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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 08 Mai 2014
A vrai dire, qu'un procureur général et un assesseur twittent durant un procès relève plus du narcissisme de groupe propre au web social que d'une recherche de la célébrité. Mais, l'effet aura été tout autre : la mise au ban du groupe social auquel ils appartiennent -le Conseil national de la magistrature prenant au sérieux l'infraction déontologique, le manquement aux devoirs de dignité, de discrétion, de réserve et de prudence-, et la célébrité sur le web dans la rubrique faits divers, société et justice...
Sans ambages, l'avis du CSM qui sera délivré au Garde des Sceaux précise que "l'invocation d'une pratique d'humour sur les réseaux sociaux pour justifier ces messages est particulièrement inappropriée s'agissant d'une audience, en l'espèce de la cour d'assises". Le Conseil relève, en outre, que le contenu des messages était "outrageant" et que certains messages dénotaient "un cynisme singulier particulièrement indigne d'un magistrat". Il demande, dès lors, le déplacement d'office du magistrat. Le sort de l'assesseur est en suspens à l'heure de ces quelques lignes.
On sait que rien n'interdit de twitter ou d'envoyer des messages durant un procès se tenant, d'autant plus, en audience publique. Seules les prises d'image et de son sont prohibées. Le problème réside naturellement dans le fait, d'une part, que les personnes en cause exerçaient leur mission de service public de la justice au moment des faits et, d'autre part, du caractère outrageant des propos partagés sur le réseau social.
Et, c'est avec raison que le CSM prend l'affaire au sérieux et entend faire montre de sévérité. Outre le fait que l'image de la magistrature pourrait en être à nouveau ternie, après l'affaire du "mur des cons" notamment, c'est le cynisme professionnel de la justice comme porte-drapeau de l'appartenance à un groupe social professionnel qui est ici condamné.
Les sociologues démontrent parfaitement que la volonté de partage de l'information sur les réseaux sociaux, et le web social en général, relève moins de l'égotisme que du narcissisme et en particulier du narcissisme groupal, c'est-à-dire qu'il s'agit de partager pour montrer son appartenance à un groupe de personnes, une communauté constituée de codes et de valeurs propres. Aussi, que penser du groupe auquel appartiennent les deux protagonistes en cause et qu'ils animent bien volontairement durant les procès auxquels ils participent ? Rien de bien reluisant à dire vrai. Plus qu'une mauvaise image de la justice que ces professionnels peuvent donner à travers les médias, le partage de ces messages sous-tend une complicité du groupe en question, voire des professionnels de la justice eux-mêmes, à tout le moins une certaine complaisance envers cet exaction, puisque les deux twittees se sont crus autorisés à tenir des propos outrageants en public, au sein de leur communauté sociale. C'est cette assimilation là que le CSM veut enrayer, d'ores et déjà, en ne limitant pas le fait à une simple blague potache entre collègues.
On ne le répétera jamais assez, le web social est un espace public, une caisse de résonance sans commune mesure dont le timbre, l'intensité et la durée demeurent difficiles à maîtriser... et certainement pas le lieu d'une conversation sur le palier... pour cela il y a la machine à café... et encore...
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