Lexbase Fiscal n°555 du 23 janvier 2014 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Questions à...] Application différenciée des taux de TVA en fonction des supports d'information : pourquoi le numérique est-il sanctionné ? - Questions à Odile Courjon, Associée, Taj

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[Questions à...] Application différenciée des taux de TVA en fonction des supports d'information : pourquoi le numérique est-il sanctionné ? - Questions à Odile Courjon, Associée, Taj. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/13061165-questionsaapplicationdifferencieedestauxdetvaenfonctiondessupportsdinformationpourquoi
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 23 Janvier 2014

C'est un cadeau de Noël plein de promesses qui a été offert aux entreprises spécialisées dans l'information numérique le 17 décembre 2013 par le Président de la République François Hollande (communiqué du 24 décembre 2013) : un soutien apporté aux revendications de l'application du taux super réduit de TVA aux supports d'information numériques. En effet, aujourd'hui, le taux de TVA applicable à la presse diffère selon que celle-ci soit en format papier ou en format numérique. Le format papier bénéficie d'un taux réduit à 2,1 % (CGI, art. 298 septies N° Lexbase : L3021IGY), alors que le format numérique est soumis au régime de droit commun, c'est-à-dire le taux plein de TVA, égal à 20 % depuis le 1er janvier 2014. Face à cette inégalité de traitement, le Syndicat national des éditeurs (SNE) a appelé les éditeurs numériques à violer la loi, en appliquant le taux super réduit à leurs publications. L'administration fiscale commence à sanctionner ces agissements. Après le redressement fiscal de Mediapart, d'autres publications, comme le Monde, qui publie à la fois une édition papier (payante) et une édition numérique (partiellement gratuite) font l'objet de procédures fiscales. En parallèle, les débats continuent d'échauffer les esprits concernant le taux de TVA à appliquer au livre numérique. Alors que la France applique de façon indifférente le taux réduit de 5,5 % aux livres papier et numérique (CGI, art. 278-0 bis N° Lexbase : L0400IWQ). La Commission, considérant que l'Etat membre viole ainsi la législation, l'a traduit devant la CJUE, saisie le 22 février 2013 (lire N° Lexbase : N5961BTX). Ces événements se produisent alors que la Commission européenne a lancé, le 8 octobre 2012, une consultation publique sur les taux réduits de TVA dans l'UE (lire N° Lexbase : N3888BT8). La législation communautaire est-elle susceptible de changer ? Pour le savoir, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Odile Courjon, Associée, Taj.

Lexbase : Pourquoi les supports d'information papier et numérique ne bénéficient-ils pas du même taux de TVA ?

Odile Courjon : Cette dichotomie n'est pas récente : elle résulte d'une longue tradition de notre droit fiscal. Le taux super réduit de 2,1 % date de la refonte de l'article 278 du CGI (N° Lexbase : L5415HL7) en 1986. A cette période, l'objectif du législateur consistait à soutenir une économie "papier". Ce n'est qu'au cours des années 2000 que le numérique s'est développé pour devenir l'un des supports les plus utilisés à l'heure actuelle. Si la France n'a pas encore légiféré sur sa position s'agissant de la presse numérique, elle a tout de même réformé son droit en ce qui concerne le livre, allant même jusqu'à aller au-delà de la Directive 2006/112 (Directive CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ), qui exclut l'application de ce taux au numérique.

Lexbase : Que prévoit la "Directive-TVA" ?

Odile Courjon : L'annexe III de la Directive CE 2006/112 liste expressément et restrictivement les prestations pouvant faire l'objet de l'application d'un taux réduit. Parmi les prestations citées, on retrouve la fourniture de livres, les journaux et périodiques, le droit d'admission aux spectacles, les services fournis par les écrivains ou encore le droit d'admission aux manifestations sportives (pour lesquelles il y a un débat avec les activités équestres). L'article 98 de ladite Directive a été modifié par la Directive 2008/08/CE du 12 février 2008 (N° Lexbase : L8139H3T). Il est depuis prévu que "les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique". C'est ainsi que la Commission européenne a lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui avaient tous deux décidé de maintenir un taux réduit de TVA aux livres numériques.

Lexbase : Croyez-vous en la promesse du Gouvernement de soutenir les éditeurs dans leurs revendications, alors que ces derniers subissent une série de redressements fiscaux dans le même temps ?

Odile Courjon : La déclaration de François Hollande du 17 décembre 2013 concernant l'alignement du taux de TVA applicable à la presse papier et à la presse électronique n'est pas concrétisée dans les textes fiscaux de fin d'année et, notamment, rien ne figure dans la loi de finances pour 2014 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 N° Lexbase : L7405IYW), ni dans la loi de finances rectificative pour 2013 (loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 N° Lexbase : L7404IYU).

Il ressort cependant des débats parlementaires que la question du format numérique a été évoquée, notamment s'agissant des livres, dont la problématique se rapproche de celle de la presse. Depuis le 1er janvier 2012 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ), les livres numériques se voient appliquer un taux réduit de TVA à 5,5 % identique à celui du format papier. Au cours du processus législatif de la loi de finances pour 2014, la question s'est posée de savoir s'il ne fallait pas limiter l'accès au taux réduit à un certain type de format numérique.

Dans un premier amendement du 11 octobre 2013 (n° II-22), une restriction à l'application du taux réduit de TVA aux livres numériques de tout format a été présentée. L'objectif de cet amendement était de ne permettre l'application du taux réduit qu'aux livres considérés comme "ouverts" c'est-à-dire ceux qui ne font l'objet d'aucune licence de lecture. Bernard Cazeneuve a, par ailleurs, au cours des débats, affirmé la volonté de la France de modifier le régime du numérique applicable au niveau européen sur le fondement de l'exception culturelle et de l'accès pour tous à la culture. L'amendement a été adopté mais ensuite supprimé le 15 novembre 2013 par un second amendement (n° II-8), aux motifs qu'il venait restreindre le champ d'application du taux réduit aux livres numériques et affaiblir la position de la France ainsi que son argumentation face à la Commission européenne.

NDLR : Le 17 janvier 2014, le Gouvernement a annoncé qu'il alignerait en février le taux de TVA super réduit (2,1 %) de la presse papier à la presse en ligne. Un projet de loi devrait prochainement être déposé, et une instruction fiscale est attendue.

Lexbase : La Commission européenne ne semble pas prompte à modifier sa législation. Pourquoi ?

Odile Courjon : Nous pouvons dire que les choses semblent évoluer au niveau européen. A la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 "Avenir du Livre, avenir de l'Europe", l'Allemagne semble s'être ralliée à la position de la France concernant l'application d'un alignement des taux de TVA sur le papier et sur le numérique.

Cependant, plusieurs pays ne semblent pas en accord avec cette idée. Le Danemark, l'Estonie, la Bulgarie ainsi que le Royaume-Uni restent opposés à cette idée. Ce dernier ne souhaite pas que soit remis en cause son dispositif de taux zéro, applicable pour le livre papier, par une refonte des dispositions de la Directive.

La principale difficulté concerne l'obligation de modification de la Directive et a fortiori de son annexe III. Elle nécessite l'unanimité des 28 Etats membres, ce qui semble compromis par le veto de certaines grandes nations.

Une consultation a été lancée par la Commission européenne concernant les taux réduits de TVA applicables dans les différents Etats membres, afin de permettre une éventuelle modification de la Directive.

L'échéance du 1er janvier 2015, venant modifier les règles de territorialité des prestations de services en matière de TVA, notamment pour les prestations de service électronique, à l'échelle européenne, est incontournable. A cette date, pour les services électroniques rendus aux consommateurs (B to C), la TVA sera due au taux de l'Etat de résidence du consommateur, que le prestataire soit établi dans l'Union européenne ou hors Union européenne. Ce dernier volet du "Paquet TVA" va accélérer les discussions sur le numérique. En parallèle, la procédure en manquement contre la France et le Luxembourg poursuivront leur cours en 2014.

A défaut d'accord politique des 28 Etats membres pour changer la Directive TVA et son annexe III, la Commission européenne restera tenue par le texte actuel.

Lexbase : Sachant que la TVA est la première ressource budgétaire de l'Etat français, la hausse générale des taux vous paraît-elle opportune ?

Odile Courjon : Aujourd'hui, on constate que les considérations budgétaires à court terme vont dans le sens d'une augmentation des taux de TVA. Sur le long terme, la tendance est à une application des taux réduits à leur strict minimum. La Commission européenne cherche à limiter les taux réduits et travaille sur un futur régime de TVA pour l'horizon 2018-2020 qui serait plus simple, plus robuste, plus efficace et étanche à la fraude. Un futur régime de TVA idéal serait un régime où les exonérations seraient quasi inexistantes (élargissement de la base d'assujettissement) et les taux réduits très exceptionnels, ce qui permettrait d'abaisser les taux standards des Etats membres. Dans un tel régime, il y aurait du sens à aligner l'économie du numérique sur celle du papier.

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