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N9278BU8
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par Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC, EA 1919) et Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ (IFG, EA 7301)
le 08 Octobre 2015
La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N), portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), a créé un "socle de droits communs aux suspects" (1). Elle a également modifié l'article 406 du Code de procédure pénale. Il prévoyait jusqu'alors que, devant le tribunal correctionnel, le président ou l'un de ses assesseurs devait constater l'identité du prévenu et donner connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal. Il prévoit désormais que cette constatation de l'identité du prévenu s'accompagne d'une information portant sur le droit d'être assisté par un interprète, d'une part, et sur le droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, d'autre part.
L'arrêt du 8 juillet 2015 vient préciser le champ d'application de cette obligation d'information ainsi que les conséquences de sa méconnaissance. S'agissant de l'application dans le temps du nouvel article 406 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation l'applique immédiatement aux instances en cours. L'audience a eu lieu le 3 juillet 2014 ; la loi du 27 mai 2014 était entrée en vigueur le 2 juin 2014 (2) : l'information relative au droit de se taire aurait donc dû être délivrée. Ensuite, la Cour de cassation précise, une fois encore sans surprise, que cette obligation, prévue pour le tribunal correctionnel, a également vocation à s'appliquer devant la cour d'appel, en application de l'article 512 du Code de procédure pénale.
L'apport principal de la décision réside surtout dans la sanction du non-respect de l'article 406 du Code de procédure pénale, muet sur ce point. La Cour prend, en effet, la peine de préciser que "la méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire lui fait nécessairement grief". Il n'est donc pas nécessaire au prévenu de rapporter la preuve d'un grief, s'agissant d'une cause de nullité d'ordre public. La précision est bienvenue. Nul doute que l'information du droit d'être assisté par un interprète, également prévue à l'article 406 du Code de procédure pénale, suivra le même régime.
Jean-Baptiste Thierry
II - L'interception de correspondances électroniques
Les téléphones portables qui circulent en détention entraînent régulièrement des réactions des surveillants pénitentiaires et des associations de défense des détenus. Certains détenus sont allés un peu plus loin, jusqu'à détenir du matériel informatique clandestin et l'utiliser pour commettre des infractions, depuis leur lieu de détention.
A la suite d'un renseignement communiqué par le service de la douane judiciaire, un individu, incarcéré, est soupçonné de commettre des fraudes par l'utilisation de cartes bancaires contrefaites. Une information est ouverte le 8 mars 2013. Le 11 mars suivant, le juge d'instruction délivre une commission rogatoire afin qu'il soit procédé à l'interception, l'enregistrement et la transcription des courriers électroniques émis ou reçus sur l'adresse électronique utilisée par le suspect depuis son lieu de détention. Les enquêteurs ont procédé au recueil de tous les courriers électroniques, y compris ceux stockés antérieurement à l'autorisation d'interception. L'individu est par la suite mis en examen et conteste la validité des transcriptions des données antérieures à la date de la commission rogatoire. La chambre de l'instruction rejette la requête en nullité, en retenant que les correspondances électroniques entrent bien dans le champ des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale et que l'interception pouvait concerner des courriers archivés, reçus avant la commission rogatoire. Elle ajoute que les enquêteurs n'ont pas porté atteinte au respect de la vie privée du mis en examen, car il utilisait frauduleusement ce matériel informatique pour commettre des infractions, depuis son lieu de détention.
Saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour a donc dû préciser le sens du mot "interception" et préciser si une telle interception pouvait s'appliquer à des correspondances antérieures à la décision du juge d'instruction.
Au visa des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale, relatifs aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, la Cour de cassation a annulé l'arrêt de la chambre de l'instruction, en retenant que "n'entrent pas dans les prévisions de ces textes l'appréhension, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications antérieurement à la date de la décision écrite d'interception prise par le juge d'instruction, lesquels doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions".
L'arrêt commenté apparaît particulièrement intéressant au regard de la définition des correspondances émises par la voie des télécommunications, d'une part, et des modalités de recueil de données électroniques, d'autre part.
L'arrêt considère implicitement que les courriers électroniques sont bien des correspondances émises par la voie des télécommunications. On sait que le dispositif législatif ne se limite pas aux seules écoutes téléphoniques et qu'il englobe, plus largement, les communications électroniques, c'est-à-dire "toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques" (3). Dès lors, rien n'empêche au juge d'instruction d'ordonner l'interception de courriers électroniques. Mais que faut-il alors entendre par "interception" ? Suppose-t-elle une captation de ces correspondances au moment où elles sont émises ou bien permet-elle une copie de messages électroniques déjà reçus ou envoyés ? L'interception se définit normalement comme "le fait de prendre quelque chose au passage" (4). Il semble donc que la copie de fichiers déjà reçus ne résulte pas d'une interception à proprement parler, aucune donnée n'étant détournée entre le moment de son émission et celui de sa réception. On pourrait penser que "la fugacité et le caractère écrit des courriels se prêtent mal [...] à pareille interprétation" (5), mais il est techniquement tout à fait possible de mettre en place un dispositif man-in-the-middle permettant d'appréhender les messages pendant le temps de leur acheminement, fût-il quasiment instantané.
Etrangement, la Cour de cassation considère implicitement que le recueil des messages reçus résulte bien d'une interception, au sens de l'article 100 du Code de procédure pénale, puisqu'elle ne sanctionne que le recueil des fichiers antérieurs à la décision d'interception du juge d'instruction. La solution est étonnante puisqu'elle a déjà considéré que n'était pas une interception la lecture de messages "parvenus sur la bande d'un récepteur de messagerie unilatérale" (6).
Mais il n'est possible, dans le cadre de l'interception des correspondances, de consulter que les messages reçus postérieurement à cette décision. Voici alors les enquêteurs soumis à une épreuve bien curieuse : autorisés à consulter les messages électroniques d'un individu, ils ne peuvent en aucun cas consulter ceux d'une date antérieure à la décision du juge d'instruction, pourtant visibles depuis n'importe quel service ou logiciel de messagerie...
Mieux, l'arrêt laisse entendre que la consultation des messages électroniques entre dans le champ de deux actes d'instruction différents. La Cour précise en effet que l'appréhension, l'enregistrement et la transcription des correspondances électroniques émises ou reçues avant la décision du juge d'instruction doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions (7). Ces correspondances électroniques peuvent par ailleurs faire l'objet d'une décision d'interception dont les conditions sont prévues aux articles 100 et suivants du Code de procédure pénale. Le juge d'instruction a donc le choix : soit privilégier la perquisition, soit privilégier l'interception, étant entendu qu'il devra dans ce cas être attentif à ce que seuls les messages postérieurs à sa décision soient appréhendés. L'intérêt réside dans l'efficacité de l'investigation : la perquisition est connue du suspect qui peut donc adapter son comportement en conséquence, quand l'interception s'effectue à son insu.
Le demandeur au pourvoi faisait également valoir que l'appréhension de correspondances électroniques était attentatoire à sa vie privée et que l'intrusion dans une boîte de messagerie électronique ne faisait pas l'objet d'un encadrement suffisant. La Cour ne répond pas à cet argument, n'envisageant la question que sous l'angle de l'application rétroactive de la décision d'interception du juge d'instruction. Il semble qu'elle considère alors que l'appréhension de messages électroniques est suffisamment protégée par les conditions de la perquisition ou celles de l'interception des correspondances émises par la voie des télécommunications. L'argument était pourtant sérieux au regard des spécificités des messages électroniques qui peuvent, techniquement, soit faire l'objet d'une vraie interception, entrant alors dans le champ des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale, soit être lus sur le terminal du suspect, entrant alors dans le champ des perquisitions.
Jean-Baptiste Thierry
III - Les actes d'enquête et d'instruction dans le cadre de la criminalité organisée
Les infractions relevant de la criminalité organisée permettent la mise en oeuvre d'actes d'enquête et d'instruction dérogatoires au droit commun. A la complexité de la preuve de ces infractions s'ajoute la complexité du cadre procédural, où s'entremêlent normes anciennes et nouvelles, nationales et supranationales. Il en résulte un cadre tout à la fois large et contraint qu'il peut être difficile de cerner précisément. Les pouvoirs d'enquête ou d'instruction en matière de criminalité organisée sont particulièrement importants et dérogatoires au droit commun. Ils ne peuvent toutefois pas outrepasser le cadre légal qui apparaît suffisamment permissif. Dans cet arrêt, de manière surprenante, ce sont les actes réalisés sous le contrôle du juge d'instruction, véritable autorité judiciaire, qui ont été annulés, quand ceux réalisés à l'initiative du ministère public n'ont pas été remis en cause. Plusieurs enquêtes préliminaires distinctes sont ouvertes, portant sur un trafic de stupéfiants. Différents actes interviennent en 2012 et 2013, date à laquelle une information est ouverte, au cours de laquelle auront notamment lieu une perquisition nocturne et une sonorisation.
Les actes réalisés à l'initiative du ministère public étaient les suivants : des réquisitions aux fins de communication de données téléphoniques, prises en application de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (N° Lexbase : L8220I49) ; des mesures de géolocalisation ; des interceptions de correspondances téléphoniques, autorisées par le juge des libertés et de la détention.
La validité des réquisitions faites par le ministère public à des opérateurs de téléphonie aux fins de transmission de données téléphoniques, était contestée, le pourvoi estimant qu'une telle mesure relevait de la compétence d'une autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. L'argument est rapidement rejeté, la Cour estimant que l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale n'est pas contraire à l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). La solution mérite l'approbation sur ce point : l'acte en cause, certes attentatoire à la vie privée, n'apparaît pas constitutif d'une ingérence disproportionnée et il apparaît inutile de faire intervenir un juge en la matière. Dans le même sens, la Cour approuve également le refus de la chambre de l'instruction de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 77-1-1 ne relevant pas du champ du droit communautaire [sic]. Les pouvoirs du ministère publics se voient donc confortés par la Cour de cassation, qui ne réserve pas la communication de données téléphoniques à la seule autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne.
Les mesures de géolocalisation avaient été décidées par le ministère public, avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2014. La Cour de cassation estime ici que cette mesure était proportionnée à la gravité des infractions concernées et, surtout, que "sa durée n'a pas excédé celle au terme de laquelle le respect des dispositions conventionnelles imposait qu'elle fût exécutée sous le contrôle d'un juge", solution déjà dégagée dans un arrêt du 6 janvier 2015 (8) qui avait grandement tempéré les conséquences de son arrêt du 22 octobre 2013, imposant un contrôle juridictionnel de la mesure (9). Les juges se livrent ici à une appréciation in concreto des faits de l'espèce.
S'agissant des écoutes téléphoniques réalisées pendant l'enquête, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, en application de l'article 706-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2781KG4), plusieurs écoutes avaient été autorisées, sur différentes lignes, dans le respect du délai légal, et l'un des suspects avait été ainsi écouté pendant plus d'un mois. Il faisait donc valoir que la durée maximale des écoutes devait s'apprécier, non au regard de la ligne téléphonique interceptée, mais au regard de la personne concernée. Une telle interprétation ne pouvait guère prospérer, les textes applicables ne faisant référence qu'à la ligne interceptée. Un individu peut donc être écouté pendant plus d'un mois, dans le cas d'interceptions successives ou cumulées.
Le quatrième problème concernait les conséquences du non-respect de l'obligation prévue à l'article 706-95, alinéa 3, du Code de procédure pénale : le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l'interception doit être informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l'alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation. En l'espèce, cette information n'avait pas eu lieu. La Cour de cassation a estimé qu'il ne pouvait s'agir d'une cause de nullité que dans le cas où un grief est établi : il s'agit donc d'une nullité d'ordre privé. Les juges estiment que les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ont pas été atteints, puisque les procès-verbaux ont été très rapidement soumis au contrôle d'un juge d'instruction. Le contrôle effectué par le juge d'instruction vient donc compenser l'absence de contrôle opéré par le juge des libertés et de la détention.
Les moyens soulevés n'avaient jusqu'alors pas prospéré, les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ayant pas été atteints. Les pouvoirs importants reconnus au ministère public dans le domaine de la criminalité organisée se sont ainsi vus confortés. En revanche, les actes effectués pendant l'instruction ont été annulés.
Le cinquième problème soulevé était relatif à l'ordonnance du juge d'instruction ayant autorisé une perquisition en dehors des heures légales. Le pourvoi faisait valoir que cette ordonnance n'était pas suffisamment motivée. La chambre de l'instruction avait écarté la nullité, relevant qu'un officier de police judiciaire avait rédigé un rapport où il faisait mention d'une livraison de stupéfiants imminente, ce qui expliquait la décision du juge d'instruction. Les perquisitions réalisées hors des heures légales doivent, en application de l'article 706-92 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9743HEL), être autorisées par une ordonnance "motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires". La Cour de cassation, au visa des articles 706-91 (N° Lexbase : L2783KG8) et 706-92 du Code de procédure pénale et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, estime que l'absence d'une telle motivation empêche un contrôle réel et effectif de la mesure. Elle ajoute que cette irrégularité fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée. Il n'appartient donc pas à la chambre de l'instruction de trouver le facteur déterminant de cette perquisition nocturne dans des éléments extérieurs à l'ordonnance l'ayant autorisée. Le juge d'instruction ne saurait se départir de cette obligation particulière de motivation. Il serait en effet difficilement concevable qu'une motivation spéciale, exigée pour permettre de justifier une atteinte importante à la vie privée, puisse être contournée par le recours à des éléments extérieurs à la décision.
Enfin, le sixième problème concernait le sort des enregistrements résultant d'un dispositif de sonorisation ou de fixation d'images. Les enquêteurs avaient en effet conservé une copie de travail de ces enregistrements. La Cour de cassation, au visa de l'article 706-100 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5781DYR), pourtant muet sur ce point, estime que les enquêteurs peuvent réaliser une copie des enregistrements placés sous scellés, mais uniquement pour les besoins et dans le temps de la mission de sonorisation autorisée par le juge d'instruction. Elle s'oppose à ce qu'une telle copie soit utilisée une fois la mission de sonorisation terminée. Encore une fois, la protection instaurée par l'article 706-100, qui exige que les enregistrements soient placés sous scellés, perdrait tout son sens si des copies d'enregistrements étaient utilisées hors du cadre précis de la procédure de sonorisation.
Jean-Baptiste Thierry
IV - L'existence d'une appréciation rigoureuse de la prescription de l'action publique (au moins en matière d'homicide involontaire)
L'hostilité de la Chambre criminelle de la Cour de cassation envers le mécanisme de la prescription de l'action publique est devenue plus qu'un lieu commun au sein des observateurs de sa jurisprudence ; c'est, aujourd'hui, un véritable postulat doctrinal, qu'il devient de plus en plus difficile de remettre en cause. Pourtant, à bien étudier l'ensemble de ses arrêts, la chose ne paraît pas si évidente, tant la Chambre criminelle accepte de concéder la mort de l'action publique lorsqu'il appert que la prescription est irrémédiablement acquise (10) et, à l'inverse, justifie suffisamment sa survie lorsqu'il ne le semble pas.
A cet égard, on sait que la connexité et l'indivisibilité de plusieurs infractions sont deux mécanismes qui, parce qu'ils se fondent sur l'existence d'un lien très fort entre ces infractions, autorisent la survie de toutes les actions publiques relatives à ces dernières, à la seule condition que l'action publique relative à l'une quelconque d'entre elles ne soit pas encore éteinte. La règle est assurément compréhensive, d'autant qu'elle est, en cet aspect, d'origine jurisprudentielle, mais elle ne saurait avoir vocation à jouer à chaque fois qu'existe un lien ténu entre deux infractions, deux arrêts récents le démontrant avec force.
Dans une première décision, rendue le 23 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation constate la prescription d'un certain nombre de contraventions connexes à un délit quant à lui non encore couvert par la prescription. En l'espèce, lors d'une opération de pêche, deux marins d'un chalutier décédaient, alors qu'il était contrevenu à un certain nombre de dispositions relatives à la sécurité des travailleurs en mer. La société armant le bateau était conséquemment condamnée, non seulement, pour homicides involontaires, mais également pour l'ensemble des contraventions connexes. Les actions publiques relatives à ces dernières apparaissaient pourtant prescrites. Le capitaine, quant à lui, était condamné pour contravention relative au défaut de port, par l'équipage de son navire, des vêtements de sécurité. Saisie seulement à propos de la condamnation de la société pour les contraventions connexes, la Cour de cassation précise que "l'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours". Dès lors, il aurait fallu dire que l'action publique était déjà prescrite concernant les contraventions reprochées.
La solution pourrait paraître singulière eu égard au fait que les infractions étaient, en l'occurrence, assurément connexes et, plus encore, qu'elles formaient un tout indivisible. Précisément, c'est ce lien fréquemment entretenu entre l'homicide involontaire et autant de contraventions qui permettent de démontrer la faute de l'agent, qui conduirait à percevoir, en leur sanction respective, une redondance plutôt qu'une complémentarité. Peut-être s'agissait-il alors simplement d'en tirer toutes les conséquences quant à la prescription de l'action publique ? Toutefois, la motivation très générale de la Chambre criminelle incite à trouver une autre explication, la brièveté du délai de prescription en matière contraventionnelle poussant éventuellement le juge à l'appréhender, fût-ce inconsciemment et sous certains aspects seulement, comme une forclusion.
Dans une seconde décision, rendue le 15 septembre 2015, et toujours en matière d'homicide involontaire, la Chambre criminelle constate la prescription de ladite infraction en raison de son absence de connexité et d'indivisibilité avec un homicide volontaire quant à lui non prescrit, malgré le fait que la victime des deux infractions soit la même. Plus précisément, une personne suivie par un psychiatre en raison de troubles mentaux avait commis un assassinat, avant de bénéficier d'un non-lieu ayant pour cause son absence de discernement au moment des faits. A la suite d'une plainte avec constitution de partie civile, la psychiatre était alors renvoyée devant le tribunal correctionnel, qui la condamnait pour homicide involontaire. Or, elle aurait dû bénéficier de la prescription de l'action publique, sauf à percevoir l'infraction comme connexe ou indivisible avec l'assassinat. La Chambre criminelle de la Cour de cassation s'y refuse, constatant en effet que "les faits d'homicide involontaire reprochés à la prévenue ne procédaient pas d'une unité de conception, n'étaient pas déterminés par la même cause ou ne tendaient pas au même but que les faits d'homicide volontaire reprochés [...], ou ne formaient pas avec eux un tout indivisible".
Comme la connexité subjective ne le serait pas, la connexité objective n'est donc pas suffisante à justifier une unité de traitement de deux infractions, notamment au regard de la prescription de l'action publique. Il faut, effectivement, entretenir une conception exigeante de ce mécanisme, mêlant objectivité et subjectivité, ce à quoi incite sa définition par l'article 203 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3583AZQ) : "les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux,mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées" (11). Tel est l'un des prix à payer pour un droit rigoureux de la prescription de l'action publique.
Guillaume Beaussonie
V - Le ministère public n'est pas le gardien des droits fondamentaux
La forme la plus anodine peut parfois dissimuler un arrêt au moins potentiellement important. En l'occurrence, alors que ne se posait qu'un problème relatif à l'inutilité de la présence du ministère public lors d'une audience en chambre du conseil du juge des enfants, et que l'affaire allait s'achever sur le rejet du pourvoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précisait que "le ministère public ne saurait invoquer une prétendue atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale, qui ne garantissent que les droits et les libertés des parties privées". Celui qui doit veiller à l'application de la loi ne pourrait donc pas veiller à celle des principes fondamentaux ?
En l'espèce, deux mineurs de seize ans comparaissaient pour vol aggravé devant le juge des enfants lequel, en l'absence du ministère public, rendait un jugement de condamnation en chambre du conseil. Le ministère public interjetait alors appel, un défaut de communication de la procédure ayant fait obstacle à ce qu'il assiste aux débats ou formule des réquisitions écrites. Selon lui, l'absence de telles formalités substantielles portait atteinte au principe contradictoire et à l'égalité des armes. La cour d'appel relevait essentiellement, pour écarter l'exception de nullité soulevée de la sorte, que "la présence du procureur de la République est obligatoire aux audiences de jugement en chambre du conseil et qu'il ne pouvait en ignorer la date, de sorte qu'en n'y étant pas représenté, il ne [pouvait] invoquer un grief tiré de sa propre carence". La Chambre criminelle de la Cour de cassation parvient à la même conclusion, mais à partir d'un raisonnement un peu différent : en vérité, les audiences concernées n'impliquaient pas la présence obligatoire du procureur de la République. Il n'empêche que celui-ci pouvait "à tout moment, se faire communiquer la procédure et en suivre l'état d'avancement, pour assister, se faire représenter à l'audience de chambre du conseil du juge des enfants, ou encore prendre des réquisitions écrites". Les juges du fond n'étaient donc pas responsables tant de son absence que de son silence.
Les choses auraient sans doute pu s'arrêter là, si le ministère public n'avait pas soutenu que l'article préliminaire du Code de procédure pénale et l'article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme avaient été méconnus. Ce à quoi répond donc la Cour de cassation qu'il n'avait pas qualité pour le faire, ces textes ne faisant que garantir les droits et les libertés des parties privées.
L'affirmation nous paraît contestable comme, d'ailleurs, toutes celles qui conduisent à différencier les prérogatives du ministère public et les droits des parties privées -par exemple l'application du principe de loyauté de la preuve au premier à l'exclusion des secondes-. Aux yeux de la Cour européenne des droits de l'Homme, gardienne de l'interprétation de la Convention et des principes qu'elle contient, le ministère public est une partie comme une autre, ce qui implique des obligations, mais aussi des droits. Par ailleurs, comme nous l'avons souligné plus haut, le ministère public n'est-il pas le garant de l'application de la loi lato sensu, en ce compris les principes fondamentaux ? Si tel n'est pas le cas, comment soutenir encore qu'il fasse partie de l'autorité judiciaire, gardienne, on le rappelle, de la liberté individuelle.
Guillaume Beaussonie
VI - L'enregistrement des procès d'assises, garantie du droit à un recours effectif
Les questions prioritaires de constitutionnalité conduisent presque quotidiennement le Conseil constitutionnel à corriger la procédure pénale française. L'opportunité du dispositif n'a donc plus à être soumise à commentaire. Passons alors au fond : le procès d'une personne condamnée par une cour d'assises ne fait pas l'objet d'un enregistrement sonore. Il appert, en effet, que si l'article 308 du Code de procédure pénale prévoit que "les débats de la cour d'assises font l'objet d'un enregistrement sonore sous le contrôle du président", le texte s'achève sur une phrase qui n'encourage pas à l'appliquer : "les dispositions ci-dessus ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure". Est-ce conforme au droit à un recours effectif et au principe d'égalité devant la justice, tels qu'ils sont garantis par les articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ?
Pour la Cour de cassation, qui ne fait donc que passer la main au Conseil constitutionnel, la question est sérieuse car l'"enregistrement peut être utilisé devant la cour d'assises jusqu'au prononcé de l'arrêt, y compris lors du délibéré, ainsi que devant la cour d'assises statuant en appel et la cour d'assises de renvoi après cassation ou annulation". En outre, ajoute-t-elle, "l'absence d'enregistrement peut influer sur l'instruction d'un recours en révision". En cela constate-t-elle qu'il existe un risque d'atteinte au droit à un recours effectif ainsi qu'au principe d'égalité entre les justiciables.
La longueur -sans nul doute excessive- du procès d'assises justifie qu'il en soit gardé une trace, tant pour que les jurés puissent délibérer en toute connaissance de cause, que pour qu'un recours puisse s'exercer en vertu de cette même connaissance. Sur ce dernier point, la motivation des arrêts apparaît tout de même de nature à compenser l'absence d'enregistrement. Pour éviter la dépendance à la technique, peut-être faudrait-il tout simplement souffler aux avocats des parties et de la société qu'il s'avère contreproductif de parler trop longtemps. Quelques études scientifiques -non juridiques- relatives à la capacité d'attention à un discours en attestent. Ou il suffit d'assister à un cours en amphithéâtre !
Guillaume Beaussonie
(1) E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale. A propos de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, Dr. pén., 2014, étude 15.
(2) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, art. 15.
(3) C. postes et com. électr., art. L. 32 (N° Lexbase : L1864KG7).
(4) V. Interception, Trésor informatisé de la langue française.
(5) S. Detraz, obs. sous Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6245NMA), JCP éd. G, 2015, zoom 884.
(6) Cass. crim., 14 avril 1999, n° 98-87.224 (N° Lexbase : A4240CHI) : D., 1999, somm., 324, obs. J. Pradel ; Procédures, 1999, comm., 238, obs. J. Buisson ; Dr. pén., 1999, comm., 124, obs. A. Maron.
(7) C. proc. pén., art. 56 et 57-1.
(8) Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 14-84.694, FS-P+B (N° Lexbase : A0813M9Y), JCP éd. G, 2015, 295, note O. Décima.
(9) Cass. crim., 22 octobre 2013, n° 13-81.949, FS-P+B (N° Lexbase : A4648KNH), D., 2014. 115, note H. Matsopoulou ; JCP éd. G, 2013, 1378, note F. Fourment.
(10) V., par ex., la désormais notoire affaire de l'octuple infanticide, dans laquelle la Chambre criminelle avait fait oeuvre d'orthodoxie en constatant une prescription évidemment acquise, seule l'intervention de l'Assemblée plénière et le recours, par cette dernière, à une règle inédite en procédure pénale, ayant autorisé la solution inverse : Cass. crim., 16 octobre 2013, deux arrêts, n° 13-85.232 et n° 11-89.002, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9276KMI) puis Ass. plén., 7 novembre 2014, n° 14-83.739, P+B+R+I (N° Lexbase : A8445MZS).
(11) Nous soulignons.
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