La lettre juridique n°638 du 7 janvier 2016 : Droits de l'Homme

[Chronique] Chronique de droit public pénitentiaire - Janvier 2016

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par Christophe de Nantois, Maître de conférences en droit public à l'Université de Lorraine

le 07 Janvier 2016

L'actualité pénitentiaire des derniers mois a été marquée par quelques cas d'espèces touchant à des aspects bien distincts de la détention allant de l'indemnisation pour une peine disciplinaire effectuée mais retirée (CE 9° et 10° s-s-r., 18 novembre 2015, n° 380461, publié au recueil Lebon), aux modalités techniques et procédurales relatives aux ordinateurs en détention (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, deux arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 380982 et n° 383712) ou aux pouvoirs du juge des référés quant à la sécurité incendie (CE, référé, 30 juillet 2015, n° 392043, publié au recueil Lebon). Le Conseil d'Etat tire également les conséquences logiques du changement de base légale de la réglementation relative aux détenus particulièrement signalés (DPS) du fait d'une QPC (CE 9° et 10° s-s-r., 7 décembre 2015, n° 393668, mentionné aux tables du recueil Lebon) mais, ce faisant, il laisse penser que ce régime n'a guère d'impacts sur la détention, ce qui ne semble pas réaliste. De son côté, le Conseil constitutionnel a validé une disposition de la loi pénitentiaire qui était contestée par la voie d'une QPC concernant le travail des détenus en prison (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015). Les juges de la cour administrative d'appel de Lyon ont également rappelé quelques éléments utiles quant aux fouilles des détenus au retour des parloirs (CAA Lyon, 4ème ch., 1er octobre 2015, n° 14LY03890). De façon plus anecdotique enfin, la cour administrative d'appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur les modalités concrètes de la détention d'un détenu qui est en train d'effectuer un changement de sexe (CAA Nantes, 3ème ch., 2 juillet 2015, n° 14NT01022, inédit au recueil Lebon). Au niveau européen, il faut noter que la France n'a pas fait l'objet d'une seule condamnation ces six derniers mois. Les juges de Strasbourg ont, au contraire, à quatre reprises, estimé que la France n'avait pas violé la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CEDH, 8 octobre 2015, Req. 32432/13 ; CEDH, 6 octobre 2015, Req. 28724/11 ; CEDH, 12 novembre 2015, Req. 52363/11 ; CEDH, 30 juillet 2015, Req. 50104/11).
  • Une sanction de cellule disciplinaire effectuée mais retirée pour un motif procédural peut faire l'objet d'une demande de réparation. Il appartient alors au juge saisi d'examiner la nature de l'irrégularité procédurale, puis de déterminer si cette irrégularité est importante dans le cas d'espèce avant de fixer le montant de l'indemnisation (CE 9° et 10° s-s-r., 18 novembre 2015, n° 380461, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5624NXL)

Le requérant, écroué en maison centrale, s'est vu infliger une sanction de douze jours de cellule disciplinaire par la commission de discipline. Cette sanction a été retirée pour un motif d'irrégularité de procédure, après avoir été exécutée. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait rejeté la demande d'indemnisation. Dans cet arrêt, le Conseil prolonge sa jurisprudence antérieure en déterminant la procédure à suivre dans un tel cas. Désormais, "il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s'agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière". Le jugement du tribunal administratif ayant estimé que le requérant n'était pas fondé à demander une indemnisation est donc annulé.

Si cet arrêt n'est pas une révolution juridique, il n'en reste pas moins très intéressant pour le domaine pénitentiaire. Cet arrêt n'est pas une révolution juridique car il s'agit d'une extension de la jurisprudence antérieure comparable et appliquée pour les militaires ayant effectué des jours d'arrêt (1). La nouveauté réside dans la clarté du considérant de principe et dans la nouvelle procédure ainsi créée par le Conseil d'Etat. Cette nouvelle procédure est à la fois logique dans son principe et satisfaisante car elle est claire et facilement applicable. D'autre part, dans l'arrêt de 2010 relatif à la peine disciplinaire d'un militaire, la décision n'était pas uniquement basée sur l'irrégularité procédurale, contrairement à l'arrêt qui nous intéresse ici.

Pour ces raisons, cette décision est très intéressante pour le domaine pénitentiaire. Dans de très nombreux cas, en effet (bagarre entre détenus ou agression d'un membre du personnel par exemple), le placement en cellule disciplinaire intervient immédiatement après la commission des faits litigieux et donc avant même que la commission disciplinaire n'ait eu le temps de se réunir. Cette décision sera ensuite examinée par les instances internes de l'administration pénitentiaire avant d'arriver devant un juge.

Aux termes de cette jurisprudence, le juge va donc devoir examiner l'impact d'une irrégularité de procédure sur la sanction prise puis retirée ou éventuellement annulée. Les pouvoirs d'appréciation du juge seront donc larges sur ce point, ce qui est certainement une bonne chose. Si une difficulté d'application de cet arrêt devait survenir, elle viendrait certainement de la pratique. Il est en effet fort possible, pour ne pas dire assez probable, que ce contentieux augmente significativement dans les mois et les années à venir.

  • Modalités relatives au matériel informatique des détenus : une très large latitude à l'administration pénitentiaire concernant le matériel lui-même, le contrôle du juge devant être effectif lorsque le matériel a été confisqué (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, deux arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 380982 N° Lexbase : A7589NWY et n° 383712 N° Lexbase : A3613NWQ)

Dans la première affaire (n° 380982), M. X, incarcéré dans un centre pénitentiaire, a demandé au directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes d'être autorisé à acquérir un autre système d'exploitation pour son ordinateur, ce qui lui a été refusé. Le requérant a ensuite tenté d'obtenir l'annulation de ce refus devant le tribunal administratif de Rennes puis devant la cour administrative d'appel de Nantes sans succès, raison pour laquelle, il se pourvoit en cassation devant le Conseil d'Etat.

Après avoir rappelé le droit en vigueur relatif à la détention du matériel informatique des détenus (C. proc. pén., art. D. 449-1 N° Lexbase : L9511DEY), le Conseil d'Etat confirme sa position quant à la recevabilité de cette requête : "eu égard à leur nature et à leurs effets sur la situation des détenus, les décisions de l'administration pénitentiaire refusant aux détenus la possibilité d'acquérir un système d'exploitation pour leur ordinateur, dès lors qu'elles ne privent pas la personne détenue de la possibilité effective d'utiliser cet équipement dans les limites définies par les dispositions précitées, ne constituent pas des actes administratifs susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus" (cons. n° 3).

Sur le fond, le Conseil d'Etat estime, en utilisant différentes techniques qu'il utilise régulièrement en matière pénitentiaire, que le détenu ne voit pas ses conditions de détention aggravées par ce refus et que le système actuel permet un meilleur contrôle par l'administration Pénitentiaire des données présentes sur son ordinateur. Ces deux derniers points lui permettent d'écarter le recours sans qu'aucune critique ne puisse être adressée au Conseil d'Etat, chacun de ces trois arguments étant suffisant, à lui seul, pour justifier d'écarter ce recours.

Cet arrêt prend davantage d'importance lorsqu'il est lié à un autre arrêt du même jour portant également sur le même thème du matériel informatique des détenus. Dans ce second arrêt (n° 383712), la situation est un peu différente. En effet, à l'occasion d'un contrôle du matériel informatique du requérant, une corde a été découverte dans son ordinateur ce qui a entraîné une rétention de cet ordinateur par le directeur du centre pénitentiaire dans un premier temps, puis une saisie judiciaire de ce matériel informatique, dans un second temps.

Le Conseil d'Etat applique ici le même raisonnement : il estime logiquement qu'une "mesure de contrôle par l'administration pénitentiaire des équipements informatiques des détenus, eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, ne constitue pas, en elle-même, un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir" (cons. n° 3). Mais il va plus loin en ce qui concerne la rétention du matériel informatique dont il juge nécessaire l'examen par le juge. De ce fait, puisque la cour administrative d'appel de Nantes avait refusé d'examiner ce recours relatif à la détention du matériel le jugeant insusceptible de recours, le Conseil d'Etat annule l'arrêt attaqué. Il est cependant possible, voire probable, que la cour administrative d'appel de Nantes soit amenée à confirmer sur le fond la décision de rétention du matériel informatique effectuée par le directeur, ce d'autant plus que cette rétention a permis une saisie effectuée pour les besoins de l'enquête judiciaire.

Au terme de ces deux arrêts du même jour, il s'avère que la jurisprudence de l'arrêt "Marie" (2) et surtout des arrêts "Planchenault" (3) et "Boussouar" (4) est complétée. Si traditionnellement, les actes pris au sein des prisons étaient considérés comme des mesures d'ordre intérieur (MOI) insusceptibles de recours pour excès de pouvoir, certaines des mesures prises en prison peuvent désormais être examinées par le juge si elles remettent en cause radicalement les conditions de détention (5) ou si, "eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision [...] constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et non une mesure d'ordre intérieur" (6). Ces arrêts se situent donc dans cette lignée bien connue. Sur le long terme, la catégorie des mesures d'ordre intérieur est donc en voie d'affaiblissement voire, pour certains, de disparition. Nous nous situons ici dans l'exception puisque la fixation des modalités techniques des ordinateurs demeure une MOI et que "la mesure de contrôle par l'administration pénitentiaire des équipements informatiques des détenus" demeure également une MOI. En revanche, la rétention des équipements informatiques suit la voie que l'on souligne le plus souvent : cette mesure n'est plus une MOI, elle peut désormais être examinée par le juge.

Si cette décision est aussi logique que justifiée, on ne peut que regretter les complications techniques induites par cette façon de déclasser les MOI au cas par cas. Il faut en effet connaître pour chaque situation le régime applicable : cette décision est-elle encore une MOI ou peut-elle être attaquée ? Autant d'incertitudes et de complications pour les juges, les avocats, les détenus et l'administration Pénitentiaire, qui ne pourront disparaître qu'avec la disparition totale de la catégorie des MOI, ce qui prendra encore des années, voire des décennies.

  • Il n'appartient pas au juge des référés de prescrire la réalisation de travaux de réfection sauf en matière de sécurité, en particulier en matière de sécurité incendie (CE, référé, 30 juillet 2015, n° 392043, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0856NNZ)

La section française de l'Observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes ont effectué un recours en référé en vue d'obtenir des travaux de réfection au sein de la maison d'arrêt de Nîmes. Les requérants ont également demandé que soient alloués aux services judiciaires et pénitentiaires de Nîmes des moyens financiers, humains et matériels supplémentaires. De façon parfaitement logique, le Conseil d'Etat a considéré que "les injonctions sollicitées ne sont pas au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement et à très bref délai" (cons. n° 14). Néanmoins, le Conseil ordonne à l'administration pénitentiaire d'effectuer les travaux de mise en conformité avec la sécurité incendie qui n'ont pas encore été effectués (cons. n° 16) car il estime qu'il y a là "une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale".

Quant aux conditions de détention à la maison d'arrêt de Nîmes, le Conseil est sans complaisance : "de telles conditions de détention qu'aggravent encore la promiscuité et le manque d'intimité qu'elles engendrent exposent les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à une liberté fondamentale" (cons. n° 18) mais il ne condamne pas l'Etat pour autant sur ce point au regard des faibles moyens dont dispose l'administration pénitentiaire : "le caractère manifestement illégal de l'atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente" (cons. n° 19). Malgré tout, le Conseil enjoint l'administration pénitentiaire à "prendre, dans les meilleurs délais, toute mesure de nature à assurer et à améliorer l'accès aux produits d'entretien des cellules et à des draps et couvertures propres" (cons. n° 20).

  • Le Conseil d'Etat a maintenu le droit applicable à la qualification de détenu particulièrement signalé (DPS) (CE 9° et 10° s-s-r., 7 décembre 2015, n° 393668, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0464NZ9). La rédaction de cet arrêt pose cependant question quant à la nature de ce régime

La décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014 (N° Lexbase : A5363MKT) du Conseil constitutionnel a annulé l'article 728 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4466AZG) "dans sa rédaction postérieure à la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 (N° Lexbase : L5154ISP)" et dans sa rédaction antérieure à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (loi n° 2009-1436 N° Lexbase : L9344IES). Le requérant a obtenu par le juge des référés du tribunal administratif de Lille de suspendre son inscription comme DPS le 7 septembre 2015 en invoquant cette QPC. La Garde des Sceaux a demandé au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance et ce dernier y a fait droit à en estimant que le tribunal administratif de Lille avait commis une erreur de droit.

On comprend bien l'intérêt de la Garde des Sceaux d'agir vite pour éviter que d'autres tribunaux n'agissent de la même façon. Il est indispensable, en particulier ces temps-ci, alors que l'administration pénitentiaire est soumise à de vraies difficultés et que règne l'état d'urgence, que les DPS restent DPS et donc demeurent sous bonne garde.

Cependant la rédaction de cet arrêt, qui se concentre essentiellement sur les conséquences de la QPC, pose question en déclarant que le régime des DPS "a pour seul effet de prescrire aux personnels et autorités pénitentiaires de faire preuve d'une vigilance particulière s'agissant de certains individus". Or, telle n'est pourtant pas la réalité de ce régime qui va bien plus loin que cette seule "vigilance particulière". Le Conseil d'Etat le reconnaît d'ailleurs lui-même dans son arrêt fondateur sur ce thème des DPS : "la décision d'inscrire un détenu sur le répertoire des détenus particulièrement signalés en vue de la mise en oeuvre des mesures de sécurité adaptées a pour effet d'intensifier de la part des personnels pénitentiaires et des autorités amenées à le prendre en charge les mesures particulières de surveillance, de précaution et de contrôle à son égard ; que ce dispositif est de nature à affecter tant sa vie quotidienne par les fouilles, vérifications des correspondances ou inspections fréquentes dont il fait l'objet, que les conditions de sa détention en orientant notamment les choix du lieu de détention, l'accès aux différentes activités, les modalités d'escorte en cas de sortie de l'établissement ; que dès lors une décision d'inscription sur le répertoire des détenus particulièrement signalés doit être regardée, par ses effets concrets, comme faisant grief et comme telle susceptible de recours pour excès de pouvoir" (7).

L'hypothèse la plus raisonnable n'est pas celle d'un changement de régime des DPS mais une rédaction un peu trop rapide du Conseil d'Etat concentré bien davantage sur la base légale à donner à ce régime que sur ces conséquences. Cette hypothèse est renforcée par le mode de publication : cet arrêt du 7 décembre 2015 est mentionné aux tables du recueil Lebon alors que l'arrêt de 2009 avait été publié au Lebon ce qui indique que ce dernier était plus important. Mais il s'est déjà produit par le passé, exceptionnellement il est vrai, qu'un arrêt mentionné constitue une modification de jurisprudence d'un arrêt publié au recueil.

Au vu des circonstances actuelles, on imagine cependant assez mal l'administration pénitentiaire diminuer les modalités de sa vigilance des détenus les plus dangereux, le régime DPS étant imposé en priorité aux terroristes, au grand banditisme et aux détenus qui tentent des évasions. Il conviendra néanmoins de rester vigilant sur point précis de la jurisprudence.

  • Le Conseil constitutionnel a validé les dispositions relatives au travail des détenus en prison contenues dans la loi pénitentiaire et contestées dans une QPC (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 N° Lexbase : A6743NPG)

La décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, ne crée pas de bouleversements au sein des établissements pénitentiaires. En effet, en validant le régime actuel, le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause les dispositions contestées. Le point qui était le plus délicat concernait l'acte d'engagement des détenus, ce contrat de travail est en effet signé par le chef d'établissement ce qui constituait, aux yeux du requérant, une atteinte au préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil constitutionnel considère, de façon logique, que le législateur peut aménager le contrat de travail et soumettre, dans le cadre pénitentiaire, la signature de celui-ci à l'autorisation du chef d'établissement concerné.

  • "Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement" : un article de la loi pénitentiaire de 2009 parfois difficile à mettre en oeuvre (CAA Lyon, 4ème ch., 1er octobre 2015, n° 14LY03890 N° Lexbase : A8675NUT)

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 1er octobre 2015 offre un bon exemple des différences qui peuvent exister entre le droit et la pratique en matière pénitentiaire.

Depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, le régime des fouilles a été modifié pour limiter celles-ci. Ainsi, aux termes de son article 57, "les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes".

Dans les faits, les personnels rechignent fréquemment à appliquer cette disposition que pourtant ils ne connaissent que trop bien. Cette résistance des personnels s'explique par des raisons de sécurité : les personnels ne veulent pas avoir à se justifier de fouiller un détenu. Cette résistance au changement s'explique également par des problèmes de temps : depuis 2009, lorsqu'un détenu est soumis à une fouille, il faut justifier celle-ci et donc indiquer, même sommairement, par écrit et pour mémoire, ce qui a justifié une fouille. Enfin, et c'est peut-être le plus délicat, l'instinct des surveillants est difficile à expliquer et à justifier et remettre en cause cet instinct revient à remettre en cause les surveillants dans le cadre de leurs fonctions, ce qu'ils admettent mal, ce que l'on peut aisément le comprendre.

Malgré tout, cette loi doit être appliquée comme le rappelle avec force cet arrêt : "les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient et, d'autre part, que les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou par rapport à l'utilisation de moyens de détection électronique".

Dans cet arrêt, un détenu a refusé "d'obtempérer à l'injonction qui lui était faite de se dévêtir intégralement au retour du parloir", ce qui lui a valu une sanction de mise en cellule disciplinaire d'une durée de dix jours, dont quatre jours en prévention et quatre jours avec sursis. Or, "il ne ressort pas des pièces du dossier que les opérations de fouille intégrale dont M. X a fait systématiquement l'objet à l'issue de ses passages au parloir aient été justifiées, notamment par l'existence de suspicions fondées sur son comportement, ses agissements antérieurs ou en raison de ses contacts avec des tiers". Le ministre de la Justice, à l'origine du recours en appel, soutient son administration en rappelant un contexte global d'insécurité ainsi que divers trafics au sein de la maison d'arrêt.

Mais cet argument n'a convaincu ni les juges du tribunal administratif, ni ceux de la cour administrative d'appel, qui décidèrent d'annuler la décision disciplinaire comme étant disproportionnée. L'on peut estimer que chacun est dans son rôle dans cette affaire : le ministre de la Justice et l'administration pénitentiaire font tout ce qu'ils peuvent pour maintenir la sécurité dans l'établissement et mettre fin aux trafics mais, en allant trop loin, ils s'exposent à une sanction du juge qui ne fait que remplir son office conformément aux textes.

Cet arrêt reprend une solution comparable que cette même cour administrative d'appel avait formulée dans une espèce portant également sur le thème des fouilles au retour de parloir quelques mois plus tôt (8), déboutant, là aussi, le ministre de la Justice.

  • Un détenu qui suit un traitement hormonal en vue de son changement de sexe doit être traité selon son sexe d'origine aussi longtemps que son état civil n'a pas été modifié. Quelques aménagements des conditions de sa détention peuvent cependant être apportés dès lors qu'ils ne troublent pas l'établissement pénitentiaire (CAA Nantes, 3ème ch., 2 juillet 2015, n° 14NT01022, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1004N3L)

"M. X incarcéré au centre de détention [...], suit un traitement hormonal en vue de changer de sexe et a obtenu par un jugement du 13 septembre 2010 du tribunal de grande instance de Caen de changer son prénom Franck pour le prénom féminin de Chloé [...]. La directrice du centre de détention [...] a décidé que ce détenu serait fouillé par un seul surveillant de sexe masculin et qu'il ne serait autorisé à porter des vêtements féminins que dans sa cellule". Le requérant fait un recours contre cette décision tant pour les fouilles que pour la question des vêtements ainsi que sur quelques points plus secondaires.

On imagine aisément le désarroi de l'administration pénitentiaire face à ce genre de situations. Si en effet les fouilles sont indispensables, pour des raisons de sécurité évidentes, il est moins aisé de dire si celles-ci doivent être effectuées par un homme ou par une femme compte tenu de la situation particulière de ce cas d'espèce. Quant au port de vêtements féminins, l'émotion causée aux détenus par un homme qui suit un traitement hormonal qui viendrait à porter des vêtements de femme en cour de promenade justifie, à elle seule, l'intervention de la directrice via une note de service. On envisage en effet les difficultés qu'aurait (et que doit déjà avoir) l'administration pénitentiaire à maintenir, parmi les détenus, des réactions calmes, dignes et mesurées.

Dans ces conditions, l'autorisation accordée de porter des vêtements féminins au sein de la cellule du détenu uniquement semble être un bon compromis entre la nécessité de maintenir le calme dans la détention et le souhait du détenu de s'immerger toujours plus dans un univers féminin.

Le processus de changement de sexe est un processus long et complexe qui crée des situations transitoires particulièrement délicates qui peuvent durer plusieurs mois voire plusieurs années. Au-delà des difficultés très concrètes posées par cet arrêt, il faut noter la difficulté juridique dans laquelle se trouve l'administration : le changement de prénom est acté par la justice mais pas le changement de sexe à l'état civil, très probablement car la transformation n'est pas achevée ce qui expliquerait que le requérant soit encore détenu dans un quartier hommes. Les décisions de la directrice traitant Chloé D. comme un homme sont validées par la cour administrative d'appel qui considère que "Chloé D. demeure officiellement de sexe masculin". Cette décision est juridiquement parfaitement justifiée. Il n'en reste pas moins que la situation demeure probablement délicate pour toutes les personnes concernées mais aucune législation, aussi précise soit-elle, ne pourra jamais résoudre des situations aussi changeantes et délicates que celle-ci.

  • La Cour de Strasbourg a estimé dans quatre affaires distinctes que la France n'avait pas à être condamnée pour sa politique pénitentiaire (CEDH, 8 octobre 2015, Req. 32432/13 N° Lexbase : A7911NSS ; CEDH, 6 octobre 2015, Req. 28724/11 [LXB= A6375NSW] ; CEDH, 12 novembre 2015, Req. 52363/11 N° Lexbase : A4796NWK ; CEDH, 30 juillet 2015, Req. 50104/11 N° Lexbase : A0453NN4)

Selon la CEDH, l'administration pénitentiaire n'a pas commis de faute particulière à l'occasion du suicide en détention d'un détenu schizophrène dès lors que son comportement ne laissait pas présager un suicide (Req. 32432/13). Le greffe d'une maison d'arrêt n'a pas non plus commis de faute alors qu'il avait modifié un acte de procédure, pourtant déjà signé par un détenu, dès lors que cela avait été fait dans l'intérêt du détenu (Req. 28724/11). La France a légalement pu fixer des restrictions de la liberté d'expression d'une personne placée sous main de justice dans le cadre d'une libération conditionnelle (Req. 52363/11). Enfin, la France n'est pas condamnée par la CEDH dans le cadre d'une affaire dans laquelle le requérant estimait sa détention provisoire trop longue (Req. 50104/11).


(1) CE 2° et 7° s-s-r., 7 juin 2010, n° 312909, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9206EYM)
(2) CE Ass., 17 février 1995, n° 97754, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1636B84).
(3) CE Ass., 14 décembre 2007, n° 290420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0917D3D).
(4) CE Ass., 14 décembre 2007, n° 290730, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0918D3E).
(5) CE Ass., 17 février 1995, n° 97754, publié au recueil Lebon, préc..
(6) CE Ass., 14 décembre 2007, n° 290730, publié au recueil Lebon, préc..
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 30 novembre 2009, n° 318589, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3335EP9).
(8) CAA Lyon, 4ème ch., 2 juillet 2015, n° 15LY00625, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1005N3M).

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