Lexbase Social n°627 du 1 octobre 2015 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Période d'essai : de la distinction entre délai de préavis et délai de prévenance

Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-16.713, FS-P+B (N° Lexbase : A3898NP3)

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N9154BUL

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 01 Octobre 2015

Les problèmes d'articulation entre le respect d'un délai de prévenance et la durée de la période d'essai ont été progressivement réglés par l'intervention combinée du législateur et de la Chambre sociale de la Cour de cassation. L'affinement du régime juridique du délai de prévenance devait encore prendre en considération le fait qu'un certain nombre de conventions collectives de travail prévoient des délais différents de ceux prévus par le Code du travail. En outre, ces accords conservent, parfois, une terminologie inappropriée en octroyant au salarié un délai de "préavis" préalable à la rupture d'essai. Comme l'illustre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 septembre 2015, les règles relatives au délai de prévenance s'appliquent alors que celui-ci est prévu par accord collectif de travail (I), ce qui permet de se convaincre des nuances qui subsistent, tant s'agissant des notions que de leurs régimes, entre délai de préavis et délai de prévenance (II).
Résumé

L'employeur qui met fin à la période d'essai avant son terme peut dispenser le salarié de l'exécution de son "préavis" et verser les salaires correspondant à celui-ci.

Commentaire

I - L'application du régime légal aux délais de prévenance conventionnels

Obligation de respecter un délai de prévenance lors de la rupture d'essai. Depuis 2008 (1), le Code du travail impose aux parties au contrat de travail de respecter un délai de prévenance qui précède la rupture de la période d'essai (2).

Lorsque la rupture intervient à l'initiative de l'employeur, le salarié doit en être prévenu dans les délais fixés par l'article L. 1221-25 du Code du travail (N° Lexbase : L5804I3D), soit vingt-quatre heures en deçà de huit jours de présence, quarante-huit heures entre huit jours et un mois de présence, deux semaines après un mois de présence ou un mois après trois mois de présence.

Bien avant la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), de nombreuses conventions collectives de travail prévoyaient déjà l'obligation de respecter un délai de prévenance ou, comme cela était le cas de l'accord en cause dans l'affaire présentée, un délai de préavis (3).

L'impossible prorogation de l'essai par respect du délai de prévenance. La période d'essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance (4), règle dont la Chambre sociale déduit que si la relation de travail se poursuit après l'échéance de la période d'essai afin de respecter le délai de prévenance, c'est un nouveau contrat de travail qui est conclu entre les parties (5). Le délai de prévenance peut donc, au plus, proroger la durée de l'essai jusqu'à son échéance, renouvellement inclus, mais en aucun cas permettre de la dépasser.

Le raccourcissement du délai de prévenance qui peut découler de cette règle lorsque la rupture intervient à la toute fin de la période d'essai ouvre, depuis 2014 (6), "droit pour le salarié, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice" (7). Le texte précise que "cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise".

L'affaire. Un salarié est engagé par contrat de travail comportant une période d'essai d'une durée de quatre mois, renouvelée pour une nouvelle période de quatre mois. Un mois avant l'échéance de l'essai, l'employeur informe le salarié qu'il met fin à la période d'essai et le dispense d'exécuter son préavis qui aurait dû prendre fin le 2 décembre 2010, puisque l'article 14 de la Convention collective Syntec (N° Lexbase : X0585AEE) prévoit une durée de préavis d'une semaine par mois de présence dans l'entreprise, soit sept semaines en l'espèce.

Le salarié saisit la juridiction prud'homale afin que soit jugé que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, demande à laquelle la cour d'appel de Versailles fit droit en jugeant que l'employeur, en respectant les stipulations conventionnelles, avait dépassé la période d'essai légale, si bien que la rupture devait être qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par un arrêt rendu le 16 septembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 1221-25 du Code du travail. Elle relève que les juges d'appel ont constaté "que l'employeur avait mis fin à la période d'essai avant son terme et avait dispensé le salarié de l'exécution de son préavis' lequel avait été réglé", si bien qu'est caractérisée la violation du texte visé. Cette décision suscite plusieurs observations.

La solution permet d'abord de se convaincre que la source du délai de prévenance n'a aucune incidence sur le régime juridique de celui-ci.

Indifférence de la source et de la dénomination du délai de prévenance. Que le délai résulte de l'application de l'article L. 1221-25 du Code du travail, d'une convention collective de travail comme en l'espèce ou, on peut l'imaginer par extrapolation, d'un usage ou du contrat de travail, il demeure impossible que celui-ci aboutisse à une prorogation de la durée de l'essai. L'interdiction d'allonger l'essai par le jeu du délai de prévenance peut donc être rangée dans la catégorie des règles d'ordre public.

Cela est parfaitement compréhensible puisque la prorogation de l'essai, par respect du délai de prévenance, pourrait aboutir au dépassement des durées maximales d'essai imposées par le Code du travail (8), voire mener l'essai à comporter une durée déraisonnable, au sens de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (N° Lexbase : L4795I3Y) (9).

II - La nécessaire distinction entre délai de prévenance et délai de préavis

Incompatibilité entre essai et préavis. Il convient de relever le soin pris par la Chambre sociale dans la rédaction de sa décision.

L'article 14 de la Convention collective Syntec, comme la décision d'appel semble-t-il, fait référence à un délai de préavis à respecter en cas de rupture d'essai. La Chambre sociale reprend ce terme en l'encadrant de guillemets, montrant ainsi le choix de respecter la dénomination conventionnelle tout en se détachant des conséquences que celle-ci devrait avoir.

Quoiqu'il y ait une forte proximité conceptuelle entre les deux notions, les régimes du préavis et du délai de prévenance diffèrent légèrement. L'obligation de respecter un préavis a pour effet de maintenir les effets du contrat de travail après sa rupture qui intervient, en principe, au moment où la volonté de rompre est émise (10). La dispense de préavis de licenciement "n'a pas pour conséquence d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin" (11). S'il s'était agi d'un véritable préavis, la relation de travail aurait donc perduré jusqu'au terme de celui-ci et aurait, de fait, prorogé la durée de l'essai, ce qui, nous l'avons vu, n'est pas permis.

Cette variation de régime permet d'approcher une différence notionnelle entre prévenance et préavis. L'obligation de respecter un délai de prévenance peut être rapprochée d'une obligation d'information préalable à l'élaboration d'un acte juridique, acte juridique ici constitué par la rupture unilatérale du contrat de travail. L'obligation de respecter un préavis est plus intense, comporte un degré supplémentaire, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'informer de la rupture prochaine, mais de conférer un droit au maintien de la relation contractuelle pendant l'écoulement du délai.

La faculté de "dispenser" le salarié du délai de prévenance ? Théoriquement au moins, la distinction entre prévenance et préavis devrait emporter une autre conséquence : alors que l'employeur peut dispenser le salarié du préavis, il ne devrait pas être en mesure de le dispenser du délai de prévenance. Ce n'est pourtant pas le choix opéré par la Chambre sociale qui accepte le constat de la cour d'appel selon lequel l'employeur avait "dispensé le salarié de l'exécution" de son "préavis".

La renonciation au préavis de licenciement par l'employeur est permise par l'article L. 1234-5 du Code du travail (N° Lexbase : L1307H9B) qui dispose que si "le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice" (12) et ajoute que cette inexécution, notamment en cas de dispense de l'employeur (13), "n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise".

Si les dispositions imposant le paiement d'une indemnité compensatrice ressemblent à s'y méprendre à celles applicables lorsque le délai de prévenance n'est pas respecté avant la rupture de la période d'essai, aucun texte n'autorise l'employeur à se dispenser de son obligation de respecter ce délai de prévenance. L'indemnité compensatrice compense la perte légitime d'un droit en cas de dispense de préavis, alors qu'elle sanctionne la violation d'un droit en cas de non-respect du délai de prévenance. Il semble alors bien curieux que l'employeur puisse dispenser le salarié du bénéfice d'un droit...

Les interrogations quant à la réparation forfaitaire du manquement au délai de prévenance. Cette distinction mène encore à s'interroger sur la pertinence du choix législatif de compenser le non-respect du délai de prévenance par une indemnité calculée en fonction de la rémunération que le salarié aurait perçue s'il avait travaillé pendant la durée de celui-ci.

Cette référence est valable si la rupture est intervenue subitement alors que le respect du délai de prévenance était envisageable sans prorogation subséquente de la durée de l'essai. On peut même admettre, à la rigueur, que l'employeur puisse se dispenser, dans ce cas, du délai de prévenance, à condition de verser l'indemnité légale au salarié.

Au contraire, le respect du délai de prévenance ne pouvant aboutir au dépassement de la durée d'essai, une part de l'indemnité versée revêt un caractère forfaitaire lorsque le délai de prévenance est amputé. Cette part de l'indemnité ne correspond donc pas au préjudice subi par le salarié du fait de ne pas avoir été informé suffisamment tôt de la rupture du contrat de travail.


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) et les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL).
(2) C. trav., art. L. 1221-25 (N° Lexbase : L5804I3D) et art. L. 1221-26 (N° Lexbase : L8221IAQ).
(3) J. Ribettes-Tillhet et J.-L. Wibault, La période d'essai dans les conventions collectives, Dr. soc., 1968, p. 305.
(4) C. trav., art. L. 1221-25, préc..
(5) Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.114, FS-P+B (N° Lexbase : A9279MZP) et nos obs., L'impossible prorogation de la période d'essai par respect du délai de prévenance, Lexbase Hebdo n° 591 du 20 novembre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4707BUU).
(6) Ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, portant simplification et adaptation du droit du travail (N° Lexbase : L5689I34).
(7) C. trav., art. L. 1221-25, préc..
(8) C. trav., art. L. 1221-19 (N° Lexbase : L8751IAD) et L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3).
(9) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) et nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY) ; JCP éd. S, 2009, 1335, note J. Mouly ; SSL, 2009, n° 1406, note O. Levannier-Gouël ; Dr. ouvr., 2009, p. 607, obs. N. Bizot.
(10) La Chambre sociale juge, toutefois, que le délai de préavis ne commence à s'écouler qu'à compter de la réception par le salarié de la lettre de licenciement, v. Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-42.323, FS-P+B (N° Lexbase : A3135DSW). Le caractère non réceptice du licenciement est parfois contredit par la rédaction de certaines décisions, v. par ex. Cass. soc., 31 mars 2015, n° 13-27.196, FS-P+B (N° Lexbase : A1039NGL) et nos obs., Sanction de l'inobservation d'une garantie de fond et date du licenciement, Lexbase Hebdo n° 609 du 16 avril 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N6940BUL).
(11) C. trav., art. L. 1234-4 (N° Lexbase : L1305H99).
(12) Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-14.140, FS-P+B, préc..
(13) Dispense qui doit résulter de l'expression d'une volonté claire et non équivoque, Cass. soc., 10 avril 1991, n° 87-44.893 (N° Lexbase : A8285AGX).

Décision

Cass. soc., 16 septembre 2015, n° 14-16.713, FS-P+B (N° Lexbase : A3898NP3).

Cassation partielle (CA Versailles, 12 mars 2014).

Texte visé : C. trav., art. L. 1221-25 (N° Lexbase : L5804I3D).

Mots-clés : Période d'essai ; délai de prévenance ; préavis ; dispense.

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