Réf. : Cass. civ. 2, 25 avril 2024, n° 22-17.229, FS-B N° Lexbase : A9169284
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N9243BZD
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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D
le 06 Mai 2024
► L'arrêt qui, au titre des pertes de gains professionnels actuels, n'a indemnisé que la perte de revenus de la victime liée à son placement en arrêt de travail, évaluée à la différence entre ses revenus antérieurs à l'accident et la pension d'invalidité qu'elle a perçue de l'organisme social après celui-ci, n'a pas indemnisé deux fois le même préjudice ;
Le préjudice d'établissement constitué par la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap subsistant après consolidation, est un poste de préjudice à caractère permanent ; lorsqu'en raison de la longueur de la période temporaire, cette même perte est subie avant consolidation, elle peut être indemnisée au titre du déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie et des joies usuelles de l'existence ;
Le préjudice sexuel avant consolidation est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.
Contexte. Une question fréquemment soulevée dans le domaine de l'indemnisation des dommages corporels concerne les conditions d’évolution de la nomenclature « Dintilhac ». Ainsi que le précise le rapport « Dintilhac », la nomenclature « ne doit pas être appréhendée comme un carcan rigide et intangible conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes, mais plutôt comme une liste indicative - une sorte de guide ». Il appartient à la Cour de cassation d’assurer un contrôle direct de qualification des postes de préjudice.
Dans ce nouvel arrêt, elle est interrogée sur la possibilité d’une réparation autonome à titre temporaire, pour une période antérieure à la consolidation, d’abord de l’incidence professionnelle, ensuite du préjudice sexuel et du préjudice d’établissement.
Faits et procédure. En l’espèce, la victime a été blessée le 24 juin 2008 par l'explosion d'un engin pyrotechnique lors d'une fête organisée par une association. Elle a assigné l'association et son assureur en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.
La victime est décédée des suites de ses blessures le 14 octobre 2017. Sa mère et ses frères sont intervenus volontairement à l'instance, tant à titre personnel qu'en leur qualité d'ayants droit.
Un arrêt du 24 juillet 2018, rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 14-29.147 et n° 15-14.517, F-D N° Lexbase : A9243N3Q), a déclaré l'association responsable des préjudices subis par la victime, déclaré l'assureur tenu à garantie et a sursis à statuer sur l'indemnisation des ayants droit, tant au titre de leur action successorale que de leur action personnelle. À la suite de l’expertise médicale, la cour d’appel de Montpellier a, par un arrêt du 5 avril 2022, condamné in solidum l’association et l’assureur à payer diverses sommes aux ayants droit en indemnisation de leurs préjudices personnels et au titre de leur action successorale (CA Montpellier, 5 avril 2022, n° 16/01683 N° Lexbase : A23027S3). Un pourvoi en cassation est formé, structuré du principe de réparation intégrale sans perte si profit pour la victime. La première branche du premier moyen et le second moyen soutiennent que l’incidence professionnelle, le préjudice sexuel et le préjudice d’établissement ne peuvent être indemnisés qu’au titre des préjudices permanents, après consolidation de l’état de la victime. Le second moyen prétend également que le déficit fonctionnel temporaire intègre nécessairement le préjudice sexuel avant consolidation. Autrement dit, sur ce point, la somme allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire intégrait nécessairement le préjudice sexuel avant consolidation.
Solution. La Cour de cassation rend un arrêt de cassation partielle. Pour rappel, il résulte d’une jurisprudence constante que l’évaluation du préjudice doit donc être effectuée dans le respect du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime (Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n°15-10.239, F-D N° Lexbase : A9427N3K ; Cass. civ. 2, 8 juin 2017, n° 16-20.616, F-D N° Lexbase : A4324WHM; Cass. civ. 2, 3 mai 2018, n°17-14.985, F-D N° Lexbase : A4357XMC). La Haute juridiction devait se prononcer sur deux points.
D’abord, l’incidence professionnelle peut-elle être indemnisée de manière autonome à titre temporaire, pour une période antérieure à la consolidation ? Le poste de l’incidence professionnelle n’existe pas dans la liste des préjudice temporaires (subis avant la consolidation) prévus par la nomenclature « Dintilhac » et il n’est pas pris en compte par les autres préjudices temporaires. Dès lors, la Cour de cassation rejette le moyen : « l'arrêt, qui, au titre des pertes de gains professionnels actuels, n'a indemnisé que la perte de revenus de la victime liée à son placement en arrêt de travail, évaluée à la différence entre ses revenus antérieurs à l'accident et la pension d'invalidité qu'elle a perçue de l'organisme social après celui-ci, n'a pas indemnisé deux fois le même préjudice ». L’incidence professionnelle temporaire peut être réparée de manière autonome pour une période antérieure à la consolidation.
Ensuite, le préjudice sexuel et le préjudice d’établissement peuvent-ils être indemnisés de manière autonome à titre temporaire, pour une période antérieure à la consolidation ? Il résulte de la jurisprudence antérieure que le préjudice sexuel n’est un poste spécifique que pour la période postérieure à la date de consolidation (Cass. civ. 2, 11 décembre 2014, n°13-28.774, F-P+B N° Lexbase : A6078M7A ; Cass. civ. 2, 11 mars 2021, n°19-15.043, F-D {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 65921552, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 2, 11-03-2021, n\u00b0 19-15.043, F-D, Cassation partielle", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A01654LP"}}). Il est donc en principe nécessairement indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire. La Cour de cassation refuse l’autonomisation de ces préjudices. Elle énonce en premier lieu que « le préjudice d'établissement constitué par la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap subsistant après consolidation est un poste de préjudice à caractère permanent. Lorsqu'en raison de la longueur de la période temporaire, cette même perte est subie avant consolidation, elle peut être indemnisée au titre du déficit fonctionnel temporaire, qui répare la perte de qualité de vie et des joies usuelles de l'existence ». Elle affirme en second lieu que « le préjudice sexuel avant consolidation est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire ».
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