Réf. : Cass. civ. 3, 17 décembre 2013, n° 12-15.059, F-D (N° Lexbase : A7607KSK)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Président de l'AFDR Section Lorraine
le 11 Septembre 2017
Moins de trois ans plus tard, le bailleur a assigné à son tour les preneurs en vue de faire prononcer la résiliation du bail pour faute de ces derniers. Cette demande a été rejetée par le tribunal paritaire des baux ruraux suivant jugement du 22 septembre 2010, condamnant, une fois encore, le bailleur à rembourser les trop-perçus sur les fermages en vignes pour les années 2005 à 2008, le montant des travaux sur les bâtiments à charge du bailleur avancé par les preneurs et celui des travaux et produits relatifs aux replantations, ainsi que les frais de palissage.
Par un arrêt du 12 janvier 2012, la cour d'appel de Nîmes (4), dans un premier temps, a rappelé que l'action en résiliation du bail exercée par le bailleur à l'encontre de son preneur ressort de l'exploitation normale des biens et qu'il s'agit d'un acte d'administration pour lequel le gérant du bailleur, personne morale (5) est autorisé à agir par les statuts, ce dernier ayant tout pouvoir pour exercer toutes les actions judiciaires (6). La solution n'est pas nouvelle (7), le gérant pouvant agir dans la limite de l'objet social. En l'occurrence l'objet social du bailleur est "la propriété et l'administration de tous les immeubles et droits immobiliers à destination agricole composant son patrimoine". Par conséquent, les preneurs ne pouvaient prétendre que seule l'assemblée générale du groupement avait compétence pour exercer une action en résiliation du bail.
De plus, la cour a confirmé que le bailleur devait certaines sommes aux preneurs au titre du trop-perçu sur certaines années de fermage. Elle ajoute que les preneurs ne peuvent être exonérés du paiement de leur fermage au titre de 2008 en raison des travaux de dévitalisation et de revitalisation indispensables à l'éradication de la maladie du court-noué, qui sont inhérents à l'opération de replantation, car ni l'article L. 411-11 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L9147IMQ), ni les clauses du bail ne permettent au fermier de s'affranchir du paiement du loyer, même si la terre se retrouve nue pendant une certaine période.
Enfin, la cour d'appel considère qu'il ne peut être soutenu que les preneurs ont commis une faute susceptible d'entraîner la résiliation du bail en ne réalisant pas les travaux de drainage et de replantation, toutes les décisions de justice rendues dans le cadre de ces procédures judiciaires ont rappelé au bailleur que les travaux de drainage ne sont pas des réparations locatives ou de menu entretien et ne sont pas rendus nécessaires par le fait du preneur. En outre, il appartient au bailleur d'assurer la permanence des plantations en application des articles 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL) et L. 415-8 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4076AEP). Critiquant la cour d'appel à propos du paiement du fermage au titre de l'année 2008, les preneurs ont rédigé un pourvoi. Par un arrêt du 17 décembre 2013 (8), la Cour de cassation confirme la décision contestée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'inexécution invoquée par le locataire pour ne pas payer le fermage dû (I). De même, elle rejette le pourvoi, le bailleur ne rapportant pas la preuve d'agissement de la part des preneurs, de nature à compromettre la bonne exploitation des terres louées, le bailleur devant régler toutes les sommes relatives à la replantation des vignes louées (II).
I - L'obligation de payer le fermage
Le paiement du fermage est l'une des principales obligations mises à la charge du preneur. En matière de bail rural, le prix du fermage n'est pas libre, car il relève de l'ordre public de direction (9). Dans la présente affaire, les preneurs n'ont pas payé le fermage au titre de l'année 2008 et ils ont demandé à être exonérés du paiement du fermage au titre de cette année, aux motifs que le bailleur leur a imposé de dévitaliser et désinfecter le sol avant de replanter, ce qui leur a fait perdre un an dans l'exploitation des terres à vignes louées. Les juges du fond ont rejeté leur demande en rappelant que pour la location des terres nues portant des cultures permanentes viticoles, ni l'article L. 411-11 du Code rural et de la pêche maritime, ni les clauses du bail litigieux ne permettent aux preneurs de s'affranchir du paiement des loyers, même si la terre se retrouve nue pendant une certaine période. Dans leur pourvoi, ils prétendent que le bailleur ne mettait pas à leur disposition la superficie plantée en vignes telle que prévue au bail. Par conséquent, il n'y aurait pas de raison pour qu'ils s'acquittent du fermage correspondant, et plus exactement ils demandent à ce que le prix du fermage soit diminué à raison de la superficie des terres qui ne pourraient pas être replantées du fait de la non-réalisation des travaux à la charge du bailleur. Ils invoquent l'exception d'inexécution en prétendant qu'elle ne peut être invoquée en matière de bail rural que si elle est proportionnée. En refusant sa mise en oeuvre, la cour d'appel aurait violé l'article L. 411-11 précité et les articles 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) du Code civil. La Cour de cassation rejette cette argumentation.
L'exception d'inexécution n'est formellement consacrée par aucune disposition légale, une partie de la doctrine considérant qu'elle est un mécanisme dérivant de l'action résolutoire (10). Pour d'autres, c'est une forme de résolution unilatérale du contrat (11). Le Doyen Carbonnier l'a également qualifiée de "diminutif" de la résolution du contrat (12). Dans tous les cas, l'exception d'inexécution découle de la réciprocité et de l'interdépendance des obligations des parties à un contrat synallagmatique, en l'occurrence un bail rural. Laissant de côté les conditions de sa mise en oeuvre relatives aux caractéristiques des créances invoquées par les cocontractants, il faut tout d'abord envisager le cadre juridique de l'exception d'inexécution, question au coeur de la présente affaire. En effet, l'inexécution invoquée doit être d'une certaine gravité. Ainsi, doctrine (13) et jurisprudence rappellent qu'elle ne peut être invoquée qu'en cas d'inexécution d'une obligation essentielle du contrat, la rejetant lorsqu'elle est fondée sur le non-respect d'une obligation secondaire (14).
En matière de bail, l'obligation essentielle du bailleur est la mise à disposition des biens loués (15). Par conséquent, tout manquement au devoir d'entretien de ces derniers ne constitue pas un manquement à une obligation essentielle du contrat (16), ce qui explique pourquoi la Cour de cassation ne reconnaît pas au locataire le droit de refuser de payer les loyers dus pour défaut d'entretien des biens loués (17), et ce, quelque soit le type de bail. Par conséquent, cette solution s'applique au bail rural, dans le silence de dispositions spéciales dérogatoires dans le statut du fermage ou bien de clauses dérogatoires (18) dans le contrat de bail à long terme litigieux. Toutefois, il semblerait que, dans un premier temps, la Haute cour a admis que le défaut d'entretien justifie la mise en oeuvre de l'exception d'inexécution lorsque ce dernier est tel qu'il rend la chose inutilisable. Dans ce cas, le preneur serait alors en droit de suspendre le paiement des loyers (19). Plus récemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a confié aux juges du fond la mission, en application de leur pouvoir souverain, d'apprécier l'importance du manquement du bailleur, autrement dit de vérifier s'il y a ou non impossibilité de jouissance des biens loués (20). Telle est bien la situation dans la présente affaire, la Cour de cassation n'avait qu'un contrôle de motivation de l'arrêt d'appel critiqué : "qu'ayant relevé que les travaux de dévitalisation puis de revitalisation imposés par le bailleur étaient inhérents à l'opération de replantation qu'il devait mener, la cour d'appel a pu, sans méconnaître l'objet du litige, rejeter l'exception d'inexécution". Ainsi, l'absence de récolte des terres louées n'est pas due à un défaut d'entretien du bailleur, mais était inhérent aux travaux de replantation. En outre, les preneurs n'ayant pas invoqué de manquement à l'obligation de délivrance du bailleur devant les juges du fond, ils ne pouvaient le faire dans leur pourvoi. Ces derniers auraient dû contrôler les conditions de mise en oeuvre de l'exception d'inexécution avant de l'invoquer devant le juge (21) comme moyen de défense dans le cadre de la procédure en résiliation diligentée par le bailleur pour faute des preneurs.
II - La charge de la permanence des plantations
Dans cette affaire, le bailleur prétend que les preneurs ont eu des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation des terres louées pour demander la résiliation du bail à long terme conclu en 1991. Or, cette demande est à resituer sur fond de querelle judiciaire permanente à propos du montant du loyer et de l'état des vignes plantées. Il ressort de l'arrêt précité de la cour d'appel de Nîmes du 12 janvier 2012 que les parcelles litigieuses avaient été plantées en vignes de cépage grenache et cinsault depuis 1971 et que certains pieds avaient plus de cinquante ans. Elles étaient gangrenées par la maladie du court-nouées, ou les parcelles étaient gorgées d'eau, le tout rendant les vignes peu productives ou totalement improductives, alors que les autres parcelles du domaine viticole sont bien entretenues, les traitements et les amendements y étant correctement réalisés d'après les rapports d'expertise dressés dans cette procédure judiciaire au "long court".
En outre, la cour d'appel n'a pas estimé nécessaire de solliciter une expertise supplémentaire, estimant disposer de suffisamment d'éléments. Il ressort en effet d'un constat de culture établi en 2006 ainsi qu'un procès-verbal de constat établi par un huissier de justice, que la partie nord de la propriété louée présente des manquants et que des parcelles sont à replanter (22). D'autres sont dans un état catastrophique et en raison de l'absence d'entretien manuel, la mortalité des ceps est importante. Le mauvais état de ces parcelles était dû au comportement des preneurs, autrement dit ces derniers avaient-ils eu un manquement de nature à compromettre la bonne exploitation des vignes ? La cour d'appel répond par la négative, en rappelant que ce n'est qu'à l'issue d'une première procédure judiciaire, et après dix années de réclamation de la part des preneurs, que le bailleur a accepté de prendre en charge les indispensables travaux de drainage en épis et fossé central, destinés à gérer efficacement l'écoulement des eaux. En décembre 2006 et mars 2007, un autre expert a constaté la maladie de la vigne, aggravé par l'humidité du sol non drainé, l'excès d'humidité favorisant l'asphyxie radiculaire et le développement de certaines espèces végétales parasites. Enfin, les preneurs ne se sont jamais opposés à la réalisation des travaux d'arrachage des vignes et de replantation. Pour cette raison, la cour d'appel considère que le bailleur ne rapporte pas la preuve d'agissement de la part des preneurs, de nature à compromettre la bonne exploitation des terres louées, conformément à l'article L. 411-31 du Code rural et de la pêche maritime.
En effet, en matière de bail viticole, comportant des plantations permanentes de vignes, le bailleur a la charge générale de ces plantations en application de l'article 1719 du Code civil. Il doit ainsi veiller à leur qualité, conformément aux prescriptions de la commission des baux ruraux (23). En l'occurrence le contrat départemental type ne prévoit pas la mise à la charge des preneurs de l'obligation de remplacer des ceps manquants ou morts (24). Par conséquent, le non-remplacement de ces pieds de vignes ne peut constituer une faute des preneurs dans l'exécution du bail.
Il reste toutefois un doute sur cette question : la complantation, c'est-à-dire le remplacement des ceps manquants fait-elle partie de l'obligation d'entretien de la chose louée, qui est à la charge du preneur à bail rural, ou bien s'agit-il d'une modalité de l'obligation de permanence des plantations, qui dans ce cas, est à la charge du bailleur ? (25) Dans cette affaire, la question ne se pose pas réellement, en raison de l'importance des travaux de drainage à la charge du bailleur, qui sont indispensables pour permettre de retrouver un état sanitaire correct du vignoble, l'état d'humidité favorisant la maladie du court-noué provoquant le dépérissement ou la mort des ceps de vignes. Ce qui explique pourquoi la Cour de cassation a jugé que la cour d'appel a pu rejeter la demande de résiliation du bail.
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