La lettre juridique n°624 du 10 septembre 2015 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes - Avril à Juin 2015

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par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne

le 10 Septembre 2015

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Agrégé de droit public, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne, Membre du CERCRID (CNRS / UMR 5137), Membre du Centre de recherche en droit constitutionnel de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), Expert international, s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. La période examinée couvre avril à juin 2015. On observe un ralentissement du nombre de QPC examinées par les juridictions de renvoi et tranchées par le Conseil constitutionnel.

Avec certaines de ces décisions, la jurisprudence constitutionnelle se trouve précisée sur différents points.

On relèvera notamment qu'il n'y a pas de droit général pour les ressortissants étrangers d'accéder aux activités économiques et professions réglementées ou aux emplois publics dans les mêmes conditions que les citoyens français. Telle est la leçon que l'on peut tirer de la décision n° 2015-463 QPC du 9 avril 2015 (N° Lexbase : A2527NGP) concernant une disposition du Code de la sécurité intérieure posant une condition de nationalité pour les activités de direction d'une entreprise exerçant des activités privées de sécurité.

Par ailleurs, dans la décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 (N° Lexbase : A6684NIE), relative à l'interdiction d'interrompre la distribution d'eau dans les résidences principales, le Conseil a considéré que le législateur, "en garantissant [...] l'accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a [...] poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent". Cette association est inédite. Le Conseil constitutionnel reconnaît ainsi l'accès à l'eau comme l'une des composantes de cet objectif de valeur constitutionnelle.

Enfin, dans la décision n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015 (N° Lexbase : A6685NIG) concernant les délibérations à scrutin secret du conseil municipal, le Conseil a écarté le grief tendant à l'affirmation d'un principe de transparence. Le requérant arguait que se déduirait de l'article 6 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) combiné avec l'article 3 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L0829AH8) "un droit au profit des électeurs [...] de connaître, sauf exception décidée par la majorité d'une assemblée délibérante, les opinions et les votes des élus" et donc un principe "de la publicité des séances et des votes". Rejetant cette construction, le Conseil constitutionnel a considéré "qu'il ne résulte pas de la combinaison de ces dispositions un principe de publicité des séances et des votes lors des délibérations des assemblées locales". En somme, si on admet que le principe en question est inhérent à la notion de Gouvernement représentatif, il n'est pas applicable aux modalités de vote des organes délibérants des collectivités territoriales.

Les points forts de la période examinée concernent, d'une part, le champ d'application de la QPC par la définition des normes constitutionnelles invocables et, d'autre part, les effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel et ses suites.

I - Normes constitutionnelles invocables

L'article 1er, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) dispose que le législateur "favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales". Dans sa décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015 (N° Lexbase : A1219NHM), le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions n'instituent pas un "droit ou une liberté que la Constitution garantit", dans la mesure où il s'agit de poser une habilitation constitutionnelle du législateur à intervenir pour prévoir des règles favorables à la parité. La méconnaissance de cette disposition ne peut donc être invoquée à l'appui d'une QPC.

Cette position nous paraît fondée. L'objectif de parité fixé à l'article 1er, alinéa 2, de la Constitution a pour objet de permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales, le cas échéant en dérogeant au principe d'égalité devant la loi. Il offre à cet égard une large marge d'appréciation pour définir les dispositifs qui mériteraient d'être adoptés, ainsi que leur rythme, de même que leur caractère incitatif ou contraignant, etc.. Les termes même de la Constitution conduisaient à cette interprétation : l'emploi du verbe "favoriser", et non celui d'"établir", "assurer" ou "garantir" est symptomatique de l'intention du Constituant d'assigner au législateur un (simple) objectif. Il ressort d'ailleurs des travaux préparatoires de 1999 et 2008 qu'un objectif conçu en de tels termes n'avait pas été pensé comme pouvant être un droit invocable.

Cette solution s'inscrit dès lors dans la jurisprudence écartant du champ des normes invocables en QPC les règles constitutionnelles posant des habilitations et objectifs comme l'article 6 de la Charte de l'environnement (Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 N° Lexbase : A4205IXZ), l'article 14 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1361A9B) (Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q), le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Cons. const., décision n° 2015-459 QPC du 26 mars 2015 N° Lexbase : A4634NED), ou certaines dispositions des articles 72-1 (N° Lexbase : L8823HBE) (Cons. const., décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5938E3C) et 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) (Cons. const., décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8926E9H) de la Constitution. On le répète, le champ de la protection des "droits et libertés que la Constitution garantit" de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) ne se superpose pas exactement à celui de la vérification de la "conformité à la Constitution" de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG).

Une solution différente a été retenue concernant l'article 15 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1362A9C), aux termes duquel : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Le Conseil a jugé que cet article consacre un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution (Cons. const., décision n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015).

Cela n'allait pas de soi. A lire les commentaires officiels, le Conseil a estimé que l'article 15 -contrairement à l'article 14 consacrant le principe de consentement à l'impôt et trouvant écho dans la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC)- ne pouvait être interprété comme renvoyant à la compétence du législateur. En effet, aucun article de la Constitution ne donne un écho similaire à l'article 15. Plus encore, la lettre de l'article 15 confie le "droit de demander compte" à "la société". Ces termes sont assez flous, mais l'article en question n'évoque pas pour ce faire les représentants des citoyens comme mentionnés à l'article 14 s'agissant du droit de constater la nécessité de constater la contribution publique. Ceci semble avoir conduit le Conseil, dans le débat sur l'invocabilité en QPC, à refuser toute analogie de traitement entre ces deux articles.

Il s'agit tout de même d'une orientation originale et assez libérale.

D'une part, c'est jusqu'alors une lecture financière de l'article 15 qui avait prévalu dans la mesure où, combiné à d'autres articles, cet article a permis de dégager un principe de sincérité des comptes et un objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Il impose également un certain contrôle des comptes publics. L'article 15 pouvait donc légitimement s'analyser comme une exigence relative aux mécanismes de contrôle destinés à permettre une bonne gestion publique, de même qu'il a contribué à l'affirmation de l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.

D'autre part, il y avait matière à considérer que l'article 15 ne faisait que renvoyer au législateur le soin de définir les modalités selon lesquelles ce contrôle peut être exercé au nom de la société, dans le respect des autres règles et principes de valeur constitutionnelle. C'est la ligne qui était défendue par le Gouvernement. De surcroît, compte tenu du cas examiné, la lecture combinée de l'article 15 de la Déclaration de 1789 avec l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L0904AHX), qui renvoie expressément au législateur le soin de définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales s'administrent, incite à considérer qu'il revient au législateur de définir les conditions dans lesquelles les conseils municipaux délibèrent et règlent les affaires de la commune.

On le voit, en refusant de considérer l'article 15 de la Déclaration de 1789 comme une simple règle de compétence du législateur, non invocable en QPC, le Conseil constitutionnel a fait preuve une nouvelle fois d'une appréciation au cas pas cas de l'invocabilité. Sous réserve d'un champ d'application délimité et d'un degré de contrôle restreint, l'invocabilité de l'article 15 n'est probablement pas totalement étrangère au mouvement contemporain qui se voudrait promoteur de la transparence publique -même si cette dernière n'est pas consacrée comme un principe constitutionnel-.

Un autre enseignement est que la référence à la "société" figurant dans cet article n'exclut en rien l'existence d'un "droit de demander compte" invocable par chaque citoyen. Il y a en cela un parallèle établi avec l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), source de nombreux droits et libertés au sens de l'article 61-1 de la Constitution, ainsi que le souligne le Conseil de ses commentaires.

II - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel et ses suites

Il est à noter la censure de l'article L. 3122-2 du Code des transports (N° Lexbase : L3413I48) concernant les modalités de tarification des services de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Cette disposition imposait aux VTC des restrictions relatives à leurs modalités de tarification excessives, sans équivalent pour leurs concurrents et non justifié par un motif d'intérêt général. Elle est censurée, avec effet immédiat, sur le terrain de la liberté d'entreprendre (Cons. const., décision n° 2015-468/469/472 QPC du 22 mai 2015 N° Lexbase : A2431NIU). Il s'agissait d'imposer aux VTC une tarification forfaitaire ou sur la durée en vue de marquer la spécificité du prix horokilométrique exclusivement réservé aux taxis.

C'est une autre décision qui retient l'attention concernant la portée de la modulation dans le temps prononcée par le Conseil constitutionnel.

Dans sa décision n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014 (N° Lexbase : A8256MIM), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le paragraphe III de l'article 8 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), article relatif à l'activité de portage salarial. Pour permettre au législateur de tirer les conséquences de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation de cette disposition et a précisé "que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, avant cette même date, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité".

Par la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (N° Lexbase : L0720I7S), le législateur a habilité le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L0864AHH), à prendre par ordonnance les mesures législatives qu'appelle la déclaration d'inconstitutionnalité. Or, l'ordonnance ainsi prévue n'a été adoptée que le 2 avril 2015. De sorte que, à la date du 1er janvier 2015, le législateur n'avait pas tiré les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité. On se trouve ainsi confronté à une question importante, déjà soulevée dans cette chronique notamment. Que se passe-t-il lorsque le législateur ne tire pas les conséquences d'une déclaration d'inconstitutionnalité avant la date de l'abrogation de la disposition en cause ?

Il faut relever deux temps de réponse dans un important arrêt du Conseil d'Etat (CE, 1° et 6° s-s-r., 7 mai 2015, n° 370986, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7162NHQ).

D'une part, au visa de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), il a été logiquement jugé qu'un acte pris sur le fondement de la disposition objet de la décision du Conseil constitutionnel l'a été sur le fondement de dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution. Un requérant est donc fondé à soutenir un grief d'annulation à son encontre.

Mais, d'autre part, le Conseil d'Etat a lui-même modulé les conséquences de l'illégalité de l'acte attaqué. Il juge que "l'annulation rétroactive de l'arrêté attaqué serait à l'origine de graves incertitudes quant au statut et aux droits des salariés exerçant leur activité dans le cadre du portage salarial et serait susceptible de conduire, notamment en cas de licenciement, à de nombreux contentieux ; que, d'autre part, avant le 1er janvier 2015, tant les salariés exerçant leur activité dans le cadre du portage salarial que les entreprises qui les emploient ont pu estimer légitimement possible la conclusion de nouveaux contrats de travail en portage salarial ; qu'ainsi, une annulation rétroactive de l'arrêté attaqué aurait, dans les circonstances particulières de l'espèce, des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, compte tenu de ces effets et du motif de l'annulation prononcée, il y a lieu de prévoir que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de l'arrêté du 24 mai 2013 antérieurs au 1er janvier 2015 devront être regardés comme définitifs".

Après le pouvoir de modulation des effets dans le temps de ses décisions mis en action par le Conseil constitutionnel, on voit ainsi se déployer le pouvoir d'aménagement de l'illégalité par le Conseil d'Etat. Le second tend à atténuer le premier tout en devant nécessairement s'y insérer (effet "poupée russe"). La portée de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel se trouve restreinte, au moins ajustée, dans sa phase de concrétisation. La sécurité juridique y gagne compte tenu des circonstances particulières, c'est à peu près entendu. Au prix d'une double inconstitutionnalité non effectivement sanctionnée, celle visant les dispositions législatives censurées et celle tirée du non respect du report des effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité. Cette superposition des validations juridictionnelles ne peut qu'inciter à poursuivre l'interrogation autour du contentieux de responsabilité.

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