Réf. : CA Toulouse, 19 mars 2014, n° 13/05516 (N° Lexbase : A1988MH4)
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N1815BUR
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par Aurélie Bergeaud-Wetterwald, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Faculté de Bordeaux, Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4601)
le 01 Mai 2014
La règle posée par l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) selon laquelle la prescription court "à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer" pourrait donner matière à discussions. Néanmoins, il est désormais acquis en jurisprudence que la prescription de l'action des avocats pour le paiement de leurs honoraires court à compter de la date à laquelle leur mandat, ou plus exactement leur mission, prend fin. Appliquée par les juridictions du fond (CA Toulouse, 19 mars 2014, n° 13/05516 N° Lexbase : A1988MH4 ; CA Aix-en-Provence, 28 janvier 2014, n° 13/18061 N° Lexbase : A0772MDX ; CA Versailles, 31 juillet 2013, n° 12/07799 N° Lexbase : A1634KKQ ; CA Metz, 21 novembre 2012, n° 12/00509 N° Lexbase : A3494IY3), cette solution a été consacrée par la Cour de cassation au visa de l'article 420 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0430IT4) (Cass. civ. 2, 7 avril 2011, n° 10-17.575 N° Lexbase : A3587HN8, Bull. civ. II, n° 84).
La fixation des honoraires dépendant notamment de l'importance du travail fourni par l'avocat et, à titre complémentaire, du résultat obtenu, il est logique que l'action en paiement ne commence à prescrire qu'une fois la mission totalement achevée. Il faut raisonner de manière globale, sans s'attacher à la date des différentes prestations que l'avocat peut accomplir au cours de sa mission. On notera, d'ailleurs, que la même règle est légalement consacrée s'agissant de l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice qui se prescrit "à compter de la fin de leur mission" (C. civ., art. 2225 N° Lexbase : L7183IAB).
Mais, le consensus existant au sujet du point de départ du délai de prescription ne dissipe pas toutes les difficultés dans la mesure où la loi ne détermine pas le moment de la fin de la mission de l'avocat. En ce sens, l'article 420 du Code de procédure civile n'apporte pas un éclairage complet puisqu'il ne concerne que la durée maximum du mandat de représentation, lequel prend fin à l'exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d'un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée. Pour autant, les solutions jurisprudentielles appliquées aux actions en paiement d'honoraires ne suscitent pas de discussion. Il faut ainsi admettre que la mission de l'avocat prend fin à la date de révocation du mandat par le client (CA Aix-en-Provence, 26 mars 2013, n° 12/16382 N° Lexbase : A9411KAS) ou encore à la date du transfert du dossier de l'affaire à un confrère (CA Aix-en-Provence, 28 janvier 2014, n° 13/18061, préc.). La mission de l'avocat prend également fin au jour de la cessation de son activité professionnelle (CA Aix-en-Provence, 15 janvier 2013, n° 12/00158 N° Lexbase : A1880I3Z), même en l'absence de notification préalable de sa part (Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, n° 05-18.100, FS-P+B N° Lexbase : A7829DT7, Bull. civ. I, n° 43). Mais, dans la grande majorité des situations, la mission de l'avocat donnant lieu au paiement d'honoraires prendra fin avec la décision juridictionnelle éteignant l'instance dans laquelle il défendait les intérêts de son client. Le point de départ de la prescription de l'action en recouvrement des honoraires correspond, alors, à la date du jugement (CA Versailles, 31 juillet 2013, n° 12/07799, préc.) ou de l'arrêt (Cass. civ. 2, 7 avril 2011, n° 10-17.575, préc. ; CA Toulouse, 19 mars 2014, n° 13/05516, préc.) mettant fin à l'instance.
II - Divergence sur la durée du délai de prescription
Avant la réforme de 2008, les actions relatives au montant et au recouvrement des honoraires de l'avocat étaient soumises à la prescription trentenaire de droit commun (Cass. civ. 2, 22 mai 2003, n° 10-17.961, FS-P+B N° Lexbase : A1529B9I, Bull. civ. II, n° 149), le délai étant réduit à dix ans si le client était commerçant et consultait pour les besoins de son activité commerciale (C. com., art. L. 110-4 N° Lexbase : L4314IX3). La Cour de cassation avait eu, par ailleurs, l'occasion de préciser que la prescription biennale de l'ancien article 2273 du Code civil (N° Lexbase : L7226IAU) ne s'appliquait qu'aux actions en paiement des frais et émoluments dus aux avocats à raison des actes de postulation et de procédure qu'ils accomplissent et non à leurs honoraires de consultation et de plaidoirie (Cass. civ. 1, 30 janvier 1996, n° 94-12.455, publié N° Lexbase : A6421AHB, Bull. civ. I, n° 50).
La loi du 17 juin 2008 a instauré, à l'article 2224 du Code civil, un nouveau délai de prescription de droit commun de cinq ans pour toutes les actions personnelles ou mobilières. Les cours d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 28 janvier 2014, n° 13/18062 N° Lexbase : A0772MDX ; 12 novembre 2013, n° 13/07222 N° Lexbase : A5784KPW ; 26 mars 2013, n° 12/16382, préc. ; 15 janvier 2013, n° 12/00158, préc.) et de Lyon (CA Lyon, 21 mai 2013, n° 12/08283 N° Lexbase : A2317KHB ; 5 juillet 2011, n° 10/05501 N° Lexbase : A7278HXT), récemment rejointes par la cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 19 mars 2014, n° 13/05516, préc.) soumettent l'action des avocats pour le paiement de leurs honoraires à cette prescription quinquennale. Cette position n'est, cependant, pas partagée par les cours de Bordeaux (CA Bordeaux, 17 avril 2012, n° 11/02979 N° Lexbase : A7069IIN), Metz (CA Metz, 21 novembre 2012, n° 12/00509, préc.) et Versailles (CA Versailles, 27 novembre 2013, n° 12/06798 N° Lexbase : A4892KQA ; 25 septembre 2013, n° 12/03503 N° Lexbase : A9176KLG ; 31 juillet 2013, n° 12/04142 N° Lexbase : A1648KKA et n° 12 /07799 N° Lexbase : A1634KKQ) qui estiment que les dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) prévoyant que "l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans", ont vocation à s'appliquer par dérogation à celles de l'article 2224 du Code civil. La Cour de cassation ne s'étant pas à ce jour prononcée sur l'application de l'un ou l'autre de ces textes en matière d'honoraires, cette divergence jurisprudentielle est source d'incertitudes pour l'avocat souhaitant agir en recouvrement, l'action du client en contestation des honoraires étant indiscutablement soumise à la prescription quinquennale.
Le problème réside donc dans le fait de savoir si l'avocat qui réclame le paiement de ses honoraires à son client est un professionnel ayant fourni un service à un consommateur. Si tel est le cas, les dispositions spéciales du Code de la consommation viennent déroger à la règle de droit commun en matière de prescription. On perçoit aisément combien la question est délicate puisqu'elle renvoie à la très controversée délimitation du champ d'application du droit de la consommation.
Bien qu'il exerce dans le cadre d'une profession règlementée, l'avocat est sans conteste un professionnel. Peut-on en revanche considérer que ses clients sont des consommateurs au sens de l'article L. 137-2 ? Depuis la loi du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), le Code de la consommation propose, au sein d'un article préliminaire, une définition du consommateur semblable à celle déjà retenue en jurisprudence (v., par ex., Cass. civ. 1, 2 avril 2009, n° 08-11.231, F-D N° Lexbase : A1083EG9). Est ainsi considérée comme un consommateur "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale". Même si la qualité de consommateur est ainsi déniée aux personnes morales, la définition légale est suffisamment large pour admettre que le client, personne physique, d'un avocat est un consommateur lorsqu'il lui confie la défense d'une affaire personnelle, sans aucun lien avec son activité professionnelle. Cette interprétation est, pourtant, farouchement combattue par les juridictions refusant d'appliquer la prescription abrégée du Code la consommation et qui, pour cela, font valoir que le client d'un avocat "ne peut être considéré comme le simple consommateur d'une prestation intellectuelle de fourniture d'un service de conseil alors que la consultation de l'avocat, le conseil donné et la représentation en justice sont exercés par un auxiliaire de justice dans le cadre d'une profession réglementée" (CA Aix-en-Provence, 12 novembre 2013, n° 13/07222, préc. ; 26 mars 2013, n° 12/16382, préc.). Il n'en demeure pas moins que, dans la définition qu'il livre du "consommateur", l'article préliminaire du Code de la consommation, qui ne prévoit aucun statut dérogatoire pour la clientèle de certaines professions réglementées (on aurait pu penser notamment aux clients des professionnels de santé), ne s'intéresse qu'à la finalité non-professionnelle de la démarche et non à sa nature.
On peut tout de même se demander si la prestation de l'avocat constitue bien une fourniture de service au sens de l'article L. 137-2 du Code de la consommation. Sur ce point, les juridictions hostiles à l'application de la prescription biennale font valoir que l'avocat et son client "ne concluent pas un contrat de fourniture de services mais une relation, hors du commerce, qui n'entre pas dans le champ du droit spécial de la protection des consommateurs" (CA Aix-en-Provence, 12 novembre 2013, n° 13/07222, préc. ; 26 mars 2013, n° 12/16382, préc.). Cette affirmation est discutable si l'on entend la prestation de service comme la "fourniture [...] de tout avantage appréciable en argent en vertu des contrats les plus divers" (G. Cornu, Vocabulaire juridique, 10ème éd., PUF). L'avocat est bel et bien un professionnel qui facture un service à un client. Certes, l'exercice de la profession d'avocat est soumis à un certain nombre de contraintes, spécialement en matière de publicité, qui le singularisent. Pour autant, en droit communautaire, l'avocat est considéré comme un prestataire fournissant un service, la profession d'avocat entrant dans le champ d'application de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4) (à la différence des notaires, des huissiers de justice et des professionnels de santé). Selon cette Directive, la notion de service désigne "toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération".
Il est donc possible d'affirmer, à l'instar des cours d'appel de Bordeaux, Versailles et Metz, que, lorsque l'avocat agit en recouvrement d'honoraires pour le service fourni à un consommateur, c'est-à-dire à une personne physique ayant sollicité ses conseils en dehors du cadre de son activité professionnelle, la prescription spéciale du Code de la consommation déroge à la règle de droit commun du Code civil. Il en résulte une dualité des règles de prescription en fonction de la qualité du client. Si ce dernier répond à la définition susvisée du consommateur, l'avocat doit agir dans un délai de deux ans à compter de la fin de sa mission. En revanche, l'action est soumise à un délai de prescription de cinq ans si le client a consulté dans le cadre de son activité professionnelle ou s'il s'agit d'une personne morale (en ce sens, CA Versailles, 31 juillet 2013, n° 12/07799, préc.).
Le positionnement de la Cour de cassation sur cette application distributive des délais de prescription reste attendu, étant précisé que la Haute juridiction a déjà admis que, lorsque l'action de l'avocat en paiement de ses honoraires est dirigée contre un client particulier, à savoir une commune, elle est soumise à la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 (loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 N° Lexbase : L6499BH8) (Cass. civ. 2, 7 avril 2011, n° 10-17.575 N° Lexbase : A3587HN8, n° 10-17.576 N° Lexbase : A3588HN9, n° 10-17.577 N° Lexbase : A3589HNA).
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