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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies de droit de la famille
le 01 Octobre 2015
I - Le mariage entre allié sauvé par l'écoulement du temps
La Cour de cassation a suscité une vive émotion dans le milieu juridique en refusant, dans un arrêt du 4 décembre 2013 (3), d'annuler le mariage conclu entre un beau-père et sa bru, tous deux étant divorcés de leur conjoint respectif, au motif que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans et que sa remise en cause constituerait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale de l'épouse survivante. Cette solution paraît en effet contredire l'article 161 du Code civil (N° Lexbase : L8846G9I) qui interdit le mariage entre alliés en ligne directe et n'admet de dispense, délivrée par le Président de la République, qu'en cas de décès de la personne qui a créé l'alliance. Le pourvoi avait affirmé que ce texte portait atteinte à la substance même du droit au mariage garanti par l'article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4745AQS) ; la Cour européenne avait d'ailleurs, dans l'arrêt "B. L. c/ Royaume-Uni" du 13 septembre 2005 (4) qualifié d'atteinte excessive au droit au mariage l'empêchement à mariage existant en Angleterre entre un beau-père et sa belle-fille, tous deux divorcés, ce qui avait conduit les autorités à refuser de célébrer leur union. Toutefois, la Cour de cassation, dans l'arrêt du 4 décembre 2013, ne se place pas sur le terrain de l'affrontement direct entre le texte interne et la Convention européenne. Au fondement de l'article 12, elle préfère celui de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR), qu'elle soulève d'ailleurs d'office, refusant ainsi de consacrer en droit français la solution européenne contenue dans l'arrêt "B. L. c/ Royaume-Uni". La Cour de cassation n'affirme pas que l'empêchement à mariage entre alliés constitue en lui-même une violation du droit au mariage et n'écarte pas la disposition de droit interne au nom de l'article 12 de la CESDH. Elle préfère prendre un chemin de traverse en affirmant qu'en remettant en cause une relation effective, reconnue depuis vingt ans et jamais contestée jusqu'alors, la nullité du mariage porterait une atteinte injustifiée, et donc excessive, à la vie privée et familiale de l'épouse. Ainsi, l'arrêt procède à une sorte d'effacement de la cause de nullité originelle par l'écoulement du temps et semble considérer qu'en restant inactif alors qu'il ne pouvait ignorer le mariage, et ce pendant de très nombreuses années, le fils du mari avait en quelque sorte tacitement renoncé à demander la nullité. La Cour de cassation remet ainsi en cause la prescription trentenaire dans laquelle est, en principe, enfermée la nullité absolue du mariage. En limitant le maintien du mariage incestueux aux hypothèses dans lesquelles le mariage a duré de nombreuses années sans être contesté par ceux-là mêmes qui avaient qualité pour le faire, l'analyse de la Cour de cassation permet de préserver une situation acquise par l'écoulement du temps sans pour autant affirmer que l'empêchement à mariage de l'article 161 du Code civil (N° Lexbase : L8846G9I) est, en lui-même, inconventionnel. Ce faisant la Cour de cassation parvient à trouver un certain équilibre entre la protection de l'ordre public matrimonial et le respect des droits fondamentaux. Elle permet, en outre, d'éviter à la France une condamnation européenne sans pour autant adhérer au raisonnement de cette dernière qui devrait aboutir à écarter l'article 161 du Code civil au nom du droit au mariage.
II - Le contournement des règles françaises relatives à la PMA
C'est, cette fois, en dehors de toute pression des droits fondamentaux que la Cour de cassation a affirmé, dans un avis du 22 septembre 2014, que "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant" (5). Par cette formule, la Cour de cassation affirme clairement que les conditions de conception de l'enfant, quoique contraires aux règles de droit française relatives à l'assistance médicale à la procréation, sont indifférentes et ne sauraient empêcher l'établissement en France de sa filiation adoptive. La solution est à rapprocher de l'arrêt du 8 juillet 2010 dans lequel la Cour de cassation avait affirmé que "le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant" (6). Ainsi, aux yeux de la Cour de cassation, certaines dispositions du droit français -soigneusement sélectionnées par elle...- n'ont pas une importance telle que leur contournement par des dispositions étrangères favorables constituerait une atteinte à l'ordre public. L'avis du 22 septembre 2014 permet de penser qu'il en va ainsi des conditions de l'accès à la PMA prescrites par l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7144IQN), contrairement à ce que la Cour de cassation avait décidé en 2011 pour les enfants nés de convention de gestation pour autrui à l'étranger (7). En affirmant clairement que les conditions de la conception de l'enfant qui fait l'objet d'une demande d'adoption par la femme de sa mère doivent être indifférentes, la Cour de cassation assure aux couples de femmes qui ont conçu ensemble un projet parental passant par le recours au mariage, à la PMA et enfin à l'adoption de l'enfant par le conjoint, une certaine sécurité juridique que la loi à elle seule ne leur garantissait pas, interprétée qu'elle pouvait être par certains juges réfractaires à la constitution d'une famille homosexuelle par la voie de l'adoption. L'avis de la Cour de cassation rend peu probable une résistance des juges du fond. Il n'en demeure pas moins qu'une évolution de la législation française dans le sens d'un accès à la PMA pour les couples de femmes serait plus logique (8). Elle permettrait, en outre, d'assurer l'égalité dans l'accès à l'assistance médicale à la procréation sans privilégier les femmes qui ont les moyens de recourir à une insémination à l'étranger.
III - L'invention d'une action tendant à la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise
La créativité du juge en droit de la famille atteint sans aucun doute son paroxysme dans l'arrêt du 13 novembre 2014 (9) dans lequel la Cour de cassation invente, ni plus ni moins, une action nouvelle, totalement absente du droit légiféré. Selon ses propres termes, la Haute juridiction reconnaît l'existence d'une "action tendant la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise" qui permettrait à une personne de solliciter une expertise génétique sur le corps de son parent supposé, en dehors de toute action relative à sa filiation, pour connaître ses origines. Pour créer "cette action en dehors de la loi, et dans une certaine mesure, contre la loi" (10, la Cour de cassation se fonde sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et plus particulièrement, même si elle ne le précise pas, sur le droit à l'identité qui en découle selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (11). La Haute juridiction française comble sans aucun doute un besoin de notre droit et contribue incontestablement à mettre la France à l'abri d'une condamnation européenne. Toutefois on ne peut s'empêcher de remarquer qu'on aboutit à l'existence d'une action qui contredit plusieurs textes en vigueur ; en effet, selon l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L7477IPM), l'identification par expertise génétique ne peut avoir lieu que dans le cadre d'une action relative à la filiation et la personne concernée par l'expertise doit donner, de son vivant, son consentement à une expertise post mortem, règles restrictives qui ont cependant été validées par le Conseil constitutionnel (12). Comme le fait remarquer un auteur, "en créant une nouvelle action, la Cour de cassation évite d'entrer dans la délicate question de l'articulation des normes constitutionnelles et conventionnelles" (13).
Par ailleurs, la Cour de cassation n'hésite pas à préciser le régime de cette action prétorienne en affirmant, au fondement des articles 14 (N° Lexbase : L1131H4N) et 125 (N° Lexbase : L1421H4E) du Code de procédure civile, que "la recevabilité d'une action tendant à la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise, lorsque celle-ci nécessite une exhumation, est subordonnée à la mise en cause des ayants droit du défunt ; qu'en matière d'état des personnes, les fins de non-recevoir ont un caractère d'ordre public" ; la Cour soumet ainsi cette action nouvelle au droit commun des actions d'état. Cette inventivité de la Cour de cassation n'est pas sans rappeler sa jurisprudence des années 80 par laquelle elle avait créé, en se fondant sur une interprétation a contrario de certaines dispositions du Code civil, des actions en contestation de filiation totalement absente de l'esprit même des textes (14)...
IV - La reconnaissance de la filiation de l'enfant né d'une GPA à l'étranger en réponse à la condamnation européenne
Les arrêts rendus le 3 juillet 2015 en Assemblée plénière (15) par lesquels la Cour de cassation revient sur son refus de reconnaître la filiation d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui, sont évidemment la conséquence directe de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme dans les affaires "Mennesson" et "Labassée" (16). Toutefois, la Cour de cassation n'a pas procédé à une confrontation directe entre le texte interne, l'article 16-11 du Code civil, et les exigences européennes ; elle a préféré ouvrir une voie parallèle pour aboutir à la reconnaissance de la filiation, au moins paternelle, de l'enfant né à l'étranger d'une convention de gestation pour autrui, en utilisant une disposition technique. La Cour de cassation se fonde en effet sur l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) interprété à la lumière de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Pour motiver son revirement, la Cour de cassation se réfugie dans une analyse formelle de l'acte étranger dont la transcription était sollicitée sur le fondement de l'article 47 du Code civil. L'existence d'un lien biologique entre l'enfant et ses parents déclarés explique l'influence de la condamnation de la France par la Cour européenne. C'est, en effet, bien parce que la condamnation européenne portait précisément sur l'absence de reconnaissance d'une filiation correspondant à la réalité biologique que la Cour de cassation ne pouvait plus refuser cette reconnaissance dans l'hypothèse des arrêts de 2015, dans laquelle les parents indiqués dans l'acte de naissance à transcrire étaient les parents génétiques de l'enfant.
La Cour de cassation a fait ce qu'il était nécessaire, mais pas davantage, pour protéger la France d'une nouvelle condamnation européenne. En effet, si l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, opérant ce qui est clairement un revirement de jurisprudence, affirme que la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance dès lors que les faits correspondent à la réalité, elle laisse sans solution nombre de situations consécutives au recours à la gestion pour autrui à l'étranger, lorsque la filiation de l'enfant doit être établie à l'égard de parents d'intention.
Même si elle ne vise pas l'article 16-7 du Code civil aux termes duquel "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle", la Cour de cassation en limite, par ce revirement, les effets et admet que cette convention conclue à l'étranger n'empêche pas la reconnaissance des liens de filiation qui en découlent. Cette évolution jurisprudentielle peut ainsi être lue comme une solution contra legem, en opposition avec l'article 16-7 du Code civil (N° Lexbase : L1695ABE), sauf à considérer qu'il s'agit seulement d'apporter une exception à ce texte lorsque la convention de gestation pour autrui a été exécutée à l'étranger. On peut alors considérer qu'il s'agit d'une construction prétorienne, à côté de la loi, qui permet de contourner celle-ci sans la remettre formellement en cause.
Les attendus des arrêts de 2015 doivent être rapprochés des avis du 22 septembre 2014 (17) dans lesquels la Cour de cassation a affirmé que le recours à l'assistance médicale à la procréation à l'étranger dans des conditions différentes de celles exigées par la loi française ne fait pas obstacle à l'adoption par l'épouse de la mère de l'enfant né de cette procréation. Ainsi, les conditions de la conception médicalement assistée de l'enfant, PMA ou GPA, sont désormais, en elles-mêmes, indifférentes à la reconnaissance de sa filiation, et ce même si ces conditions ne respectent pas les dispositions du droit français.
Il apparaît, là encore, qu'une intervention législative s'impose pour consacrer et préciser la reconnaissance en France des effets des filiations établies légalement à l'étranger, fût-ce par le recours à une convention de mère porteuse, sans pour autant aller trop loin et revenir sur la prohibition de la gestation pour autrui conforme aux principes fondateurs de notre droit.
Conclusion. Pour éviter d'affronter de front des règles de droit internes, parfois validées par le Conseil constitutionnel et dont les effets sont incompatibles avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme, la Cour de cassation ouvre des voies détournées, aboutissant ainsi à la création d'une sorte de monde parallèle, en marge des textes. Il ne s'agit pas, en effet, seulement de réponses ponctuelles sur des questions secondaires mais de véritables solutions générales sur des points importants à propos desquels la Cour de cassation apporte non seulement une solution mais dont elle précise également parfois le régime.
Même si la méthode, qui s'assimile quelque peu à une voie de fait, est contestable, on ne peut nier que cette attitude jurisprudentielle audacieuse correspond à un véritable besoin. La Cour de cassation remplit en effet les obligations positives qu'implique, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, l'article 8, et notamment celle de reconnaître la filiation, et plus largement les éléments de l'identité de l'enfant. Il n'est d'ailleurs pas neutre que les décisions concernent surtout des questions liées à l'identité, que le législateur contemporain trop timoré hésite à résoudre. Car on ne peut s'empêcher de voir dans ces constructions prétoriennes autant d'appels au législateur qui semble avoir perdu tout courage depuis la promotion difficile du mariage pour tous. Or, une intervention de la loi garantirait une meilleure sécurité juridique, mettant le justiciable à l'abri d'un nouveau revirement de jurisprudence.
En attendant, le droit de la famille est pour une part non négligeable, à la fois composé de règles écrites et de règles non écrites qui ne se sont pas rattachées aux premières, voire leur sont opposées alors qu'elles ont le même objet. On en arrive alors au constat paradoxal d'un droit de la famille conforme aux exigences du droit supra-national mais dont certaines solutions jurisprudentielles sont en contradiction avec les principes légaux. Ces paradoxes, voire ces contradictions ne risquent-ils pas, à terme, de déséquilibrer le droit de la famille et d'en menacer la cohérence d'ensemble ?
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