Lexbase Contentieux et Recouvrement n°7 du 27 septembre 2024 : Procédure civile

[Textes] Décret « Magicobus 1 » et traitement des fins de non-recevoir : le législateur joue-t-il aux apprentis sorciers ?

Réf. : Décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées N° Lexbase : L9340MMU

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par Clint Bouland, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Qualifié aux fonctions de maître de conférences

le 11 Septembre 2024

Mots-clés : procédure civile • fins de non-recevoir • juge de la mise en état • tribunal judiciaire • compétence exclusive • compétence partagée • incidents de mise en état • avocats

Digne d’une véritable saga (à succès ?), le traitement des fins de non-recevoir dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire a connu moult rebondissements ces dernières années. Initialement confié à la connaissance du seul tribunal, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile est venu bouleverser cette logique, en rendant le juge de la mise en état, lorsqu’il est saisi, seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir à l’exclusion de toute autre formation du tribunal. Source de difficultés pratiques et de lourdeurs procédurales, ce changement de paradigme, pourtant justifié par une volonté de simplification et de rationalisation du temps de l’instance, s’est avéré assez largement contreproductif et les critiques des praticiens n’ont pas tardé à se faire entendre, reprochant en substance au législateur de jouer aux apprentis sorciers. Prenant acte de ces difficultés, ce dernier a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Est désormais prévue, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement du tribunal pour statuer sur ces fins de non-recevoir.


 

Il est des sagas qui parviennent aisément à nous tenir en haleine, sans jamais nous lasser, et ce malgré la récurrence de leurs épisodes. Serait-ce le cas de ce que l’on pourrait désormais nommer le « cycle des fins de non-recevoir » ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question de leur traitement, dans les litiges relevant de la compétence du tribunal judiciaire, a pu faire couler beaucoup d’encre, tant de la part du législateur (l’auteur) que de la doctrine et des praticiens (les critiques). En outre, s’il nous est permis de filer davantage la métaphore, force est de constater que ce « cycle » respecte scrupuleusement le schéma narratif classique commun à tout bon récit.

La situation initiale présente ainsi l’existence de règles procédurales simples, faisant de la formation de jugement du tribunal, de grande instance à l’époque, la seule compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par les parties au litige.

L’élément perturbateur survient cependant par l’adoption du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3, venu bouleverser cette logique bien établie. Outre la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance en tribunaux judiciaires, est désormais consacrée par l’article 789 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG la compétence exclusive du juge de la mise en état (JME) en matière de traitement des fins de non-recevoir, à l’exclusion de toute autre formation, sauf exceptions relativement rares en pratique.

Or, comme nous le rappelle l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et si ce changement de paradigme était justifié par la volonté du législateur de simplifier et de rationaliser le temps de la procédure, en permettant au JME de statuer en amont sur une fin de non-recevoir susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance, de nombreux effets pervers non anticipés se sont vite révélés. La multiplication des incidents de mise en état, l’allongement des délais d’audiencement devant le JME et plus généralement l’accroissement des délais de traitement des dossiers, ou bien encore le risque accru pour les avocats de voir leur responsabilité civile professionnelle engagée dans l’hypothèse où une fin de non-recevoir n’aurait pas été soulevée à temps, sont autant de péripéties auxquelles se sont vus confrontés les praticiens. Le principe de la compétence exclusive du JME dans le traitement des fins de non-recevoir a ainsi pu être assez largement critiqué et le succès de la réforme, sur cette question, na pas été au rendez-vous.

Ayant entendu les doléances des principaux concernés, le législateur a récemment lancé son plus beau sort « Reparo », en adoptant le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 » N° Lexbase : L9340MMU, qui entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Celui-ci permet notamment au JME, saisi d’une ou de plusieurs fins de non-recevoir, de renvoyer ces questions à la formation de jugement lorsque leur complexité ou létat davancement de linstruction le justifie, laissant le soin au tribunal de statuer tant sur l’irrecevabilité des demandes que sur le fond du dossier, à l’issue de la phase de mise en état. Par ce décret « Magicobus 1 », c’est donc une voie de compromis qui est recherchée en matière de fin de non-recevoir, entre les acquis de la réforme de la procédure civile du 11 décembre 2019 d’une part, et une réponse idoine aux problèmes pratiques soulevés par cette dernière d’autre part. Serait-ce là l’élément de résolution tant attendu ?

À l’instar d’Harry Potter devant son chaudron, c’est par voie d’expérimentations que le législateur semble procéder : d’une compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal à une compétence exclusive du JME pour connaître des fins de non-recevoir (I.), le décret « Magicobus 1 » consacre désormais, en certaines circonstances, ce qui pourrait s’apparenter à une compétence partagée entre ces deux acteurs (II.).

I. La situation ante décret « Magicobus 1 » : la compétence exclusive du Juge de la mise en état dans le traitement des fins de non-recevoir

Opérant une réforme d’ampleur de la procédure civile, le décret du 11 décembre 2019 a notamment bouleversé le traitement des fins de non-recevoir. Jusqu’alors confié au tribunal dans sa formation de jugement, le juge de la mise en état, dans le cas où celui-ci serait saisi, se voit désormais doté d’une compétence exclusive en la matière (A). Bien que justifié par des impératifs de célérité et de rationalisation de la procédure, ce changement de paradigme a vite montré ses limites, voire même s’est avéré contreproductif, faisant regretter le système antérieur aux praticiens (B).

A. Le principe de la compétence exclusive du juge de la mise en état

Définies comme tout moyen tendant à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir [1], les fins de non-recevoir se voyaient initialement confiées à la compétence exclusive de la formation de jugement du tribunal de grande instance.

En effet, si l’ancien article 771 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9313LT4 réservait un domaine de compétence propre au JME, il ne touchait mot des fins de non-recevoir. Retenant le caractère exhaustif de la liste énumérée par ledit article, la jurisprudence à fort logiquement pu en déduire d’une part que, sauf dispositions spécifiques, le JME n’était pas compétent pour en connaître [2], et d’autre part que les incidents mettant fin à l’instance visés par l’alinéa 2 de l’article 771 précité ne les comprenaient pas davantage [3].

Cette jurisprudence constante et bien établie a cependant été renversée par l’adoption du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Véritable changement de paradigme en la matière, le traitement des fins de non-recevoir fut alors transféré, en vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, à la compétence du seul JME lorsque la demande était présentée postérieurement à sa désignation.

Une exception, expressément prévue, subsistait cependant : lorsque le traitement de la fin de non-recevoir nécessitait que soit préalablement tranchée une question de fond [4]. En cette hypothèse, il était prévu que le JME connaisse de ces deux sujets. Cependant, en cas d’opposition des parties, il était tenu de renvoyer l’affaire devant la formation de jugement, laquelle devait statuer non seulement sur la question de fond préalable, mais également sur la fin de non-recevoir soulevée, sans que l’instruction ne soit close. Ce renvoi pouvait en outre être ordonné d’office par le JME s’il l’estimait nécessaire. Certaines questions pratiques ont toutefois échappé à la vigilance du législateur, ce dernier ayant par exemple omis de se prononcer sur les recours ouverts à lencontre des décisions rendues par la formation de jugement statuant après renvoi du JME, non prévus par l’ancien article 795 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8605LYD. La doctrine était divisée sur le sujet, certains auteurs concluant en l’absence de recours possibles, d’autres en l’inclusion implicite de ces décisions de la formation de jugement dans le champ de l’article 795 [5]. Moins d’un an après l’entrée en vigueur de la réforme de la procédure civile, le législateur apportait finalement un correctif via le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 N° Lexbase : Z7419194, prévoyant expressément la possibilité d’un appel portant non seulement sur la fin de non-recevoir et sur la question de fond tranchées par la formation de jugement sur renvoi du JME.

Célérité, économies et rationalisation, tels étaient les maîtres-mots ayant guidé l’élaboration de la réforme. Célérité tout d’abord, car en consacrant la compétence du JME en lieu et place de la formation de jugement, le législateur visait un traitement rapide, dès le stade de l'instruction, d'un dossier qui en tout état de cause avait vocation à mourir dans l’œuf en raison de l'existence d’une fin de non-recevoir mettant fin à l’instance. Économies ensuite, car ce faisant on évitait aux parties des frais de procédure inutiles, conséquence du maintien en vie artificielle du litige jusqu’à la saisine de la formation de jugement. Rationalisation enfin, car l’intervention du JME avait désormais pour effet de purger le dossier de l'ensemble des moyens susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité des demandes de l’une ou l’autre des parties : débarrassée de ce contentieux, la formation de jugement pouvait ainsi ne s’attacher qu’à l’analyse du fond du litige. Ce d’autant plus que l’article 789 du Code de procédure civile prévoyait expressément, à titre de sanction, l'irrecevabilité des demandes formulées sur le fondement dune fin de non-recevoir soulevée tardivement devant la formation de jugement, après dessaisissement du JME.

B. Les conséquences de la compétence exclusive du juge de la mise en état

Malgré ces louables intentions, nul besoin d’avoir suivi les cours de divination du Professeur Trelawney pour anticiper les conséquences pratiques indésirables résultant de ce transfert de compétence vers le JME. Des auteurs ont d’ailleurs très vite alerté sur ces effets pervers [6].

Par un effet de vase communicant des plus logiques, ce que la formation de jugement du tribunal perd en contentieux, le Juge de la mise en état le gagne. Certes, l’intervention en amont du JME supposait que ce contentieux soit traité plus rapidement, mais tel n’a pourtant pas été le cas, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le principe même de l’exclusivité de la compétence du JME, combiné à la sanction de l’irrecevabilité des demandes qui seraient formulées tardivement une fois celui-ci dessaisi, entraîne un accroissement mécanique de ce contentieux au stade de la mise en état. Il est en effet dans l’intérêt des parties de multiplier les demandes afin de s’assurer de n’omettre aucun fondement susceptible d’entraîner l’extinction de l’instance. La réelle menace pesant sur l’avocat, qui se manifeste par le risque de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission, l’incite également à l’excès de zèle. Plus rarement, c’est à dessein et dans une stratégie dilatoire que certains conseils multiplient les demandes distinctes, qu’ils peuvent en outre soulever peu avant la fin de l’instruction, retardant de plusieurs mois, voire années, le traitement du dossier sur le fond.

En résulte alors une large augmentation des incidents de mise en état portant sur des fins de non-recevoir : le JME ne se voit pas confier un volume de contentieux identique à celui que devait traiter la formation de jugement du tribunal, mais bien supérieur.

Cet accroissement des demandes entraîne nécessairement une augmentation des délais d’audiencement devant le JME, étant par ailleurs précisé que le nombre de juges de la mise en état est variable d’une juridiction à l’autre, mais en tout état de cause inférieur au nombre de magistrats susceptibles de composer la formation de jugement pour connaître du fond du litige. Pour faire face à cet afflux massif de contentieux tout en conservant des délais de traitement « raisonnables », certaines juridictions n’ont alors eu d’autre choix que de confier des fonctions de JME à des magistrats qui jusqu’alors en étaient dépourvus, augmentant ainsi significativement leur charge de travail déjà conséquente ainsi que celle du greffe.

La plupart des dossiers sont alors plaidés deux fois, voire davantage selon le nombre d’incidents soulevés durant la phase d'instruction : devant le JME, puis devant la formation de jugement dans l’hypothèse, de loin la plus fréquente, où la fin de non-recevoir soulevée n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.

Ces délais de traitement, déjà conséquents, sont en outre rallongés en cas d’appel formé par une partie devant le conseiller de la mise en état (CME) contre l’ordonnance rendue par le JME. Un sursis à statuer s’impose alors dans l’attente de la décision du CME. Comble de la complexité procédurale, il est parfois possible d’assister à un véritable « saucissonnage » du litige, en cas d’appel formé à l’encontre d’une décision de la formation de jugement qui se serait prononcée à la fois sur une fin de non-recevoir et sur une question de fond préalable après renvoi par le JME, conformément aux dispositions de l’article 795 du Code de procédure civile tel qu’il résulte du décret du 27 novembre 2020. Litige qui aura vocation à revenir devant le JME de la juridiction du premier degré dans l’hypothèse, fréquente, où l’appel devant le CME n’aurait pas permis de mettre fin à l’instance.

Force est donc de reconnaître qu’aucun des objectifs avancés en 2019 n’a été atteint. Le contentieux relatif au traitement des fins de non-recevoir s’est largement multiplié, entraînant un accroissement conséquent des délais ; celui-ci s’est accompagné d’une augmentation du coût de la procédure pour les parties, directement fonction de la multiplication des audiences devant le JME et, le cas échéant, devant le CME ; la complexité du circuit procédural constitue enfin un obstacle à l’objectif de rationalisation voulu par le législateur.

II. La situation post décret « Magicobus 1 » : vers une compétence partagée du juge de la mise en état et de la formation de jugement dans le traitement des fins de non-recevoir ?

Conscient des difficultés précédemment exposées, le législateur est récemment intervenu en adoptant le décret du 3 juillet 2024, dit « Magicobus 1 ». Ce dernier a vocation, selon les dires de la Chancellerie [7], à corriger les conséquences indésirables rencontrées depuis la réforme de la procédure civile, tout en conservant ses apports essentiels, à savoir la rationalisation du traitement des fins de non-recevoir et le principe de l’intervention en amont du JME. C’est uniquement lorsque cette intervention sera susceptible d’être source de lourdeurs et de ralentissements procéduraux qu’un renvoi vers la formation de jugement sera envisageable, sous certaines conditions. Serait-ce donc là la formule magique tant attendue par les praticiens ? Il convient, pour répondre à cette question, de s’intéresser plus précisément aux apports de ce décret (A) ainsi qu’à sa portée pratique (B).

A. Les apports du décret « Magicobus 1 »

Pour les quelques « moldus » qui seraient restés étrangers aux aventures du célèbre sorcier à lunettes rondes, le Magicobus est, dans l’œuvre de J.K. Rowling, un moyen de transport magique apparaissant aux sorciers en perdition, à leur demande, afin de les conduire à bon port en moins de cinq minutes. Par ce surnom abracadabrant et non dépourvu d’humour de « méthode Magicobus », la Chancellerie entend permettre aux praticiens de lui faire remonter diverses problématiques pratiques qu’ils sont amenés à rencontrer, afin d’y remédier en procédant à des modifications ciblées des dispositions de procédure civile, par l’adoption de décrets à intervalles réguliers. Si cette méthode traduit à n’en pas douter une véritable prise en compte bienvenue des difficultés de terrain, certains auteurs ont également pu porter un regard assez critique sur la façon de procéder [8].

Ainsi, par ce décret « Magicobus 1 », le législateur souhaite apporter une solution aux difficultés rencontrées dans le traitement des fins de non-recevoir, tout en conservant l’esprit ayant guidé l’adoption de la réforme de la procédure civile de 2019.

Pour ce faire, le nouvel article 789 du Code de procédure civile autorise un renvoi à la formation de jugement, par le JME, dans deux hypothèses : lorsque la complexité de l’affaire ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie. Il appartiendra alors aux parties ayant soulevé la fin de non-recevoir devant le JME de reprendre ce moyen dans les conclusions qui seront adressées à la formation de jugement. Cette dernière se chargera d’examiner la fin de non-recevoir renvoyée, préalablement à l’étude du fond du dossier. Un tel renvoi peut donc répondre, en théorie, à deux objectifs distincts, mais convergents : éviter qu’un contentieux trop complexe, supposant la collégialité, ne surcharge le rôle du JME, ou bien encore éviter le ralentissement de la procédure résultant d’une fin de non-recevoir soulevée peu avant la fin de l’instruction.

Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une véritable compétence partagée du JME et de la formation de jugement pour traiter les fins de non-recevoir, puisque celles-ci restent par principe dévolues au seul JME [9], sauf décision de renvoi de ce dernier dans les cas spécifiquement mentionnés. Par ailleurs, est conservée la sanction de l’irrecevabilité de la demande lorsqu’elle est soulevée tardivement par les parties, après dessaisissement du JME [10].

Il convient toutefois de noter que la possibilité désormais offerte au JME de renvoyer la fin de non-recevoir devant la formation de jugement ne s’impose nullement à lui. Il conserve par ailleurs, pour le cas où il n’userait pas de cette faculté, sa compétence pour connaître d’une question de fond préalable nécessaire au traitement de la fin de non-recevoir. Seulement, le fondement textuel de cette compétence se voit transféré de l’ancien article 789 du Code de procédure civile au nouvel article 125 du même code N° Lexbase : L1421H4E. Sont en outre supprimées les dispositions spécifiques consacrant la possibilité, pour les parties, de s’opposer à ce que le JME connaisse d’une telle question de fond préalable, en lieu et place de la formation de jugement. Le législateur a en effet estimé que les dispositions prévues à ce titre par l’ancien article 789 faisaient double emploi avec celles résultant déjà de l’article L. 212-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7728LPW, pouvant aboutir au même résultat [11].

Autre apport essentiel et largement sollicité par les praticiens, le nouvel article 795 du Code de procédure civile tel qu’issu du décret du 3 juillet 2024 supprime la possibilité pour les parties de former immédiatement appel des ordonnances rendues par le JME statuant sur une fin de non-recevoir, exception faite de celles qui auraient effectivement mis fin à l’instance. Désormais et en cas de rejet de la fin de non-recevoir invoquée, seul l’appel différé sera ouvert, après décision rendue sur le fond du litige par la formation de jugement.

B. La portée du décret « Magicobus 1 »

Il est permis d’espérer que le décret du 3 juillet 2024 permettra de corriger bon nombre des effets indésirables issus de la réforme de la procédure civile de 2019. Nul doute que les praticiens directement concernés par ces questions accueilleront, pour la majorité d’entre eux, ces dispositions avec soulagement. La Commission texte du Conseil national des barreaux avait d’ailleurs d’ores et déjà pu, le 2 février 2024, émettre un avis favorable à l’égard des dispositions relatives aux fins de non-recevoir alors contenues dans le projet de décret [12].

Si le législateur ne fait assurément pas pleinement machine arrière, cette faculté désormais offerte au JME de renvoyer ces fins de non-recevoir devant la formation de jugement à l’issue de l’instruction, par simple mention au dossier, assurera une certaine souplesse dans le traitement des litiges, permettant d’apporter une réponse proportionnée et adaptée à la particularité de chaque dossier, à la condition que les magistrats s’en saisissent.

À ce propos, et à s’en tenir au texte, si un tel renvoi ne semble possible que lorsque la complexité de la fin de non-recevoir soulevée ou lorsque l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le nouvel article 789 du Code de procédure civile prend cependant utilement le soin de préciser que cette décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire, par conséquent insusceptible de recours conformément aux dispositions de l’article 537 du même codeN° Lexbase : L6687H7S. Le JME disposera donc d’une appréciation souveraine pour déterminer l’opportunité d’un tel renvoi, eu égard aux conditions posées. Bien utilisé, ce nouvel article 789 pourrait par conséquent constituer un outil efficace dans la gestion des flux et stocks des dossiers d'une chambre.

La suppression des appels immédiats des ordonnances rendues par le JME, pour le cas où ce dernier aurait conservé sa compétence et en cas de rejet de la demande, permettra par ailleurs de fluidifier le traitement du contentieux. Le risque denlisement ou bien encore de « saucissonnage » des dossiers au stade de linstruction sen trouve alors largement réduit.

En ce sens, même si le chemin aura été semé d’embûches et en grande partie parcouru à tâtons, il y a des raisons de penser que le décret « Magicobus 1 » pourrait finalement approcher les objectifs de célérité, d’économies et de rationalisation que la réforme de 2019 n’avait pas permis d’atteindre.

Reste cependant une ombre au tableau, conséquence insoluble de la volonté du législateur de ne pas trahir l’esprit de cette dernière. En effet, si le décret « Magicobus 1 » permet de corriger certaines des conséquences malheureuses de la réforme de la procédure civile, il ne supprime pas leur principale cause, à savoir le principe même de la compétence exclusive du JME en matière de fin de non-recevoir à l’égard des parties. Comme vu précédemment, ces dernières et leurs conseils sont toujours tenus de les soulever au stade de l’instruction du dossier, sous peine d’irrecevabilité. Ils restent donc tout autant incités à multiplier les demandes devant le JME par voie de conclusions d’incident, et non par conclusions au fond. Pèse par ailleurs toujours sur l’avocat la menace de voir sa responsabilité civile professionnelle engagée en cas d’omission malheureuse d’une fin de non-recevoir. C’est sans doute là le prix à payer du compromis voulu par le législateur.

Pour aller plus loin : lire le commentaire du Professeur Etienne Vergès, Décret « Magicobus 1 » : la réforme de la procédure civile en flux tendu, Lexbase Droit privé, septembre 2024, n° 994 N° Lexbase : N0195B3M ;

[2] Cass., avis, 13 février 2012, n° 11-00.008 N° Lexbase : A1097IXW ; Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-10.044, FS-P+B+I N° Lexbase : A3238G73, RTD Civ., 2011, n° 2 p. 382, note P. Théry ; RCDIP, 2011, n° 3 p. 716, note H. Gaudemet-Tallon.

[3] Cass., avis, 13 novembre 2006, n° 06-00.012 N° Lexbase : A1096IXU, Gaz. Pal., 2009, n° 46 p. 7, note E. Raskin ; RTD, Civ., 2007, n° 1 p. 177, note R. Perrot.

[4] Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque la question de la prescription nécessite au préalable, pour pouvoir être tranchée, qu’il soit statué sur la nature de l’obligation litigieuse ou de l’acte juridique qui lui a donné naissance.

[5] M. Barba, Nouvelles retouches de l'appel civil ou le syndrome de la réforme permanente. À propos du décret numéro 2020-1452 du 27 novembre 2020, D., 2021, n° 1 p. 39 ; S. Amrani-Mekki, cret n° 2020-1452 réformant (encore !) la procédure civile, JCP G., 2020, n° 51 p. 2252.

[6] Ch. De Haas, La réforme de la dévolution des fins de non-recevoir ou l'échec annoncé d'une volonté de simplification, Communication - Commerce Électronique, 2020, n° 10 p. 12.

[7] V. not. la circulaire de présentation du décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 dit « Magicobus 1 » portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées [en ligne].

[8] M. Barba, Magique procédure civile, D., 2024, n° 20 p. 961.

[9] Comme continue à le rappeler le nouvel article 789 du Code de procédure civile.

[10] Sauf exceptions mentionnées à l’al. 4 du nouvel article 802 du Code de procédure civile.

[11] COJ, art. L. 212-1 : Le tribunal judiciaire statue en formation collégiale, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger.

[12] Simplification de la procédure civile en première instance : les mesures prévues dans le projet de décret Magicobus 1, Gaz. Pal., 2024, n° 5.


 

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