La lettre juridique n°564 du 27 mars 2014 : Avocats/Déontologie

[Pratique professionnelle] Le courrier d'avocat à avocat contenant une menace perd-t-il sa nature de correspondance protégée ?

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par Jean-Paul Lévy, Ancien membre du conseil de l'Ordre, Ancien membre du Conseil national des barreaux

le 20 Mars 2014

On sait que les correspondances entre avocats sont par nature confidentielles et ce en vertu des articles 66-V de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), 4 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), et 3 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) ; ce dernier texte aménageant, toutefois, un régime particulier dans ses articles 21.5.3.1 et 21.5.3.2 pour ce qui concerne les courriers de toutes nature échangés ente avocats de différents Etats membres de l'Union.

Il s'en déduit que ces correspondances, quel qu'en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice, ni faire l'objet d'une levée de confidentialité. Est-ce à dire que la lettre envoyée par un avocat à l'un de ses confrères, lorsqu'elle contient une menace reste couverte par le secret professionnel ? Il s'agit, tout d'abord, de définir la nature et le contenu de la menace en cause : les dispositions de l'article 434-8 du Code pénal (N° Lexbase : L1947AM3) répriment de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de commettre toute menace ou intimidation envers... un avocat en vue d'influer son comportement dans l'exercice de ses fonctions. Même si il s'agit de comportements exorbitants de la part d'un auxiliaire de justice, on ne peut écarter également les menaces visées aux articles 222-17 (N° Lexbase : L2153AMP) et 222-18 (N° Lexbase : L2300AM7) du même code lorsqu'elles vont viser d'autres personnes (clients ou tiers). La consultation de la jurisprudence disciplinaire permet de constater que, le 16 juillet 2013, le Conseil de discipline de l'Ordre des avocats au barreau de Paris condamnait un avocat pour des comportements violents et menaçants, à l'encontre d'un confrère dont il était sous-locataire, à la peine de trois mois d'interdiction d'exercice avec sursis et diverses peines d'inéligibilités dans les instances professionnelles, en stigmatisant ses manquements sérieux et répétés aux principes essentiels de courtoisie, de modération, de délicatesse et de confraternité (base déontologique et professionnelle de l'Ordre des avocats de Paris, n° 233800).

Plus vraisemblablement, pourra se poser le cas du chantage, délit prévu et puni par les articles 312-10 (N° Lexbase : L1879AMK) à 312-12 du Code pénal, lorsque la menace de déclencher une procédure pénale sera formulée explicitement sous la condition de signature ou à l'engagement de contracter une obligation pour le client du destinataire.

Il convient tout d'abord de rappeler que l'infraction pénale, si elle est poursuivie et sanctionnée définitivement sous l'une des qualifications évoquées plus haut, générera presque automatiquement une saisine de la juridiction disciplinaire qui aboutira au prononcé d'une sanction disciplinaire pour manquement à l'honneur et à la probité (Conseil de discipline de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, 23 avril 2013, BDP Paris n° 226687).

Mais plus fondamentalement, il s'agit de savoir si la confidentialité des correspondances peut couvrir les manquements aux principes essentiels de délicatesse de dignité et de confraternité. La réponse à cette question est négative. Dans un arrêt rendu le 29 janvier 2009 par la cour d'appel de Paris, confirmant un arrêté du 18 décembre 2007 du Conseil de discipline de l'Ordre des avocats au barreau de Paris (base déontologique et professionnelle), cette juridiction venait affirmer, en visant l'article 3.2 du RIN, que les correspondances confidentielles doivent néanmoins respecter les principes essentiels de la profession tels qu'ils sont définis par l'article 1.3 du Règlement.

Certes les propos reprochés étaient, en l'espèce, diffamatoires puisque l'intéressé n'avait pas craint d'écrire à son confrère : "Monsieur, j'ai pris connaissance du contenu de votre nouvelle et délicieuse lettre de dénonciation qui fleure bon celles envoyées au temps de l'Occupation allemande à la Gestapo", mais le raisonnement tenu doit être le même s'agissant des menaces de toute nature.

Il s'en déduit, selon la cour, deux conséquences :

- d'une part, le courrier entre avocats, dès lors qu'il ne contient aucune référence à aucun écrit ou propos antérieurs qui serait confidentiel ne constitue pas une pièce du dossier au sens de l'article 66 V de la loi du 31 décembre 1971 ;

- d'autre part, la lettre elle-même peut être le corps de l'infraction disciplinaire et la confidentialité ne peut constituer l'immunité disciplinaire.

Mais qu'en est-il si, au-delà de la grave violation des principes essentiels de modération, de courtoisie, de confraternité et de dignité, la lettre ou le courriel est l'instrument de la commission du délit de chantage ? Telle est la situation dans laquelle se trouve l'avocat qui, dans une procédure de divorce, transmet à son client des courriers échangés dans le cadre de pourparlers avec son confrère adverses contenant éventuellement un chantage. La remise au client constitue une violation du secret professionnel peut-on lire dans un arrêt de la cour de Cassation (Cass. civ. 1, 1er février 1983, n° 82-10720, publié au bulletin N° Lexbase : A6307CEC).

Est-ce à dire pour autant que de tels échanges de correspondances, s'ils venaient à être découverts au cabinet de l'avocat suspecté de chantage, lors d'une perquisition menée dans les formes de l'article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT), ne pourraient pas être saisis par le magistrat instructeur ? Il y aurait lieu, alors, à la constitution d'un scellé fermé avec saisine du juge des libertés dans les cinq jours. Le débat organisé devant cette juridiction aurait pour objet de déterminer si les pièces ainsi appréhendées ressortent du secret professionnel ou si elles sont susceptibles d'établir la participation de l'avocat à la commission de l'infraction.

Dans cette dernière hypothèse (Cass. crim., 14 janvier 2003, n° 02-87.062, F-P +F N° Lexbase : A8208A4R), le juge des libertés validera la saisie, le secret professionnel ne permettant pas faire échapper la pièce aux investigations.

On voit donc que les réponses à la question posée dans cette chronique sont multiples, mais qu'en tous cas la confidentialité des correspondances n'est pas génératrice d'une impunité pour l'avocat tant au plan disciplinaire qu'au niveau pénal.

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