La lettre juridique n°628 du 8 octobre 2015 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Compétence matérielle du juge-commissaire et admission des créances

Réf. : CA Douai, 24 septembre 2015 n° 13/07143 (N° Lexbase : A7350NPW)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

le 08 Octobre 2015

Le juge-commissaire, juge naturel de l'établissement du passif dans le cadre d'une procédure collective, peut-il connaître de toutes les contestations relatives aux créances déclarées du débiteur sous procédure collective ? Sans l'ombre d'un doute, les juristes spécialisés dans ce domaine, répondront par la négative. Certes ! Toutefois, la compétence matérielle du juge-commissaire a été étendue par l'ordonnance n° 2014-324 du 12 mars 2014 (N° Lexbase : L7194IZH). L'arrêt de la cour d'appel de Douai rendu le 24 septembre 2015 en est l'une des premières applications (1).
En l'espèce, un tribunal de commerce a ouvert un redressement judiciaire par jugement du 3 juillet 2012 à l'encontre d'une SARL, procédure convertie, le 7 janvier 2014, en liquidation judiciaire. Le 7 septembre 2012, une banque a déclaré sa créance au passif de la procédure pour le solde débiteur du compte courant ainsi qu'une certaine somme due au titre d'un prêt accordé à la société débitrice le 10 juin 2011. Par courrier du 17 avril 2013, le mandataire a partiellement contesté la créance déclarée au titre du prêt. En réponse, par courrier du 30 avril 2013, le créancier acceptait la contestation tout en précisant qu'il convenait de prendre en compte les intérêts mentionnés dans la déclaration de créance. Le 29 juillet 2013, le mandataire a contesté à nouveau la créance de la banque, mais dans son intégralité invoquant la nullité du contrat de prêt et, subsidiairement, la responsabilité de la banque. Par ordonnance du 15 novembre 2013, le juge-commissaire a admis la créance de la banque pour le montant initialement proposé par le mandataire dans sa lettre de contestation du 17 avril 2013. La société débitrice, son administrateur judiciaire et le mandataire de justice ont interjeté appel, au motif que le créancier est exclu des débats pour ne pas avoir répondu à la lettre du mandataire du 29 juillet 2013. En outre, ils demandent à la cour de surseoir à statuer et inviter le débiteur et les organes de la procédure à saisir la juridiction de droit commun compétente pour trancher le litige au fond. Par un arrêt du 24 septembre 2015, la cour d'appel de Douai rejette les prétentions de la société débitrice et des mandataires à propos de l'exclusion du créancier, des débats sur la fixation du montant de sa créance (I). En outre, faisant application de l'article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9), dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, la cour d'appel précise que le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission de la créance. Par ailleurs, il appartient au juge d'examiner si la contestation élevée par le débiteur est susceptible d'impliquer le rejet de la créance déclarée ou, à tout le moins, un sursis statuer dans l'attente de la décision d'un juge du fond. Ainsi, le juge-commissaire doit vérifier les conséquences éventuelles de la contestation formulée par le débiteur ou les organes de la procédure (II). Considérant qu'en l'espèce, les motifs invoqués par les appelants ne permettent pas de rejeter la créance déclarée, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance d'admission entreprise.

I - Les modalités de la contestation de créance par le mandataire de justice

A la lecture des nombreuses décisions rendues tant par les juridictions du fond que par la Cour de cassation, force est de constater que le contentieux relatif à l'admission des créances est important. Toutefois, prenant acte de cette donnée, le législateur a opéré certaines modifications, tout spécialement à propos de la compétence matérielle du juge-commissaire. Cependant deux phases de la procédure d'établissement du passif d'un débiteur sous procédure collective se déroulent en amont de l'intervention du juge-commissaire : la déclaration de créance par les créanciers et la vérification du passif sous la direction du mandataire judiciaire. En l'espèce, le débat était centré sur la discussion de la créance par le mandataire, ou plus exactement sur la contestation de celle-ci.

Selon les articles L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) et R. 624-1 (N° Lexbase : L6267I3I) du Code de commerce, s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance, le mandataire en avise le créancier en l'invitant à faire connaître ses explications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans un délai de trente jours à compter de celle-ci. Elle doit préciser l'objet de la discussion et indiquer le montant de la créance dont l'inscription est proposée. Le défaut de réponse dans ce délai de trente jours interdit au créancier toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire.

En l'espèce, le mandataire avait contesté le montant du prêt déclaré par courrier du 17 avril 2013. Le mandataire proposait une admission pour une somme moindre. Le créancier avait répondu par courrier du 30 avril 2013. Ainsi, le mandataire n'avait pas critiqué le caractère privilégié ou chirographaire de la créance déclarée, mais seulement le montant indiqué dans la déclaration de créance effectuée par la banque. La contestation porte effectivement sur le montant de la créance existant au jour de l'ouverture de la procédure collective (2), objet de la discussion, conformément à l'article L. 622-27 précité, et non sur la régularité de la déclaration de créance (3). En outre, la lettre du mandataire doit mentionner la proposition d'admission de la créance contestée (4). Tel était bien le cas. Le "dossier" aurait dû être considéré comme clos ; le créancier, ayant répondu dans le délai de trente jours, ne pouvait être considéré comme s'étant lui-même exclu du débat sur le sort de sa créance.

Or, le mandataire a adressé une seconde lettre de contestation au créancier, le 29 juillet 2013, soit environ trois mois après la première, lettre dans laquelle il ne proposait pas un montant moindre de la créance de prêt, mais par laquelle il contestait la validité de l'acte de prêt et invoquait sa nullité, ainsi que la mise en cause de la responsabilité de la banque. Celle-ci n'a pas répondu. Devant le juge-commissaire, le mandataire de justice a maintenu la proposition de sa seconde contestation, alors que la première avait été acceptée par le créancier. Pour cette raison, créancier et mandataire ont été convoqués devant le juge-commissaire. Par ordonnance critiquée du 15 novembre 2013, le juge-commissaire a retenu le montant qui, lors de la première contestation, avait été acceptée par le créancier. Par la suite, le mandataire critique le juge-commissaire au motif que n'ayant pas répondu dans le délai de trente jours de la seconde contestation, le créancier est exclu des débats. La cour d'appel rejette cette argumentation, au motif que le créancier a répondu dans le délai de l'article L. 622-27 du Code de commerce.

Cette décision, sous réserve de la confirmation de la solution proposée, permet de considérer que l'exclusion des débats du créancier ne peut intervenir qu'en raison de son silence à la première contestation adressée par le mandataire. Le défaut de réponse aux contestations éventuelles postérieures serait alors sans effet, ou plus exactement, justifierait la convocation du créancier et du mandataire devant le juge-commissaire afin de trancher la contestation, qui en l'occurrence serait véritablement sérieuse, sous réserve des limites de la compétence matérielle du juge-commissaire.

II - La compétence matérielle du juge-commissaire en l'absence de contestation sérieuse

L'article L. 624-2 du Code de commerce précise les contours de la compétence matérielle du juge-commissaire. Ainsi, ce dernier décide de l'admission ou du rejet des créances déclarées ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. Afin de diminuer l'importance du contentieux en la matière, le législateur a précisé dans la nouvelle rédaction de l'article L. 624-2 précité, qu'en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à sa demande d'admission.

En effet, jusqu'alors, la jurisprudence avait des difficultés à résoudre de façon satisfaisante le défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, car il devait surseoir à statuer sur l'admission de la créance et inviter les parties à saisir le juge compétent. En outre, aucun délai n'était précisé pour saisir ce dernier. La Cour de cassation avait refusé au juge-commissaire de pouvoir statuer sur une demande reconventionnelle (5). Désormais, la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6270I3M) précise que le créancier ou le mandataire doit, sous peine de forclusion, saisir le juge compétent, dans un délai d'un mois pour faire trancher le conflit afin de fixer le sort de la créance litigieuse.

En l'espèce, et comme le précise à juste titre la cour d'appel, il n'appartient pas au juge de se prononcer sur la validité d'un contrat conclu avec le créancier, sur l'éventuelle faute commise par ce dernier et susceptible de donner droit à l'allocation de dommages-intérêts, ou sur la validité d'un nantissement consenti par un tiers à la procédure collective. Le mandataire de justice invoquait la nullité du contrat de prêt et subsidiairement la responsabilité délictuelle de la banque dans l'octroi du crédit au débiteur. Par conséquent, cette contestation n'étant pas de la compétence matérielle du juge-commissaire, le mandataire devant, alors, dans un délai d'un mois, saisir le juge compétent, ce qu'il n'a pas fait.

En outre, et dans l'hypothèse où le juge compétent avait été valablement saisi, il est de la compétence du juge-commissaire de rechercher si la contestation élevée par le débiteur et le mandataire est susceptible d'impliquer le rejet de la créance déclarée. Or, le litige portait sur un contrat de prêt. Les fonds avaient été remis au débiteur pour un montant de 750 000 euros. Par un raisonnement particulièrement logique, la cour d'appel considère que, si la nullité du prêt était prononcée, le débiteur devrait restituer les sommes versées, ce qui justifie la créance déclarée par la banque. Elle ne le serait pas au titre du remboursement du prêt mais des conséquences de la nullité qui pourrait être prononcée.

Au final, contestation sur contestation ne vaut pour le mandataire, comme argument pour exclure le créancier du débat judiciaire sur le montant de sa créance. En outre, les praticiens devront être particulièrement vigilants car la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce ne leur laisse qu'un délai d'un mois pour saisie le juge compétent dès lors que la contestation se situe en dehors de la compétence naturelle du juge-commissaire !


(1) Compétence du juge-commissaire pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission, en l'absence de contestation sérieuse, Lexbase Hebdo n° 438 du 1er octobre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9235BUI)
(2) Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.357, F-P+B (N° Lexbase : A5712ML7), Bull civ. IV n° 87, E. Le Corre-Broly, in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2014 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 385 du 12 juin 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2666BUB) ; D., 2014, p. 1148, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1447, n° 5 obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2014, comm. 185, obs. P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 5-6 octobre 2014, p. 38, obs. P.-M. Le Corre.
(3) En ce sens, J. Vallansan in J. Cl. Com. Fasc 2312, Déclaration et admission des créances, qui distingue entre la contestation de la régularité de la créance et la contestation sur le montant ou la qualité de la créance déclarée.
(4) Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-23.773, F-D (N° Lexbase : A8623IXN), Bull. Joly Entrp. Diff., 2013, p. 95, note E. Le Corre-Broly.
(5) Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-35.048 (N° Lexbase : A4383DMP), Bull. civ. IV n° 24 ; D., 2014, p. 368, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1174, n° 6, obs. Ph. Pétel ; E. Le Corre-Broly in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2014 (2nd. comm.), Lexbase Hebdo n° 370 du 20 février 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0818BUT)

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