Réf. : Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 13-24.947, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5367NHA)
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par Solène Ringler, Maître de conférences à l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, (IDP EA 1384)
le 30 Juin 2015
Dans un arrêt en date du 27 juin 2013, la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 27 juin 2013, n° 12/08539 N° Lexbase : A9881KHG) accueille l'ensemble des demandes des propriétaires. Elle estime que la clause des conditions particulières du contrat assimilant prise de possession de l'immeuble et réception de l'ouvrage, doit être réputée non-écrite. Par ailleurs, les juges du fond prononcent la nullité du contrat et par voie de conséquence, la restitution par la société de l'ensemble des sommes perçues. Le constructeur se pourvoit en cassation. Il fait valoir que l'arrêt d'appel porte atteinte à la force obligatoire des conventions. En outre, dans la mesure où les propriétaires ont obtenu satisfaction au principal, ils ne sauraient, à titre subsidiaire, obtenir l'anéantissement du contrat.
La Cour de cassation est donc saisie à double titre. Tout d'abord, elle doit statuer sur la validité de la clause assimilant prise de possession et réception de l'ouvrage. Ensuite, elle doit déterminer si le maître de l'ouvrage peut obtenir l'annulation du contrat dans son entier, alors même qu'il a obtenu satisfaction quant à ses demandes indemnitaires. Suivant la décision des juges du fond, cet arrêt est l'occasion pour la troisième chambre civile de réaffirmer sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle, la seule possession de l'immeuble ne traduit pas la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de réceptionner les travaux. Elle casse, néanmoins, partiellement l'arrêt au visa de l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y). Si la Cour de cassation ne conteste pas que les modalités de la purge du droit de rétractation n'ont pas été respectées, l'annulation du contrat ne peut être prononcée lorsqu'il s'agit d'une demande subsidiaire, alors même que les juges du fond ont donné satisfaction aux demandeurs au principal. Cet arrêt illustre la protection dont bénéficie le maître de l'ouvrage aussi bien lors de la conclusion (I) qu'à l'achèvement des travaux (II).
I - Les modalités d'exercice du droit de rétractation du maître de l'ouvrage
En l'espèce, les propriétaires du terrain souhaitent faire valoir leur faculté de rétractation par voie de conclusions en cours d'instance, afin d'obtenir l'anéantissement du contrat et, par conséquent, la restitution de l'intégralité des sommes versées au constructeur. Ils affirment à ce titre que le contrat ne leur a pas été remis dans les formes prescrites, de sorte que leur droit de rétractation n'a pas été purgé.
L'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1988HPC) offre un droit de rétractation lors de la conclusion de tout acte ayant notamment pour objet la construction d'un immeuble à usage d'habitation. Le maître de l'ouvrage non-professionnel peut alors se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte. Le contrat ne devient alors définitif qu'à l'expiration du délai légal. Il s'agit d'un délai impératif, toute clause contraire est réputée non-écrite. Le juge judiciaire, soucieux de protéger au mieux l'acquéreur immobilier, se montre particulièrement strict quant aux conditions de notification de l'acte faisant courir le délai de rétractation (1). Le texte prévoit que la notification s'effectue par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou tout autre moyen présentant les garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception. C'est le cas, par exemple, lorsque l'acte est signifié par voie d'huissier.
Dans son régime antérieur à la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 (N° Lexbase : L2466HKK) (2), la Cour de cassation estimait que la remise en mains propres ne présentait pas les garanties nécessaires pour la détermination de la date de réception de l'acte (3). La loi du 13 juillet 2006 a inséré un nouvel alinéa à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation aux termes duquel "lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret". Le texte s'applique également lorsque le CCMI est précédé d'un contrat préliminaire. Par conséquent, l'acte peut, sous certaines conditions, être remis en mains propres au maître de l'ouvrage.
En l'espèce, la société chargée de la construction de l'immeuble souhaite se prévaloir de ces dispositions. Elle produit, à cet effet, une attestation de remise en mains propres du contrat, signée par le maître de l'ouvrage. Or, au jour de la conclusion du contrat, les dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation permettant la remise en mains propres de l'acte n'étaient pas encore applicables. En effet, le décret précisant les modalités d'application de cet article est paru le 19 décembre 2008, soit postérieurement à la signature du CCMI. Dès lors, le délai de rétractation n'a pu être purgé dans la mesure où, lors de la conclusion du contrat, la remise en mains propres ne présentait pas les garanties équivalentes à la notification par voie de lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation, dite loi "Hamon" (4) a institué un nouveau délai de rétractation au bénéfice des consommateurs lorsque le contrat est conclu "à distance" ou "hors établissement". Désormais, ils disposent d'un délai de quatorze jours pour revenir sur leur consentement (5). Pour autant, le CCMI ne semble pas atteint par le nouveau dispositif, la loi "Hamon" n'ayant pas unifié les délais sur ce point.
Constatant, en l'espèce, que le délai de rétractation n'avait pas commencé à courir, les juges du fond ont prononcé l'anéantissement du contrat et ordonné la restitution des sommes perçues par la société de construction. Le droit de rétractation valablement exercé entraîne immédiatement le recouvrement des fonds déposés en garantie (6). La Cour de cassation vient sanctionner cette décision au visa de l'article 4 du Code de procédure civile. Elle constate, effectivement, que délai de rétractation n'a pas été purgé. Pour autant, elle indique que le maître de l'ouvrage demandait, à titre subsidiaire, l'anéantissement du contrat sur ce fondement. Or, la cour d'appel ayant déjà fait droit à ses demandes principales tendant aux paiements de sommes à titre de restitution, frais de démolition et reconstruction et pénalités de retard, elle ne pouvait, sans modifier l'objet du litige, lui donner satisfaction quant à ses demandes subsidiaires tendant à l'anéantissement du contrat.
II - Les modalités de réception de l'ouvrage
En l'espèce, le débat porte, à titre principal, sur les modalités de réception de l'ouvrage. Suivant en ce sens l'arrêt des juges du fond, la Cour de cassation réaffirme que la réception d'un immeuble ne peut se déduire de la simple prise de possession (7).
L'article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX) définit la réception comme l'acte juridique par lequel le maître de l'ouvrage accepte l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle doit revêtir un caractère contradictoire (8). Le texte n'exclut pas la possibilité d'une réception tacite. Toutefois, dans cette hypothèse, les juges doivent rechercher si la prise de possession manifeste la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'immeuble (9). En l'espèce, les conditions particulières du contrat stipulaient que "toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'oeuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible". La Cour de cassation a, déjà pu, considérer que la prise de possession valait réception tacite de l'ouvrage lorsqu'elle était concomitante au paiement intégral des travaux (10). Cela n'est pas le cas lorsque le maître de l'ouvrage ne procède pas au paiement du solde du prix. Il manifeste alors, son refus de réceptionner l'ouvrage, d'autant plus, qu'il introduit une procédure à l'encontre du constructeur (11).
En l'espèce, la clause litigieuse assimile prise de possession et réception de l'ouvrage. Le constructeur met en avant la force obligatoire des conventions afin de faire appliquer cette disposition contractuelle. En effet, la détermination du jour de la réception est fondamentale car elle purge les vices et défauts de conformité apparents de l'immeuble. En matière de CCMI, les dispositions sont plus souples, car selon l'article L. 213-8 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7245ABX), "le maître de l'ouvrage peut, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours qui suivent la remise des clefs consécutive à la réception, dénoncer les vices apparents qu'il n'avait pas signalés lors de la réception afin qu'il y soit remédié dans le cadre de l'exécution du contrat". A ce titre, le constructeur fait valoir que l'intérêt du maître de l'ouvrage a été préservé puisque les conditions particulières du contrat ne font nullement obstacle à la dénonciation les vices apparents suite à la remise des clés de l'immeuble.
Pour autant, la Cour de cassation estime que la clause litigieuse n'est pas protectrice des intérêts du maître de l'ouvrage. En effet, la règlementation relative au CCMI étant d'ordre public (12), il n'est pas possible d'y déroger par convention contraire. En l'occurrence, la clause du contrat prévoyant une assimilation entre mise en possession de l'immeuble et réception de l'ouvrage doit être déclarée non-écrite. Cette stipulation ne permet pas de démontrer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'immeuble en l'état. Dès lors, les propriétaires sont parfaitement fondés à solliciter l'indemnisation de l'ensemble des préjudices subis résultant des défauts de conformité de l'immeuble, apparents ou non.
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