les fausses déclarations correspondaient à des questions posées lors de la souscription du contrat. La précision peut sembler anecdotique. Il faudrait, pour que l'assureur voie son fardeau soulagé, que l'assuré se compromette lui-même par ses déclarations. Il ne faut cependant pas oublier que le sinistre est fréquemment l'occasion de déclarations faites à d'autres organismes que l'assureur (notamment aux services de police à la suite d'un accident de la circulation). Ce sont autant d'occasions d'en dire plus qu'on ne le pense... Il est à noter que la déclaration de l'assuré ne doit pas tant porter sur l'élément d'information considéré (la qualité de conducteur habituel par exemple) que sur le mensonge dont il s'est rendu coupable.
On le voit, les deux années qui se sont écoulées depuis l'arrêt de la Chambre mixte ont été, pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, l'occasion de consacrer cette solution et de la relativiser.
II - Contenu de la garantie
Un arrêt du 4 février 2016 est l'occasion de rappeler la spécificité de certaines assurances de responsabilité. Lorsqu'elles sont obligatoires, elles imposent aux assujettis à l'obligation d'assurance de souscrire une telle assurance. En outre, dans la plupart des hypothèses, le contenu même de la garantie est réglementé et s'articule avec la façon dont un texte réglemente la responsabilité d'une profession ou d'une activité (10).
Il en va ainsi de l'activité de construction pour laquelle le législateur crée l'obligation d'assurance, le contenu étant explicité par les clauses types auxquelles la loi renvoie expressément (11). Le dispositif est évidemment d'ordre public, sinon il n'atteindrait pas le but fixé. Par conséquent, toute clause dérogeant aux stipulations des clauses types sont réputées non écrites, il importe peu à cet égard qu'elles soient des clauses définissant la garantie ou excluant celle-ci. La jurisprudence le rappelle régulièrement comme dans notre espèce (12).
Cette question ne doit pas être confondue avec celle de la nature de l'activité pour laquelle l'assujetti est assuré. L'assurance obligatoire ne vaut que pour les activités déclarées par l'assuré lors de la souscription, ainsi que celles découlant logiquement de l'activité expressément déclarée (13). Dans ce cadre, l'assuré est couvert pour toute l'étendue de la responsabilité mise à charge sans que le contrat puisse réduire la couverture par rapport à ce que prévoit le texte créant l'obligation d'assurance (14). C'est ce que rappelle le présent arrêt. En revanche, si l'assuré développe une activité relevant de l'obligation d'assurance, sans la déclarer à l'assureur, il n'est pas couvert...
III - Recours consécutifs au sinistre
Parmi les hypothèses de recours de l'assureur après versement de l'indemnité, le moins que l'on puisse dire est que le recours de l'assureur en matière de dommage corporel est alambiqué ! Il existe une raison à cela : ce recours ne va pas de soi. En effet, l'assurance du dommage corporel (ici incapacité temporaire, invalidité, décès) appartient à la catégorie des assurances de personnes, forfaitaire par nature, et donc a priori incompatible avec un recours subrogatoire.
Cette vision des choses a été bousculée au cours des dernières décennies. Il faut cependant avouer que la façon de réformer la question n'a pas contribué à clarifier les choses même si les assureurs en sortent mieux traités. Rappelons à cet égard que les assureurs bénéficient de trois recours potentiels. Si on les classe par ordre d'intérêt croissant (et d'apparition), le recours désormais codifié à l'article L. 211-25 du Code des assurances (N° Lexbase : L0286AAT), est le moins profitable. L'assureur de la victime d'un accident peut, en effet, exercer un recours contre la personne tenue à réparation lorsque le contrat le prévoit et pour la part subsistant après le recours des tiers payeurs énumérés par l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9).
Un peu plus intéressant est le recours ouvert par l'article L. 131-2 (N° Lexbase : L0124AAT) par exception au régime ordinaire des assurances de personnes. L'assureur est admis à exercer un recours après indemnisation pour les prestations à caractère indemnitaire. Ce caractère des prestations relève de l'appréciation des juges du fond, la Cour de cassation ayant été amenée à préciser que la référence à des éléments prédéterminés ne s'oppose pas à la reconnaissance du caractère indemnitaire tant que les prestations ne sont pas indépendantes "dans leurs modalités de calcul et d'attribution de celles de la réparation du préjudice selon le droit commun" (15). Le recours n'est plus subsidiaire mais il est conditionné. Une décision récente a rappelé que ce recours reste un recours subrogatoire : il suppose donc un paiement préalable (16).
Le recours le plus intéressant est évidemment celui fondé sur l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985. Il est ouvert aux assureurs ayant versé des indemnités journalières de maladie ou des prestations d'invalidité. Comme l'a précisé la Cour de cassation, ce recours est indemnitaire par autorité de la loi. Dès lors que les prestations entrent dans la catégorie citée, l'assureur est admis à exercer le recours (17).
Cette variété des recours susceptibles d'être exercés impose d'identifier la nature du recours de l'assureur. La présentation des recours met en évidence l'idée que l'interrogation sur le caractère indemnitaire ou non des prestations d'assurance n'a lieu d'être qu'une fois le recours sur l'article 29 écarté. Les juges doivent donc d'abord s'interroger sur la possibilité d'exercer ce recours avant d'envisager les conditions d'un autre recours. C'est ce qui ressort de la jurisprudence (18), et qui est confirmé par le présent arrêt.
Il rappelle, par ailleurs, un principe déjà énoncé dans d'autres décisions : "sauf accord du tiers responsable, les caisses de Sécurité sociale ne peuvent prétendre au remboursement de leurs dépenses qu'au fur et à mesure de leur engagement". Décidément, le recours en matière de dommage corporel a beau être spécifique, il reste un recours subrogatoire...
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