La lettre juridique n°628 du 8 octobre 2015 : Éditorial

Mémoire vs oubli : un pas de plus vers la "fin" de l'absolu régime de prescription extinctive

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Mémoire vs oubli : un pas de plus vers la "fin" de l'absolu régime de prescription extinctive. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/26420668-memoire-i-vs-i-oubli-un-pas-de-plus-vers-la-fin-de-labsolu-regime-de-prescription-extinctive
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 08 Octobre 2015


"Parce que tout temps mort excessif laisse présumer le désintérêt de la victime ou du ministère public et leur renoncement, dans un système marqué par le principe d'opportunité des poursuites, la prescription apparaît nettement comme la réponse procédurale apportée à l'inaction ou l'oubli, volontaire ou involontaire". Telle est la justification de la prescription en matière pénale, posée par Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation.

Cette inaction, cet oubli, on pensait qu'ils relevaient finalement de la responsabilité des Etats, qui assumaient l'absence de poursuite dans le cadre d'intérêts souverainement appréciés. Si la prescription extinctive relève de l'ordre public et constitue un droit fondamental de la défense, lorsque le défaut d'action profite à l'auteur (présumé) d'un délit ou d'un crime, il semblait naïvement que c'est la société civile de cet Etat qui pouvait seule demander des comptes au gouvernement judiciaire pour l'action ainsi laissée choir.

La Cour de justice de l'Union européenne vient apporter un cinglant démenti à tout cela, lorsqu'il y va... du système commun de taxation sur le chiffre d'affaires. Le régime de la prescription extinctive doit plier devant l'intérêt pécuniaire des Etats, lorsque cette prescription emporte un préjudice pour l'ensemble du système de taxation sur la valeur ajoutée européenne ! Ce faisant, la Cour de justice, par un arrêt du 8 septembre 2015, a jugé qu'en empêchant, en matière de fraude grave à la TVA, l'infliction effective et dissuasive de sanctions, en raison d'un délai global de prescription trop bref, car elle prive la prise en compte de décisions judiciaires définitives, la règlementation italienne est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Dans un tel cas, le juge italien doit, au besoin, laisser inappliqué le régime de prescription en cause.

Voici donc l'appréciation d'un droit fondamental de la défense, d'un droit naturel des peuples, à écouter Deslauriers dans L'éducation sentimentale, remis en cause par les prescriptions européennes et le régime de taxation en particulier.

Dunod, Rogérius, Balbus, Merlin, Vazeille, Savigny et Troplong, tous éminents jurisconsultes spécialistes de la question à travers les siècles, n'ont qu'à bien se tenir. La prescription n'est plus un droit intouchable -nous l'avions compris depuis la réforme de 2008 en matière civile- mais elle peut même être écartée, quand on pensait qu'elle devait être relevée d'office.

La Cour de justice ne fait d'ailleurs pas cavalier seul sur le terrain de cette prescription extinctive ; mais on peut dire qu'elle charge ici à la hussarde !

Les critiques en matière d'extinction de l'action publique, notamment, sont nombreuses. Si la paix et la tranquillité publique commanderaient, après un certain délai, d'oublier l'infraction et non d'en raviver le souvenir, cette "grande loi de l'oubli" contredirait le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés ou de les rappeler à la mémoire, analyse le dernier rapport sénatorial en date (2007). De même, si la prescription a aussi été considérée comme la contrepartie de l'inquiétude dans laquelle vit l'auteur des faits aussi longtemps qu'il échappe à la poursuite et à la punition, il y aurait, à l'évidence, quelque naïveté à placer l'état d'incertitude psychologique au même plan qu'une peine effective. Et, si la prescription était la sanction de la négligence de la société à exercer l'action publique ou à exécuter la peine -comme c'est le cas présent dans l'affaire soumise à examen devant la Cour- cette justification pourrait s'apprécier différemment selon que la négligence est antérieure ou postérieure à l'engagement des poursuites. En effet, la perte du droit de punir apparaît plus contestable lorsque les poursuites n'ont pas été engagées. Finalement, le dépérissement des preuves est présenté aujourd'hui comme l'une des justifications les plus solides de la prescription : mais à l'ère numérique, cet écueil semble de plus en plus improbable.

C'est donc une fronde qui s'organise, non pas pour abolir les régimes de prescription, mais pour les aménager, voire les relativiser. C'est l'enjeu d'une proposition de loi de mai dernier visant à allonger la prescription en matière de crime. C'est la marque d'une société soucieuse de faire prévaloir la mémoire sur l'oubli -ce qui n'est pas sans aller en contradiction avec le droit à l'oubli numérique revendiqué de plus en plus par les citoyens et les pouvoirs publics-.

C'est assurément un pas vers cette relativisation de la prescription, ici en matière fiscale et pénale, que la Cour de justice fait, en encourageant le juge nationale à écarter le bénéfice d'une prescription contraire aux intérêts... de l'Union.

"Nul est censé ignorer la loi. Pour les autres, il y a la prescription, le sursis et l'amnistie"... Pour l'un d'eux, c'est déjà moins vrai.

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