La lettre juridique n°563 du 20 mars 2014 : Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Retrait d'associé de la SCP et mission de l'administrateur provisoire

Réf. : CA Versailles, 29 janvier 2014, n° 13/03001 (N° Lexbase : A1870MDM)

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N1265BUE

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 20 Mars 2014

Le droit pour tout associé de se retirer de la société, caractéristique essentielle des sociétés civiles (C. civ., art. 1869 N° Lexbase : L2066AB7), se retrouve évidemment dans les sociétés civiles professionnelles (loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, art. 18 N° Lexbase : L3146AID). Selon le contexte du retrait, plus ou moins conflictuel, le déroulement ne prend pas forcément les mêmes formes. Lorsque, comme en l'espèce jugée par la cour d'appel de Versailles, on observe qu'une évidente tension s'est faite jour entre les associés, il peut y avoir lieu à la nomination d'un administrateur provisoire. Mesure d'exception en droit des sociétés, l'intervention d'un tiers dans le fonctionnement de la société est de nature à provoquer des interrogations quant aux pouvoirs dont il dispose. Pure construction prétorienne, cette mesure reste pour une large part dans le champ d'appréciation des juges du fond tant en ce qui concerne les conditions de nomination que la détermination de leurs pouvoirs (v. G. Bolard, Administration provisoire et mandat ad hoc, JCP éd. E, 1995, I, 509). La singularité de la situation tenait à ce que, dans une SCP comportant trois avocats, l'un d'entre eux avait fait l'objet d'une décision de suspension provisoire d'exercice le 28 mars 2011, pour une durée de quatre mois qui avait été constamment renouvelée, jusqu'à son omission du barreau prenant effet le 6 juillet 2012. Quelques mois avant cette dernière date, les deux autres avocats associés ont fait part de leur décision de se retirer de la SCP. Dans ce contexte, le conseil de l'Ordre des avocats du barreau concerné a pris acte du retrait des deux associés au 31 décembre 2012 et les a informés de la nécessité de faire désigner un administrateur provisoire pour la société. Les deux avocats retrayants ont donc assigné la SCP et l'associé subsistant à cette fin et l'ordonnance du président du TGI a désigné un administrateur provisoire ayant pour mission, pour l'essentiel, de refaire les comptes de 2011, d'établir ceux de 2012 et de les soumettre pour approbation aux associés en assemblée générale. En outre, l'ordonnance donnait à l'administrateur mission de se faire remettre les sommes auxquelles les deux associés sont par ailleurs condamnés à reverser à la société, s'agissant de montants excédant le solde de leur compte courant d'associés.

La cour d'appel de Versailles, dans des circonstances qu'il convient bien sûr de prendre en compte, a jugé dans l'arrêt rapporté que la mission de l'administrateur provisoire tendant à refaire les comptes pour les années 2011 et 2012 et à les soumettre à l'approbation des associés n'implique pas l'examen du litige opposant les associés sur la répartition du résultat des exercices entre les associés. En revanche, les juges versaillais estiment que la demande de restitution de l'excédent de prélèvement effectué fin décembre 2012 par deux des associés entrait bien dans la mission de l'administrateur.

Le présent arrêt, en ce qu'il porte sur des aspects assez fréquents dans la vie des SCP, présente donc un double intérêt. D'une part, il permet de préciser la mission de l'administrateur provisoire au regard de l'établissement des comptes de la société (I) et, d'autre part, de lui reconnaître le pouvoir d'obtenir la restitution de sommes par les associés (II).

I - La mission de l'administrateur provisoire et l'établissement des comptes de la société

L'ordonnance de référé dont la réformation partielle était demandée à la cour d'appel de Versailles avait conféré à l'administrateur provisoire la mission de refaire les comptes de la société pour 2011 et imposé à deux des associés de restituer les sommes prélevées en décembre 2012. Ils font valoir qu'il n'y aurait pas lieu à référé du chef de ces demandes formées par l'un de leurs associés et, à tout le moins, constater l'existence de contestations sérieuses. En conséquence de quoi, les sommes litigieuses devraient être reversées aux deux associés concernés.

La difficulté sérieuse tiendrait, selon les appelants, à l'interprétation nécessaire de deux articles des statuts de la SCP, dont dépend le montant des droits à résultat pour 2011 et 2012 de l'avocat associé ayant fait l'objet successivement de la mesure de suspension provisoire d'exercice puis de l'omission du tableau. L'administrateur provisoire n'aurait pas de pouvoir pour trancher cette question qui relève de la compétence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats, en application de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), qui dispose que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à son arbitrage.

Pour les juges d'appel, un tel argumentaire ne saurait prospérer dès lors que la partie de la mission, tendant à refaire les comptes pour 2011 et 2012, consiste en une vérification de ces comptes. Elle n'implique pas l'examen du litige opposant les parties sur la répartition du résultat des exercices entre les associés. La position peut se comprendre dans la mesure où, l'administrateur provisoire est seulement désigné pour établir les comptes des deux années en cause et qu'il appartiendra aux associés de se prononcer sur l'approbation desdits comptes et surtout sur l'affectation des résultats. L'arrêt ne manque pas, d'ailleurs, de relever que l'administrateur devra convoquer les associés à cette fin, et que cette convocation entre "à l'évidence" dans sa mission. Si, lors de cette étape, les associés se trouvent en désaccord, notamment à propos de la détermination des droits aux bénéfices de l'associé sanctionné, il leur appartiendra alors de saisir le Bâtonnier afin qu'il exerce, sur cette question, le pouvoir que lui accorde la loi du 31 décembre 1971. Sous cette réserve logique, la mission de l'administrateur est bien d'établir les comptes sociaux et, pour ce faire, il est fondé à s'adjoindre un expert-comptable de son choix. Ce droit, formellement reconnu dans le présent arrêt, ne manquera pas d'être remarqué en ce qu'il s'avèrera souvent indispensable pour la bonne exécution de la mission confiée, es qualité, à un administrateur provisoire qui peut ne pas disposer des compétences comptables suffisantes pour l'établissement des comptes de la société.

II - La mission de l'administrateur provisoire et la restitution de sommes par les associés

L'arrêt commenté apparaît, également, comme favorable à la reconnaissance d'une plénitude des missions conférées à l'administrateur provisoire. Ici était en jeu la demande en restitution des sommes prélevées par les deux avocats retrayants en décembre 2012.

Pour les juges d'appel, confirmant en cela l'ordonnance du premier juge, une telle demande était fondée dans la mesure où elle permettait à l'administrateur provisoire de remplir pleinement sa mission. Dès lors qu'il résultait de l'examen des comptes que les sommes prélevées par les deux associés étaient supérieures au montant de leur compte courant d'associé, il en résultait, selon les termes de l'arrêt commenté, "une gêne à l'administration de la SCP, eu égard aux fonds dont elle dispose en compte auprès de la banque". La difficulté financière dans laquelle se trouvait ainsi placée la SCP apparaissait, d'ailleurs, à ce point évidente que les associés eux-mêmes avaient procédé, ultérieurement, à un reversement dans les comptes de la société d'une partie des sommes précédemment perçues.

Bien sûr, il ne saurait être retenu de cette position qu'entre dans les pouvoirs d'un administrateur provisoire, par principe, le droit de réclamer le reversement de sommes prélevées par des associés. Le fondement de ce droit est corrélé, en l'espèce, à la situation financière de la société et à la nécessité pour l'administrateur d'établir les comptes de l'année en cause. Une fois les comptes établis par l'administrateur, les associés seront à même de statuer, selon les clauses statutaires adéquates, sur l'affectation des résultats et donc sur la détermination du montant exact des sommes que les associés pourront prélever en représentation de leurs droits aux bénéfices dans la société.

Décision

CA Versailles, 29 janvier 2014, n° 13/03001 (N° Lexbase : A1870MDM)

Liens base : (N° Lexbase : E9778ETC) et (N° Lexbase : E9973ETK)

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