Lexbase Contentieux et Recouvrement n°7 du 27 septembre 2024 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Le sort des objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades en matière d’expulsion

Réf. : CA Paris, 1, 10, 20 juin 2024, n° 23/15899 N° Lexbase : A62325LE

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N0345B38

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par Jérémie Bouveret, Commissaire de justice associé

le 02 Octobre 2024

Mots-clés : fauteuil roulant • expulsion • sort des meubles • difficultés d’exécution • personnes handicapées • inventaire

Cet arrêt est venu statuer sur le sort des objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, présents lors des opérations d’expulsion, qui n’ont pas été retirés, pour leur accorder une protection particulière.


 

Le praticien qu’est le commissaire de justice doit parfois s’interroger lors de ses opérations d’exécution sur la nature des meubles et sur la protection légale dont ils pourraient bénéficier. Ainsi, en matière d’exécution mobilières, il n’est pas rare qu’un meuble suscite le questionnement quant à sa saisissabilité, la plupart du temps sur le fondement de son caractère nécessaire à la vie du débiteur. 

Lorsqu’il se trouve sur des opérations d’expulsion, le commissaire de justice qui doit inventorier les biens, doit également indiquer s’ils ont une valeur marchande, il décide donc du sort des meubles et parfois la frontière entre le statut de meuble et de déchets est poreuse. Mais, jusqu’à présent, la pratique de l'expulsion n'avait pas fait l'objet de décision sur le sort des meubles qui relève du statut des biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades. 

Il faut très certainement attribuer ce manque de décisions judiciaires :

  • en matière de saisie mobilière, au fait que fort heureusement aucun praticien n’ait eu l’idée jusqu’à présent de saisir un fauteuil roulant ou un matériel médical indispensable à la santé d’un débiteur ;
  • en matière d’expulsion, au fait que ses biens sont d’une nature tellement vitale qu’ils n’apparaissent pas dans les inventaires ou qu’ils sont retirés par les expulsés.

La décision rendue le 20 juin 2024 par la cour d’appel de Paris est donc une rareté jurisprudentielle. Cette juridiction a, en effet, dû s’intéresser au sort particulier qui peut être réservé à des fauteuils roulants qui se sont trouvés dans l’inventaire du commissaire de justice lors de ses opérations d’expulsion.

Alors que l’inventaire du commissaire de justice en matière d’expulsion a été l’objet de nombreuses jurisprudences relatives à son exhaustivité [1], la présence d’un, et en l’espèce de deux fauteuils roulants, au cours des opérations d’expulsion semble être une première jurisprudentielle. 

Pour comprendre l’intérêt de cette décision, un rappel des faits est nécessaire.

Tout à débuter en juillet 2022, lorsqu’un bailleur, après avoir fait procéder à l’expulsion d’une de ses locataires, a vu cette dernière contester l’absence de valeur marchande de certains biens mentionnés dans l’inventaire contenu dans le procès-verbal d’expulsion dressé par le commissaire de justice. Parmi ses biens se trouvaient notamment deux fauteuils roulants.

Le bailleur après l’expulsion avait lui entrepris de faire vider les lieux pour des raisons de salubrité, et de déplacer les meubles dans un garde-meubles. À ce stade, une réflexion s’impose sur le choix du procès-verbal de constat. On peut trouver étonnant qu’il n’ait pas été dressé un procès-verbal de déménagement, qui est la suite logique de la procédure d’expulsion, et qui constitue un véritable acte d’exécution [2], en lieu et place d’un procès-verbal de constat.

Le juge de l’exécution, « en application des dispositions des articles L. 433-1 N° Lexbase : L5909IRB et L. 433-2 N° Lexbase : L7311LPH du Code des procédures civiles d'exécution » a rejeté la demande du bailleur à être autorisé à détruire les biens.

Le bailleur a donc fait appel de la décision et la cour d’appel de Paris a dû se prononcer le 20 juin 2024, sur le sort des meubles non retirés par l’expulsée, parmi lesquelles les fauteuils roulants inventoriés par le commissaire de justice.

C’est donc près de deux ans après l’expulsion, qu’elle a déclaré comme étant abandonnés les biens présents dans le logement au jour de l’expulsion, et ensuite déménagés dans un garde-meubles, et en conséquence qu’ils soient mis à la décharge publique. Elle a toutefois émis une réserve concernant les objets ayant un caractère nécessaire à l’expulsé en raison de son état de santé, parmi lesquels un fauteuil roulant.

Cet arrêt mérite donc d’être connu, puisqu’il pourrait impacter la pratique de l’expulsion au-delà des seules situations dans lesquelles se trouve un fauteuil roulant. Cette décision vient en effet, d’une part rappeler qu’aucun bien n’est indestructible s’il n’a pas de valeur marchande (I.), mais il vient toutefois ajouter un critère – celui de l’état de santé de l’expulsé – pour faire naitre un sursis à la destruction d’un bien (II.).

I. La confirmation que les biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades ne sont pas « indestructibles »

Il est indispensable de rappeler qu’il n’existe aucune disposition particulière en matière d’expulsion concernant les objets ayant une fonction médicale (A), avant d’expliciter le seul critère imposé par les textes, en matière d’expulsion, pour statuer sur leur sort (B).

A. L’absence de dispositions protectrices accordées aux biens nécessaires à la santé de l’expulsé

L’arrêt de la cour d’appel de Paris n’a pas fait état des dispositions protectrices attachées notamment à un fauteuil roulant dans d’autres matières.

Le législateur a en effet accordé aux biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades une protection – l’insaisissabilité - pour les écarter des procédures d’exécution ou conservatoire mobilière (saisie-vente, et saisie conservatoire) [3]. Il s’agit là d’une protection absolue, alors que le même article confère à d’autres objets « seulement » nécessaires à la vie et au travail du débiteur une protection relative, en permettant sous certaines conditions de mettre fin à l’insaisissabilité.

La justification, s’il en fallait une, pour expliquer cette protection particulière, est celle de l’humanité élémentaire due à chaque individu.

La protection attachée à ces objets n’a d’ailleurs pas toujours été aussi forte. Elle a été renforcée par l'article 42 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 N° Lexbase : L9125AG3, aujourd'hui intégrée dans le code des procédures civiles d'exécution [4], pour appliquer une jurisprudence interdisant de pratiquer une saisie sur des objets qui font partie intégrante de la personne humaine, à savoir des prothèses dentaires [5]. À partir de ce texte, ces objets ne pouvaient plus être saisis pour le paiement de leur prix par le fabricant, le vendeur ou le prêteur de deniers.

Mais, le législateur n’a pas fait état d’une quelconque protection, lorsqu’il se trouve dans les objets listés par le commissaire de justice lors d’une procédure d’expulsion, et qu’ils n’ont pas été retirés par l’expulsé. En la matière, aucun texte n’offre au moindre objet de protection, si ce n’est les documents personnels qui doivent être conservés deux ans, quand tous les autres meubles doivent être retirés dans un délai de deux mois.

S’agit-il là d’un oubli des textes ? Le législateur aurait-il considéré comme inconcevable que de tels objets qui sont qualifiés « d’indispensables » et donc vitaux pour la partie expulsée ne soient pas retirés, et même emportés immédiatement, lors d’une procédure d’expulsion ? Ou simplement a-t-il refusé de leur donner une place particulière au sein des meubles présents lors d’une expulsion et leur conférer le même sort qu’à tous les autres : la vente aux enchères publiques ou la destruction en fonction de leur valeur marchande.

En tout état de cause, il convient de constater qu’aucune disposition ne permet d’offrir en matière d’expulsion aux biens indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades un caractère indestructible. Il n’existe donc aucune obligation légale pour le bailleur et par conséquent le commissaire de justice de leur réserver un sort différent des autres meubles. L’arrêt ne fait d’ailleurs aucunement référence à l’article L. 112-2, 7o du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5801IRB pour retenir une solution et n’opère pas, à juste raison, de parallèle avec les procédures d’exécution mobilière pour leur offrir une protection.

La décision n’est ainsi fondée que sur les seuls textes relatifs à la procédure d’expulsion, lesquels fixent un seul critère pour décider du sort des meubles : leur valeur marchande.

B. La valeur marchande des meubles comme seul critère légal fixant le sort des meubles 

Le critère retenu par la cour d’appel pour autoriser le bailleur à procéder à la mise en « décharge » d’un bien est naturellement l’absence de valeur marchande du bien. Le premier juge avait refusé de déclarer abandonné les biens en en conséquence d’autoriser leur destruction. La cour rappelle que s’ils n’ont pas de valeur marchande, et qu’ils n’ont pas été retirés dans le délai de deux mois, ils sont donc déclarés abandonnés et le bailleur est libre de les déposer à la décharge publique.

C’est donc la valeur marchande qui est le seul critère légal pour fixer le sort d’un meuble.

Il convient de rappeler que depuis le 1er janvier 2020 [6], le caractère de valeur marchande ou non d’un meuble est apprécié par le commissaire de justice dans l’inventaire qu’il dresse lors des opérations d’expulsion. Auparavant, le sort des meubles non retiré était soumis systématiquement au juge de l’exécution, puisque le procès-verbal d’expulsion contenait une assignation devant ce juge pour qu’il décide de leur sort. En réformant la procédure, le législateur a témoigné sa confiance au commissaire de justice dans sa capacité à juger de la valeur marchande d’un bien.

Dans sa décision, la cour d’appel a entendu confirmer la définition entre valeur et valeur marchande. Ainsi, le commissaire de justice doit dans l’inventaire de son procès-verbal d’expulsion indiquer si un bien a une valeur marchande, et non pas s’il a une valeur. Il n’appartient en effet pas au commissaire de justice de procéder à l’estimation de la valeur de l’objet, et ce même si le rapprochement des commissaires-priseurs judiciaires et des huissiers de justice pourrait lui donner de telles compétences, voire une telle envie. En matière d’expulsion, il n’y a point de prisée. La valeur marchande correspond ainsi « au produit que l’on peut espérer d’une vente des biens, une fois les frais de vente aux enchères publiques déduite ». Elle se distingue de la valeur.

Le commissaire de justice qui en l’espèce a indiqué sur son procès-verbal, comme le relève l’arrêt, la valeur de « 0 euro » a indiqué pour l’ensemble des biens une valeur, mais pas une valeur marchande. La distinction ne semble pas immédiate, mais donner un prix à un objet ne revient pas à juger d'une valeur marchande. Le commissaire de justice doit donc se contenter d’indiquer dans son inventaire dans la colonne de la valeur marchande « oui ou non ». Il s’évitera ainsi bien des motifs de contestation inutiles.

La cour d’appel a assimilé ce prix à zéro à une absence de valeur marchande. 

C’est donc en raison de l’absence de valeur marchande que les juges ont autorisé la destruction des biens. Mais, face à l’absence de dispositions, les juges ont entendu réserver un sort particulier aux biens nécessaires à la santé de l’expulsé et ont créé un nouveau critère d’appréciation. 

II. La possibilité pour le juge d’accorder une protection temporaire aux objets nécessaires à la santé de l’expulsé

Les juges ne disposant pas de textes pour offrir une protection particulière à un bien nécessaire à la santé de l’expulsé, et par conséquent soumis comme tous les autres meubles, au contrôle de sa seule valeur marchande pour statuer sur son sort, ils ont introduit un critère permettant d’accorder une protection temporaire à ce type de biens (A). Les conséquences de ce nouveau critère d’appréciation sont multiples (B).

A. L’état de santé de l’expulsé comme nouveau critère à prendre en considération pour un sursis à la destruction

L’arrêt du 20 juin 2024 a, certes, offert une protection à des objets ayant par essence un caractère nécessairement médical (1), mais il l’a accordé, de façon plus étrange, à d’autres objets ayant une fonction plus commune (2).

1) L’application du critère à des objets ayant par nature une fonction « médicale »

La cour d’appel a retenu qu’« au regard de l'état de santé présenté » par la locataire expulsée le fauteuil roulant qui lui appartenait devait échapper à la destruction immédiate. En effet, en l’absence de textes protégeant ces biens en matière d’expulsion, les juges après avoir constaté qu’il n’avait pas de valeur marchande, ont tenu compte de l’état de santé de la locataire expulsée pour accorder un sursis avant la destruction. 

Les juges ont donc sur le même fondement d’humanité élémentaire qui rend insaisissable un fauteuil roulant établi le caractère « temporairement indestructible » de ce bien. Rappelons que l’action du commissaire de justice est soumise à cette condition d’humanité, et qu’elle figure dans son code de déontologie. [7]

Cette protection doit naturellement être étendue aux biens ayant un caractère médical qui appartiendraient à des personnes résidant avec l’expulsé, si l’état de santé de ces individus le nécessite. 

L’arrêt relève également que cet état de santé n’a pas été contesté par le bailleur. Toutefois, il n’est pas explicite sur les éléments de preuve de cet état qui ont été retenus pour affirmer que l’expulsé se trouvait dans une situation médicale nécessitant la mise à disposition des biens ayant un caractère médical. L’ancienne locataire n’avait d’ailleurs présenté aucune défense en appel. Ce sont donc certainement des éléments présentés en première instance qui ont permis ce constat. Mais, là encore, une nouvelle question apparait. En cas de contestation, le juge doit-il tenir compte de l’état de santé de l’expulsé au jour de l’audience où au jour de l’expulsion. Il n’est pas impossible qu’une personne souffrante au jour de l’expulsion ne le soit plus au jour de l’audience. Et par conséquent, le critère de l’état de santé disparaitrait. A contrario, une personne bien portante le jour de l’expulsion pourrait contester, si son état de santé venait à décliner après les opérations d’expulsion. 

La charge de la preuve de cet état de santé, et le moment auquel il doit être pris en compte devront donc à l’avenir être précisés. En effet, une telle preuve sera très difficile à apporter pour le bailleur qui n’est pas en mesure de faire réaliser un examen médical à l’expulsé. Il faut que pèse sur celui qui prétend que son état de santé nécessite un sursis à la destruction, d’en apporter la preuve.

La solution retenue par la cour d’appel ne résout pas une situation pratique qui n’est pas rare, lorsqu’un locataire expulsé se trouve être bien portant, mais qu’il possède des fauteuils roulants simplement « stockés » à son domicile. Il est en effet courant de trouver lors des opérations d’expulsion, des objets stockés au domicile, mais qui ne sont plus utilisés ou qui sont détournés de leurs fonctions première. 

On constatera d’ailleurs, alors que l’inventaire fait état de deux fauteuils, que la cour d’appel n’a entendu autoriser la remise que d’un seul des deux. L’expulsé dans sa requête initiale devant le juge de l’exécution avait pourtant souhaité récupérer les deux fauteuils. 

Certes l’un était d’après le procès-verbal de constat dressé lors des opérations d’enlèvement des biens « recouverts d’immondices », mais on peut s’interroger sur l’exclusion de ce second fauteuil du « sauvetage » effectuée par la décision de la cour d’appel. La cour d’appel a-t-elle tiré comme conséquence de l’état d’insalubrité du fauteuil qu’il ne remplissait plus sa mission sanitaire première ? Ou a-t-elle considérait qu’un seul fauteuil était nécessaire à l’état de santé de l’expulsée ? Le praticien désormais au fait de cette décision pourra-t-il lui aussi, comme l’a fait la juridiction, choisir en cas de pluralités d’objets ceux qu’ils convient de « sauver » ?

A cette difficulté pour le commissaire de justice de devoir statuer en fonction de l’état de santé de l’expulsé sur le sort d’un bien vient s’en ajouter une autre : l’extension du critère de l’état de santé à des biens n’ayant pas par nature une fonction médicale.

2) L ’extension de ce critère à des objets n’ayant pas par nature une utilité liée à l’état de santé 

Si on peut comprendre que le critère de l’état de santé ait permis d’offrir la même protection temporaire au fauteuil roulant qu’au « lot de papiers (et les lutins visés par le procès-verbal, pouvant contenir des papiers ou documents médicaux) », on peut s’étonner qu’il ait permis de sauver d’autres biens, plus communs, à savoir un ordinateur (cassé de surcroit) et une imprimante. 

Le critère « médical » attaché à ces objets ne saute en effet pas aux yeux. 

La cour d’appel s’est d’ailleurs bien gardée d’apporter une explication sur la nécessité de ses biens pour l’état de santé de l’expulsée. On peut imaginer qu’ils puissent permettre la prise de rendez-vous médicaux, et l’impression de documents médicaux, et que c’est cette interprétation qu’a choisie la cour.

On savait que l’ordinateur et l’imprimante sont souvent insaisissables, car considérés comme des instruments nécessaires à l'exercice d'une activité [8],  et bénéficie donc de la protection prévue à l’article L. 112-2 5°, Code des procédures civiles d'exécution. Cette décision nous apprend désormais qu’en matière d’expulsion ces objets peuvent être protégés d’une destruction immédiate en raison de l’état de santé de l’expulsé. Il est difficile de ne pas considérer que la cour à opérer une extension de la protection conférée par les textes sur l’insaisissabilité à ces objets, lorsqu’ils se trouvent dans une expulsion, mais qu’elle a entendu leur attacher un caractère « médical » pour ne pas se voir reprocher cette extension à partir de textes qui ne concernent pas la procédure d’expulsion.

Ajoutons que ce nouveau critère pourrait conduire à la protection de nombreux objets de la vie courante. Ainsi, rien n’empêcherait de considérer que l’état de santé de l’expulsé offre à un réfrigérateur une protection, si ce dernier est nécessaire à la conservation de médicaments et par conséquent être rattaché – avec plus d’évidence qu’un ordinateur ou une imprimante -a l’un des biens nécessaires aux soins de l’expulsé.

La liste des objets pouvant être protégée en raison de l’état de santé n’est donc pas cantonnée aux seuls objets ayant par nature une fonction médicale et les conséquences de la prise en compte de ce nouveau critère sont nombreuses.

B. Les conséquences de la prise en compte de l’état de santé de l’expulsé

Le nouveau critère de « l’état de santé » à pour conséquence d’offrir une protection certes temporaire, mais dont la durée est contestable (1). Face, à ce critère et à ses conséquences, le commissaire de justice doit trouver des solutions pratiques (2).

1) Une protection temporaire, mais un délai contestable

La cour d’appel n’a pas entendu accorder une exclusion définitive du fauteuil roulant du sort des autres meubles, mais elle a accordé à l’expulsée un délai supplémentaire pour récupérer des biens qui ont été jugés comme étant nécessaire à celle-ci « en raison de son état de santé ». 

Les juges n’ont ainsi pas entendu rendre le fauteuil roulant définitivement « indestructible ». Cela se comprend aisément, et en ce sens la décision n’est pas critiquable. Tout d’abord, et avec évidence, s’il s’agit d’un bien indispensable à la santé de l’expulsée, il ne serait pas justifiable qu’elle ne le récupère pas dans un temps rapide. Il est difficilement compréhensible qu’un bien ayant un caractère vital ne fasse pas l’objet d’une récupération rapide de la part de son propriétaire.

Ensuite, les juges ne peuvent valablement accorder un délai indéfini, ou attendre le bon vouloir de la locataire, là où la loi n’a prévu qu’un délai de deux mois. Un tel délai sans fin n’est dans l’intérêt d’aucune des parties, puisqu’il fait peser sur le bailleur des frais importants de gardiennage, qu’il répercutera ensuite à l’expulsée. La cour a d’ailleurs dû, dans cet arrêt, se prononcer sur ces frais et à juger qu’ils « s'analysent ici comme des frais d'expulsion, soit des frais d'exécution forcée qui, selon les dispositions de l'article L. 111-8 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L7794IZP, sont en principe à la charge du débiteur. »

Mais, la durée du délai accordé à l’expulsé pose elle aussi question. Rappelons que les opérations d’expulsion ont eu lieu le 28 juillet 2022, et que la cour d’appel statuant en juin 2024 a accordé un délai à l’expulsée pour récupérer ses biens allant jusqu’au 28 juillet 2024. L’expulsé a donc bénéficié d’un délai de deux ans pour récupérer ses biens. La Cour d’appel a, semble-t-il, choisi d’accorder à tous les objets qu’elle a sauvés de la destruction immédiate pour « raison de santé » le délai de conservation imposé au commissaire de justice pour les documents personnels. [9]

L’utilisation du texte relatif à la conservation des documents personnels, pour justifier de la durée du délai pendant lesquels les objets nécessaires à la santé de l’expulsé, entrainent d’autres problématiques. En effet, en appliquant ces dispositions, il reviendrait désormais au commissaire de justice d’assurer lui-même la conservation et durant deux années les biens nécessaires à l’expulsée en raison de son état de santé. Sur ce point, l’arrêt de la cour d’appel est critiquable tant il ne tient pas compte de la possibilité matérielle pour les études de commissaire de justice d’assurer cette conservation. Il est également très contestable d’accorder un tel délai pour des biens qui par leur nature indispensable à la santé de l’expulsé devraient être retirés au plus vite.

L’introduction d’une disposition spécifique pour ce type de biens dans le code des procédures civiles d’exécution serait donc la bienvenue. Elle permettrait de définir les biens relevant de cette catégorie, et la protection qu’il convient de leur accorder (délai de conservation, personne en charge du gardiennage). En l’absence de tels textes, le professionnel doit trouver des solutions. 

2) Les solutions pratiques pour le commissaire de justice

Le commissaire de justice est un professionnel du droit et non pas un professionnel de santé. Il ne faut donc pas faire peser sur celui-ci l’appréciation de l’état de santé de l’expulsé. La seule présence d’un bien indispensable aux personnes handicapées ou nécessaire au soin doit l’obliger à soumettre ce bien à l’appréciation du Juge de l’exécution s’il souhaite en obtenir sa destruction. 

L’absence de retrait dans le délai de deux mois de ce type de biens, ne doit pas induire qu’il n’est pas nécessaire à la santé du débiteur. L’arrêt de la cour d’appel a, rappelons-le, accordé un délai pour détruire les objets nécessaires à l’état de santé, qui a pris fin deux ans après l’expulsion.

En l’absence de solutions textuelles et jurisprudentielles, le commissaire de justice sera donc avisé de considérer qu’il existe une présomption d’utilité et de nécessité à l’état de santé de l’expulsé ou d’un occupant de son chef, par la simple présence d’un fauteuil roulant ou de matériel nécessaire aux soins.

Le commissaire de justice doit donc se prémunir d’une action tardive et de reproches qui pourraient lui être faits si de tels biens inventoriés à son procès-verbal et non retirés avaient été détruits.

Deux solutions s’offrent à lui. Premièrement, il ne serait pas inintéressant que le commissaire de justice interroge l'expulsé et consigne sa réponse dans son procès-verbal – puisqu’il doit décrire les opérations d’expulsion[10], cette interrogation et la réponse donnée pourraient valablement y figurer –  sur l’utilité d’un fauteuil roulant.Il ne serait ainsi pas tenu de « juger » de l’état de santé, puisque ce serait l’expulsé lui-même qui le lui indiquerait. De cette réponse, pourrait dépendre le sort du bien s’il n’est pas retiré. Toutefois, en cas d’absence de la partie expulsée, cette interpellation ne sera pas possible. La solution serait alors après la procédure d’expulsion de lui signifier une sommation d’avoir à indiquer si le bien lui est nécessaire en raison de son état de santé ou celui d’une personne qui se trouvait être, avant l’expulsion, occupante de son chef.

Secondement, en l’absence de réponse de l’expulsé, ou si ce dernier a indiqué que les biens étaient indispensables à son état de santé, mais qu’il n’a pas procéder à leur retrait (comme dans l’affaire soumise à la cour d’appel), le commissaire de justice doit saisir par requête le Juge de l’exécution pour se faire autoriser à détruire les biens (CPCEx, art. R. 442-2 N° Lexbase : L8668LYP).

Ces précautions sont d’autant plus indispensables que, le juge peut, comme dans l’arrêt du 20 juin 2024, adjoindre à ces objets « nécessaire en raison de l’état de santé » d’autres biens qui par nature ne relève pas de cette catégorie. 

En conclusion, cet arrêt nous apprend que le commissaire de justice, qui n’a certes pas de compétence médicale reconnue - comme il aurait le réflexe d’appeler les secours en cas de malaise lors de ses opérations - doit pour les mêmes raisons d’humanité se prémunir d’envoyer à la destruction des objets, même sans valeur marchande, ayant une fonction médicale évidente.


[1] CA Aix-en-Provence, 20 mai 2021, n° 18/06955 N° Lexbase : A42374SQ - CA Paris, 1, 10, 2 février 2023, n° 22/08170 N° Lexbase : A88199BA.

[2] A. Leon, Sort et transport des meubles en matière d’expulsion, Lexbase Contentieux et Recouvrement, mars 2023, n° 1 N° Lexbase : N4715BZN.

[3] CPCEx, art. L. 112-2, 7° N° Lexbase : L5801IRB.

[4] CPCEx, art. L. 112-2, 7° N° Lexbase : L5801IRB.

[5] Cass. civ. 1, 11 décembre 1985, 84-10.339 N° Lexbase : A5925AAP.

[6] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[7] Articles 3 et 28 du Code de déontologie des commissaires de justice.

[8] Cass. civ. 2, 28 juin 2012, no 11-15.055, FS-P+B+I N° Lexbase : A9898IPB.

[9] CPCEx, R. 433-6 N° Lexbase : L5604LTQ.

[10] CPCEx, R. 432-1, 1° N° Lexbase : L2518ITG.

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