Réf. : Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX)
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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 17 Avril 2014
Parmi les dispositions méritant d'être approuvées, il est d'abord possible de citer l'encadrement des contrats d'achat de métaux précieux (C. consom., art. L. 121-99 N° Lexbase : L7625IZG et s.) rendu nécessaire par le développement de ce type d'opération. La hausse considérable du cours des métaux précieux, et notamment de l'or, a suscité une nouvelle forme de ruée, qui devait être encadrée.
Doit également être approuvé le nouvel "article préliminaire" (3) du Code de la consommation, qui définit le consommateur. D'un point de vue symbolique, l'innovation est importante. Il est enfin possible de savoir qui est protégé par le droit de la consommation ! Il est vrai que la définition retenue n'apporte pas grand-chose sur le fond, puisque le consommateur y est défini comme "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale" (4). Il est également vrai que les difficultés portaient souvent davantage sur la notion de "non professionnel" que sur celle de consommateur (5). Il est vrai, enfin, qu'une telle définition n'empêchera pas que certains textes du Code de la consommation protègent des professionnels agissant dans le cadre de leur activité professionnelle (6). Il n'en demeure pas moins qu'il y a là, sur le plan des principes, une démarche intéressante.
Enfin, est digne d'intérêt la disposition introduite par le nouvel article L. 133-4 (N° Lexbase : L7648IZB) : le professionnel, dans tout contrat écrit, doit informer le consommateur de la possibilité de recourir à la médiation ou à un autre mode alternatif de règlement des différends. L'idée est évidemment de développer et d'encourager le règlement amiable des litiges, afin de désengorger les tribunaux et de faciliter l'accès du consommateur à la justice.
Au titre des regrets, il y a, en premier lieu, le nouvel échec de la création d'un fichier positif de l'endettement (7). Le droit positif français ne connaît qu'un fichier des incidents de paiement (FICP). Un fichier positif, qui recenserait les crédits souscrits par chaque personne, serait un moyen de lutter contre le fléau du surendettement. Le projet de loi envisageait une telle création, en ses articles 67 à 72. Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, estimant qu'elles portaient exagérément atteinte à la vie privée (8). Souriez ! Vous êtes surendettés, mais pas filmés !
Le second regret résulte de la disparition de l'hypothèque rechargeable, par l'abrogation des articles 2422 du Code civil (N° Lexbase : L1328HIZ) et L. 313-14 (N° Lexbase : L6705IMB) et suivants du Code de la consommation. Certes, ce mécanisme n'avait qu'un succès pratique restreint, et causait d'intolérables migraines aux étudiants. Néanmoins, les arguments justifiant cette abrogation ne sont guère convaincants. Qualifier l'hypothèque rechargeable de "subprime à la française" (9) constitue un étonnant raccourci. En outre, si l'on considère que l'hypothèque rechargeable est dangereuse pour les emprunteurs, pourquoi ne pas avoir également abrogé la fiducie-sûreté rechargeable (C. civ., art. 2372-5 N° Lexbase : L2542IEU et 2488-5 N° Lexbase : L2532IEI) ?
Enfin, il est difficile de juger certaines nouveautés : c'est à l'aune de l'expérience que l'on pourra se prononcer sur leur opportunité. Tout d'abord, il en est ainsi de l'introduction, "à titre expérimental" de la notion de prix d'usage (loi du 17 mars 2014, art. 4). Il s'agit, pour un certain nombre de produits déterminés par décret, de procéder à l'affichage d'un double prix : un prix de vente et un prix d'usage. Ce dernier désigne la valeur marchande liée à l'usage du bien, et non à sa propriété. Cette expérimentation, qui devra être suivie d'un rapport réalisé par le Gouvernement sur l'économie de fonctionnalité, vise à faciliter la vente de l'usage du produit par rapport à la vente du produit lui-même. L'objectif est double : diminuer la consommation de ressources et d'énergie (9) et lutter contre l'obsolescence programmée (10).
De même, la reconnaissance de la possibilité pour les avocats de recourir à la sollicitation personnalisée laisse certaines questions en suspens (11). Le droit français interdisait aux avocats de procéder à des opérations de démarchage (12). Une telle prohibition a été jugée contraire à l'article 24 §1 de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (N° Lexbase : L8989HT4) (13). La loi du 17 mars 2014 entend ainsi mettre en conformité le droit français avec les règles européennes. Pour autant, la question n'est pas totalement réglée. Le Conseil national des barreaux est en train de préparer un texte destiné à mettre en conformité le Règlement intérieur national : outre la suppression de l'interdiction, il conviendra d'encadrer la pratique du démarchage. Non seulement, ce dernier devra respecter les principes déontologiques de la profession, mais il serait en outre concevable que le CNB élabore une liste non exhaustive de comportements qui seraient réputés contraires aux usages de la profession (14).
(1) Cons. const., décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 (N° Lexbase : A6832MG7).
(2) Cette loi vise en grande partie à intégrer dans le Code de la consommation la Directive européenne 2011/83 du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs (N° Lexbase : L2807IRE).
(3) Qui peut au moins se vanter d'avoir la dénomination la plus ridicule (partagée par l'article préliminaire du Code de procédure pénale) parmi la soixantaine de codes référencés par Légifrance...
(4) A notre sens, l'absence de l'activité agricole procède d'un oubli davantage que d'une volonté délibérée.
(5) Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ) ; Cass. civ. 1, 23 juin 2011, n° 10-30.645, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2997HUK), BRDA, 13/11, inf. 24.
(6) Par exemple, les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) à L. 341-4 sont applicables au dirigeant caution et à la caution avertie : Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309 (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814 , FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P. Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RDBF, septembre-octobre 2010, n° 172, obs. D. Legeais, V. Téchené, La sanction du cautionnement disproportionné souscrit par le dirigeant, personne physique, au profit d'un créancier professionnel, Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6432BPW) ; Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-16.355, F-D (N° Lexbase : A8216IQD) et Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.192, F-D (N° Lexbase : A8174IQS), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 20, obs. Ch. Albigès.
(7) Sur ce point, v. les plus amples développements de K. Rodriguez, Crédit, assurance et surendettement : les moyens d'une protection plus efficace du consommateur (commentaire des articles 40 à 66 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014), Lexbase Hebdo n° 378 du 17 avril 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N1810BUL).
(8) Cons. const., décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, préc..
(9) Opinion de L. Grandguillaume, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, à l'occasion de la discussion du rapport n° 1156 fait au nom de la Commission des affaires économiques.
(10) Le consommateur n'achetant que l'usage du bien, pendant une certaine durée, il est possible qu'un même bien ait plusieurs utilisateurs successifs. Lorsque le consommateur achète la propriété du bien, ce dernier terminera plus fréquemment son existence remisé dans un grenier que revendu.
(11) Le consommateur n'étant qu'un utilisateur temporaire (de manière quelque peu analogue à un locataire), le fabricant a intérêt à concevoir des produits dont la longévité est accrue, afin de pouvoir réaliser pour un même bien plusieurs ventes successives de son usage.
(12) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 3 bis (N° Lexbase : L6343AGZ).
(13) Loi du 31 décembre 1971, art. 66-4 ; décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005, art. 15 al. 2 et 3 (N° Lexbase : L1963ITU) ; RIN, art. 10.1 et 10.2 (N° Lexbase : L4063IP8).
(14) CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 (N° Lexbase : A4134HM3) ; lire V. Téchené, Il est interdit d'interdire... totalement le démarchage aux experts-comptables, Lexbase Hebdo n° 247 du 14 avril 2011 - édition affaires N° Lexbase : N9684BR4) .
(15) Par exemple, l'avocat qui, à l'occasion du démarchage, promettrait un résultat, ou encore comparerait ses taux de succès avec ceux de ses confrères.
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