Réf. : Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-18.029, FS-P+B (N° Lexbase : A7656MEB)
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par Alexandre Fabre, Professeur à la Faculté de droit de Douai
le 27 Mars 2014
Résumé
L'employeur tenu de saisir une commission territoriale de l'emploi en application de l'article 28 de l'Accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987, étendu par arrêté du 16 octobre 1987, doit proposer au salarié de manière écrite, précise et personnalisée, les offres de reclassement qui lui ont été transmises par l'intermédiaire de la commission compétente, après avoir vérifié que ces offres sont en rapport avec les compétences et les capacités du salarié. |
Commentaire
I - Le défaut de saisine de la commission territoriale de l'emploi constitue une violation de l'obligation de reclassement
Pour saisir toute la portée de l'arrêt commenté, il convient de revenir au préalable sur l'obligation pour l'employeur de saisir une commission territoriale de l'emploi prévue par certains textes conventionnels ainsi que sur l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation depuis quelques années.
L'obligation conventionnelle de saisir une commission territoriale de l'emploi. L'obligation pour les employeurs de saisir des commissions territoriales de l'emploi en cas de licenciement collectif a été créée par l'Accord national interprofessionnel sur la sécurité de l'emploi du 10 février 1969. Dans son article 5, l'accord stipule que ces commissions seront saisies en cas de "problème de reclassement non résolu dans l'entreprise" et qu'"elles s'efforceront alors d'élaborer un plan comportant des propositions de reclassement ou de formation".
Sur la base de cet accord interprofessionnel, plusieurs branches ont mis en place des mécanismes de reclassement externe similaires. C'est le cas de la branche de la métallurgie au sein de laquelle a été conclu, le 12 juin 1987, un accord national "sur les problèmes généraux de l'emploi". Dans son article 28, cet accord impose à l'employeur de "rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise en particulier dans le cadre des industries des métaux, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi [...]". Ces stipulations ne doivent pas être confondues avec celles, tout aussi répandues, qui se contentent d'appeler les chambres syndicales ou les organisations patronales du secteur à se mobiliser en cas de licenciement collectif pour motif économique (1). Puisque ces énoncés ne formulent aucune obligation à la charge de l'employeur, la Cour de cassation refuse de les rattacher à son obligation de reclassement comme elle l'admet pour les premières (2).
Rattachement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement. Dans un arrêt "Moulinex" du 28 mai 2008 (3), la Cour de cassation a interprété les termes de l'article 28 de l'Accord national conclu dans la métallurgie. Selon la Haute juridiction, "la méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles qui étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse". En somme, la saisine par l'employeur d'une commission territoriale de l'emploi avant tout licenciement collectif pour motif économique fait partie intégrante de son obligation de reclassement préalable au licenciement. De sorte que s'il omet de saisir ladite commission, il manque à son obligation de reclassement et prive, par conséquent, le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Depuis cet arrêt, la Cour de cassation a largement contribué à donner plein effet à cette procédure de saisine. Elle a ainsi décidé que l'employeur ne peut s'affranchir de cette obligation qu'en prouvant qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de la mettre en oeuvre, par exemple, parce que la commission n'existe pas ou que son fonctionnement est défaillant. Il faut, en outre, que l'employeur la saisisse en temps utile. S'il la sollicite après le prononcé des licenciements, il manque alors à son obligation de reclassement, même s'il a effectué des recherches par ailleurs (5). A l'inverse, s'il la saisit en temps utile tout en cherchant des solutions de reclassement externe, il est considéré avoir satisfait à ses obligations conventionnelles (6).
Cette construction jurisprudentielle a connu dernièrement une étape importante. Par une sorte de retournement de l'histoire, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la portée des stipulations de l'ANI du 10 février 1969, celles-là même qui ont servi de modèle à l'article 28 de l'accord national de la métallurgie. Sans reprendre à l'identique la solution de l'arrêt "Moulinex", elle a admis dans un arrêt du 30 septembre 2013 que l'absence de saisine de la commission territoriale prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (7). Bien qu'elle ne fasse pas directement référence à l'obligation de reclassement, on peut penser que cette dernière constitue tout de même le fondement de la solution.
C'est dans le cadre de cette construction jurisprudentielle que s'inscrit l'arrêt commenté. Son originalité est indéniable. En l'espèce, le litige ne venait pas d'une absence de saisine de la commission territoriale compétente, l'employeur s'étant manifestement acquitté de son obligation. Le problème ne venait pas non plus d'un fonctionnement défaillant de la commission, celle-ci ayant au contraire transmis à l'employeur un certain nombre d'offres de reclassement externe. La question était plus précisément de savoir ce que l'employeur doit faire des informations communiquées par la commission : peut-il se contenter de les envoyer telles quelles au salarié ou doit-il les analyser pour s'assurer de leur degré de précision et de leur adéquation au profil du candidat ? C'est cette seconde proposition que la Cour de cassation a finalement retenue.
II - L'obligation de reclassement de l'employeur exige plus que la simple transmission au salarié des offres émanant de la commission territoriale de l'emploi
La saisine d'une commission territoriale de l'emploi n'est pas une obligation autonome ; elle n'est qu'un acte préparatoire du reclassement dont l'employeur est le seul et unique responsable. Il est donc logique que ce dernier, une fois en possession d'offres d'emploi transmis par la commission, doive respecter les exigences propres de l'obligation de reclassement.
Les exigences propres de l'obligation de reclassement. Synthétisant une partie de sa jurisprudence, la Cour de cassation résume ainsi l'objet de l'obligation de reclassement : "l'employeur est tenu avant tout licenciement économique, d'une part, de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettant d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, d'autre part, de proposer ensuite aux salariés dont le licenciement est envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure" (8).
La première phase de recherche répond à une logique quantitative. L'employeur doit prospecter de façon à identifier le plus de solutions de reclassement possibles. C'est cette logique qui est à l'oeuvre lorsque la Cour de cassation délimite le périmètre de l'obligation. Celui-ci épouse en principe les frontières de l'entreprise, mais il peut aller au-delà si l'entreprise appartient à un groupe (9) ou si, comme en l'espèce, des textes conventionnels imposent à l'employeur de saisir une commission territoriale de l'emploi. Dans ce dernier cas, le périmètre du reclassement s'ouvre alors aux entreprises du même secteur d'activité présentes localement.
La seconde phase de proposition répond pour sa part à une logique qualitative. S'il incombe à l'employeur de proposer tous les emplois disponibles, encore faut-il que ces emplois permettent un reclassement effectif du salarié. C'est pour s'en assurer que le législateur et surtout la Cour de cassation ont précisé l'effort attendu de l'employeur. Il faut d'abord que le salarié se voit proposer des "offres écrites et précises" (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L3135IM3). La Cour de cassation va même plus loin puisqu'elle exige des propositions "concrètes et personnalisées" (10). Cela signifie sur le plan formel que l'employeur ne peut pas se limiter à un envoi groupé (11) ou un simple affichage (12) des offres de reclassement. Plus substantiellement, cette exigence suppose que l'employeur procède à un tri, une sélection, des solutions envisageables afin de ne proposer aux salariés que celles "adaptées [à leurs] aptitudes et [à leurs] compétences" (13).
Ce sont bien ces exigences qui sont rappelées au cas présent. Quand bien même l'employeur se verrait transmettre des offres de reclassement par une commission territoriale de l'emploi, il doit "vérifier que ces offres sont en rapport avec les compétences et les capacités du salarié" et, dans l'affirmative, lui proposer "de manière écrite, précise et personnalisée". S'il en ainsi, c'est parce qu'en dépit de l'aide que peut constituer l'intervention d'une commission territoriale de l'emploi, l'employeur est, et doit rester, le seul responsable du reclassement.
L'employeur, seul responsable du reclassement. De prime abord, la solution peut sembler sévère. Il est difficile de dire qu'en l'espèce l'employeur n'avait pas joué le jeu. Non seulement celui-ci avait saisi en temps utile la commission territoriale compétente, mais sa démarche avait en plus porté ses fruits, puisqu'elle lui avait permis de transmettre au salarié plusieurs propositions de reclassement. Le voilà pourtant condamné pour s'être contenté de renvoyer par voie électronique ces offres au salarié. La Cour de cassation ne fait-elle pas preuve ici d'une sévérité excessive ?
Peut-être. Mais la solution est, il faut le reconnaître, d'une cohérence implacable. Dès lors que la saisine d'une commission territoriale de l'emploi a été conçue comme une source d'extension du périmètre de l'obligation de reclassement de l'employeur, il fallait s'attendre à ce que la Cour de cassation fasse application des principes qui gouvernent la mise en oeuvre de cette obligation dans cette hypothèse. Lorsque l'employeur saisit une commission territoriale de l'emploi, il ne s'acquitte pas d'une obligation autonome ; il met en oeuvre son obligation de reclassement. Il faut donc qu'il "traite" les offres transmises selon les mêmes exigences.
Plus fondamentalement, on peut se demander si cette solution n'a pas été guidée par la crainte d'une déresponsabilisation de l'employeur. Si ce dernier peut se faire aider par des instances paritaires pour reclasser les salariés, il ne saurait entièrement se retrancher derrière leur action. En tant que seul et unique débiteur de l'obligation de reclassement, il lui appartient de contribuer personnellement à la recherche des solutions de réemploi du salarié. De ce point de vue, l'arrêt commenté partage une certaine proximité intellectuelle avec une décision rendue le 30 septembre 2013 (14), considérant l'employeur responsable de la faute commise par le cabinet de reclassement qu'il avait mis en place (15).
(1) V. par ex., la CCN des industries chimiques (N° Lexbase : X0653AEW) (qui prévoit que "les chambres syndicales patronales s'efforceront d'assurer le reclassement du personnel") ou la CCN des industries textiles (N° Lexbase : X0651AET) (qui se bornent à énoncer que "les organisations patronales locales prendront les dispositions nécessaires pour faciliter le reclassement du personnel intéressé dans les autres entreprises").
(2) Interprétant la CCN des industries chimiques, la Cour de cassation a ainsi considéré qu'elle ne crée pas "d'obligation particulière à la charge de l'employeur" (Cass. soc. 12 novembre 2008, n° 07-43.242, F-D N° Lexbase : A2466EBX).
(3) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A7828D8G), RDT, 2009, p. 529, obs. F. Héas. V. égal. P. Morvan, L'obligation irréelle de reclassement "extérieur" et les commissions paritaires de l'emploi fantômes, JCP éd. S, 2009, 1235.
(4) Cass. soc., 13 septembre 2012, n° 11-22.414, F-D (N° Lexbase : A7418ISK).
(5) Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 10-24.104, F-D (N° Lexbase : A6058ITK).
(6) Cass. soc., 5 juin 2012, n° 11-21.859, F-D (N° Lexbase : A3862IND).
(7) Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-15.940, F-D (N° Lexbase : A3297KM3).
(8) Cass. soc., 24 juin 2008, n° 06-45.870, FS-P+B (N° Lexbase : A3616D9S), Bull. civ. V, n° 139 ; RDT, 2008, p. 598, obs. J.-Y. Frouin ; Dr. soc., 2009, p. 116, obs. G. Couturier. V. égal., Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-42.381, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6328EDQ).
(9) Selon la formule consacrée, l'employeur doit alors rechercher à reclasser le salarié "parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel".
(10) V. par ex., Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-42.289, F-D (N° Lexbase : A0385DDM) ; Cass. soc., 18 janvier 2005, n° 02-46.737, F-D (N° Lexbase : A0786DG9) ; Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-45.519, F-D (N° Lexbase : A8560DIU) ; Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.125, F-D (N° Lexbase : A1168EGD). V. égal., Cass. soc., 16 mai 2013, n° 11-27.476, F-D (N° Lexbase : A4996KDE).
(11) V. par ex. au sujet de l'envoi du même extrait du plan social à tous les salariés (Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 00-44.044, F-D N° Lexbase : A8398A4S).
(12) V. par ex., Cass. soc., 12 mars 2003, n° 00-46.700, F-D (N° Lexbase : A4066A7Q), (affichage papier) ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.840, F-D (N° Lexbase : A3608DR3), (site intranet).
(13) Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.524, F-D (N° Lexbase : A3897EXM). Pour une formule voisine faisant référence aux "capacités et à l'expérience du salarié", v. Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-44.714, F-D (N° Lexbase : A4396DQU).
(14) Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-13.439, FS-P+B (N° Lexbase : A3218KM7).
(15) S. Tournaux, Modulation du périmètre et de l'intensité de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 544 du 17 octobre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8936BT7).
Décision
Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-18.029, FS-P+B (N° Lexbase : A7656MEB). Rejet (CA Chambéry, ch. soc., 23 février 2012, n° F 10/309 N° Lexbase : A2352IDH). Mots clés : offre de reclassement ; reclassement effectif ; commission territoriale de l'emploi. Lien base : (N° Lexbase : E4778EXA). |
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