La lettre juridique n°585 du 2 octobre 2014 : Avocats/Publicité

[Doctrine] La publicité personnelle, instrument au service de tous les avocats ?

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

le 02 Octobre 2014

L'approche de la question de la publicité personnelle de l'avocat ne peut plus être simplement dogmatique, elle doit être pragmatique. Ce qui n'exclut pas cependant une réflexion éthique et la nécessaire référence aux principes essentiels de la profession. Longtemps, l'avocat a construit sa notoriété -à défaut de célébrité- sur une pratique professionnelle aisément identifiable par un public de proximité. Même généraliste, l'avocat se voyait reconnaître, voire attribuer, une ou des "spécialités" par une clientèle apparemment très bien informée de ses compétences. Une clientèle informée de quelle manière ? Par le bouche à oreille, par la publicité des audiences, par la presse locale, par les ancêtres des "réseaux sociaux" -clubs et centres en tous genres dans lesquels l'avocat se devait de paraître-. Le nombre peu important des avocats d'un même barreau, comme la postulation, assuraient tout à la fois un maillage territorial du barreau et garantissaient aux avocats l'acquisition rapide d'une notoriété locale. Elle leur assurait aussi une relative prospérité, gage d'une réussite perçue comme la confirmation de leur compétence. Même le jeune avocat tout juste diplômé, alors stagiaire, à défaut de connaître d'emblée la réussite dans le cénacle des anciens, pouvait légitimement, et à raison, espérer y prendre sa place assez rapidement. Dans un tel contexte historique où l'avocat était un notable, la publicité n'avait pas sa place. L'explication en était économique, mais éthique également. Les règles et usages de la profession, la déontologie, n'empêchaient pas l'avocat d'avoir une haute conception de son rôle d'auxiliaire de justice. La publicité était affaire de commerçants. Et l'avocat n'était pas un commerçant. Insolent (parfois), conventionnel (souvent), indépendant (toujours), ce libéral était à ce point détaché des contingences matérielles que la comptabilité lui apparaissait comme une contrainte vulgaire. La création des centres de gestion agréée, et singulièrement celle de l'ANAAFA, n'est pas si récente à l'échelle d'une vie professionnelle.

Et avec elle, l'irruption de la fiscalité directe qui a quelque peu érodé sa prospérité.

La TVA, certes récupérable -mais sur quoi ?- est apparue au début des années 1980 et a entraîné un renchérissement du coût des prestations de l'avocat. Neutre pour les entreprises commerciales clientes de l'avocat, elle ne l'était pas pour la grande masse des justiciables particuliers. Cette TVA était en pratique souvent impossible à répercuter dans la facturation de l'avocat, sauf à devenir économiquement insupportable.

Jusqu'alors, l'avocat pouvait intervenir gratuitement dans la défense des plus démunis. Et il le faisait effectivement, considérant d'ailleurs cela comme un honneur.

N'existait alors que l'ancienne aide juridique dont le champ d'application était très étroit, ce dont nous ne nous rappelons pas que l'avocat se serait plaint.

Le barreau de Paris, barreau de la capitale, par essence "extraordinaire" au sens littéral du terme, était incarné en la personne de son Bâtonnier. Le barreau de province l'était par le président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer.

L'Union nationale des jeunes avocats apportait sa contribution, plutôt consensuelle, à cette représentation bicéphale. D'ailleurs, l'UJA était plutôt ludique et festive au plan local, plus politique au plan national, sans que semble-t-il cette dichotomie ait jamais été réellement perçue.

D'autres syndicats jouaient un rôle mineur aux côtés de ces instances représentatives, non pas faute de talents ni d'idées, mais faute de membres en nombre suffisant.

Et puis est venu le temps de la fusion des anciennes professions d'avocat et de conseil juridique, celui de l'aide juridictionnelle et celui de l'essor des contrats d'assurance de protection juridique, celui aussi des mentions de spécialisations, sans oublier non plus celui du RPVA.

Est venu aussi le temps aussi d'une nouvelle gouvernance de la profession d'avocat.

Cette fusion des anciennes professions a-t-elle fait naître la grande profession du droit annoncée ?

Ce qui doit a minima être constaté objectivement, c'est qu'elle a introduit le salariat dans une ancienne profession d'avocat qui, non seulement, ne le connaissait pas, mais le vouait à tous les maux, incompatible qu'il était avec le sacro-saint caractère libéral de l'exercice de la défense.

Elle a introduit les sociétés de capitaux, dont les règles et modalités de fonctionnement restent en constante évolution, ainsi qu'en témoignent les dernières communications du CNB sur ce sujet.

Entre, d'une part, une aide juridictionnelle dont l'importance du champ d'application est inversement proportionnelle au montant des indemnisations qu'elle verse, et, d'autre part, une assurance de protection juridique qui tend à protéger les particuliers non admissibles à l'aide juridictionnelle, la clientèle de ces particuliers qui constituait le coeur de l'activité de l'avocat traditionnel s'est réduite comme peau de chagrin.

La clientèle des entreprises commerciales s'est tournée -comment s'en étonner ?- vers des structures regroupant des confrères aux spécialités reconnues et complémentaires.

L'avocat traditionnel a vécu.

Il n'a jamais vraiment recouru à la publicité personnelle.

La loi du 17 mars 2014 (loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX), dite loi "Hamon", est venue modifier la loi de 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) dans les termes suivants :

"L'article 3 bis de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

  • dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée.
  • toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires".

Notre propos ne sera pas ici de rappeler les dispositions de l'article 24 § 1er de la Directive 2006/123/CEE, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), qui doit être interprétée en ce qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d'une profession réglementée d'effectuer des actes de démarchage, ni de rappeler les termes de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 5 avril 2011 qui, au visa de la Directive, a ouvert la voie à une modification de notre législation nationale (CJUE, 5 avril 2001, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3).

La loi du 17 mars 2014 est devenue un élément de notre droit positif.

En l'absence de publication du décret, la loi nouvelle n'est pas applicable à ce jour. Que faut-il néanmoins retirer des dispositions de la loi nouvelle ?

En premier lieu, que l'avocat sera autorisé à recourir à la publicité, ce qui n'est pas nouveau puisque la publicité personnelle de l'avocat était déjà autorisée, notamment, par l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790 N° Lexbase : L6025IGA) et encadrée par les dispositions de l'article 10 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

En deuxième lieu, que l'avocat sera autorisé à recourir à la sollicitation personnalisée, ce qui va bien au-delà de la notion de démarchage, laquelle a un caractère beaucoup plus général.

En troisième lieu, que toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée devra faire l'objet d'une convention d'honoraires. Cette garantie n'en est pas une alors que la convention d'honoraires est de toute façon devenue une préconisation généralisée, voire obligatoire dans bien des domaines, alors que la liberté de l'honoraire est devenue l'exception.

C'est donc à partir des dispositions du décret à paraître, qui fixera les conditions du recours à la publicité et à la sollicitation personnalisée par l'avocat, que seront connues les règles nouvelles applicables en la matière.

Sans être devin, nous pouvons d'ores et déjà prévoir que ces règles nouvelles qui seront élaborées, espérons-le, en concertation par le CNB et la Chancellerie, renverront aux principes essentiels de la profession et, à défaut d'énumérer les formes de publicité et de sollicitations personnalisées autorisées à l'avocat, diront celles qui demeurent interdites.

Attendons, avec curiosité, de découvrir comment la sollicitation personnalisée se conciliera avec les principes de confraternité et de loyauté.

Devons-nous en être rassurés ?

Le propre de la règle de droit est d'être applicable à tous. Il ne fait aucun doute que la publicité et la sollicitation personnalisée seront donc ouvertes à tous les cabinets d'avocats, petits ou grands.

Le jeu d'une libre concurrence sera donc permis, au moins en théorie.

Mais en pratique ?

Personne ne peut douter que la profession d'avocat doit évoluer pour être en adéquation avec la société de 2014, et celle de demain. Il est cependant frappant de constater que tous les thèmes de réflexion sur la nécessaire évolution de la profession sont cloisonnés et ne s'inscrivent pas, du moins c'est l'apparence qui nous est suggérée, dans un projet d'ensemble.

Sans doute serait-il salutaire de nous livrer à cette réflexion d'ensemble qui ne nous est pas proposée par la nouvelle gouvernance de la profession.

La suppression des avoués était la partie émergée de l'iceberg. En réalité, elle a porté un coup décisif contre la postulation. La suppression de la territorialité devant les TGI est évoquée par les pouvoirs publics, sans qu'il soit clairement établi que ce projet n'aurait pas été inspiré aux pouvoirs publics. Notre représentation nationale proteste contre cette suppression. Cette protestation portera-t-elle ses fruits ?

Le RPVA est incontestablement l'outil technique qui permettra à tout avocat, quel que soit son barreau de rattachement, de pallier la suppression de la postulation et d'exercer son activité professionnelle sur l'ensemble du territoire français, sans avoir à recourir au concours d'un correspondant local. L'idée, n'en doutons pas, est de favoriser l'accès du justiciable à toutes les juridictions en réduisant les coûts. Ainsi, le RPVA va permettre à un avocat appartenant à un très petit barreau situé aux confins de l'Hexagone de développer son activité à Paris, comme dans les grandes métropoles régionales.

L'ouverture prévisible des cabinets d'avocats à des capitaux extérieurs, alliée au développement du salariat dans des structures à forme capitalistique, va favoriser la création de cabinets de dimension nationale ou régionale.

Le projet de création d'un statut de l'avocat en entreprise, bien que rejeté très majoritairement par les avocats, est sans cesse remis à l'ordre du jour.

L'aide juridictionnelle, décriée pour des motifs tellement connus de tous qu'il est inutile de les rappeler ici, pourrait être confiée à l'avenir à des avocats dont l'activité serait dédiée au secteur assisté. Des expériences sont menées, dans la plus grande discrétion, dans des barreaux dits pilotes. Il est vrai que la rémunération forfaitaire d'un groupe limité d'avocats dans un barreau déterminé pourrait s'avérer moins onéreuse que l'émiettement des indemnisations, affaire par affaire entre tous les membres de ce barreau. La solution aurait en outre le mérite de libérer une large voie à des structures d'exercice inter-barreaux pour lesquelles l'aide juridictionnelle, dans sa forme actuelle, constitue un frein à leur expansion.

Le barreau de Paris, exceptionnel par son histoire, par son influence et par le nombre de ses avocats, l'est également par son poids économique. La majeure partie des centres décisionnels des entreprises françaises sont concentrés à Paris.

Si l'avocat n'est pas un commerçant, l'addition des activités judiciaires et juridiques des barreaux français constitue bien un marché qui se chiffre en milliards d'euros.

Est-il déraisonnable de craindre une centralisation des contentieux sur tout le territoire par le biais d'accords commerciaux entre entreprises et structures d'avocats de dimension nationale ?

Heureusement, la profession d'avocat demeure une profession libérale et indépendante ainsi que le proclame l'article 1er de notre RIN.

Pourtant, les avocats de province, mais sans doute aussi la grande majorité des avocats parisiens, connaissent aujourd'hui une crise économique sans précédent.

L'école des avocats du barreau de Paris délivre chaque année des diplômes d'avocat dans un nombre, que certains disent déraisonnables, qui conférera à brève échéance une majorité arithmétique au barreau parisien par rapport aux barreaux de province. Cette majorité ne restera-t-elle qu'arithmétique ou signera-t-elle, de fait ou de droit, la disparition du CNB ?

Et la publicité dans tout cela ?

Il faut, nous dit-on, que chaque avocat se fasse connaître et fasse connaître ce qu'il fait.

Il faut, nous dit-on, nous protéger des "braconniers du droit" sans cesse plus nombreux et plus agressifs.

Il faut, nous dit-on, nous protéger des avocats étrangers qui ont recourent déjà à la publicité personnelle et dont nous voyons chaque jour les "hordes" déferler dans nos villes et nos villages.

Il faut, nous dit-on, admettre comme anormal que l'Etat ou des sociétés multinationales doivent avoir recours à des cabinets avocats étrangers pour pallier la carence des cabinets français, même parisiens, qui seraient incapables de lutter contre cette concurrence.

Mais faudra-t-il demain nous protéger contre la concurrence de grands cabinets français, disposant de moyens financiers incomparables, renforcés par l'apport de capitaux extérieurs, recourant massivement au salariat, affranchis de toute contrainte de postulation, libérés de l'aide juridictionnelle ?

La publicité personnelle de l'avocat et la sollicitation personnalisée seront-elles un moyen de défense des avocats les plus fragiles économiquement, ou une arme redoutable pour la conquête de nouveaux marchés ?

A chacun de se faire une opinion.

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