Réf. : Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 11-28.092, F-P+B (N° Lexbase : A8437KQK)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 21 Mars 2019
C'est une solution attendue et surprenante qu'a rendue la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 5 décembre 2013 (1). En effet, si la Haute juridiction clôt les interrogations qui s'étaient fait jour au lendemain de la publication de l'ordonnance de réforme du droit des entreprises en difficulté de 2008 (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT) sur l'éligibilité des associés de SNC aux procédures du livre VI du Code de commerce, la réponse positive qu'elle y a apportée a certainement étonné la très grande majorité, si ce n'est l'unanimité, de la doctrine, même la plus éminente pour laquelle la réponse devait être toute autre (2).
Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt du 5 décembre 2013, deux époux, qui se sont portés cautions solidaires d'un prêt consenti à une société en nom collectif dont ils étaient les associés gérants, ont saisi une commission de surendettement d'une demande de traitement de leur situation financière. Un créancier a contesté la décision de la commission ayant déclaré leur demande recevable. Le juge de l'exécution du tribunal d'instance de Bayonne, saisi de ce recours, a déclaré les deux associés gérants de la SNC irrecevables à saisir la commission de surendettement. Ces derniers ont donc formé un pourvoi en cassation, au soutien duquel ils faisaient valoir que la procédure de traitement du surendettement bénéficie sans restriction à la caution personne physique dont l'engagement garantit le paiement de dettes professionnelles, nées notamment de l'activité d'une société. Or, en l'espèce, pour déclarer irrecevable la demande des débiteurs tendant au bénéfice du traitement de leur surendettement, le jugement attaqué a retenu que leur engagement de caution souscrit au profit d'une société était afférent à une opération professionnelle. Ainsi, en statuant de la sorte, le juge de l'exécution aurait violé l'article L. 330-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6173IXW), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR).
Après avoir demandé l'avis de la Chambre commerciale (3), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse le jugement rendu en dernier ressort, procédant à une substitution de motif. Elle énonce en guise de principe que les associés gérants d'une société en nom collectif qui ont de droit la qualité de commerçants sont réputés exercer une activité commerciale au sens des articles L. 631-2 (N° Lexbase : L8853IN9) et L. 640-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L8862INK) qui disposent, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, que les procédures de redressement et liquidation judiciaires sont applicables à "toutes personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale" ; il s'ensuit qu'en application de l'article L. 333-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4526IR3), ils sont exclus du bénéfice des dispositions relatives au surendettement des particuliers.
Antérieurement à la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), l'article L. 624-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7040AIL loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, art. 178 N° Lexbase : L6577AH3) prévoyait que "le jugement qui ouvre le redressement ou la liquidation judiciaires de la personne morale produit ses effets à l'égard de toutes les personnes membres ou associées de la personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social. Le tribunal ouvre à l'égard de chacune d'elles une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire selon le cas". Dès lors, la cessation des paiements d'une SNC, d'une SCP (4) ou d'un GIE (5) induisait celle de leurs associés ou membres. Il en était de même pour les associés commandités d'une SCS ou d'une SCA (6).
Ce principe de l'extension de la procédure aux membres indéfiniment et solidairement responsables du passif de la personne moral reposait sur l'idée selon laquelle la cessation des paiements du groupement établirait leur propre cessation de paiements de sorte qu'il existerait une présomption irréfragable de cessation des paiements (7).
Quoiqu'il en soit, cette règle de fausse extension de procédure (8), largement critiquée par la doctrine (9), n'a pas survécu à la réforme de 2005, rendant impossible le prononcé d'une telle mesure à compter du 1er janvier 2006. Les textes issus de la loi de sauvegarde des entreprises prévoyaient que la "procédure [de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire] est applicable à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé" (C. com., art. L. 620-2 N° Lexbase : L4126HBG, pour la procédure de sauvegarde ; L. 631-2 N° Lexbase : L4013HBA, pour la procédure de redressement et L. 640-2 N° Lexbase : L4039HB9, pour la procédure de liquidation judiciaire). Les associés de SNC, notamment, étaient donc éligibles à ces procédures, en leur qualité de commerçants (C. com., art. L. 221-1 N° Lexbase : L5797AIK). Cette affirmation ne faisait alors pas discussion.
Mais en 2008, l'ordonnance de réforme du droit des entreprises en difficulté a réécrit les articles L. 620-2 (N° Lexbase : L8850IN4), L. 631-2 et L. 640-2 substituant les termes "à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers" les mots "à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale". Dès lors, que n'étaient plus visés les commerçants mais les personnes exerçant une activité commerciale, la possibilité pour les associés de SNC de faire l'objet d'une procédure collective semblait totalement remise en question. C'était d'ailleurs la position de la très grande majorité de la doctrine (10). Certains juges du fond ont ainsi tiré les conséquences logiques de cette nouvelle rédaction en décidant que ni la qualité de commerçant, ni le fait d'être indéfiniment et solidairement tenu des dettes sociales, ne suffisent à justifier l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'un associé en nom, lequel n'est pas éligible en cette qualité aux procédures collectives et ne peut le devenir qu'à la condition d'exercer une des activités professionnelles visées par les dispositions précitées (11).
Pourtant, c'est une solution diamétralement opposée que consacre ici la Cour de cassation.
Observons, en premier lieu que cet arrêt a été rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, ce qui s'explique par le fait que le pourvoi était formé sur une décision statuant en matière de surendettement matière dont a à connaître cette formation de la Haute juridiction. Mais son arrêt est rendu après avis de la Chambre commerciale, avis que reprend mot pour mot la deuxième chambre civile. On peut donc considérer qu'il s'agit bien là d'une solution qui tranche définitivement le débat que nous venons d'évoquer.
Pourtant la position adoptée n'allait pas de soi. En effet, les associés de SNC sont commerçants par détermination de la loi (cf. C. com., art. L. 221-1). A priori, ils n'exercent pas stricto sensu d'activité commerciale en leur seule qualité d'associés de SNC, cette activité commerciale étant exercée par la société, personne morale. L'éligibilité des associés de SNC aux droit des entreprises en difficulté ne semble donc pas correspondre à une application littérale des textes des articles L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce dans leur rédaction issue de l'ordonnance de réforme. La réécriture de ces articles était justifiée, d'une part, par la volonté du législateur de faire entrer les auto-entrepreneurs dans le champ d'application du traitement judiciaire des entreprises en difficulté, et, d'autre part, pour permettre aux artisans qui bénéficiait d'une exemption d'immatriculation au répertoire des métiers introduite par la "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) de ne pas être exclus de ce dispositif. Il semble donc que l'intention du législateur n'était pas de sortir les associés en nom du champ d'application des dispositions du livre VI.
D'autant que cette maladresse rédactionnelle avait des conséquences particulièrement néfastes. En effet, si les associés de SNC, commerçants, n'étaient pas éligibles au droit des procédures collectives, les dettes de la société dont ils ont à répondre se trouvaient également exclues du champ d'application du droit du surendettement, puisque seules les dettes non professionnelles sont prises en compte dans l'appréciation de l'état de surendettement d'un particulier (C. consom., art. L. 330-1 N° Lexbase : L6173IXW). Ces associés seraient donc les rares personnes à ne pas pouvoir bénéficier d'une procédure de traitement collectif de leurs dettes ! Une vraie discrimination risquait au surplus de naître entre les associés de SNC, personnes physiques, et les associés de SNC, personnes morales, qui eux peuvent bénéficier du droit des procédures collectives.
La Cour de cassation a donc choisi de s'affranchir de la lettre du texte des articles L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 pour faire des associés de SNC des personnes éligibles aux procédures collectives. Elle se livre en fait à une sorte de tour de passe-passe en considérant, sans plus d'explications, que "les associés gérants d'une société en nom collectif qui ont de droit la qualité de commerçants sont réputés exercer une activité commerciale [nous soulignons]". Il faudra donc se contenter de cette fiction qui permet d'éviter les effets néfastes de cette nouvelle maladresse législative. La solution ainsi retenue n'est certes pas respectueuse des textes mais, en en appelant à la volonté du législateur, la Cour nous offre une solution opportune.
(1) Sur cet arrêt, lire également, A. Lienhard, D. Actualité, 11 décembre 2013 ; LEDEN, 15 janvier 2014, p. 2, note I. Parachkévova.
(2) cf. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2012-2013, n° 211-21 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, 8ème éd. n° 141 . Cf. également, notes sous CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 6 juillet 2010, n° 10/03837 (N° Lexbase : A6262E4P), D. Gibirila, L'inéligibilité aux procédures collectives des associés en nom collectif, Lexbase Hebdo n° 226 du 4 novembre 2010 - édition affaires (N° Lexbase : N4498BQN) ; A. Lienhard, D., 2010, 2222 ; Ph. Roussel Galle, Rev. sociétés, 2010, 534 ; F.-X. Lucas, Bull Joly Sociétés, 2010, § 200, p. 905 ; B. Saintourens, Rev. proc. coll., 2010/6, p. 21.
(3) Cass. com., 9 juillet 2013, n° 11-28.092, FS-D (N° Lexbase : A8403KQB).
(4) Pour un associé de SCP de notaire, cf. Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.193, F-P+B (N° Lexbase : A5223DWD). Pour rappel, la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI) a modifié l'article 15 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, relative aux sociétés civiles professionnelles, pour supprimer le caractère solidaire de la responsabilité des associés de SCP et l'aligner ainsi que les autres formes de sociétés civiles.
(5) Pour la possibilité pour les membres d'un GIE de faire l'objet d'une extension de la procédure collective ouverte à l'égard de ce dernier, cf. Cass. com., 8 février 1994, n° 91-20.970 (N° Lexbase : A6591ABQ).
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. C, 2 juillet 2003, n° 2002/17574 (N° Lexbase : A3904C9H).
(7) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 214-11.
(8) P.-M. Le Corre, ouvrage préc., n° 214.
(9) F.-X. Lucas, Interrogations sur la qualité de commerçant de l'associé en nom : Mélanges en l'honneur d'Adrienne Honorat, éd. Frison-Roche, 2000, p. 281, spéc. p. 284 ; Les associés et la procédure collective, Journée du CRAJEFEDP, 19 mai 2001, LPA, 9 janvier 2002, p. 7, n° 23.
(10) Cf. réf. préc. note 2.
(11) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 6 juillet 2010, n° 10/03837, préc. note 2, et les réf. préc..
Décision
Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 11-28.092, F-P+B (N° Lexbase : A8437KQK). Rejet (juge de l'exécution du tribunal d'instance de Bayonne, 17 juin 2011). Lien base : (N° Lexbase : E7850ETW). |
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