La lettre juridique n°557 du 6 février 2014 : Commercial

[Panorama] Rupture brutale de relation commerciale établie : panorama de jurisprudence 2013

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par Valérie Marx, Docteur en droit, Avocat Fidal

le 21 Février 2014

A l'instar des années précédentes, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8640IMX) a fait l'objet d'une très forte application par les juridictions en 2013 (1). En 2012, le bilan des décisions judiciaires civiles et pénales de l'Université de Montpellier, publié sur le site de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), explique le succès de ce dispositif dans le contentieux entre opérateurs économiques, par le contexte de sa mise en oeuvre incitant la victime de la rupture à agir dès lors qu'elle n'a rien à y perdre, mais aussi par l'interprétation très extensive de ses conditions par les juges (2).

Dans l'attente du bilan 2013, un panorama des principales décisions rendues cette année permet d'éclairer tant les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (I), que sa mise en oeuvre et sa sanction (II). I - Caractérisation de la rupture brutale

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionne le fait de "rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels [...]" (3). L'application de ce dispositif suppose donc que plusieurs conditions soient satisfaites, les unes ayant trait aux caractéristiques de la relation (A), les autres à celles de la rupture (B). En outre, l'auteur de la rupture ne doit pas pouvoir s'exonérer de sa responsabilité en rapportant des faits justificatifs (C).

A - La notion de relation commerciale établie

En 2013, plusieurs décisions notables éclairent l'appréciation des conditions de "commercialité" (1°) et de "stabilité" de la relation (2°).

1° - Une relation commerciale

Pour que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'applique, encore faut-il que la relation établie soit de nature "commerciale". La Cour de cassation exclut ainsi de son champ d'application la relation entre un conseil en propriété intellectuelle et son client pour la gestion d'un portefeuille de marques et noms de domaine en estimant "en premier lieu, qu'après avoir énoncé [...] que la profession de conseil en propriété industrielle est incompatible avec toute activité de caractère commercial, l'arrêt retient exactement que si cette profession peut être exercée sous forme de société commerciale, une telle faculté ne permet pas de déroger à cette incompatibilité ; [ce dont] il se déduit que l'activité de conseil en propriété industrielle, quand bien même elle serait exercée sous forme de société commerciale, n'est pas une activité commerciale et que [le cabinet de conseil] n'entretenait donc pas avec [la société gérant le grand magasin] une relation commerciale, la cour d'appel a retenu à bon droit que les conditions d'application de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de commerce n'étaient pas réunies" (Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-17.905, F-P+B N° Lexbase : A6378KBT (4)).

2° - Une relation établie

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s'applique que si la relation commerciale est "établie", c'est-à-dire qu'elle doit présenter des caractères de stabilité et de régularité tels que la victime de la rupture peut légitimement croire en sa pérennité (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 21 mars 2013, n° 10/20543 N° Lexbase : A6063KAS). Pour caractériser cette condition, les juges examinent notamment les termes du contrat, le comportement des parties durant son exécution et lors de la rupture. La jurisprudence 2013 en fournit plusieurs illustrations.

S'agissant des termes du contrat, les juges apprécient si les parties ont entendu précariser leur relation ou, au contraire, l'inscrire dans la durée. Une clause de durée excluant tout renouvellement tacite du contrat permet ainsi d'échapper au dispositif légal, comme en témoigne un arrêt de la Cour de cassation du 12 février 2013. Dans cette affaire, la Cour approuve une cour d'appel d'avoir considéré qu'un prestataire qui avait conclu cinq contrats successifs avec une radio "ne pouvait légitimement s'attendre à la stabilité de la relation" dans la mesure où "les contrats successivement conclus excluaient expressément toute reconduction tacite, [...] conform[ément] aux usages de la profession qu['il] connai[ssait] puisqu'[il] les pratiqu[ait] depuis 15 ans qui excluent toute pérennité, chaque contrat n'étant signé que pour une saison radiophonique" (Cass. com., 12 février 2013, n° 12-13.819, F-D N° Lexbase : A0564I8E). Les entreprises peuvent donc anticiper et gérer le risque de rupture dès la rédaction du contrat.

Les juges apprécient également le comportement des parties lors de l'exécution du contrat. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 12 septembre 2013, condamne ainsi un fournisseur ayant fait jouer une clause résolutoire en relevant que sa tolérance passée quant aux inexécutions contractuelles de son partenaire avait laissé ce dernier "espérer la poursuite du contrat". En l'espèce, "lors de l'exécution des contrats successifs, [le fournisseur] n'avait jamais mis fin à une période d'essai nonobstant la non-réalisation de l'objectif fixé", "ni alerté son partenaire de la faiblesse de ses résultats" (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 12 septembre 2013, n° 11/22934 N° Lexbase : A9999KKK). Si une rédaction appropriée du contrat est nécessaire, elle ne suffit pas à éradiquer tout risque de condamnation, les entreprises devant faire preuve de cohérence et de diligence tout au long de l'exécution du contrat.

S'agissant, enfin, du comportement des parties lors de la rupture du contrat, les juges apprécient si la manifestation de la volonté de rompre la relation est dépourvue de toute ambiguïté, ainsi qu'en témoigne un arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2013. En l'espèce, un contrat de concession automobile à durée déterminée stipulait une notification préalable en cas de non-renouvellement du contrat. Le constructeur avait envoyé un premier courrier pour savoir si le concessionnaire se portait candidat pour un nouveau contrat, sachant qu'au vu des "conditions difficiles d'exécution du contrat", il serait en concurrence avec d'autres entreprises. Un second l'informait du non-renouvellement du contrat et de l'examen possible de candidature pour un nouveau contrat. En l'absence de renouvellement, le concessionnaire l'avait assigné pour rupture brutale et une cour d'appel avait fait droit à ses demandes. La Cour de cassation censure cet arrêt aux motifs : "qu'il résultait des termes clairs et précis [du premier] courrier qu'il était demandé [au concessionnaire] de dire [s'il] se portait candidat en vue de la proposition d'un nouveau contrat et que le [constructeur] l'informait de son intention de [le] mettre en concurrence avec d'autres candidats potentiels pour l'obtention de la concession, ce qui manifestait l'intention [du constructeur] de ne pas poursuivre ses relations commerciales avec [le concessionnaire] dans les conditions antérieures" et "qu'il résultait des termes clairs et précis [du second] courrier que [le constructeur] n'avait pas l'intention de proposer [au concessionnaire] le renouvellement du contrat à son terme et se bornait à ne pas exclure l'examen d'une proposition [du concessionnaire] pour un nouveau contrat, de manière concomitante à toute autre candidature, manifestant ainsi son intention de ne pas poursuivre les relations commerciales aux conditions antérieures" (Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-15.390, F-D N° Lexbase : A5243KDK). L'information d'une mise en concurrence avec d'autres candidats au terme du contrat confortée par celle du non-renouvellement révèle suffisamment l'intention de l'auteur de la rupture de rompre la relation en cours.

B - La notion de rupture brutale

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce suppose également que soit caractérisée une rupture (1°) présentant une certain degré de brutalité (2°).

1° - La rupture

Le Code de commerce condamne tant la rupture totale que partielle des relations commerciales. La prise en compte de la rupture partielle permet de sanctionner une réduction significative du volume d'affaires entre partenaires commerciaux, le plus souvent préalable à l'arrêt total des relations commerciales. La jurisprudence refuse ainsi de sanctionner une baisse temporaire des commandes en période de crise, comme en témoigne la jurisprudence en 2013.

Dans une première affaire, une société avait confié à un partenaire le transport et la livraison de marchandises. Prétextant une baisse des livraisons due à la crise économique, le transporteur l'avait assignée en rupture brutale, ignorant ses propositions de réaménagement des relations commerciales. La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 4 avril 2013, impute la rupture au transporteur car la société "n'avait pas l'intention de rompre sa relation commerciale", "une baisse d'activité pendant une dizaine de jours ne permet[ant] pas de caractériser une rupture brutale des relations commerciales", et le transporteur avait "[lui]-même mis brutalement un terme à la relation commerciale entre les parties en la plaçant délibérément sur le plan contentieux, alors que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5 ° du Code de commerce ne font pas obstacle à ce que les parties, dans le cadre d'une exécution loyale et de bonne foi, réaménagent leurs relations commerciales, dès lors qu'il n'en résulte pas des conséquences excessives [...]" (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 4 avril 2013, n° 10/02735 N° Lexbase : A5448KBE). Il s'agit d'une solution de bon sens, la rupture partielle n'étant, en principe, contestable que si elle est hors de proportion avec la contraction du marché et si elle n'est pas imputable à l'un des partenaires. Dans un arrêt du 12 février 2013, la Cour de cassation approuve ainsi une cour d'appel d'avoir jugé que, "l'effondrement [des] commandes" d'un donneur d'ordres à son sous-traitant s'expliquant par "la diminution [de 70 %] de [ses] propres commandes [...] consécutive à la crise économique" et donc "non délibérée", "il ne [pouvait] être démontré l'existence d'une quelconque rupture [...] imputable" au donneur d'ordres (Cass. com., 12 février 2013, n° 12-11.709, F-D N° Lexbase : A0681I8Q).

Une autre forme de rupture sanctionnée par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est celle résultant d'une modification unilatérale et substantielle (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 13 novembre 2013, n° 11/22014 N° Lexbase : A4103KPN) des conditions d'exécution du contrat sans préavis écrit, par exemple en cas d'augmentation des tarifs, de modification des conditions de vente, de règlement voire même, curieusement, en cas de suppression de certains avantages de fait. A cet égard, un fournisseur avait confié la distribution de ses produits à un seul distributeur sans qu'aucune exclusivité ou non-concurrence n'ait été convenue. Le distributeur ayant été informé, après un an de "relation privilégiée", qu'il travaillerait désormais "en parallèle avec un autre distributeur", se prétendait victime d'une rupture brutale. Constatant que, "de seul distributeur des produits [du fournisseur] dans les DOM-TOM et partenaire privilégié, [...le distributeur] était devenu simple client [du fournisseur]", la cour d'appel de Basse-Terre considère brutale "la modification radicale et unilatérale des relations commerciales" moyennant un préavis de seulement trois mois, malgré "l'enthousiasme manifesté par [le fournisseur] au sujet des résultats obtenus par le distributeur [... et le] montant des encours accordés, [laissant] légitimement croire à l'existence de relations commerciales durables" (CA Basse-Terre, 9 septembre 2013, n° 12/00129 N° Lexbase : A0951KLS).

2° - La brutalité de la rupture

Pour agir sans brutalité, l'auteur d'une rupture doit notifier à son partenaire un préavis écrit (a) suffisant (b).

a) La notification écrite

S'agissant de l'exigence d'un préavis écrit, peu importe l'absence de contrat écrit ou encore la succession de contrats distincts. Les juges apprécient sévèrement le respect de cette condition. La Cour de cassation, dans une décision du 15 janvier 2013, a ainsi approuvé une cour d'appel d'avoir condamné un donneur d'ordres pour rupture brutale, dès lors que celui-ci, "non seulement n'a[vait] pas donné de préavis écrit [au sous-traitant] mais, en annonçant officiellement l'arrêt de la relation puis en poursuivant la demande de production, a eu une attitude ambivalente qui a empêché [le sous-traitant] de prendre les mesures adéquates pour faire face à la situation, notamment chercher de nouveaux partenaires", mettant ainsi le sous-traitant "dans l'impossibilité de mettre à profit le préavis [...]" (Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-17.553, F-D N° Lexbase : A4926I3T ; égal. CA Paris, Pôle 5, 5éme ch., 21 novembre 2013, n° 12/11457 N° Lexbase : A8615KPR ; CA Paris, Pôle 5, 5éme ch., 21 mars 2013, n° 10/20543 N° Lexbase : A6063KAS). En l'absence d'exigence légale portant sur la forme de l'écrit, les entreprises avisées recourent au courrier recommandé avec accusé de réception pour des raisons probatoires.

Un arrêt du 29 janvier 2013 rappelle que le début de ce préavis est fixé à la date à laquelle l'auteur de la rupture notifie son intention de mettre fin à la relation commerciale : "l'adéquation du préavis écrit qui est consenti, tenant compte de la durée de la relation commerciale, s'apprécie à la date à laquelle l'auteur de la rupture notifie son intention d'y mettre fin" (Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676, F-P+B N° Lexbase : A6180I4N).

b) La durée du préavis

Le contentieux le plus important porte sur la détermination d'un préavis suffisant, devant tenir compte, selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de la durée de la relation commerciale établie et respecter la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Etant précisé que les juges prennent également en considération un faisceau d'indices relatif aux circonstances de l'espèce, devant être appréciées au moment de la rupture, ainsi que l'indique la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juillet 2013 : "le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture". La Haute juridiction censure par conséquent, l'arrêt d'appel ayant rejeté une demande indemnitaire pour rupture brutale au motif que la victime s'était reconvertie immédiatement et dans des "conditions [non] défavorables" (Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-20.468, FS-P+B N° Lexbase : A8675KI7 (5)).

Ne constitue pas un critère décisif d'évaluation de la durée du préavis l'existence d'une clause convenue par les parties dès lors que les juges peuvent le fixer à la hausse, comme à la baisse. A cet égard, la Cour de cassation a considéré, dans une décision du 22 octobre 2013 "que l'existence d'un délai de préavis contractuel ne dispense pas la juridiction d'examiner si ce délai de préavis tient compte de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances au moment de la notification de la rupture" (Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-19.500, F-P+B N° Lexbase : A4615KNA).

Ne constitue pas non plus une limite à la fixation judiciaire du préavis l'absence de protestation de la victime de la rupture au moment de sa notification. La cour d'appel de Colmar a ainsi accordé à un distributeur exclusif un préavis de dix-huit mois pour quinze ans de relation après avoir relevé qu'il importe peu, d'une part, "que le contrat [...] ait retenu un préavis de six mois" et, d'autre part, que le distributeur "n'ait pas revendiqué le bénéfice d'un préavis plus long [...], l'absence de protestation s'expliqua[nt] par [son] souci de ne pas compromettre [d]es pourparlers qui devaient s'ouvrir avec [le fournisseur]" (CA Colmar, 16 janvier 2013, n° 10/05985 N° Lexbase : A2594I3H).

Le premier critère d'évaluation de la durée du préavis est l'ancienneté de la relation commerciale. La jurisprudence apprécie, à cet égard, le préavis réellement effectué et non celui initialement notifié, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à l'auteur d'une rupture d'avoir accordé à son partenaire un préavis insuffisant pour une relation de vingt-trois ans puisque le préavis de douze mois initialement accordé avait été prolongé de quatre mois avec l'accord du partenaire (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-21.424, F-D N° Lexbase : A5864KGB).

Les juges considèrent généralement que le délai de préavis doit être de l'ordre d'un mois par année de relation, avec un maximum de vingt-quatre mois. Toutefois, cette durée peut varier en fonction d'un certain nombre d'éléments supplémentaires retenus par la jurisprudence, tels que la nature des produits, l'importance financière de la relation, le montant des investissements, la reconversion du cocontractant. Il en va de même de l'état de dépendance économique de la victime, qui bien que ne constituant pas un critère légal, peut conduire les juges à une appréciation plus protectrice de la durée du préavis et avoir une incidence sur le préjudice subi par la victime ; étant précisé que la victime a l'obligation de minimiser son propre dommage, en évitant notamment de se placer volontairement dans une situation de dépendance vis-à-vis de son partenaire (CA Paris, Pôle 5, 5éme ch., 7 mars 2013, n° 11/16439 N° Lexbase : A1492I97).

Les juges apprécient largement la durée de la relation commerciale. Plusieurs décisions récentes illustrent cette exigence.

Dans une première affaire, un sous-traitant avait assigné son donneur d'ordres pour rupture brutale car celui-ci lui avait notifié la cessation de leur relation à l'issue d'un délai de préavis d'une durée de trois mois, puis avait maintenu les relations au-delà de ce terme, pour enfin lui notifier à nouveau la cessation de leur relation avec un second préavis d'une durée de deux mois seulement. La Cour de cassation a estimé que "pour fixer la durée du préavis, [il faut se référer] à la durée de la relation commerciale considérée dans son ensemble et non à celle de la poursuite de cette relation après le terme fixé par la première lettre de rupture" (Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-15.591, F-D N° Lexbase : A3964KCS).

Dans une deuxième affaire, un distributeur en relation commerciale avec son fournisseur depuis deux ans prétendait que la relation avait, en réalité, duré six ans car ce dernier avait racheté un précédent fournisseur avec lequel la relation avait duré quatre ans. Une cour d'appel accueille l'argument du distributeur en relevant qu'il n'avait "pas cessé de distribuer les produits de la marque [du premier fournisseur] avant de distribuer les produits [du second fournisseur]", peu important que "les produits commercialisés [dans le cadre des deux contrats successifs] n'aient pas été strictement identiques" (CA Versailles, 19 février 2013, n° 11/04961 N° Lexbase : A2173I8Y). Un changement de contractant n'a pas pour effet d'y mettre un terme, dès lors que le nouveau partenaire s'inscrit dans la poursuite de la relation antérieure.

Outre la durée de la relation commerciale, la détermination de la durée du préavis doit également tenir compte de la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

A cet égard, un avis de la CEPC en date du 13 juin 2013 (6) recense quatre accords (7) : l'accord des usages professionnels de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique (8), celui relatif à l'exploitation en location gérance des fonds de commerce de station service des sociétés pétrolières (9), celui conclu dans le secteur du bricolage entre l'Union des industries du bricolage et la Fédération française des magasins de bricolage (10), et enfin celui conclu entre la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) (11). L'existence d'une durée minimale de préavis dans de tels accords ne dispense toutefois pas les juges d'examiner si le préavis convenu tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce.

L'avis n° 13-04 de la CEPC indique, également, l'existence de délais de préavis fixés dans les contrats-types de transport (12). S'agissant de contrats-types approuvés par décret, les délais de préavis qui y sont prévus suffisent. La Cour de cassation rappelle d'ailleurs ce principe dans un arrêt du 19 novembre 2013 à propos du contrat-type de sous-traitance en matière de transport de marchandises. Elle considère, au visa de l'article L. 442-6, I, 5°, de la "LOTI" du 30 décembre 1982 (loi n° 82-1153 N° Lexbase : L6771AGU) et du contrat-type approuvé par décret "qu'il résulte de la combinaison de ces textes que les usages commerciaux en référence desquels doit s'apprécier la durée du préavis de résiliation du contrat de sous-traitance de transport contractuellement convenu sont nécessairement compris comme conformes au contrat type dont dépendent les professionnels concernés" (Cass. com., 19 novembre 2013, n° 12-26.404, F-P+B N° Lexbase : A0381KQ8).

C - Faits justificatifs

L'auteur d'une rupture brutale est exonéré de toute responsabilité en cas de force majeure ou d'inexécution ou de mauvaise exécution par le partenaire de ses obligations, à condition de démontrer que les manquements allégués étaient d'une gravité telle qu'ils justifiaient le non-respect du préavis légal. La cour d'appel de Paris a ainsi refusé d'exonérer de sa responsabilité un donneur d'ordres ayant résilié un contrat pour défaut de réalisation par le courtier des objectifs contractuels convenus. Après avoir rappelé que le juge conserve, en dépit d'une clause de résiliation de plein droit, toute latitude pour apprécier l'existence d'une inexécution contractuelle ainsi que le caractère suffisant ou raisonnable de la durée de préavis, la cour décide que le manquement contractuel allégué n'était pas de nature à priver le courtier d'un "préavis adapté", dès lors notamment que le donneur d'ordres n'avait jamais mis fin à la période d'essai du courtier et ne l'avait jamais alerté sur l'insuffisance de ses résultats (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 12 septembre 2013, n° 11/22934 N° Lexbase : A9999KKK).

La jurisprudence apprécie strictement la gravité de la faute. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juillet 2013, a ainsi considéré qu'une cour d'appel ne pouvait rejeter une demande pour rupture brutale en se fondant sur une clause permettant à un mandant de révoquer le mandat sans indemnité en cas de non-obtention par le mandataire d'au moins 80 % de son objectif annuel, sans "caractériser un manquement grave de [sa part] à ses obligations contractuelles justifiant la rupture de leurs relations commerciales sans préavis" (Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-21.001, F-D N° Lexbase : A8683KIG).

II - Mise en oeuvre et sanction de la rupture brutale

Les questions de procédure (A) et de sanctions (B) ont été au coeur de l'actualité en 2013.

A - Procédure

Le contentieux a essentiellement concerné la compétence des juridictions spécialisées (1°) et l'efficacité des clauses attributives de juridiction (2°).

1° - Juridictions spécialisées

Les litiges relatifs à l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont réservés, depuis la loi du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), à des juridictions spécialisées (C. com., art. L. 442-6, III, al. 5, D. 442-3 N° Lexbase : L9159IEX et D. 442-4 N° Lexbase : L9181IER), soit huit tribunaux de commerces et huit tribunaux de grande instance et en appel, à la cour d'appel de Paris.

En 2013, de nombreux arrêts ont encore porté sur l'application dans le temps de la loi de 2008, étant précisé que les juridictions qui, à la date d'entrée en vigueur du décret du 11 novembre 2009, soit le 1er décembre 2009 (13), étaient saisies d'un litige relatif à l'article L. 442-6 restent compétentes pour en connaître (CA Aix-en-Provence, 12 septembre 2013, n° 13/00457 N° Lexbase : A2528KR3). Les procédures introduites postérieurement au 1er décembre 2009 sont donc soumises aux dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce et, par suite, relèvent des juridictions spécialisées (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 11 décembre 2013, n° 11/20120 N° Lexbase : A1307KRT ; CA Montpellier, 1er octobre 2013, n° 12/00730 N° Lexbase : A0663KMI ; CA Montpellier, 23 avril 2013, n° 12/02045 N° Lexbase : A4990KCS ; CA Rennes, 9 avril 2013, n° 12/00245 N° Lexbase : A7690KBG). En effet, le décret du 11 novembre 2009 est une "loi d'organisation judiciaire et les compétences spéciales qu'il institue sont d'ordre public" (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 21 mars 2013, n° 10/20543 N° Lexbase : A6063KAS). Il s'agit d'une fin de non-recevoir et non d'une exception d'incompétence, tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir (Cass. com., 24 septembre 2013, n° 12-21.089, F-P+B N° Lexbase : A9414KLA ; CA Montpellier, 23 avril 2013, n° 12/02045 N° Lexbase : A4990KCS).

2° - Clause attributive de juridiction

L'efficacité des clauses attributives de juridiction a de nouveau été au coeur du contentieux de la rupture brutale de relation commerciale en 2013. La doctrine analyse la question soit au regard de la nature de la responsabilité de l'auteur de la rupture brutale et le caractère international ou non du litige (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 7 mars 2013, n° 12/04392 N° Lexbase : A2115I99) (14), soit au regard de la rédaction de la clause et donc de la volonté des parties (15), étant précisé que l'action en rupture brutale est aujourd'hui généralement considérée comme délictuelle dans la mesure où la rupture des relations commerciales ne dépend pas de l'existence d'un contrat, du moins dans le cadre d'un litige interne (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 10 octobre 2013, n° 12/20386 N° Lexbase : A5760KMB).

A cet égard, plusieurs arrêts admettent l'efficacité d'une clause attributive de compétence suffisamment claire et précise. Dans une première affaire, le tribunal de commerce de Paris, saisi par un distributeur français pour rupture brutale de son fournisseur américain, s'était déclaré incompétent au profit des juridictions américaines désignées par une clause attributive de compétence stipulant : "le présent contrat ainsi que les droits et obligations des parties résultant de ses termes sont régi[e]s par le droit de l'Etat de Floride". Une cour d'appel rejette le contredit formé par le distributeur français, qui prétendait que la clause, réservée aux litiges de nature contractuelle, n'avait pas vocation à s'appliquer, aux motifs que "la nature délictuelle de la responsabilité encourue par [le fournisseur américain] n'est pas exclusive, par principe, de l'application d'une clause attributive de juridiction valablement stipulée entre [les] parties" et que "l'autonomie de la volonté permet aux parties contractantes de soumettre les différends qui seraient en relation avec le contrat au seul tribunal qu'elles ont conventionnellement désigné" (CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 5 mars 2013, n° 12/19993 N° Lexbase : A0337I9D). De même, la cour d'appel de Paris a jugé que la "nature délictuelle n'empêche pas le jeu d'une clause attributive de compétence lorsque celle-ci est suffisamment large et compréhensive pour s'appliquer aux litiges découlant de faits de rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties" (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 10 octobre 2013, n° 12/20386 N° Lexbase : A5760KMB ; v. égal. CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 17 décembre 2013, n° 13/13637 N° Lexbase : A4716KR4).

B - La réparation du préjudice causé par la rupture brutale

Le non-respect du préavis raisonnable expose l'auteur de la rupture à réparer le dommage causé à la victime, étant précisé que la réparation ne doit couvrir que "les conséquences de la brutalité de la rupture et non de la rupture" elle-même (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-20.846, F-D N° Lexbase : A5713KGP ; CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 19 septembre 2013, n° 12/02555 N° Lexbase : A4225KL3 ; CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 19 septembre 2013, n° 11/17720 N° Lexbase : A4102KLI ; v. égal. Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-28.704, F-D N° Lexbase : A4752KNC). En général, les juges considèrent que le manque à gagner consiste en la perte de la marge brute sur le chiffre d'affaires qu'aurait réalisée la victime pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 19 septembre 2013, n° 12/02555 N° Lexbase : A4225KL3 ; CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 21 novembre 2013, n° 12/11457 N° Lexbase : A8615KPR) et non de chiffre d'affaires (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 17 octobre 2013, n° 11/08326 N° Lexbase : A9961KMU). Cette appréciation moyenne est néanmoins corrigée par d'autres éléments, tels que les investissements liés à la relation commerciale rompue. La réparation recouvre, le plus souvent, le manque à gagner, c'est-à-dire la perte de bénéfices, mais peut aussi s'étendre aux pertes subies par la victime de la rupture brutale, par exemple en cas d'investissements réalisés au profit de l'auteur de la rupture. La jurisprudence refuse toute réparation en l'absence de lien de causalité entre la brutalité de la rupture et le préjudice allégué (CA Versailles, 19 février 2013, n° 11/04961 N° Lexbase : A2173I8Y), ce qui explique que la réparation du préjudice d'image ne soit qu'exceptionnellement accordée par la jurisprudence en raison de son lien plus étroit avec la rupture elle-même de la relation commerciale (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 11 avril 2013, n° 10/21428 N° Lexbase : A9204KBI).

Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 avril 2013 illustre cette question. Un distributeur reprochait à son fournisseur la rupture de leur relation commerciale durant la période des fêtes de fin d'année, en raison de la réorganisation son réseau de distribution. Après avoir rappelé la nécessité d'un préavis suffisant, la cour retient s'agissant de l'évaluation du préjudice, d'une part, "qu'en refusant de livrer les consommables et en [...] interdisant [au distributeur] de vendre le stock acheté et payé alors que l'on se trouvait en période de fêtes, [le fournisseur] a nécessairement empêché [ce dernier] de réaliser une partie de son chiffre d'affaires", ce dont il résultait un "calcul de sa marge brute" minoré et, d'autre part, "un préjudice moral" par l'atteinte à "son image commerciale" du fait de l'impossibilité de "satisfaire sa clientèle". Elle ajoute que la rupture brutale et l'interdiction faite au distributeur de poursuivre la commercialisation des produits ont causé au distributeur un préjudice qui "résult[ait] de la détention d'un stock qu'il ne peut plus écouler, et [qui] ne saurait être inférieur à sa valeur alors que [le distributeur] aurait pu le vendre avec une marge" (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 11 avril 2013, n° 10/21428 N° Lexbase : A9204KBI).

Le calcul des dommages-intérêts doit prendre en compte le préavis effectivement accordé, ainsi que le précise un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2013. Dans cette affaire, une société ayant rompu une relation commerciale de vingt-cinq ans, était assignée en réparation pour rupture brutale de relation commerciale. La Haute juridiction casse, pour "méconn[aissance du] principe de réparation intégrale" et ignorance "du préavis effectivement accordé", l'arrêt d'appel ayant retenu que le préavis de dix mois et demi aurait dû être de deux ans et condamné l'auteur de la rupture à payer à son partenaire deux ans de marge brute sans tenir compte de ce préavis (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-22.229, F-D N° Lexbase : A5836KGA).

Par ailleurs, s'agissant de la compensation entre la créance de dommages et intérêts de la victime de la rupture brutale et celle de l'auteur de la rupture au titre de leur contrat, la Cour de cassation approuve une cour d'appel d'avoir relevé que "la créance [du fournisseur] au titre de factures impayées découlait du contrat d'approvisionnement exclusif, cependant que celle [du distributeur] résultait de la faute quasi-délictuelle de la société [fournisseur du fait de la rupture brutale]" et déduit "qu'en l'absence de connexité entre les deux créances, il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de compensation sollicitée" (Cass. com., 18 décembre 2012, n° 11-17.872, F-P+B N° Lexbase : A1804IZT).


(1) Cf. nos obs., Rupture brutale de relation commerciale établie : panorama de jurisprudence 2011, Lexbase Hebdo n° 278 du 5 janvier 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N9529BSQ).
(2) V. égal., D. Ferré et R. Pihéry, Pratiques restrictives de concurrence : Etude du rapport de la CEPC 2013, Concurrences, n° 4-2013.
(3) V. égal., D. Ferrier, Droit de la distribution, Lexisnexis, n° 376 et s..
(4) Cf. not., B. Brignon, Le conseil en propriété industrielle n'est pas commerçant, Lexbase Hebdo n° 337 du 1er mai 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6873BTQ).
(5) V. A.-C. Martin, Rupture brutale : le caractère "privilégié" de la relation commerciale n'aggrave ni la brutalité de la rupture ni le préjudice subi par sa victime ?, D., 2013, p. 1943.
(6) Avis n° 13-04 relatif à la liste des accords interprofessionnels pris en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, prévoyant un délai de préavis pour la rupture de relations commerciales établies, en ligne.
(7) Sans que cette liste ne soit exhaustive.
(8) Datant de janvier 1998.
(9) Datant du 14 juin 1994.
(10) Datant du 15 janvier 2002.
(11) Datant du 6 mars 2013.
(12) En matière de sous-traitance et de commission de transport.
(13) Décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, art. 8 (N° Lexbase : L9125IEP).
(14) Cf. C. Nourissat, Rupture brutale d'une relation commerciale établie : du curieux effet du franchissement d'une frontière sur la nature de l'action, Rev. Lamy dr. aff., 2007, p. 67.
(15) L. Nicolas-Vuillerme, Rupture de relations commerciales établies, J.-Cl. Concurrence-Consommation, Fasc. 300, n° 38.

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