La lettre juridique n°983 du 2 mai 2024 : Comité social et économique

[Brèves] Plus de condition d’ancienneté pour ouvrir droit aux activités sociales et culturelles du CSE

Réf. : Cass. soc., 3 avril 2024, n° 22-16.812, FS-B N° Lexbase : A34992ZM

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N9213BZA

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par Jonathan Cadot, Avocat associé, Lepany & Associés

le 30 Avril 2024

Mots clés : CSE • activités sociales et culturelles • conditions • ancienneté • URSSAF

S’il appartient au comité social et économique de définir ses actions en matière d’activités sociales et culturelles, l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté.


« Et au niveau du CSE, quelles sont les activités sociales et culturelles proposées ? ». Il n’est pas rare que les candidats à une embauche interrogent leur potentiel futur employeur sur les prestations proposées par le CSE. Parfois, c’est même le futur employeur qui loue les activités mises en place par son CSE pour attirer de futurs salariés.

En effet, d’une entreprise à l’autre, en fonction notamment, de sa taille et de sa masse salariale, les activités sociales et culturelles du CSE peuvent constituer un véritable avantage complémentaire.

Alors que les activités sociales et culturelles constituent une partie de l’activité du CSE, rares sont les contentieux les concernant.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, une organisation syndicale demandait l’annulation d’une disposition du règlement intérieur d’un CSE venant prévoir « un délai de carence de six mois avant de permettre aux salariés nouvellement embauchés de bénéficier des activités sociales et culturelles ».

Pour l’organisation syndicale demanderesse, l’ensemble des salariés et stagiaires devaient bénéficier des activités sociales et culturelles sans condition d’ancienneté. Dès lors, elle demandait l’annulation de cette disposition.

Saisis successivement, le tribunal Judicaire de Paris, puis la cour d’appel de Paris rejetaient les demandes formulées par l’organisation syndicale, considérant que la condition d’ancienneté était objective et étrangère à toute discrimination et différence de traitement.

La Cour de cassation prend une position tout autre, considérant que les activités sociales et culturelles doivent pouvoir bénéficier à tous les salariés et stagiaires sans condition d’ancienneté.

Si la position des juges du fond répondait à une certaine logique (I.), la Cour de cassation consacre un droit aux activités sociales et culturelles à l’ensemble des salariés (II.), ce qui va amener de nombreux CSE à repenser leurs pratiques (III.).

I. Une position des juges de fond avalisée par les URSSAF qui répondait à une certaine logique

Subordonner le bénéfice de tout ou partie des activités sociales et culturelles est une pratique largement développée dans de nombreux CSE (et anciennement CE).

Elle répondait à une certaine logique dès lors que le budget des activités sociales et culturelles (ASC) est calculé sur la masse salariale.

L’ancienneté était considérée par les CSE comme un élément objectif. Cela est d’ailleurs le cas en matière de discrimination et d’égalité de traitement. Il est vrai que le Code du travail et les accords collectifs subordonnent le bénéfice de nombreux avantages à une condition d’ancienneté.

D’ailleurs, l’ACOSS, dans son Guide à destination des CSE, avalisait cette pratique considérant que les ASC « doivent bénéficier aux salariés ou anciens salariés, à leurs familles et aux stagiaires, et à l’ensemble des salariés (pas de distinction liée au contrat de travail, à la catégorie professionnelle, etc.), ce bénéfice pouvant être réservé « aux salariés ayant une ancienneté, dans la limite de six mois ».

Il est toutefois à noter que le ministère du Travail ne partageait pas cette position.

C’est ainsi qu’il avait considéré, dans une réponse ministérielle, que :

« La différence de traitement entre les salariés au regard d’un même avantage doit être fondée sur des raisons objectives et pertinentes, ce qui n’apparaît pas, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, compatible avec des critères en lien avec l’activité professionnelle telles que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise » [1].

Quant à la position jurisprudentielle, il est à noter que la cour d’appel de Rennes avait validé le recours à une condition d’ancienneté pour ouvrir droit aux ASC [2].

C’est dans ce sens que le tribunal judiciaire de Paris, puis la cour d’appel de Paris, dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, ont validé la possibilité de subordonner le bénéfice des ASC à une condition de six mois d’ancienneté, déboutant la Fédération CGT de sa demande d’annulation de la disposition du règlement intérieur la prévoyant.

Aux termes de son arrêt, la cour d’appel de Paris considérait que « l’ancienneté est un critère objectif, non discriminatoire, dès lors qu’il s’applique indistinctement à tout salarié quel qu’il soit et notamment quel que soit son âge », et considérait donc que ce critère respectait, a priori, le principe d’égalité de traitement et celui de non-discrimination [3].

Une solution que la Cour de cassation ne va pas retenir.

II. Une position de la Cour de cassation consacrant un droit aux activités sociales et culturelles pour l’ensemble des salariés et stagiaires sans condition d’ancienneté

Par son arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation était donc amenée à trancher pour la première fois sur le sujet. Elle considère que « s’il appartient au comité social et économique de définir ses actions en matière d’activités sociales et culturelles, l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté ».

La Haute juridiction fonde son arrêt sur les deux textes définissant les activités sociales et culturelles et leurs bénéficiaires à savoir :

  • L’article L. 2312-78 du Code du travail N° Lexbase : L8311LGW qui dispose que « le comité social et économique assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires ». S’agissant du droit des stagiaires à bénéficier des activités sociales et culturelles, il est également érigé par le Code de l’éducation [4].
  • L’article R. 2312-35 du Code du travail N° Lexbase : L5667MCU qui vient définir la notion d’activités sociales et culturelles en précisant en précisant qu’elles bénéficient aux salariés ou anciens salariés de l'entreprise et à leur famille. Il est à noter que, s’agissant des anciens salariés qui sont visés à l’article R. 2312-35 du Code du travail, un CSE peut réserver les ASC aux salariés en activités [5].

La Cour de cassation en déduit qu’il existe un droit à tous salariés et stagiaires de bénéficier des activités sociales et culturelles.

Il en résulte qu’il n’est pas possible d’exclure du bénéfice des activités sociales et culturelles une partie du personnel, en l’espèce, ceux qui ont moins de six mois d’ancienneté.

Cette solution peut faire sens dans la mesure où si le CSE a le monopole de la gestion des activités sociales, le législateur n’est nullement venu prévoir la possibilité pour le CSE d’exclure une catégorie de salariés du bénéfice des ASC.

C’est bien cette exclusion d’une catégorie de salariés et de stagiaires (en l’occurrence l’ensemble des stagiaires en prévoyant une ancienneté de six mois en l’espèce) qui est sanctionnée.

Il n’est pas inintéressant de noter que la Cour de cassation avait pu juger, par le passé, qu’un avantage qui n’est pas offert à l’ensemble du personnel ne pouvait constituer une activité sociale et culturelle [6].

Par ailleurs, il est à saluer que la Cour de cassation ne se réfère à une quelconque discrimination, ce qui apparait logique dès lors que l’ancienneté ne constitue pas un motif discriminatoire prohibé par la loi [7].

Reste qu’il n’est pas certain que la Chambre sociale eût pleinement conscience des conséquences pratiques et financières de la décision rendue.

III. Un arrêt ayant de fortes implications pratiques

Les CSE ayant recours à la condition d’ancienneté vont devoir revoir leurs pratiques.

Il s’agira, selon les cas, de modifier leur règlement intérieur ou de modifier leur politique ASC, si celle-ci n’est pas contenue dans le règlement intérieur.

Dans tous les cas, il s’agira de procéder par un vote en réunion plénière, en prévoyant un point à l’ordre du jour, sauf si la gestion de la politique d’activités sociales et culturelles a été déléguée à une commission dédiée qui pourra statuer sur le sujet dans les limites de sa délégation.

Il apparait d’autant plus indispensable que les CSE revoient leur pratique qu’il est fort à parier que l’ACOSS revoit prochainement sa position sur le sujet et qu’elle s’aligne sur la position de la Cour de cassation.

Dans ces conditions, maintenir la condition d’ancienneté comme condition d’ouverture au bénéfice des ASC pourrait faire courir le risque d’un redressement URSSAF dont le coût financier serait in fine supporté par le CSE.

Reste que la suppression de la condition d’ancienneté en fonction de la structure des effectifs l’entreprise (embauches régulières, fort turnover, recours à des contrats précaires de courte durée, nombreux importants stagiaires) va poser des problèmes financiers pratiques et immédiats pour les CSE.

En effet, de facto, en augmentant le nombre de bénéficiaires, le montant moyen des ASC va diminuer, ce qui ne va pas manquer de créer une forme de mécontentement des salariés qui pourraient sanctionner l’équipe gestionnaire du CSE aux prochaines élections.

Cela amène donc les CSE à s’interroger sur les conditions d’octroi des activités sociales et culturelles.

S’agissant de recourir à une condition de présence effective et non d’ancienneté, cela est à proscrire en ce que cela exclut les salariés en arrêt maladie, en congé maternité ou en congé parental, ce qui est discriminatoire [8].

Prévoir une condition de présence au 1er janvier de l’année n’apparait pas non plus envisageable [9].

Se pose vite la question de moduler le niveau d’activités sociales et culturelles (et non d’en subordonner l’octroi) en fonction de l’ancienneté ou de la présence aux effectifs des salariés.

L’idée peut être séduisante, mais n’est pas sans risque.

Certes, la Cour de cassation a sanctionné la condition d’ancienneté comme condition d’ouverture aux ASC. Pour autant, elle n’a pas validé la possibilité de la moduler en fonction de l’ancienneté.

Il est toutefois à noter que s’agissant d’une modulation, la cour d’appel de Pau a pu considérer qu’il ne pouvait être envisagé de faire dépendre le montant des bons d’achat en fonction de la durée de présence pendant l’année pour valider le redressement URSSAF opéré sur ce point [10].

De même, le ministère du Travail, dans sa réponse, avait proscrit le recours à des critères « en lien avec l’activité professionnelle telles que l’ancienneté ou la présence effective des salariés dans l’entreprise » [11].

Au surplus, le risque est que la modulation envisagée risque d’être considérée comme une tentative de contournement de la position de la Cour de cassation selon les niveaux d’ASC définies par catégorie de salariés.

La prudence est donc mise tant que l’ACCOS et les URSSAF n’ont pas clarifié leur position.

Finalement, dans l’attente d’une clarification de la position de l’URSSAF, les CSE pourraient réfléchir à repenser leurs politiques ASC en tenant compte de la présence du salarié aux effectifs au jour de la réalisation de chaque activité sociale et culturelle considérée.

Une chose est sure, l’arrêt de la Cour cassation du 3 avril 2024 n’a pas fini d’interroger les CSE dans leur pratique de gestion des ASC.


[1] Rép. min., JOAN Q nº 43931, 6 mai 2014, p. 3688 [en ligne].

[2] CA Rennes, 9 septembre 2015, n° 14/07142 N° Lexbase : A6363NNY.

[3] CA Paris, 24 mars 2022, n° 20/02640 N° Lexbase : A04067ST.

[4] C. éduc., art. L. 124-16 N° Lexbase : L7746I3B.

[5]  Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 90-11.752, inédit N° Lexbase : A2651CZ9.

[6] Cass. soc., 24 février 1983, n° 81-14.118 N° Lexbase : A7217AAK.

[7] C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY.

[8] CA Amiens, 24 janvier 2020, n° 19/00284 N° Lexbase : A18403DI ; CA Douai, 21 décembre 2018, n° 16/02393 N° Lexbase : A7993YRH.

[9] CA Rennes, 26 mars 2014, n° 12/07553 N° Lexbase : A0628MI4.

[10] CA Pau, 8 septembre 2016, n° 14/01450 N° Lexbase : A2507RZU.

[11] Rép. min., JOAN Q nº 43931, 6 mai 2014, p. 3688 [en ligne].

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