Réf. : CEDH, 23 avril 2015, Req. 26690/11 (N° Lexbase : A0405NHH)
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
le 04 Juin 2015
Un différend survint entre l'avocat et l'OPJ. Décidant d'intervenir en flagrant délit, ce dernier prit une décision de placement en garde à vue à l'encontre de l'avocat sur les qualifications de rébellion et outrages à agent de la force publique (3). C'est sur la régularité de cette mesure que se développe le débat porté devant les juridictions.
Les juridictions nationales rejetèrent les prétentions du requérant en s'appuyant sur la régularité objective de la garde à vue au regard des textes de droit interne (I). La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), quant à elle, procède à une analyse subjective des exigences de l'article 5 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (II) : elle prend en considération les éléments de contexte de l'espèce et spécialement la qualité d'avocat à l'origine de la présence du requérant dans le commissariat (III).
I - La procédure devant les juridictions internes : la régularité objective de la garde à vue
L'avocat est un citoyen comme les autres et sa garde à vue est juridiquement possible sur le fondement des articles 62-2 (N° Lexbase : L9627IPA) et suivants du Code de procédure pénale. Si, en effet, il existe des dispositions spéciales aux avocats pour les perquisitions (4), tel n'est pas le cas de la garde à vue. Aux termes de l'article 62-2 du Code de procédure pénale, l'avocat, à l'encontre duquel il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement, peut donc être maintenu à la disposition des enquêteurs par une mesure de garde à vue.
Les circonstances de l'espèce étaient telles que la décision de garde à vue avait été prise par l'OPJ victime de l'infraction. Cette circonstance n'avait cependant pas été considérée, par les juges nationaux, comme de nature à retenir le caractère arbitraire de la garde à vue dès lors qu'un OPJ extérieur était intervenu et qu'un contrôle judiciaire et administratif avaient été exercés respectivement par le ministère public et le supérieur hiérarchique de l'OPJ. Tout en reconnaissant l'existence d'un conflit d'intérêts dans une telle hypothèse, les juridictions nationales consacraient la régularité de la garde à vue au regard des textes.
Cette solution laisse cependant perplexe : est-il légitime que la victime d'une infraction puisse décider de mesures attentatoires aux libertés à l'encontre de son auteur ? A titre comparatif, il faut relever que l'article 668 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5593DYS) prévoit qu'un juge peut être récusé s'il y a eu entre lui-même, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des parties "une manifestation assez grave pour faire suspecter son impartialité". Or, tel était bien le cas en l'espèce, une altercation assez brutale ayant opposé les deux parties. Mais aucune voie de récusation similaire n'est prévue pour l'OPJ qui reste donc théoriquement compétent, même pour les infractions commises à son encontre.
Il faut cependant nuancer. Codifié au sein du Code de la sécurité intérieure, le Code de déontologie de la police nationale prévoit que le policier accomplit sa mission en toute impartialité (5). "Le policier ou le gendarme fait, dans l'exercice de ses fonctions, preuve de discernement. Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu'il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à lui apporter " (6). C'est sur ce fondement du discernement et du choix de la réponse que la solution paraît discutable.
II - La décision de la CEDH : l'analyse subjective des exigences de l'article 5 § 1
La question posée à la Cour européenne ne portait pas sur le fond de l'affaire mais sur la régularité de la garde à vue. Il s'agissait de savoir si la mesure dont l'avocat a fait l'objet, alors qu'il assistait un mineur lui-même en garde à vue, était effectuée régulièrement et de manière non arbitraire. Or, il semble que les deux questions ne doivent pas être confondues. Si la garde à vue et les mesures de fouille et d'exploration de l'alcoolémie ont été conduites conformément aux dispositions textuelles de droit interne, cela n'exclut pas a priori le caractère arbitraire de la mesure.
La CEDH donne donc raison au requérant, estimant que le placement en garde à vue n'était ni justifié, ni proportionné et que sa privation de liberté n'était pas conforme aux exigences de l'article 5 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Aux termes de cette disposition, "toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales". Au nombre des hypothèses listés par le texte, le point c) prévoit la possibilité de détenir une personne en vue de la conduire devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci.
La CEDH renvoie, dans la décision rapportée, aux dispositions de droit national et souligne l'obligation d'en respecter les conditions. Or, sur ce fondement, la garde à vue apparaît régulière et conforme aux dispositions légales. Mais la CEDH va plus loin et se réserve le pouvoir de contrôler le respect des dispositions de l'article 5 § 1 de la Convention, tant au regard de l'inobservation du droit interne que de la régularité de la détention au regard des exigences de ce texte. Elle précise, en effet que "la régularité de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel mais non décisif. Le respect du droit national n'est pas suffisant : l'article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l'individu contre l'arbitraire. Il existe un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l'article 5 § 1 et la notion 'd'arbitraire' que contient l'article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national de sorte qu'une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention". Par cette décision, la CEDH vient guider l'appréciation du caractère arbitraire des mesures privatives de liberté. Celui-ci ne s'apprécie pas uniquement objectivement compte tenu de sa régularité formelle, mais également subjectivement compte tenu des circonstances de l'espèce au regard des exigences de l'article 5 § 1. Or, sous cet éclairage, la question présentait une originalité certaine en ce que l'infraction poursuivie s'était ourdie dans les relations entre l'avocat (dans le cadre de sa mission d'assistance au gardé à vue) et l'OPJ : la rébellion et l'outrage était nés de l'insistance de l'avocat à voir ses exigences satisfaites dans le cadre de l'exercice des droits de la défense.
III - Les conséquences de la qualité d'avocat
Si l'avocat est un citoyen comme les autres, l'assimilation ne doit pas occulter les spécificités de sa mission. Plus spécialement, le requérant soulignait que son placement en garde à vue avait été décidé alors qu'il s'efforçait de faire respecter les droits de la défense de son client. La CEDH rappelle l'importance et la protection particulière que la Convention accorde à l'avocat intervenant dans l'exercice de ses fonctions. Elle rappelle que, selon la jurisprudence constante de la Cour européenne, les avocats occupent une position centrale dans l'administration de la justice en leur qualité d'intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux. Il semble donc nécessaire de s'interroger sur l'articulation des pouvoirs de l'OPJ en matière de garde à vue et la situation particulière de l'avocat. Outre la garde à vue, deux des décisions prises par l'OPJ à l'encontre d'un avocat exerçant les droits de la défense de son client sont embarrassantes :
- d'une part, la reconduite à la porte du commissariat. Bien qu'elles soient fortement divergentes, les déclarations de l'avocat et des policiers concordent sur un point : l'avocat a été reconduit hors du commissariat. Or le fait pour des policiers de ne pas autoriser l'accès de l'avocat aux locaux où se trouve son client interroge directement l'effectivité des droits de la défense et de la défense des libertés individuelles ;
- d'autre part, la confiscation des effets professionnels. L'avocat est dépositaire du secret professionnel et ne peut se voir contraint à révéler ce qui lui a été confié. Le Code de procédure pénale dispose que l'avocat peut communiquer avec son client dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien (7). Aussi, la confiscation des effets professionnels dans le cadre de la garde à vue est de nature à priver d'efficacité le cadre confidentiel de l'entretien.
En d'autres termes, si les mesures décidées à l'encontre de l'avocat sont objectivement régulières et relèvent de la compétence de l'OPJ, elles n'en demeurent pas moins incompatibles avec les exigences de l'exercice des droits de la défense. La solution de la Cour européenne n'est donc pas surprenante et dégage une règle d'interprétation de l'article 5 § 1 imposant une appréciation subjective du caractère arbitraire de la garde à vue, compte tenu des circonstances de l'espèce.
Sans doute la solution aurait elle été différente si l'OPJ avait réagi sur le fondement déontologique.
L'avocat ne jouit d'aucun privilège et est soumis pour les actes qu'il commet au même régime que les autres citoyens. Il doit répondre devant les juridictions judiciaires des fautes professionnelles et non professionnelles qui peuvent lui être reprochées directement (8). Mais, il est réciproquement soumis à des règles déontologiques strictes qui érigent la profession en véritable ministère. Les "principes essentiels de la profession" guident ainsi le comportement de l'avocat en toutes circonstances (9) et, partant, dans ses relations avec les forces de police. Différentes obligations s'imposent à lui :
- de façon générale, il exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité dans le respect des termes de son serment (10) ;
- la formulation des textes traduit la distinction, par le législateur, d'une autre série d'obligation s'imposant à l'avocat "en outre" et comprenant les principes d'honneur, loyauté, désintéressement, confraternité, délicatesse, modération et courtoisie ;
- enfin, une troisième série d'obligations vient organiser les relations de l'avocat et de ses clients : ce sont alors des obligations de compétence, dévouement, diligence et prudence qui sont posées.
Au final, il aurait probablement été plus judicieux et plus pertinent de poursuivre le comportement de l'avocat sur un fondement déontologique : seuls les représentants du barreau sont en mesure d'apprécier l'équilibre entre le comportement dénoncé par l'OPJ et les nécessités de l'exercice des droits de la défense.
(1) C. proc. pén., art. 63-3 (N° Lexbase : L9745IPM).
(2) C. proc. pén., art. 63-4-3 (N° Lexbase : L9632IPG).
(3) Faits prévus et réprimés par les dispositions des articles 433-5 (N° Lexbase : L1857AMQ) et 433-6 (N° Lexbase : L2033AMA) du Code pénal.
(4) C. proc. pén., art. 56-1.
(5) C. secu. int., art. R. 434-11 (N° Lexbase : L9233IYM).
(6 C. secu. int., art.. R. 434-10 (N° Lexbase : L9232IYL).
(7) C. proc. pén., art. 63-4.
(8) J.-J. Taisne, M. Douchy-Oudot, Avocats, Rép. proc. civ., 2015, n° 667.
(9) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) ; règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8).
(10) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, art. 3, al. 1.
(11) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, art. 3, al. 2.
(12) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, art. 3, al. 3.
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