La lettre juridique n°983 du 2 mai 2024 : Sûretés

[Jurisprudence] Cautionnement et limite à la subrogation

Réf. : Cass. civ. 1, 4 avril 2024, n° 22-23.040, FS-B N° Lexbase : A63332ZL

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N9191BZG

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par Stéphane Piédelièvre, Professeur à l’Université de Paris-Est

le 29 Avril 2024

Mots-clés : cautionnement • garantie autonome • recours subrogatoire • clause de déchéance du terme • droits attachés à la personne du créancier.

La caution subrogée dans les droits du créancier ne bénéficie pas de la clause de déchéance du terme.


 

Garante, la caution ne doit pas supporter le poids définitif de la dette ; elle bénéficie de recours contre le débiteur principal. Elle accepte d’éventuellement payer le créancier au lieu et place du débiteur, mais non d’être tenue définitivement. Elle est notamment titulaire d’un recours subrogatoire. Selon l’article 2309 du Code civil N° Lexbase : L0164L8L, la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur. Cette disposition constitue une application au cautionnement du principe général prévu par l’article 1346 du Code civil N° Lexbase : L0992KZR disposant que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette ». La caution exerce alors les droits du créancier et non ses propres droits. L’avantage de ce recours tient à la subrogation de la caution dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur. Pour autant, la caution ne peut pas utiliser tous les droits du créancier, comme le démontre un arrêt du 4 avril 2024.

En l’espèce, une banque avait consenti un prêt professionnel à une société, garanti par le cautionnement d’une autre société et par le sous-cautionnement d’une personne physique. À la suite de la défaillance de l'emprunteur, la caution avait payé à la banque diverses échéances non réglées puis, après vaines mises en demeure de remboursement adressées à l'emprunteur et à la sous-caution, le solde des sommes restant dues au titre du prêt. La caution a alors assigné l'emprunteur et la sous-caution en paiement au titre de sa quittance subrogatoire. De son côté, l'emprunteur et la sous-caution ont assigné la caution en responsabilité et indemnisation en faisant valoir que la déchéance du terme avait été irrégulièrement prononcée. Cette dernière demande a été jugée irrecevable par un premier arrêt d’appel qui sera cassé par un arrêt du 6 février 2022 [1].

La cour d’appel de renvoi [2] se place alors sur un autre terrain, celui des droits que la caution pouvait utiliser contre l’emprunteur et la sous-caution. Pour les juges du second degré, la caution pouvait légitimement prétendre à la subrogation légale dans tous les droits principaux et accessoires que le prêteur tenait du contrat dont celui d'exercer la faculté de prononcer la déchéance du terme. L’emprunteur et la sous-caution contestaient cette solution en faisant valoir que la clause de déchéance du terme ne constituait pas un accessoire de la créance payée par la caution.

Au visa des articles 1251, 3° N° Lexbase : L7612K9S et 1252 N° Lexbase : L7613K9T du Code civil, la Cour de cassation censure les juges d’appel aux motifs que « pour rejeter les demandes indemnitaires de l'emprunteur et de la sous-caution, l'arrêt retient que la caution, qui avait réglé diverses échéances impayées par l'emprunteur, pouvait prétendre à la subrogation légale dans tous les droits principaux et accessoires que la banque tenait du contrat dont celui d'exercer la faculté de prononcer la déchéance du terme », ils ont violé ces deux dispositions.

La solution rendue par la présente décision a été rendue sous l’empire des textes antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016, réformant le régime général des obligations N° Lexbase : L4857KYK. Elle n’est pas remise en cause par cette réforme, puisque celle-ci et plus particulièrement l’article 1346-4 N° Lexbase : L0697KZT n’a pas bouleversé cette matière.

Cet arrêt est important à plusieurs titres. D’abord, il s’agit de la première fois où visiblement la Cour de cassation tranche cette difficulté. Or, en pratique, les hypothèses de déchéances conventionnelles sont fréquentes pour ne pas dire usuelles dans les conventions de crédit. Ensuite, sa portée est large, puisqu’elle dépasse le droit du cautionnement et qu’elle concerne également – et peut être surtout – le droit de la subrogation personnelle. La solution ainsi adoptée a vocation à s’appliquer dès lors qu’un tiers payant la dette d’un débiteur désire mettre en œuvre un recours subrogatoire.

À une époque où la Cour de cassation met en avant la motivation enrichie de ses décisions, le présent arrêt reste très elliptique sur les raisons de la solution adoptée. Elle indique seulement que « la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu'il a payé, la créance et ses accessoires, à l'exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier lesquels incluent la faculté pour le prêteur d'exiger le remboursement anticipé de toutes les sommes restant dues au titre du prêt en cas de non paiement à son échéance par l'emprunteur d'une somme devenue exigible au titre du contrat de prêt ». On aurait aimé savoir en quoi la possibilité de rembourser de manière anticipée constitue un droit attaché à la personne du créancier.

Visiblement, la Cour de cassation a été sensible aux arguments avancés par les auteurs du pourvoi. Selon eux, la déchéance du terme en cas de non-paiement d'une échéance du prêt s’analyse en un droit exclusivement attaché à la personne du créancier. Ils ajoutent qu’un accessoire de la créance s'entend exclusivement d'un droit destiné à prémunir le créancier contre la défaillance de son débiteur, ce qui est une conception très étroite de cette notion qui ne correspond sans doute pas à la réalité actuelle. 

La notion d’accessoire d’une créance suscite une nouvelle fois une difficulté de qualification [3]. Si l’on reste dans le domaine des sûretés personnelles, on s’interroge par exemple sur la transmission de la garantie autonome en même temps que la créance garantie. « Par sa finalité, elle est mise au service de l’obligation du donneur d’ordre envers le bénéficiaire, et constitue à cet égard un “accessoire” de la créance au même titre qu’une clause pénale, ou l’action résolutoire » [4]. Dans le domaine voisin des garanties professionnelles, la jurisprudence a admis un tel transfert [5]. Cette analyse est difficilement conciliable avec le caractère autonome de la garantie à première demande. Aussi est-il préférable de poser en principe qu’il n’y a pas transfert de la garantie [6]. On peut penser que la question est désormais tranchée. L’article 2321, alinéa 4, du Code civil N° Lexbase : L1145HIA dispose désormais que « sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l’obligation garantie ».

Un élément de justification de la solution adoptée par le présent arrêt du 4 avril 2024 semble résulter de son visa de l’article 1352 du Code civil N° Lexbase : L1461ABQ, devenu l’article 1346-3 N° Lexbase : L0696KZS, qui prévoit en cas de paiement partiel l’absence de concours entre le subrogé et le subrogeant. Le créancier partiellement payé et le solvens bénéficient des mêmes droits, mais dans leurs rapports réciproques, le créancier partiellement payé bénéficie d’une forme de priorité. En application de ce principe, seul ce dernier peut se prévaloir de la clause de déchéance du terme. On peut toutefois s’étonner de ce visa dans la mesure où dans la présente espèce la dette du débiteur avait visiblement été intégralement réglée par la caution.

De là, il faut sans doute en déduire que sur la question de la transmission de la clause de déchéance du terme, il existerait une forme d’unité. La Cour de cassation traite ici de la même façon le paiement intégral et le paiement partiel. Elle se conçoit parfaitement en cas de paiement partiel dans la mesure où le créancier initial doit être le seul à décider s’il convient ou non de mettre en œuvre la clause de déchéance du terme.

La référence à l’idée de droits exclusivement attachés à la personne du créancier n’emporte pas la conviction. Elle considère que la clause de déchéance résulte des qualités originaires du créancier initial. La clause de déchéance se rapproche, même s’il existe certaines différences, des clauses résolutoires. Or, la jurisprudence, dans les hypothèses où le créancier a été intégralement désintéressé, a considéré que le solvens pouvait exercer l’action résolutoire du créancier originaire [7]. Il est incontestable que la clause de déchéance constitue un élément de la créance. Il existe entre cette clause et la créance acquittée un lien étroit et même une sorte de connexité qui devrait justifier sa transmission. On ne voit pas pourquoi son exercice devrait être exclu pour toute autre personne que le créancier originaire.

La solution adoptée par cet arrêt du 4 avril 2024 s’analyse comme un frein à la fonction translative de la subrogation. La conséquence pratique en est que la caution et plus largement tout tiers payant la dette du débiteur utilisant le recours subrogatoire ne peuvent plus mettre en œuvre la clause de déchéance du terme.


[1] Cass. civ. 1, 6 février 2022, n° 20-22.434, F-D N° Lexbase : A64887NM.

[2] CA Bourges, 20 octobre 2022, n° 22/00327 N° Lexbase : A47428R3.

[3] M. Cabrillac, Les accessoires de la créance, in Mélanges Weill, 1983, p. 107.

[4] Ph. Malaurie, L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Les sûretés, La publicité foncière, D., 16ème éd., n° 346 ; également A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, LGDJ, 1ère éd., n° 1398.

[5] Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 02-18.897, FS-P+B N° Lexbase : A6413DDU, D., 2005, 692, note S. Cabrillac ; RTD civ., 2005, 398, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois, 2005, 1226, note A.-S. Barthez.

[6] P. Simler, Cautionnement, garanties autonomes et garanties indemnitaires, LGDJ, 5ème éd., n° 922.

[7] V. par ex. Cass. civ., 22 octobre 1894, obs. P. de Loynes – Cass. civ. 3, 13 décembre 1968, Bull. civ., III, n° 555.

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