La lettre juridique n°588 du 23 octobre 2014 : Éditorial

Des ressorts de la liberté d'expression du "sextrémisme" au regard du courage et de la tolérance

Lecture: 5 min

N4236BUG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Des ressorts de la liberté d'expression du "sextrémisme" au regard du courage et de la tolérance. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/21346706-des-ressorts-de-la-liberte-dexpression-du-sextremisme-au-regard-du-courage-et-de-la-tolerance
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 23 Octobre 2014


Comme il aurait été facile d'aborder le procès des Femen sous le seul prisme de la pudeur. Mais, comme nous l'avions évoqué, il y a peu, au sujet des consultations médicales et de l'emploi de technologies avancées pour retrouver le respect de l'intimité dû aux corps examinés, la pudeur est d'une appréhension toute relative, puisque d'essence plus culturelle, voire cultuelle, qu'universelle. Non, il apparaît, dès lors, plus intéressant d'analyser le "sextrémisme", faisant la promotion de ses opinions sur des poitrines (féminines) dénudées, suscitant ainsi l'attention des masses (sur le message ? ou la messagère ?), au regard du courage et de la tolérance, puisque ce sont ces vertus sur lesquelles s'appuie la liberté d'expression que ces militantes invoquent pour échapper à toute sanction pénale.

Sauf troubles de l'ordre public, la démocratie et son bras armé, la justice, n'ont que faire de défilés plus provocateurs que provocants. Bien entendu, l'action des Femen se mesure à l'aune de leur intrusion dans les églises et des actes sacrilèges, au sens propre du terme et sans connotation ici péjorative, qu'elles exécutent. Le dernier procès en date, en cours de délibération pour le 17 décembre 2014, doit juger de la présence dans une église d'une femme, "armée de seins nus" -puisque c'est la terminologie guerrière employée par elle-même-, près de l'autel, meurtrissant des foies de veau pour symboliser le foetus avorté de Jésus Christ et, apprend-on, pour dénoncer ainsi les positions anti-avortement de l'Eglise catholique.

Que la liberté d'expression soit en cause ; il n'en fait aucun doute. Que cette liberté doive être préservée, protégée et promue comme l'expression d'une forme de courage dans une société démocratique face aux totalitarismes idéologiques ; l'affaire va sans dire. Mais l'on sait que cette liberté se confronte et doit plier devant l'injure et l'outrage, d'abord. Ensuite, qu'il soit permis de s'interroger sur le prétendu courage avec lequel semble s'armer ces militantes pour défier l'autorité spirituelle et promouvoir leurs opinions. Enfin, la tolérance serait-elle alors ici de bon aloi ? Ou, au contraire, l'intolérance ferait-elle vivre et s'émanciper ce mouvement militant ? L'action de l'Eglise portée devant les tribunaux ne lui donne-t-elle, tout simplement, pas la caisse de résonance nécessaire pour assurer son existence ?

Primo. Si la défense de la liberté d'expression requiert courage et attention de chaque instant face au totalitarisme et à l'indifférence de l'oppression, l'action des Femen peut-elle s'apparenter à une manifestation, un militantisme, courageux ? Pour sûr, croirait-on, reconnaître que commettre des exactions dans un lieu interdit pour exprimer ses opinions comme une forme de courage, vertu universellement admirée, permettrait d'attirer le respect, du moins une certaine sympathie, sur ce militantisme provocateur. Mais attention aux paradoxes du courage.

D'abord, "le courage n'est pas une vertu, mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes", écrivait Voltaire. Il est aussi bien le corollaire du bien que du mal. Ensuite, le courage d'exprimer ses opinions, comme n'importe quelle manifestation du courage, n'est-il moralement estimable que lorsqu'il se met, au moins partiellement, au service d'autrui, ou lorsqu'il échappe, peu ou prou, à l'intérêt égoïste immédiat, précise André Comte-Sponville. Aussi, n'y-a-t-il pas lieu, en l'espèce, de considérer que la gloire personnelle recherchée par ces militantes de choc l'emporterait sur la promotion d'un message altruiste ? Enfin, le courage n'est pas gage de vérité. Et si le message religieux peut passer pour totalitaire, car exprimant une vérité qui se veut universelle plus qu'une opinion ou une foi personnelle, l'action des Femen dans les églises, pour courageuse qu'elle puisse encore paraître, conditionne-t-elle cette contre-vérité, vérité substitutive, recherchée ? Le courage serait "la science des choses à craindre et de celles à ne pas craindre" enseignait Platon dans son Protagoras. Mais, dans ce cas, si le courage est une science, toute peur disparaît. Or, le courage suppose la peur et en ce cas soit l'action des Femen relève de la vérité, soit elle est courageuse, mais difficilement les deux en même temps ! La science rassure, elle est présentée comme vérité, mais n'a-t-elle jamais donné du courage ? Finalement, à la suite de Jankélévitch, le courage n'est pas un savoir mais bien une décision, n'est pas une opinion, mais bien une action... Dès lors, peut-on vraiment avoir le courage de ses opinions ?

L'autre paradoxe du courage, c'est que les militantes "sextremistes" rechigneraient elles-mêmes à voir leur action comme marquée de son empreinte ; tout simplement parce que le courage n'existe, comme nous l'avons déjà évoqué, que lorsqu'il est confronté à la peur. Il faudrait, dès lors, reconnaître que la vérité endoctrinée par l'Eglise et la force spirituelle du lieu profané fassent peur à ces "Bayard aux seins nus".

Il n'est par conséquent pas simple de caractériser le courage de ces militantes extrêmes lorsqu'elles s'attaquent, sans véritable peur, aux canons de l'Eglise en son sein.

Secundo. Au nom de la liberté d'expression, chacun pourrait convenir d'une certaine tolérance. La laïcité commande cette tolérance envers le fait et la conviction religieuses, aussi bien qu'envers l'athéisme. Pour autant, on sait que la tolérance absolue est intolérable ; qu'une société fondée sur la tolérance universelle s'autodétruirait, car elle tolérerait le pire comme le meilleur : c'est le paradoxe de Karl Popper. "La tolérance illimitée doit mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. [...] Nous devrions revendiquer le droit de les supprimer (les intolérants), au besoin, même par la force [...]. Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l'intolérant".

Etre tolérant c'est finalement ne pas tout tolérer ! "La tolérance n'intervient qu'à défaut de connaissance, tandis que la liberté d'esprit est la connaissance même en tant qu'elle nous libère de tout et de nous-même" disait Alain. Si tolérer c'est prendre sur soi, on comprend que la vérité du christianisme ne peut prendre sur soi la violation de ses convictions les plus profondes. L'intolérance de l'Eglise est donc des plus, sinon légitime, du moins envisageable. Et, même à se faire l'avocat du diable, "le juste doit être guidé par les principes de la justice et non par le fait que l'injuste ne peut se plaindre" écrivait Rawls dans Théorie de la justice ; si bien que les positions de l'Eglise, même considérées comme injustes par les Femen, ont le droit d'être défendues parce qu'outragées.

Reste que seule "l'insolence d'un culte dominateur" a pu nommer "tolérance" la permission donnée par des hommes à d'autres hommes, remarque Condorcet. Assurément, puisque cette tolérance serait la marque d'une condescendance (bourgeoise) que ne saurait souffrir le militantisme "sextrémiste", il est certain que les Femen ne recherchent aucune tolérance de leurs actes ni de la société, ni moins encore de l'Eglise.

Décidément, la liberté d'expression a bien maille à partir avec les actions provocatrices à la lisière de l'injure et de l'outrage, lorsque le courage fait défaut et la tolérance à leur égard n'est même pas recherchée.

newsid:444236

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus