Lexbase Public n°361 du 5 février 2015 : Marchés publics

[Jurisprudence] Décompte général et définitif : la notification par le maître d'oeuvre n'est pas obligatoire

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2015, n° 374659, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9901M9L)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 17 Mars 2015

Dans un arrêt rendu le 19 janvier 2015, le Conseil d'Etat a dit pour droit que, si, aux termes de l'article 13.42 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 (N° Lexbase : L4632GU4), "le décompte général signé par la personne responsable du marché doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service [...]", ces dispositions n'imposent pas que le décompte général soit notifié par le maître d'oeuvre. La cour administrative d'appel (CAA Lyon, 14 novembre 2013, n° 12LY02470) a donc commis une erreur de droit en jugeant irrégulière une notification du décompte général, signé par le maître d'oeuvre, mais notifiée par le maître d'ouvrage. I - Par marché conclu le 30 juillet 2007, une commune a confié à la société X l'installation d'un générateur photovoltaïque sur le groupe scolaire de la commune, raccordé au réseau de distribution d'électricité. Le maître d'ouvrage a notifié à cette société un décompte général, retenant des pénalités de retard, par lettre recommandée avec accusé de réception. La commune a émis, le 17 mars 2009, un titre exécutoire à l'encontre de la société X au titre du solde du marché. Par jugement du 13 juillet 2012, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les deux demandes de la société tendant, d'une part, à l'annulation du titre exécutoire et, d'autre part, à la condamnation de la commune à l'indemniser pour le règlement du marché. La cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et le titre exécutoire et condamné la commune à indemniser la société. Les juges du Palais-Royal rappellent qu'aux termes de l'article 13.42 du CCAG "travaux", approuvé par le décret du 21 janvier 1976 (N° Lexbase : L4632GU4) et alors en vigueur : "le décompte général signé par la personne responsable du marché doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service avant la plus tardive des deux dates ci-après : quarante-cinq jours après la date de remise du projet de décompte final ; trente jours après la publication de l'index de référence permettant la révision du solde [...]". Ces dispositions n'imposent donc pas, selon eux, pas que le décompte général soit notifié par le maître d'oeuvre. Alors que l'article 13.42 précise que le décompte "doit être notifié par ordre de service" ne laissant guère de doute sur le caractère impératif de ce formalisme, le plus important est que le décompte signé par le maître d'ouvrage parvienne à l'entreprise, quel que soit finalement son mode de transmission, avant l'expiration des délais prévus, à savoir quarante-cinq jours suivant la date de remise du projet de décompte final (1).

Rappelons que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L'ensemble des conséquences financières de l'exécution du marché est retracé dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Il revient, notamment, aux parties d'y mentionner les conséquences financières de retards dans l'exécution du marché ou le coût de réparations imputables à des malfaçons dont est responsable le titulaire. Dès 2007, le Conseil d'Etat avait précisé les rôles respectifs de la réception des travaux et de l'intervention du décompte général et définitif sur les relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les constructeurs (CE, Sect., 6 avril 2007, n° 264490, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9305DU8). Concernant le premier point, la réception des travaux met fin aux relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage : après réception, seule la partie des travaux ayant fait l'objet de réserves peut encore faire l'objet d'une obligation contractuelle de la part de l'un ou l'autre des constructeurs. Par ailleurs, pèse encore sur le maître d'oeuvre deux obligations contractuelles, l'une relative à son devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux (CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2005, n° 261478, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6364DIK), et l'autre relative au contrôle des situations de travaux et à l'établissement des décomptes des entrepreneurs (CE 8° et 9° s-s-r., 1er octobre 1993, n° 60526, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0979ANL). En cas de réception avec réserves, la continuation des rapports contractuels ne peut avoir lieu au seul titre des travaux objets des réserves (CE 2° et 7° s-s-r., 16 janvier 2012, n° 352122, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1549IBY).

Sur le second point, concernant le règlement des droits et obligations financiers nés du contrat, l'arrêt n° 264490 du 6 avril 2007 avait précisé que seule l'intervention du décompte général et définitif met fin aux droits et obligations financiers nés du contrat, la réception des travaux n'ayant aucun effet à cet égard. Ce principe n'est pas nouveau puisqu'il n'est qu'une application de la formule jurisprudentielle aux termes de laquelle : "l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors du décompte définitif détermine les droits et obligations des parties" (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 1961, n° 50341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8008DRZ, CE 2° et 6° s-s-r., 4 décembre 1987, n° 56108, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3512APR, CE 7° et 10° s-s-r., 21 juin 1999, n° 151917, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4374AXB). Ce point est important car, en l'absence de décompte général et définitif, des réclamations contractuelles peuvent toujours être formées s'agissant de ces divers éléments : le prix des travaux commandés et exécutés, l'augmentation des prestations qui peut prendre la forme d'un ouvrage nouveau ou, plus généralement, de travaux supplémentaires ou plus abondants, et comprendre le préjudice éventuellement causé par l'augmentation du volume des travaux, la diminution de la masse des travaux, les pénalités de retard, ainsi qu'une éventuelle créance de la personne publique liée à la qualité de la prestation. Le Conseil d'Etat cite, notamment, parmi ces éléments, les retards et travaux supplémentaires et admet qu'en l'absence de ce décompte général et définitif, la responsabilité contractuelle des entrepreneurs soit engagée en dépit de la réception des travaux.

II - La jurisprudence du Conseil d'Etat est assez pointilleuse quant au respect du formalisme imposé par le CCAG "travaux" pour l'établissement du décompte général définitif, ce qui tranche avec la position adoptée par celui-ci en l'espèce. En effet, les juges du Palais-Royal estiment que les dispositions de l'article 13.42 du CCAG "travaux" "n'imposent pas que le décompte général soit notifié par le maître d'oeuvre", alors que si on se reporte à la lettre du texte, celui-ci énonce que celui-ci "doit être notifié par ordre de service". Ce formalisme a une raison bien précise : le règlement financier d'un marché est enfermé dans un décompte général qui, une fois signé et accepté, devient unique, exhaustif et définitif. C'est la règle de l'intangibilité. C'est l'approbation par l'entrepreneur du décompte général signé par le maître de l'ouvrage ou l'expiration du délai de réclamation laissé à l'entrepreneur qui confère à ce décompte son caractère définitif et intangible, lequel a notamment pour effet d'interdire aux parties toute contestation ultérieure sur les éléments de ce décompte. Lorsque la personne responsable du marché s'abstient de notifier dans les conditions prévues par l'article 13-42 précité le décompte général à l'entrepreneur, le décompte général ne peut être regardé comme étant devenu définitif ni à l'égard du maître de l'ouvrage, ni à l'égard de l'entrepreneur et peut, ainsi, être contesté devant le juge du contrat (CE 7° et 5° s-s-r., 22 février 2002, n° 212808, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1716AY9, voir aussi CE 5° et 7° s-s-r., 28 septembre 2001, n° 182761, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4395AWP). L'application de cette règle est stricte et ne connaît que de rares exceptions. Devant le juge, cependant, son opposabilité n'est pas d'ordre public, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 3 novembre 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 3 novembre 2014, n° 372040, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9411MZL). Dans une affaire où, précisément, le décompte général n'avait pas été notifié par ordre de service, le Conseil d'Etat avait jugé que, ne "pouvait être regardé comme le décompte général d'un marché un document dont ni l'intitulé, ni le contenu, ni les modalités de notification ne sont conformes aux prescriptions du cahier des clauses administratives générales applicable au marché" (CE 7° s-s., 26 mars 2004, n° 219974, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6404DBS).

Comme rappelé infra, dans le CCAG "travaux" de 1976, le décompte général signé par la personne responsable du marché devait être notifié à l'entrepreneur par ordre de service dans les quarante-cinq jours suivant la date de remise du projet de décompte final (article 13.42). Dans le CCAG "travaux" de 2009, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général dans un délai de quarante jours, devenu trente jours depuis le 1er avril 2014 (date d'entrée en vigueur de l'arrêté du 3 mars 2014 (N° Lexbase : L6809IZ9), modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009, portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux) après la date de remise au maître d'oeuvre du projet de décompte final par le titulaire (article 13.4.2). Outre le respect du délai de 45, de 40 ou de 30 jours selon que l'on se situe dans le cadre des stipulations du CCAG "travaux" de 1976 ou du CCAG "travaux" de 2009 avant ou après l'arrêté du 3 mars 2014, se pose la question du formalisme de la notification. Le CCAG "travaux" de 1976 précisait que la notification devait se faire par ordre de service. Tirant les enseignements d'une jurisprudence pragmatique en la matière, le CCAG "travaux" de 2009 n'impose plus ce formalisme.

En effet, dès 2006, la cour administrative d'appel de Nantes avait jugé que "les stipulations précitées de l'article 2.51 du CCAG lesquelles prévoient que les ordres de service doivent être datés, numérotés et signés par le maître d'oeuvre n'ont pas pour objet de priver le maître de l'ouvrage du pouvoir de direction et de contrôle de l'exécution du marché qui est le sien ; que par suite, la circonstance que l'article 13.42 du CCAG dispose que le décompte général doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service ne faisait pas obstacle à ce que le président de la région Centre notifie lui-même, ainsi qu'il l'a fait par courrier adressé à la société [X], le décompte général du marché résilié ; que, dès lors, la SARL [X] n'est pas fondée à soutenir que la notification du décompte en litige était irrégulière au motif tiré de l'incompétence du maître de l'ouvrage en la matière" (CAA Nantes, 17 mars 2006, n° 05NT00602 N° Lexbase : A4710DQI ; voir, également, CAA Nantes, 31 octobre 2013, n° 12NT01444 N° Lexbase : A8314MLI).

La cour administrative d'appel de Douai avait, quant à elle, considéré que "la circonstance que cette notification ne soit pas intervenue sous la forme d'un ordre de service établi par le maître d'oeuvre ainsi que le prévoit l'article 2.51 du même cahier, mais par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée directement par la personne responsable du marché, qui équivaut à un tel ordre de service, n'entache pas, par conséquent, cette notification d'irrégularité" (CAA Douai, 1ère ch., 12 avril 2007, n° 05DA00404 N° Lexbase : A2862DWW). Enfin, selon la cour administrative d'appel de Paris, la notification était régulière dès lors qu'elle avait permis à l'entreprise de savoir qu'il s'agissait du décompte général et qu'elle lui avait permis d'établir la date à partir de laquelle courrait le délai de 45 jours (CAA Paris, 18 décembre 2012, n° 10PA05735 N° Lexbase : A1582I84). La notification du décompte général est régulière, et donc fait courir le délai d'opposition, si elle est effectuée par ordre de service du représentant du pouvoir adjudicateur ou par ordre de service, voire par lettre recommandée avec accusé de réception du pouvoir adjudicateur lui-même (2).

Dans l'arrêt rapporté, l'irrégularité de la notification du décompte général demeure, le décompte notifié à l'entreprise étant signé par le maître d'oeuvre et non par un représentant du maître d'ouvrage ayant la qualité d'ordonnateur. L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon à laquelle reviendra donc la tâche délicate de trancher la question de savoir si la position fluctuante du Conseil doit être validée ou sanctionnée.


(1) A. Latrêche, Notification du décompte général : l'ordre de service n'est pas obligatoire !, Le Moniteur, 27 janvier 2015.
(2) J. Bonnat, L'intangibilité du décompte général n'est pas d'ordre public, Lexbase Hebdo n° 354 du 4 décembre 2014 - édition publique (N° Lexbase : N4895BUT).

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