Lexbase Affaires n°365 du 16 janvier 2014 : Baux commerciaux

[Chronique] Chronique d'actualité en droit des baux commerciaux

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 16 Janvier 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, une chronique d'actualité jurisprudentielle en droit des baux commerciaux réalisée par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris et Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux". Celui-ci a, tout d'abord, sélectionné un arrêt rendu le 27 novembre 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui retient la validité de la clause restreignant les modalités d'accès aux lieux loués le dimanche et les jours fériés (Cass. civ. 3, 27 novembre 2013, n° 12-25.267, FS-D). L'auteur revient, ensuite, sur un arrêt, rendu par la même formation le 17 décembre 2013, aux termes duquel le juge des référés ne peut annuler un commandement de payer visant la clause résolutoire au motif que le commandement constitue un trouble manifestement illicite, alors que cette annulation n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état (Cass. civ. 3, 17 décembre 2013, n° 12-18.104, FS-D). Enfin, Maître Prigent nous livre ses observations sur un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 30 octobre 2013 relatif à l'obligation du bailleur de prendre en charge les travaux prescrits par l'Administration (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 30 octobre 2013, n° 11/13897).
  • De la validité de la clause restreignant les modalités d'accès aux lieux loués le dimanche et les jours fériés (Cass. civ. 3, 27 novembre 2013, n° 12-25.267, FS-D N° Lexbase : A4630KQK ; cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E4006AGH)

Solution

La clause du bail qui interdit l'ouverture les dimanches et jours de fêtes légales, sauf si l'accès au public se fait par une seule des deux entrées du local, ne constitue pas une atteinte à la libre jouissance des lieux car elle définit les modalités d'accès de la clientèle, sans y faire obstacle puisque l'accès restait permis par l'une des deux entrées.
Tel est le sens d'un arrêt rendu le 27 novembre 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Faits

En l'espèce, un bail portait sur des locaux comprenant "un rez-de-chaussée à usage de vente avec accès de la clientèle par l'entrée de la façade boulevard Ornano et un accès secondaire 125 rue Clignancourt", dans lesquels la société locataire exploitait un supermarché, ouvert tous les jours y compris le dimanche et accessible à la clientèle par ses deux entrées. Le bail interdisait l'ouverture les dimanches et jours de fêtes légales "à moins que l'accès au public ne se fasse par la rue de Clignancourt". Le bailleur avait délivré une première sommation le 6 mars 2009 visant la clause résolutoire et avait saisi le 10 juillet 2009 le tribunal de grande instance d'une demande de constat d'acquisition du bénéfice de la clause résolutoire. Il avait ensuite fait délivrer, le 5 octobre 2009, un commandement reproduisant la clause résolutoire et impartissant un délai d'un mois à la locataire pour respecter l'interdiction d'ouvrir le dimanche l'accès au boulevard d'Ornano. Le locataire a contesté la régularité et le bien-fondé de la mise en oeuvre de la clause résolutoire.
Il invoquait, à cette fin, deux arguments, le premier relatif à l'atteinte à la jouissance des lieux et le second relatif à l'atteinte à la liberté du commerce.

Observations

S'agissant du premier argument, le preneur estimait que l'obligation essentielle du bailleur était de faire jouir le preneur des locaux conformément à leur destination et que cette obligation excluait que le contrat de bail puisse limiter la jouissance du preneur en empêchant son commerce d'ouvrir certains jours, sauf à mettre en évidence un motif légitime justifiant cette limitation, tel que l'existence d'un risque pour le bailleur d'engager sa responsabilité. Il est vrai qu'en application de l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL), le bailleur est tenu de délivrer la chose louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur. Il pourrait donc être soutenu que l'interdiction faite au preneur d'ouvrir certains jours constituerait une atteinte à cette obligation. Toutefois, l'obligation de délivrance et d'assurer la jouissance est susceptible d'aménagements. Ces aménagements sont cependant limités. C'est dans le cadre des travaux que les restrictions à la possibilité pour le bailleur de limiter l'étendue de son obligation de délivrance ont été formulées (Cass. civ. 3, 1er juin 2005, n° 04-12.200, FS-P+B N° Lexbase : A5185DIU ; Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P).

Dans l'arrêt rapporté, approuvant les juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 27 juin 2012, n° 10/16617 N° Lexbase : A9079IPX), la Cour de cassation précise que la clause litigieuse ne constituait pas une atteinte à la libre jouissance des lieux car elle définissait les modalités d'accès de la clientèle le dimanche et les jours fériés, sans y faire obstacle puisque l'accès restait permis par l'une des deux entrées. La question se pose, a contrario, de savoir si l'interdiction totale d'utiliser les lieux les dimanches et jours fériés (et pas seulement d'interdire l'usage de l'un de leurs accès) ne serait pas irrégulière. Une telle restriction pourrait porter, en outre, une atteinte à la liberté du commerce et d'entreprendre. Cette liberté n'est pas absolue et peut elle-même être soumise à des limitations. Bien qu'interrogée sur ce point, la Haute cour ne s'est pas prononcée sur l'atteinte à ces libertés dans la mesure où cet argument n'avait pas été soulevé devant les juges du fond.

Solution

Le juge des référés ne peut annuler un commandement de payer visant la clause résolutoire au motif que le commandement constitue un trouble manifestement illicite, alors que cette annulation n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état.
Tel est le sens d'un arrêt rendu le 17 décembre 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Faits

Après avoir reçu, le 11 septembre 2008, une demande en paiement à compter du 1er octobre suivant d'un loyer calculé par application de la variation du coût de l'indice de la construction puis, le 4 septembre 2009, un commandement visant la clause résolutoire d'avoir à payer un arriéré de loyer, le locataire de locaux à usage commercial avait saisi le juge des référés d'une demande d'annulation du commandement. Les juges du fond ayant accueilli cette demande, le bailleur s'est pourvu en cassation.

Observations

Le juge des référé avait annulé le commandement au motif qu'il résultait de la clause de révision stipulée au bail que, faute d'accord amiable et en l'absence de décision de justice, le bailleur ne pouvait faire délivrer un commandement de payer rappelant la clause résolutoire, alors que le preneur, par l'effet du bail, était en droit de régler, à titre d'acompte, le loyer au montant en cours.

La lecture de cette motivation des juges du fond et des faits tels qu'ils sont repris par la Cour de cassation laisse suggérer que le bail ne devait pas comporter de clause d'indexation en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction et que la clause de "révision" ne devait que rappeler les règles de la révision légale (C. com., art. L. 145-37 N° Lexbase : L5765AID et s.). Or, l'augmentation du loyer dans le cadre d'une révision légale n'est pas automatique. Elle suppose un accord des parties ou une décision du juge des loyers, le loyer étant, dans ce dernier cas, fixé au montant de la valeur locative telle qu'elle est définie par l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9), valeur qui peut être différente, éventuellement inférieure au loyer résultant de l'application du taux de variation de l'indice applicable. La clause d'indexation, au contraire, permet une modification automatique et de plein droit du loyer, en fonction de la seule variation de l'indice choisi (Cass. civ. 3, 5 février 1992, n° 89-20.378 N° Lexbase : A8337AGU).

La Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la qualification de la clause et le caractère indu ou non des sommes réclamées au commandement visant la clause résolutoire. L'arrêt objet du pourvoi a été censuré, en effet, sur le terrain des pouvoirs du juge des référés. Les juges du fond avaient annulé le commandement, en partant du constat selon lequel le bail ne stipulait pas de clause d'indexation, au motif que sa délivrance "constituait un trouble manifestement illicite apporté au preneur dans sa jouissance des lieux qui justifie l'annulation du commandement à titre de remise des parties dans l'état antérieur". Le juge des référés avait donc estimé qu'il avait le pouvoir de prononcer l'annulation du commandement en application des dispositions de l'article 809, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), relatif à l'ordonnance de référé. Aux termes de ces dispositions, "le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite".

La Cour de cassation censure cette solution en précisant que "l'annulation du commandement de payer visant la clause résolutoire ne constitue ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état". Il est en effet difficile d'affirmer qu'un commandement visant la clause résolutoire constitue en lui-même un trouble manifestement illicite. Ce sont éventuellement les conséquences du commandement qui peuvent engendrer un trouble si un juge constate la résiliation et prononce l'expulsion. Dans ce cas, cependant, la décision de justice ne peut évidemment pas constituer un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du Code de procédure civile contre lequel serait justifiée une mesure conservatoire ou de remise en état. L'annulation d'un commandement, comme le relève la Cour de cassation, ne peut pas plus, pour des raisons analogues, être analysée en une mesure conservatoire ou de remise en état. Le juge des référés ne pourrait a priori pas non plus annuler un commandement sur le fondement du second alinéa de l'article 809 du Code de procédure civile ("dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire"). L'annulation d'un commandement ne peut en effet être qualifiée d'octroi d'une provision. La question se pose de savoir si le juge des référés pourrait prononcer une annulation du commandement sur le fondement de l'article 808 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K), selon lequel "dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend". Il faudrait, dans ce cas, justifier de l'urgence. En tout état de cause, le preneur qui se voit notifier un commandement aurait intérêt à saisir le juge du fond. S'il était assigné préalablement en référé, il pourrait, si elle existe, soulever l'existence d'une contestation sérieuse rendant la demande du bailleur irrecevable.

Il entre en effet dans les pouvoirs du juge des référés de constater l'acquisition d'une clause résolutoire (Cass. civ. 3, 19 décembre1983, n° 82-11.205, publié N° Lexbase : A7614AG4) et d'en suspendre les effets sur le fondement de l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII ; cf. Cass. civ. 3, 11 mai 1988, n° 87-10.148 N° Lexbase : A7905AHA), sauf en cas de contestation sérieuse (Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 09-11.116, FS-D N° Lexbase : A5835EUN).

  • De l'obligation du bailleur de prendre en charge les travaux prescrits par l'Administration (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 30 octobre 2013, n° 11/13897 N° Lexbase : A6809KNI ; cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E4548EXQ)

Solution

La clause qui impose au preneur de se conformer à toutes prescriptions de l'autorité pour cause d'hygiène et de salubrité et à faire son affaire personnelle de tous travaux qui seraient prescrits à ce sujet ne permet pas de mettre à la charge du preneur les travaux de mise en sécurité prescrits par l'Administration.
Tel est le sens d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 30 octobre 2013.

Faits

Par sous seing privé du 8 juin 1988, des locaux commerciaux avaient été donnés en location. Par lettre recommandée du 15 décembre 2003, la préfecture avait demandé la réalisation, sans délai, de mesures de sécurité. Le 29 avril 2004, un arrêté de péril avait enjoint les copropriétaires de faire réaliser des travaux, de manière à faire cesser le péril au 17 juin 2004. Par acte du 14 juin 2004, le bailleur a fait délivrer au preneur une sommation, visant la clause résolutoire, de prendre toutes mesures pour exécuter les travaux lui incombant. Suivant devis accepté par le bailleur, le locataire avait effectué les travaux. Par acte du 15 octobre 2009, le preneur a fait assigner le bailleur en nullité de la sommation et en remboursement des travaux effectués amenant les juges à se prononcer sur la détermination de la partie au bail à laquelle le coût des travaux litigieux incombait.

Observations

Il résulte d'une jurisprudence constante que, sur le fondement de l'obligation de délivrance (C. civ., art. 1719 N° Lexbase : L8079IDL), les travaux prescrits par l'autorité administrative incombent au bailleur (Cass. civ. 3, 17 octobre 1990, n° 89-14.823 N° Lexbase : A4551ACK). Le bail peut toutefois valablement prévoir, par une clause expresse contraire, que ces travaux seront supportés par le preneur (Cass. civ. 3, 17 avril 1996, n° 94-15.906 N° Lexbase : A9896AB7).

Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt rapporté, le bail comportait une clause qui obligeait le preneur "à satisfaire à toutes les charges de ville et de police dont les locataires et les propriétaires sont ordinairement tenus, notamment en ce qui concerne le balayage, l'arrosage, le curage d'égout, l'enlèvement des neiges et le ramonage des cheminées, comme aussi de se conformer à toutes prescriptions de l'autorité pour cause d'hygiène et de salubrité et à faire leur affaire personnelle de tous travaux qui seraient prescrits à ce sujet".

La question se posait, en conséquence, de savoir si une telle clause avait eu pour effet de transférer au preneur la charge du coût des travaux prescrits par l'Administration et qui avaient été ordonnés pour des raisons de sécurité. La cour d'appel répond par la négative en retenant que le transfert sur le preneur des travaux prescrits par l'autorité administrative ne portait pas sur les travaux de mise en sécurité. Seuls étaient, en effet, visés les "prescriptions de l'autorité pour cause d'hygiène et de salubrité". La clause était suffisamment claire pour ne pas souffrir d'interprétation. En tout état de cause, et si une interprétation avait été nécessaire, l'article 1162 du Code civil (N° Lexbase : L1264ABG), qui dispose que "dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation", aurait dû conduire à retenir la même solution.

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