Réf. : Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-60.262, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2106MYN)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 23 Octobre 2014
Résumé
Si le renouvellement des membres du CHSCT ne peut avoir pour effet de mettre fin aux mandats en cours avant leur date d'expiration, l'employeur, afin d'assurer la permanence de l'institution, peut réunir le collège désignatif avant le terme ultime de ces mandats, les désignations, ainsi effectuées, ne prenant effet qu'à ce terme. |
Commentaire
I - L'anticipation permise du renouvellement des membres du CHSCT
Les modalités de désignation des membres du CHSCT. La désignation des membres du CHSCT est un peu particulière parmi les différentes élections des représentants du personnel. Il s'agit, en effet, de l'une des hypothèses d'élection au suffrage indirect (1), puisque ses membres ne sont pas élus par l'ensemble des salariés de l'entreprise mais par un collège désignatif lui-même composé d'élus.
L'article L. 4613-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1779H9R) dispose ainsi que les membres du CHSCT sont "désignés par un collège constitué par les membres élus du comité d'entreprise et les délégués du personnel" (2). Quant aux modalités de cette désignation, le législateur s'en remet au pouvoir réglementaire qui en a dessiné les contours aux articles R. 4613-1 et suivants du Code (N° Lexbase : L8996H93) (3).
Date de réunion du collège désignatif. On y apprend, ainsi, que les membres du CHSCT sont désignés par le collège pour un mandat de deux ans renouvelable, qu'un renouvellement partiel peut intervenir si un membre quitte ses fonctions au moins trois mois avant l'expiration de son mandat (4). En cas de renouvellement, total ou partiel, "le collège chargé de désigner les membres de la représentation du personnel se réunit dans un délai de quinze jours à compter des dates d'expiration du mandat ou d'ouverture de la vacance" (5). Cette disposition, qui détermine la date de réunion du collège, a déjà fait difficulté.
Ainsi, dans une affaire jugée en 2004, la Chambre sociale avait été saisie d'une affaire dans laquelle un employeur avait réuni le collège désignatif, deux jours avant l'expiration des mandats (6). Rejetant le pourvoi formé contre le jugement du tribunal d'instance qui avait annulé la désignation des membres du CHSCT, la Chambre sociale considérait que "tout renouvellement du CHSCT ne peut intervenir qu'à compter du terme [des] mandats".
Il faut croire, toutefois, que la règle n'est pas entrée dans les habitudes des dirigeants d'entreprise qui ont parfois continué d'anticiper la désignation. Il est vrai, à leur décharge, que la règle adoptée pour le CHSCT est inhabituelle. En effet, le renouvellement de la délégation du personnel (7) comme du comité d'entreprise (8) doit être préparé avant l'expiration des mandats.
C'est à un problème de date similaire qu'était confrontée la Chambre sociale dans l'affaire présentée.
L'espèce. Alors que le mandat des représentants au CHSCT expirait le 20 juillet 2013, l'employeur avait convoqué les membres du collège désignatif le 19 juillet (9). Contrairement à ce qui s'était produit en 2004, le tribunal d'instance de Saint-Germain-en-Laye valida l'élection contestée par l'union locale CGT qui forma pourvoi en cassation.
Par un arrêt rendu le 8 octobre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle juge que "si le renouvellement des membres du CHSCT ne peut avoir pour effet de mettre fin aux mandats en cours avant leur date d'expiration, l'employeur, afin d'assurer la permanence de l'institution, peut réunir le collège désignatif avant le terme ultime de ces mandats, les désignations ainsi effectuées ne prenant effet qu'à ce terme".
C'est donc à un véritable revirement de jurisprudence que procède la Chambre sociale sur la question de la date de réunion du collège désignatif, qui peut désormais être légitimement réuni avant l'expiration des mandats. La Haute juridiction confirme toutefois la règle déjà posée en 2004 selon laquelle la désignation ne saurait mettre un terme aux mandats en cours, ce qui contreviendrait très clairement à la règle fixant la durée du mandat des membres du CHSCT à deux années, dont on peut penser qu'elle est d'ordre public absolu (10).
II - L'anticipation discutable du renouvellement des membres du CHSCT
Une interprétation contra legem du Code du travail. S'il avait été relevé que la Chambre sociale avait fait, en 2004, une interprétation littérale des textes, celle qui soutient la décision présentée est au contraire fort audacieuse, tant les textes semblaient dépourvus de toute ambiguïté. En disposant que le collège "se réunit dans un délai de quinze jours à compter des dates d'expiration du mandat", l'article R. 4613-6 ne souffre, en effet, d'aucune difficulté d'interprétation, et l'on ne peut donc qu'être étonné que le juge s'écarte de la clarté de cette lettre.
Malgré ce texte, il semblait permis que des réunions préparatoires puissent avoir lieu avant l'expiration des mandats (11). A la rigueur, on pouvait même envisager qu'un accord unanime des membres du collège désignatif autorise l'anticipation, puisque la Chambre sociale permet à ces accords d'aménager les modalités de désignation des membres de la délégation du personnel au CHSCT (12). Il paraissait, en revanche, difficile d'aller plus loin dans l'interprétation de l'article R. 4613-6 du Code du travail. Comment, dès lors, expliquer cette décision ?
L'argument avancé : la permanence de l'institution. La Chambre sociale semble justifier sa décision par la volonté de l'employeur "d'assurer la permanence de l'institution", ce qui est sans aucun doute fort louable et est techniquement juste, puisque aucune vacance de l'institution n'interviendra en cas d'anticipation. L'argument, pourtant, ne convainc pas totalement, cela pour au moins deux raisons.
D'abord parce que, même si le CHSCT a pris une ampleur très importante dans l'entreprise depuis une quinzaine d'années, ses missions ne sont pas d'une intensité telle que leur réalisation soit entravée par une vacance de quelques jours après l'expiration des mandats. Bien que cette cadence puisse être augmentée autant que de besoin, le CHSCT se réunit une fois par trimestre en principe (13). Bien sûr, une réunion exceptionnelle peut être nécessaire à la suite d'un événement particulier, mais la Cour de cassation semble accepter qu'un délai de quelques jours puisse s'écouler entre la survenance de cet événement et la réunion du comité (14).
Seule la réunion en cas de danger grave et imminent, qui doit intervenir dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures, peut justifier la recherche d'une permanence parfaite de l'institution (15). La réunion devrait toutefois être reportée si, comme l'article R. 4613-6 du Code du travail le prévoit justement, le collège désignatif se réunit plusieurs jours après l'expiration des mandats. L'exigence de permanence est donc relativisée par le Code du travail lui-même.
Ensuite parce que, malgré la désignation antérieure à l'expiration des mandats, la mise en place d'une nouvelle équipe de représentants du personnel au CHSCT impliquera nécessairement, comme dans tout type d'institution collective dont tout ou partie des membres sont renouvelés, un temps de rodage et d'adaptation qui entravera la permanence de l'action de ce collectif. Quand bien même une vacance temporaire serait effectivement évitée, cela n'empêcherait pas une période de flottement durant laquelle la permanence ne pourrait être parfaitement assurée.
La sanction d'une action abusive : de minimis non curat praetor. A la réflexion, l'acceptation d'une anticipation contra legem de la réunion du collège désignatif semble surtout tenir à la suspicion que l'on peut légitimement avoir quant au sérieux de l'action introduite par l'union locale CGT.
En effet, la désignation n'a pas eu lieu plusieurs mois à l'avance mais la veille de la date prévue. Le juge judiciaire considère ici qu'il ne doit pas s'intéresser de si petites choses, le manquement de l'employeur à la règle pouvant être considéré comme véniel (16). La désignation précoce de vingt-quatre heures ne peut certainement pas avoir pesé sur la sincérité du scrutin ni, d'ailleurs, entravé le bon fonctionnement de l'équipe dont le mandat s'achevait. Le préjudice était en somme insignifiant. Toutefois, Il fallait bien agrémenter ce choix d'une exigence de permanence tant, à d'autres occasions, la Chambre sociale se montre plus rigoureuse à l'égard du respect de délais (17).
Les limites de l'anticipation. Reste que ce revirement de jurisprudence interroge sur les délais qui pourront désormais être admis par le juge judiciaire. Dans la redondance, voire le pléonasme de la Chambre sociale, selon laquelle le collège peut être réuni avant le "terme ultime", on perçoit un avertissement : la désignation ne doit pas être trop anticipée, sans que l'on sache vraiment quel délai sera acceptable.
Une première hypothèse résiderait dans un raisonnement par analogie avec les élections des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise qui doivent être organisées moins de quinze jours avant l'échéance des mandats. L'adoption de ce délai aurait l'avantage de la cohérence, y compris d'ailleurs par effet de miroir, avec le régime de désignation des membres du CHSCT qui peut avoir lieu jusqu'à quinze jours après l'expiration des mandats.
Une seconde hypothèse reviendrait à rechercher, comme cela est souvent le cas en matière électorale, si l'irrégularité du scrutin organisé trop tôt a eu des conséquences sur la sincérité des votes (18). L'évaluation des conséquences d'un scrutin précoce serait alors davantage laissé à l'appréciation des juges du fond ce qui, dans ce genre d'affaire, ne serait guère satisfaisant en termes de sécurité juridique.
(1) Les hypothèses de scrutin indirect sont relativement peu nombreuses. On peut évoquer l'élection des membres du comité central d'entreprise (C. trav., art. L. 2327-3, N° Lexbase : L9887H8P) ou l'élection de représentants des salariés aux organes d'une société (C. trav., art. L. 2323-62, N° Lexbase : L2888H9T et art. L. 2323-67, N° Lexbase : L2904H9G).
(2) Sur la composition du collège, v. J.-B. Cottin, Le CHSCT, éd. Lamy, coll. Axe Droit, 2ème éd., 2012, n° 103 et s..
(3) C. trav., art. L. 4613-2 (N° Lexbase : L1781H9T).
(4) C. trav., art. R. 4613-5 (N° Lexbase : L8983H9L).
(5) C. trav., art. R. 4613-6 (N° Lexbase : L8980H9H).
(6) Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 02-60.225, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7579DAX) et les obs. de C. Alour, La date de renouvellement des mandats des membres du CHSCT, Lexbase Hebdo n° 104 du 22 janvier 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0206ABA) ; RJS, 2004, n° 319 ; JSL, 2004, n° 141, note C. P..
(7) C. trav., art. L. 2314-3, al. 3 (N° Lexbase : L5796I33).
(8) C. trav., art. L. 2324-4, al. 3 (N° Lexbase : L5799I38).
(9) On pourra relever que le 20 juillet 2013 tombait un samedi et envisager qu'il ne s'agissait pas d'un jour ouvré.
(10) Soutenant cette opinion, v. B. Teyssié, L'organisation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, JCP éd. S, 2007, 1439. V. également C. Alour, préc..
(11) J.-B. Cottin, préc., n° 113.
(12) Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 06-60.012, FS-P+B (N° Lexbase : A0470DS9) et nos obs., L'aménagement des modalités de désignation des représentants salariés au CHSCT, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4858ALI).
(13) C. trav., art. L. 4614-7 (N° Lexbase : L1802H9M).
(14) La Chambre criminelle a jugé qu'un délai de trois semaines écoulé entre l'événement et la réunion du CHSCT était excessif : Cass. crim., 21 novembre 2000, n° 00-81.488 (N° Lexbase : A0237AZS) ; J.-B. Cottin, préc..
(15) C. trav., art. L. 4132-3 (N° Lexbase : L1476H9K).
(16) De minimis non curat praetor, v. H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., p. 150.
(17) En témoigne, par exemple, le décompte strict, en jours calendaires, de la durée d'essai, v. Cass. soc., 29 juin 2005, n° 02-45.701, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8387DIH) ; Cass. soc., deux arrêts, 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9) et n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA) et nos obs., L'incohérence du décompte de la période d'essai en jours calendaires, Lexbase Hebdo n° 439 du 12 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1508BSN).
(18) Bien que les textes visent ici une "désignation" des membres du comité, il s'agit bien d'un scrutin indirect si bien que, par exemple, le vote doit impérativement avoir lieu à bulletin secret, v. Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 06-60.012, FS-P+B, préc..
Décision
Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-60.262, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2106MYN). Rejet (TI Saint-Germain-en-Laye, 8 octobre 2013). Textes concernés : C. trav., art. R. 4613-5 (N° Lexbase : L8983H9L) et R. 4613-6 (N° Lexbase : L8980H9H). Mots-clés : comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail ; désignation ; collège désignatif ; réunion. Lien base : (N° Lexbase : E3383ETH). |
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