La lettre juridique n°586 du 9 octobre 2014 : Avocats/Statut social et fiscal

[Le point sur...] Retraite complémentaire des avocats : cotiser double pour garder l'équilibre !

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 09 Octobre 2014

A compter du 1er janvier 2015, la retraite complémentaire des avocats va changer... L'Assemblée générale de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) a voté cette réforme le 16 décembre 2013, pour une mise en oeuvre au 1er janvier 2015. L'objectif de cette réforme est double :
- assurer et consolider la pérennité des régimes de retraite des avocats, en se fondant sur des principes renouvelés de solidarité et de généralisation (en particulier en ce qui concerne le régime complémentaire) ;
- garantir l'indépendance et l'équilibre des régimes de retraite dont la CNBF a la charge, l'indépendance demeurant le principe essentiel sur lequel se fonde la profession d'avocat. Mais cette réforme n'en finit pas de faire couler de l'encre... Le barreau de Paris, dans son Bulletin du 25 septembre dernier, évoque "la corbeille de la mariée" (le projet ayant été adopté sous l'ancien Bâtonnat...), annonce la désignation d'un expert indépendant -un actuaire- aux fins de poser à la CNBF un certain nombre de questions techniques pour "éventuellement rouvrir le dossier", et suggère un rattachement des organismes techniques de la profession au Conseil national des barreaux... L'UJA de Paris, quant à elle, a souhaité obtenir de la CNBF "des réponses à des questions simples :
- Les jeunes avocats verront-ils logiquement leurs droits à retraite doubler si leurs cotisations doublent ?
- Si non, quels engagements sont pris pour garantir un niveau décent de retraite pour les avocats qui seraient soumis à ce doublement des cotisations ?
- Dans quelle proportion ce doublement de cotisations augmentera-t-il les droits à retraite ?
". Point de réponses encore et semble-t-il un système qui devrait être mis en oeuvre, en témoigne la publication au Journal officiel du 2 juillet 2014 de l'arrêté homologuant la modification du régime complémentaire de retraite des avocats (arrêté du 20 juin 2014, portant approbation des modifications apportées au règlement du régime complémentaire des avocats établi par la Caisse nationale des barreaux français N° Lexbase : L6611I3A). Avant d'en venir aux modifications opérées (II), bref retour sur le régime de retraite des avocats (I). I - Généralités sur le régime de retraite des avocats

Qu'il exerce son activité en qualité de travailleur indépendant ou de salarié, l'avocat, dès lors qu'il est inscrit au tableau de l'Ordre de l'un des barreaux français de la Métropole ou d'un département d'Outre-Mer (DOM), est affilié de plein droit aux régimes d'assurance vieillesse et d'assurance invalidité-décès de la CNBF. Sauf exception prévue par les textes, l'affiliation à la CNBF est obligatoire et soumise à cotisations à compter de la date d'inscription au barreau.

Chaque avocat inscrit à un barreau reçoit un numéro d'immatriculation et est affilié aux trois régimes obligatoires gérés par la Caisse : retraite de base, retraite complémentaire, invalidité-décès.

Les avocats salariés relèvent des mêmes régimes, à l'exception du régime invalidité-décès, au titre duquel ils sont affiliés au régime général.

Cette obligation d'affiliation résulte de nombreux textes :

- l'article 42 de la loi n° 71-1130 (N° Lexbase : L6343AGZ) ;

- les articles L. 723-1 (N° Lexbase : L7561HBN), L. 723-24 (N° Lexbase : L5623ADM), L. 311-3 (N° Lexbase : L2976IQB) et R. 723-32 (N° Lexbase : L4983IRY) du Code de la Sécurité sociale.

Le régime de retraite de base des avocats est en partie financé par les droits de plaidoirie et la contribution équivalente au droit de plaidoirie. L'acquittement de ces droits, versés par les avocats ou les sociétés d'avocats, contribue à hauteur d'un tiers des charges du régime de retraite de base. Le financement des deux autres tiers est assuré par les cotisations personnelles.

Les droits de plaidoirie et la contribution équivalente sont exclusivement destinés à financer le régime de retraite de base : ils ne permettent donc pas d'acquérir des points au régime de retraite complémentaire.

Le droit de plaidoirie est dû pour chaque plaidoirie ou représentation de partie(s) aux audiences de jugement, y compris les audiences de référé, tant devant les juridictions de l'ordre judiciaire que les juridictions de l'ordre administratif, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Fixé par décret, le montant du droit de plaidoirie est actuellement de 13 euros et ne peut donner lieu à aucune remise. L'avocat qui ne verse pas les sommes dues au titre des droits de plaidoirie risque l'omission au tableau de l'Ordre.

La loi du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (loi n° 2014-40 N° Lexbase : L2496IZH) a supprimé le recouvrement du droit de plaidoirie par les barreaux depuis le 1er janvier 2014 (CSS, art. L. 723-3 N° Lexbase : L2720IZR). Le paiement de ces droits se fait directement à la CNBF, chaque trimestre, au moyen d'un bordereau adressé à tous les avocats et sociétés d'avocats par la CNBF.

Chaque année, la CNBF divise le montant total des revenus de la profession, y compris les rémunérations nettes versées aux avocats salariés, par le nombre de droits de plaidoirie nécessaire pour couvrir le tiers des charges prévisibles du régime de retraite de base, ce qui permet de déterminer la part de revenus correspondant à un droit de plaidoirie. La CNBF divise, par cette part de revenus, le revenu professionnel déclaré pour l'avant-dernière année civile, augmenté des rémunérations nettes versées par l'avocat ou la société d'avocats aux avocats salariés, et détermine ainsi un nombre théorique de droits de plaidoirie au vu du revenu. Ce nombre sera comparé aux droits de plaidoirie effectivement acquittés (recouvrés sur le client et reversés à la CNBF) au titre de la même année de revenu.

L'avocat non-salarié est redevable, au même titre que l'avocat salarié, de cotisations.

Le barème des cotisations est fixé par l'assemblée générale de la CNBF et approuvé par les pouvoirs publics.

Les cotisations sont portables. Elles sont exigibles au premier jour d'inscription ou de réinscription au barreau, et ce jusqu'au jour auquel l'inscription prend fin.

Le régime complémentaire est financé exclusivement par les cotisations des assurés, assises sur leurs revenus dans la limite d'un plafond. La retraite complémentaire s'additionne au régime de base. Plus l'avocat va cotiser, plus il va acquérir des points et bénéficier d'un revenu de remplacement élevé : c'est un régime par points (et non un régime par annuités), contrairement au régime de base. Dans ce régime complémentaire, il y a des classes optionnelles C1 (2,68 %), C2 (6,59 %) et C3 (9,48 %).

La CNBF propose à ses assurés disposant d'un revenu supérieur au plafond de la première tranche de revenus (40 857 euros en 2013) une extension de cotisation permettant d'acquérir des points supplémentaires au régime de retraite complémentaire.

L'extension de cotisation porte sur la partie du revenu qui excède le montant de la première tranche de revenus dans la limite du plafond de la seconde tranche (de 40 857 à 163 428 euros en 2013).

L'extension de cotisation est conditionnée à une adhésion à l'une des trois classes de taux proposées dont le barème est fixé chaque année, et ce dans les mêmes conditions que pour le régime complémentaire. L'adhésion est facultative et peut être réalisée à tout moment de l'année et de la carrière. Elle a un caractère définitif. Après cinq années de cotisation dans la même classe, l'assuré peut décider d'opter pour une classe supérieure à celle initialement choisie. Il n'est pas possible, en revanche, d'opter pour une classe inférieure.

Si les revenus de l'avocat ayant opté pour une extension de cotisation sont inférieurs au plafond de la première tranche pour une année donnée, il ne sera redevable d'aucune cotisation à ce titre mais n'acquerra aucun point pour l'année considérée au titre du taux supplémentaire choisi. La cotisation aux taux supplémentaires est obligatoire dès l'option et, de ce fait, déductible des revenus professionnels dans les mêmes conditions que les autres cotisations.

II - Les raisons de la réforme et les modifications opérées

Dans un courrier adressé aux avocats le 10 septembre 2014, le président de la CNBF, Pierre-Jacques Castanet explique que cette réforme était indispensable en raison de trois menaces qui pesaient sur les avocats.

D'abord, les prévisions indiquaient un déséquilibre technique (montant des prestations supérieur au montant des cotisations) à l'horizon 2018. En dépit d'un rapport démographique toujours favorable mais se dégradant (6,4 cotisants pour un retraité en 2013 contre 8,9 en 2006), l'augmentation de la masse des prestations est nettement plus forte que celle des cotisations (+ 215 % contre + 185 % sur 10 ans, de 2004 à 2013, augmentation de 4,2 ans de la durée moyenne de service d'une pension de droit direct sur 20 ans, de 1994 à 2013). La conséquence inéluctable était dès lors la nécessité d'augmenter les cotisations pour combler les déficits prévisibles.

Ensuite, était annoncée la suppression des avantages fiscaux et sociaux des cotisations à taux optionnel (les classes C1, C2 et C3) du régime complémentaire.

Enfin, les pouvoirs publics avaient clairement affiché leur volonté de mettre un terme à ces cotisations optionnelles du régime complémentaire. En effet, seul le caractère obligatoire garantit que les générations futures vont cotiser pour pouvoir assurer le paiement des pensions. L'existence de cotisations optionnelles est donc incompatible, à terme, avec un régime par répartition, même si l'option était en l'occurrence irrévocable. La suppression de la partie optionnelle du régime complémentaire aurait eu pour conséquence une baisse drastique du montant des pensions versées aux avocats.

Le principe de la réforme est de parvenir, au terme d'une période transitoire de 15 ans, à un taux unique de cotisations sur cinq tranches progressives de revenus nets (de 1 à 208 370 euros). C'est donc la solution du "tout obligatoire" et de la fin programmée de la partie optionnelle qui a été retenue car elle répond, selon le président Castanet, à une double finalité :

- garantir la pérennité des régimes de retraite des avocats et de leurs réserves (1,4 milliard d'euros), et donc sécuriser le paiement des pensions futures ;
- augmenter le niveau des pensions de retraite pour, à terme, atteindre le niveau de retraite des cadres.

De plus, et de façon tout aussi essentielle, la période transitoire de 15 ans permet une mise en oeuvre souple et progressive de la réforme. L'augmentation des cotisations sera raisonnable, mesurée et surtout planifiée tout au long de cette longue période transitoire, avec pour effet, non pas de combler un déficit à venir, mais d'acquérir plus de droits (acquisition de plus de "points"). Cinq classes de cotisations sont proposées (au lieu de trois : C1, C2 ou C3), chacune divisée en cinq tranches de revenu net (au lieu de deux).

Alors qu'auparavant le choix pour une classe était irrévocable, chacun pourra choisir, chaque année pendant la période transitoire, la classe de son choix (cotiser plus pour plus de droits ou l'inverse) en fonction de ce qu'il souhaite investir et tout en conservant les avantages fiscaux et sociaux existants. Pour le président Castanet, ces nouvelles possibilités de choix vont permettre aux revenus modestes d'accéder enfin "au cotiser plus", ce qui était jusqu'ici réservé aux seuls revenus nets supérieurs à 41 674 euros.

Et en pratique ?

Dès 2015, l'avocat cotisant aura la possibilité de choisir parmi cinq classes de cotisation, chacune divisée en cinq tranches. Le choix de la 5ème classe lui ouvre la possibilité que la dernière tranche soit majorée de 2,5 %, dans l'objectif d'acquérir davantage de points.

Les nouvelles classes de cotisations pour 2015 se présenteraient ainsi :

Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5
De 1 euros à 41 674 euros 3 % 3,75 % 4,50 % 5,25 % 6 %
De 41 675 euros à 83 348 euros 6 % 7,40 % 8,80 % 10,20 % 11,60 %
De 83 349 euros à 125 022 euros 6,70 % 8,45 % 10,20 % 11,95 % 13,70 %
De 125 023 euros à 166 696 euros 7,4 % 9,50 % 11,60 % 13,70 % 15,80 %
De 166 697 euros à 208 370 euros 8,1 % 10,55 % 13 % 15,45 % 17,9 % *

* Majorable de 2,5 % sur option

La CNBF écrira dès le mois de novembre 2014 à chaque avocat pour envoyer le formulaire d'option. Avec la réforme, le choix de la classe de cotisation n'est plus irrévocable et définitif. Ainsi, l'avocat cotisant pourra, chaque année, faire un autre choix que celui de l'année précédente.

Sans manifestation de sa part, l'avocat cotisant sera automatiquement affecté à la classe 1, sauf si au 31 décembre 2014 il était adhérent à l'une des anciennes classes C1, C2 ou C3. Dès lors son classement sera opéré ainsi :

Pour ceux adhérant en C1 : placement en classe 1 Pour ceux adhérant en C2 : placement en classe 2 Pour ceux adhérant en C3 : placement en classe 4
De 1 euros à 41 674 euros 3 % 3,75 % 5,25 %
De 41 675 euros à 83 348 euros 6 % 7,40 % 10,20 %
De 83 349 euros à 125 022 euros 6,70 % 8,45 % 11,95 %
De 125 023 euros à 166 696 euros 7,40 % 9,50 % 13,70 %
De 166 697 euros à 208 370 euros 8,10 % 10,55 % 15,45 %

Sur l'acquisition des droits, le principe reste le même : les cotisations versées sont converties en points tous les ans en fonction de la valeur d'acquisition d'un point fixé par l'assemblée générale de la CNBF. Le montant de la retraite complémentaire est calculé lors de la liquidation des droits à la retraite : le montant total des points acquis est multiplié par la valeur de service du point de retraite, défini également chaque année par l'assemblée générale de la CNBF.

En cas de liquidation de retraite ou de cessation d'activité, le revenu provisionnel sera définitivement considéré pour le calcul des dernières cotisations. L'année suivante, l'adhérent ne sera pas tenu de fournir son revenu définitif et ses droits à la retraite complémentaire (les points) seront définitivement acquis sur le provisionnel.

Conclusion : au vue des éléments diffusés, le taux double donc ou peu s'en faut. Et les surcotisations optionnelles disparaissent, le caractère obligatoire prévalant désormais.

En outre, il est prévu que le rendement soit réduit et ne puisse pas dépasser 7,5 % en 2029, contre 10 % actuellement. Si, la finalité affichée est de maintenir un équilibre pour dans quinze ans, force est de constater que la pilule risque d'être dure à avaler pour une profession qui porte déjà de lourdes charges.

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