Réf. : Cons. const., 17 septembre 2015, n° 2015-481 QPC (N° Lexbase : A2348NPN)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international
le 08 Octobre 2015
I - Proportionnalité
En vertu de l'article 8 de la DDHC, "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Sur le fondement de ce principe, le Conseil constitutionnel opère un contrôle de proportionnalité, entendu que pour apprécier la proportionnalité, il porte son regard et sur le taux et sur l'assiette. Plus exactement, le juge s'assure de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Politique de l'adjectif aurait écrit Bobbio : qualifiez et vous interpréterez. Le contrôle de proportionnalité conduit à censure seulement et seulement si le législateur a manifestement fait un usage disproportionné, abnorme de son pouvoir discrétionnaire. En d'autres termes, il faut que le législateur méconnaisse de manière abusive, anormale les droits des contribuables pour que le juge censure. On ne peut que regretter cette autolimitation du pouvoir du juge, une fois rappelé que le contrôle de proportionnalité est le vecteur permettant aux cours constitutionnelles de protéger les citoyens. Dans le cas présent, l'amende forfaitaire pour défaut de déclaration annuelle d'un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger est de 1 500 euros, montant porté à 10 000 euros si le compte est ouvert dans un ETNC. En édictant de telles sanctions, le législateur a poursuivi un objectif (a priori) louable, celui de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, le juge conclut que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées à la gravité des faits ayant vocation à être réprimer. Le Conseil a apprécié tant le montant des amendes forfaitaires que la nature de la sanction financière.
II - Individualisation
Le principe d'individualisation des peines découle de l'article 8 de la DDHC. Il implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration l'a expressément prononcée en tant compte des circonstances propres à chaque espèce. Le juge ajoute aussitôt que l'action de l'administration s'opère sous le haut contrôle du juge de la loi. Certes. Mais une telle assertion mérite nuance eu égard à la carence du contrôle de proportionnalité qui ne vise (comme on l'a vu) que de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. S'arrêtant sur le principe d'individualisation des peines, le Conseil estime que la loi ("elle-même") a assuré la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Pour le Conseil, les amendes forfaitaires "s'inscrivent dans une échelle de sanctions interne à l'article 1736 du CGI" (1). En effet, il existe deux montants forfaitaires distincts en fonction du lieu où le compte a été ouvert, selon que l'Etat ou le territoire concerné a (ou non) conclu une convention d'assistance administrative aux fins de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales via l'accès aux renseignements bancaires. Pour chaque sanction prononcée, le juge fiscal peut : soit maintenir l'amende, soit en dispenser le contribuable si celui-ci n'a pas fauté en ses obligations déclaratives. Certes, le plein contrôle du juge ordinaire porte seulement sur "une alternative de maintien de l'amende ou de dispense de celle-ci" (2). Mais point de censure selon le Conseil dans la mesure où le manquement sanctionné par la loi est une "simple formalité objective, de déclaration de l'existence d'un compte bancaire à l'étranger" (3). Dès lors que le juge fiscal, celui-là même qui opère un plein contrôle sur les faits et la qualification retenue par l'administration, "peut proportionner les pénalités selon la gravité des agissements commis par les contribuables", les dispositions législatives déférées ne portent pas atteinte au principe d'individualisation des peines.
III - OVC : lutte contre la fraude et l'évasion fiscales
Décision faiblement argumentée, voire non argumentée a-t-on dit. Dans le considérant 5, le Conseil, après avoir souligné l'importance de son contrôle aux fins de garantir les droits et libertés constitutionnels, s'empresse d'ajouter qu'il ne saurait empiéter sur l'action du législateur. Ainsi, le Conseil "ne saurait interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales". Que dire devant un tel truisme ? Qu'il sert de fondement argumentatif principal à la décision ? C'est bien là que le bât blesse. La décision n'est pas articulée, elle est posée, tel un postulat évidant toute justification. On apprend ainsi que le législateur, par le truchement d'une sanction ayant le caractère d'une punition, a voulu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations bancaires et prévenir la dissimulation de revenus à l'étranger. Il n'est guère surprenant que le Conseil ait ensuite recours à une grande, belle et englobante notion pour motiver (sic) sa décision : un objectif de valeur constitutionnelle, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Que répondre au juge si ce n'est que frauder est mal et que le législateur a vocation à réprimer les contribuables violant le droit positif. Le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de l'immense marge d'appréciation qu'il laisse au législateur ; le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de la motivation générique justifiant cette immense marge d'appréciation.
IV - Egalité
Dans le I, il a été vu que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées. La phrase mérite ici d'être complétée car le juge écrit précisément : les "sanctions dont la nature est liée à l'infraction et [...] même par le cumul d'amendes qu'elles permettent, ne sont pas manifestement disproportionnées". Par ce "même par le cumul d'amendes qu'elles permettent", le juge évoque, de manière rapide, un cumul d'amendes potentiellement problématique. N'était-il pas loisible d'invoquer la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi répressive ? Car l'absence de déclaration d'un compte bancaire en terre étrangère est visée, de manière répressive, et par le CGI et par le Code monétaire et financier (CMF). Ce dernier prévoit, en son article L. 152-2 (N° Lexbase : L9846DYC), que "Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont soumises aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A du CGI". Et en vertu de l'article L. 152-5 du CMF (N° Lexbase : L3521AP4), le non-respect des dispositions de l'article L. 152-2 du CMF est puni d'une amende de 750 euros en cas de non déclaration d'un compte. Nous somme ainsi en présence d'un mimétisme délictuel (des délits définis de manière identique) et/mais d'une césure "sanctionnatrice" (des amendes différentes). La différence de traitement ainsi posée ne méritait-elle pas censure ? Dans une décision du 28 juin 2013 (Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-328 QPC N° Lexbase : A7733KHU), le Conseil a, en présence d'incriminations définies identiquement mais connaissant des sanctions différentes, censuré la différence de traitement alors instituée. Sur le fondement du principe d'égalité, les sanctions les plus sévères avaient été jugées contraires à la Constitution. Dans notre QPC, le juge ne pouvait-il pas (ne devait-il pas) censurer les dispositions du CGI (en son article 1736), dispositions plus sévères que celles du CMF ? Il est encore loisible de mentionner une décision du 18 mars 2015 (Cons. const., 18 mars 2015, décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC N° Lexbase : A7983NDZ), portant sur les questions de cumul des poursuites pour délits d'initiés et des poursuites pour manquement d'initié, au soutien d'une telle argumentation (4).
Du législateur et du juge pour conclure.
Quant au législateur, il faut avoir souvenance du contexte dans lequel le CGI a été modifié, une affaire concernant une grande banque internationale. L'article 52 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, a relevé le montant de l'amende, objet de la présente saisine. Or, le "texte miroir" du CMF n'a pas été (lui) modifié. La précipitation de Bercy et de ses relais législatifs a ainsi conduit à cette regrettable césure normative CGI/CMF. Quant au juge, il n'a pas souhaité censurer la disposition déférée. Si l'on doit respecter sa souveraine appréciation, l'absence d'argumentations substantielles dans la décision du Conseil mérite encore et toujours critique. Pendant combien de temps encore l'habituelle "formule magique", l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) ne lui conférant pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, va-t-elle servir de pauvre masque herméneutique ? Il ne s'agit pas de dire que le Conseil a tort ou s'est trompé. Pour affirmer cela, encore faudrait-il qu'il rende des décisions dignes d'une Cour suprême. Tout est question de motivation(s), enfin d'absence de motivation(s) dans le cas présent.
(1) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(3) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(4) Sanctions fiscales des comptes bancaires étrangers clandestins : le juge constitutionnel au milieu du gué ?, C. Prats, dalloz-actualité.fr.
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