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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 04 Juin 2015
C'est à partir de 2013 que la jurisprudence va rendre une série de décisions, qui visent à préciser la nature et le régime de la technique du porte-fort d'exécution (I), mais qui suscitent néanmoins certaines interrogations (II).
I - Précisions sur le porte-fort d'exécution
Les précisions jurisprudentielles portent tant sur la nature que sur le régime du porte-fort d'exécution.
A - Précisions sur la nature du porte-fort d'exécution
Dans un arrêt du 18 juin 2013, la Chambre commerciale, en opérant un revirement de jurisprudence, va distinguer le porte-fort d'exécution du cautionnement (5). Elle considère alors que "l'engagement de porte-fort constitue un engagement de faire". Cette affirmation, aux allures de principe, et confirmée treize mois plus tard (6), suffit à distinguer très nettement le porte-fort d'exécution du cautionnement. En effet, ce dernier s'analyse en une obligation de donner, à savoir verser au créancier la somme due par le débiteur défaillant. Le cautionnement ne saurait donner naissance à une obligation de faire. La promesse de porte-fort, en engendrant une obligation de faire, se démarque donc nettement du cautionnement.
La distinction entre cautionnement et porte-fort d'exécution est accentuée par la Cour de cassation, qui a proclamé l'autonomie du second, d'abord par sa Chambre commerciale (7), puis par sa première chambre civile (8). Il s'agit là encore d'une importante différence entre les deux garanties. Son caractère accessoire est une donnée essentielle du cautionnement, tant sa formation, son exécution et son extinction sont intimement liées à l'obligation principale. Ce caractère accessoire est également un critère de qualification, puisqu'il permet de distinguer le cautionnement d'autres sûretés, en particulier de la garantie autonome. Qualifier, ainsi que le fait la jurisprudence, le porte-fort d'exécution d'engagement autonome l'éloigne un peu plus du cautionnement.
La Cour de cassation a eu l'occasion de souligner la véritable nature de cette garantie : en retenant que le porte-fort est tenu "des conséquences de l'inexécution de l'engagement promis", elle admet sa nature de garantie indemnitaire (9). Si le tiers n'exécute pas l'objet de la promesse, le porte-fort engagera sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire et sera, par conséquent, tenu au paiement de dommages-intérêts. S'agissant d'une garantie indemnitaire autonome, le montant de ces dommages-intérêts, qui doit couvrir le préjudice subi par le créancier, peut être inférieur, égal ou supérieur au montant de la créance garantie.
Ainsi, le porte-fort d'exécution se distingue doublement du cautionnement par son caractère autonome et parce qu'il donne naissance à une obligation de faire. Il se différencie également de la garantie autonome, laquelle engendre une obligation de donner, et non de faire. En revanche, le porte-fort d'exécution est désormais très proche de la lettre d'intention, elle-même autonome, constitutive d'une obligation de faire et de nature indemnitaire. La différence entre le porte-fort d'exécution et la lettre d'intention nous semble devoir être recherchée dans l'objet de l'obligation du promettant. Alors que le confortant s'engage de manière précise à faire ou ne pas faire quelque chose ayant une influence sur le débiteur et sur ses capacités de remboursement (par exemple maintenir sa participation dans son capital, ou surveiller sa trésorerie, ou ne pas céder ses parts, etc.), le porte-fort s'engage simplement à ce que le débiteur exécute ses obligations. Certes, un tel engagement peut supposer des interventions du promettant envers le débiteur. Mais ces actes sont moins formalisés que dans une lettre d'intention.
B - Précisions sur le régime du porte-fort d'exécution
La Cour de cassation, en précisant la nature du porte-fort d'exécution, a tiré quelques conséquences sur le régime de cette garantie.
La qualification d'engagement donnant naissance à une obligation de faire l'a logiquement amenée à exclure l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT). Ce texte, qui exige à des fins probatoires la mention de la somme ou de la quantité due, écrite par celui qui s'engage, se cantonne en effet aux obligations de verser une somme d'argent ou de livrer un bien fongible.
La qualification d'engagement autonome l'a tout aussi logiquement conduite à considérer que le tiers, dont l'engagement est garanti, peut être un incapable (11). Cette solution est parfaitement fondée. Il est possible, alors même qu'il s'agit d'un engagement accessoire, de garantir par un cautionnement la dette d'un incapable (C. civ., art. 2289, al. 2 N° Lexbase : L1118HIA). Il aurait été incongru de refuser cela dans le cadre d'un engagement autonome !
Plus étrange, mais juridiquement fondé, l'autonomie du porte-fort d'exécution permet de garantir des engagements qui ne pèsent pas sur les tiers. Si l'hypothèse peut sembler marginale, elle existe pourtant. Il en est ainsi, par exemple, d'une société qui cède sa clientèle, en se portant fort que chacun de ses associés s'abstiendra de toute intervention, directe ou indirecte, auprès de cette clientèle, alors que les associés en question ne se sont pas engagés à une telle abstention (12). Dans ce cas, le porte-fort s'engage à garantir un comportement (une abstention en l'espèce), que les tiers sont en droit de ne pas adopter.
La Cour de cassation a aussi précisé que le porte-fort assume une obligation de résultat (13). La solution est cohérente, puisque dans le porte-fort d'exécution (comme d'ailleurs dans le porte-fort de ratification), le promettant s'engage à un résultat : que les obligations souscrites par le tiers soient exécutées (ou que la convention soit ratifiée). Ainsi, si le résultat promis n'est pas obtenu, c'est-à-dire que le débiteur n'a pas exécuté ses obligations, le créancier aura droit à indemnisation, sans devoir établir l'existence d'une faute commise par le porte-fort.
La distinction nettement opérée, désormais, entre le porte-fort d'exécution et le cautionnement doit par ailleurs inciter à conclure en faveur de l'exclusion du régime du second, en particulier des dispositions protectrices de la caution. Ainsi, le promettant marié ne doit pas pouvoir invoquer l'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU) pour limiter les droits du créancier à ses biens propres et revenus. Il ne doit pas davantage pouvoir obtenir limitation de son engagement par le jeu de l'exigence de proportionnalité (C. conso., art. L. 341-4 N° Lexbase : L8753A7C). Il ne doit pas avoir droit à une information annuelle telle que celle imposée au créancier par l'article L. 341-6 du même code (N° Lexbase : L5673DLP) ou par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2501IXW). Enfin, la promesse de porte-fort ne doit pas avoir à respecter les mentions manuscrites prévues par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation.
Le porte-fort d'exécution étant assurément une garantie, il doit en revanche respecter les règles applicables à ce type d'engagement. C'est ainsi, notamment, que le dirigeant d'une société anonyme qui souhaite faire souscrire un porte-fort d'exécution à sa société devra recueillir au préalable l'autorisation du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, par application des articles L. 225-35, alinéa 4 (N° Lexbase : L5906AIL), et L. 225-68, alinéa 2 (N° Lexbase : L3636IPD), du Code de commerce.
II - Interrogations sur le porte-fort d'exécution
De ces solutions découlent plusieurs hésitations, principalement sur la nature du porte-fort d'exécution, mais aussi sur les perspectives de celui-ci.
A - Interrogations sur la nature du porte-fort d'exécution
Les deux caractéristiques fondamentales du porte-fort d'exécution telles qu'elles ressortent de la jurisprudence, à savoir engagement autonome et obligation de faire, nous paraissent mériter discussion.
En ce qui concerne le caractère autonome du porte-fort d'exécution, la question n'a, en réalité, pas véritablement lieu de se poser, s'agissant d'une garantie indemnitaire. Il a été montré avec beaucoup de pertinence que les garanties indemnitaires ne sont ni autonomes, ni accessoires (14). Le porte-fort s'engage à une obligation de faire, et non de payer la dette du débiteur. Son engagement n'est donc pas accessoire. Mais il n'est pas davantage autonome, car il n'est pas détaché de l'obligation garantie : en effet, le porte-fort sera sanctionné si cette dernière n'est pas exécutée.
En ce qui concerne la qualification d'obligation de faire, des hésitations doivent être soulignées. En effet, le porte-fort ne s'engage pas à faire quelque chose en particulier. Il a été remarqué précédemment que le confortant s'engage à faire ou ne pas faire quelque chose ayant une influence sur l'exécution de ses obligations par le débiteur. A l'inverse, le promettant ne promet pas une action spécifique : il s'engage simplement à indemniser le créancier en cas d'inexécution de la part du débiteur. Or, cet "engagement à indemniser" ne peut pas être qualifié d'obligation de faire, car l'obligation d'indemniser qui pèse sur le promettant en cas de défaillance du débiteur découle de sa responsabilité contractuelle : le promettant s'engage à ce que le débiteur s'exécute. Celui-ci est défaillant. La responsabilité contractuelle du promettant est engagée. L'indemnisation par le promettant n'est donc que la conséquence de l'inexécution, et non une obligation de faire.
Ainsi, le promettant ne s'engage pas à faire quelque chose de particulier, ni à donner. Il ne fait que promettre que le débiteur paiera (15). Cette forme de "responsabilité contractuelle du fait d'autrui" apparaît difficile à classer dans les catégories classiques (donner, faire, ne pas faire) du droit des obligations.
B - Interrogations sur les perspectives du porte-fort d'exécution
Le Code civil, depuis la réforme des sûretés réalisée par l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH), connaît trois sûretés personnelles. L'article 2287-1 (N° Lexbase : L1116HI8) énumère, en effet, le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d'intention.
Dans cette architecture, où se place le porte-fort d'exécution ? Longtemps requalifié en cautionnement (cf. supra), puis assimilé à celui-ci (cf. supra), il est désormais bien distingué de la sûreté personnelle historique. Mais cette distinction s'est faite au prix d'un rapprochement avec les lettres d'intention. Nul n'ignore que ces mêmes lettres d'intention connaissent certaines difficultés depuis que l'article 2287-1 du Code civil les qualifie de sûretés (16).
La question qui se pose est alors celle des perspectives d'avenir du porte-fort d'exécution. Y a-t-il de la place en droit français pour une quatrième forme de sûreté personnelle, très proche de la lettre d'intention? Le législateur français devrait-il insérer un nouveau texte, par exemple un article 2322-1, dans le livre IV du Code civil?
C'est à la pratique qu'il appartiendra de s'emparer du porte-fort d'exécution tel que défini et délimité par la jurisprudence récente et par celle à venir. L'avenir de cette garantie sera celui que les praticiens choisiront de lui reconnaître.
Mais il faudra néanmoins que la jurisprudence lève certaines zones d'ombre, notamment celle laissée par l'arrêt du 16 avril 2015. En effet, dans les faits ayant donné lieu à cette décision, il s'agissait incontestablement d'un porte-fort d'exécution, le porte-fort ayant stipulé qu'il se portait "en tout état de cause fort de l'exécution des engagements souscrits au titre du présent contrat". Or, la première chambre retient que "la promesse de porte-fort est un engagement personnel autonome d'une personne qui promet à son cocontractant d'obtenir l'engagement d'un tiers à son égard", ce qui fait plutôt référence au porte-fort de ratification. Il y a ici une affirmation qui pourrait entraîner certaines difficultés. Faut-il y voir l'idée que le porte-fort d'exécution se double implicitement d'un porte-fort de ratification, en partant du postulat que si le porte-fort promet l'exécution d'un contrat, cela suppose que le contrat soit conclu (17) ? Une telle thèse est séduisante, mais se heurte aux hypothèses telles que celle qu'a eu à juger la Chambre commerciale le 1er avril 2014, dans laquelle le porte-fort s'engageait à garantir un comportement, que les tiers étaient en droit de ne pas adopter (cf. supra). Ne pourrait-on pas plutôt y voir une volonté de la Cour de cassation de réunifier les deux mécanismes, en considérant que porte-fort de ratification et porte-fort d'exécution sont une même technique, donnant naissance à une obligation autonome de faire, seul l'objet de la promesse différant ?
(1) Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-13.694, F-P+B (N° Lexbase : A9461NGI), JCP éd. E, 2015, 1237, obs. N. Dissaux.
(2) P. Ancel, Les sûretés personnelles non accessoires en droit français et en droit comparé, thèse Dijon, 1981, n° 52 et s. ; Ph. Simler, Les solutions de substitution au cautionnement, JCP éd. E, 1990, II, 15659 ; Ph. Simler, De la promesse de porte-fort comme technique de substitution à certaines lettres d'intention, comme technique de garantie, JCP Actes prat., octobre 1997, p. 3 ; M. Storck, Contrats et obligations, Promesse de porte-fort, J.-Cl. Civil, art. 1120, 2003, Fasc. 7-2, n° 1, 7 et s. et n° 36 et s. Une doctrine classique minoritaire avait déjà envisagé cette fonction, notamment J. Boulanger, La promesse de porte-fort et les contrats pour autrui, thèse Caen, Dalloz, 1933, n° 3 et 4 ; Ch. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. I, Paris, Durant & Pedone, 1877, n° 222. Pour plus de détails, v. C. Aubert de Vincelles, Rép. civ., V° Porte-fort ; I. Riassetto, Lamy Droit des sûretés, Etude 150.
(3) V. par exemple, Cass. civ. 1, 27 févier 1990, n° 88-16.726, inédit (N° Lexbase : A9452C3H).
(4) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.217, F-P+B+R (N° Lexbase : A9826DLI) ; D., 2006, p. 298, obs. X. Delpech ; RTDCiv., 2006, p. 305, obs. J. Mestre et B. Fages.
(5) Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890, , FS-P+B (N° Lexbase : A1901KHU), nos obs. De la nature juridique du porte-fort d'exécution, Lexbase Hebdo n° 347 du 18 juillet 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8054BTH) ; D. 2013, p. 2561, note X. Delpech ; RTDCiv., 2013, p. 653, obs. P. Crocq.
(6) Cass. com., 8 juillet 2014, n° 13-14.777, F-D (N° Lexbase : A4051MUL).
(7) Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-10.629, F-P+B (N° Lexbase : A6286MIN), RDC, 2014, n° 4, p. 625, note J. Klein : D. Bakkouche, in Chronique de droit des obligations - Mai 2014 (2nd comm.), Lexbase Hebdo n° 569 du 8 mai 2014 - édition privée (N° Lexbase : N2037BUY).
(8) Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-13.694, préc..
(9) Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-10.629, préc..
(10) Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890, préc. ; Cass. com., 8 juillet 2014, n° 13-14.777, préc..
(11) Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-13.694, préc. : il s'agissait en l'occurrence d'un contrat conclu entre une personne âgée et une maison de retraite.
(12) Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-10.629, préc..
(13) Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-10.629, préc..
(14) C. Aubert de Vincelles, préc., n° 13 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, 6ème éd., 2012, n° 336.
(15) V. également J. François, Les sûretés personnelles, Economica 2004, n° 486 : "celui qui se porte fort de l'exécution d'une obligation pécuniaire n'est pas dans la situation d'un confortant, car il n'est pas tenu d'une obligation de faire, fut-elle de résultat" et M. Mignot, Droit des sûretés, Montchrestien, 2ème éd., 2010, n° 719 : "le porte-fort promet un fait, le paiement du débiteur, non un acte, l'influence sur lui".
(16) A. Cerles et M. Sejean, les lettres d'intention dans le Livre IV et hors le Livre IV du Code civil, Mélanges AEDBF VI, 2013, p. 167.
(17) N. Dissaux, JCP éd. E 2015, 1237, note sous Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-13.694, préc..
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