La lettre juridique n°980 du 4 avril 2024 : Copropriété

[Jurisprudence] Le quitus, le syndic et les copropriétaires

Réf. : Cass. civ. 3, 29 février 2024, n° 22-24.558, FS-B N° Lexbase : A26212Q7

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par Martine Dagneaux, Conseiller honoraire à la Cour de cassation

le 03 Avril 2024

Mots clés :  syndic • quitus • responsabilité du syndic • recevabilité de l’action du copropriétaire ayant voté le quitus

Même s’il a voté en faveur de la résolution donnant quitus au syndic, un copropriétaire peut rechercher la responsabilité délictuelle du syndic.


 

Mme K, propriétaire d’un appartement dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, a assigné le syndic en indemnisation du préjudice financier et de jouissance qu’elle estime avoir subi du fait du retard pris par ce dernier à faire réaliser les travaux nécessaires pour l’étaiement et la remise en état de l'immeuble qui présentait de graves désordres de structure.

Le syndic a opposé à la demande, notamment, le fait que Mme K avait voté le quitus et ainsi renoncé à toute critique sur l'exécution du contrat de syndic.

Le tribunal d’instance de Dieppe a par jugement du 18 février 2021 n° 17/01108, condamné le syndic à indemniser Mme K de ses préjudices tant financier que de jouissance.

Sur appel du syndic, la cour d'appel de Rouen a, par arrêt du 12 octobre 2022 (CA Rouen, 12 octobre 2022, n° 21/01091 N° Lexbase : A71738PD), confirmé le jugement sur le principe de la responsabilité du syndic et le montant des dommages et intérêts pour le préjudice financier mais a réduit l’indemnisation du préjudice de jouissance.

Le syndic a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel au motif notamment que le quitus donné par l'assemblée générale interdisait tant au syndicat des copropriétaires qu’aux copropriétaires ayant voté ce quitus de rechercher la responsabilité du syndic à raison des faits portés à leur connaissance lors du vote.

La troisième chambre de la Cour de cassation a, par arrêt du 29 février 2024 (Cass. civ. 3, 29 février 2024, n° 22-24.558, FS-B N° Lexbase : A26212Q7), destiné tant à une publication au bulletin qu’à la lettre de la chambre, rejeté le pourvoi en retenant que le fait de voter le quitus n’interdit pas à un copropriétaire de rechercher la responsabilité délictuelle du syndic pour obtenir réparation du préjudice personnel né de la faute de ce dernier.

Cet arrêt marque une évolution dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui, si elle affirmait clairement que le quitus empêchait le syndicat des copropriétaires de rechercher la responsabilité du syndic, sauf pour des faits qui n’auraient pas été portés à sa connaissance au moment du vote, n’avait pas eu, depuis une trentaine d’années, l’occasion de s’exprimer sur la possibilité pour les tiers au contrat de syndic, dont font partie les copropriétaires, d’agir en responsabilité contre le syndic, malgré le quitus, en réparation d’un préjudice personnel.

L’importance de cet arrêt est attestée par sa publication au bulletin des arrêts civils et à la lettre de la chambre. Cette lettre permet de diffuser au public des décisions qui portent, comme en l’espèce, sur des questions de la vie quotidienne.

Le quitus doit être distingué de l’approbation des comptes. Ils ont un objet différent et ne sauraient être votés dans une même résolution car chaque résolution proposée au vote de l'assemblée générale ne peut avoir qu’un seul objet (Cass. civ. 3, 14 janvier 2009, n° 08-10.624, FS-P+B N° Lexbase : A3542EC8). Ainsi, si seule la question de l’approbation des comptes figure à l'ordre du jour, la résolution votée à ce titre ne peut en même temps donner quitus (Cass. civ. 3, 6 juillet 1994, n° 89-16.212 N° Lexbase : A6239ABP).

La décision d’approbation des comptes ne se confondant pas avec celle sur le quitus de la gestion du syndic, l’annulation de la délivrance de ce quitus n’emporte pas annulation de la décision d’approbation des comptes (Cass. civ. 3, 17 mars 1999, n° 97-18.705 N° Lexbase : A7213CUP).

L’approbation des comptes, prévue à l'article 18, II, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965 N° Lexbase : Z74302TK) entraîne seulement constatation de la régularité comptable et financière des comptes (Cass. civ. 3, 14 mars 2019, n° 17-26.190, FS-P+B+I N° Lexbase : A0105Y4N ; Cass. civ. 3, 22 octobre 2020, n° 19-22.278, F-D N° Lexbase : A86183YT ). L’approbation des comptes ne décharge donc pas le syndic de sa responsabilité. Elle ne vaut pas ratification des actes effectués par le syndic : par exemple elle ne saurait entraîner implicitement ratification de travaux exécutés en urgence par le syndic, qui n’a pas ensuite convoqué l'assemblée générale comme l’article 37, alinéa 1, du décret du 17 mars 1967 (décret n°67-223 du 17 mars 1967 N° Lexbase : L5532IGY) le lui impose (Cass. civ. 3, 1er février 2005, n° 03-19.787, F-D N° Lexbase : A6367DGW ; Cass. civ. 3, 17 janvier 2007, n° 05-17.119, FS-P+B+I N° Lexbase : A5718DTX).

Le quitus n’est en revanche pas expressément prévu dans la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L5536AG7. Le syndic, qui est le mandataire du syndicat des copropriétaires, est tenu, comme tout mandataire, en vertu de l’article 1993 du Code civil N° Lexbase : L2216ABP, de rendre compte de sa gestion. D’où l’habitude qui avait été prise, à l’origine, par les syndics de soumettre la question du quitus à l'assemblée générale des copropriétaires. Cette pratique était, toutefois, peu à peu tombée en désuétude, compte tenu de la réticence de certains copropriétaires à délivrer quitus car ils craignaient de ne pouvoir ensuite rechercher la responsabilité du syndic. A défaut de réglementation expresse pour son vote, c’est la majorité prévue à l'article 24 de cette loi qui s’applique (majorité des voix des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance). A noter que le refus de donner quitus n’emporte ni révocation du mandat de syndic (Cass. civ. 3, 24 mai 1978, n° 77-11.553 N° Lexbase : A8339CIP ), ni exonération du paiement des honoraires du syndic.

Le quitus signifie que le syndic a rempli correctement sa mission de gestion de la copropriété. Il était traditionnellement admis que le quitus déchargeait le syndic de toute responsabilité dans sa gestion (Cass. civ. 3, 19 octobre 2011, n° 10-20.019, FS-D N° Lexbase : A8755HYW ; Cass. civ. 3, 27 mars 2012, n° 11-11.113, F-D N° Lexbase : A0077IHC). À tout le moins vis-à-vis du syndicat des copropriétaires qui est son seul cocontractant et pour les actes et faits connus des copropriétaires au moment où ils avaient émis leur vote (Cass. civ. 3, 23 juin 1999, n° 97-17.085 N° Lexbase : A2401CZX). Toute découverte ultérieure d’une irrégularité dans la gestion, qui n’était pas connue des copropriétaires ou dont les conséquences ne pouvaient être appréciées dans toute leur étendue, redonnait la possibilité au syndicat des copropriétaires d’agir en responsabilité contre le syndic. De la même façon la responsabilité du syndic pouvait être recherchée dès lors qu’il apparaissait que celui-ci avait donné des informations fausses afin de pouvoir obtenir quitus (Cass. civ. 3, 17 juin 2003, n° 02-11.928, F-D N° Lexbase : A8615C8L).

Dans un arrêt déjà un peu ancien, la Cour de cassation avait refusé aux copropriétaires d’agir à titre individuel en réparation de leur préjudice personnel contre le syndic qui avait reçu quitus pour sa gestion. Elle avait, en effet, estimé que la cour d'appel avait légalement justifié sa décision d’irrecevabilité de la demande en « ayant relevé que les demandes de condamnation du cabinet X. portaient sur ses actes d'administration et de gestion de la copropriété », et « retenu que les assemblées générales du 15 octobre 1990 et du 4 mars 1992 lui avaient donné quitus pour toute la période de son mandat » (Cass. civ. 3, 18 décembre 1996, n° 94-21.139 N° Lexbase : A7175CWN).

En revanche, des cours d'appel considéraient que le quitus n’empêchait pas les copropriétaires pris individuellement d’engager la responsabilité délictuelle du syndic pour le préjudice qu’ils subissent personnellement (CA Paris, 19e ch. B, 5 février 1998, D. 1999, p. 77 ; CA Basse-Terre, 1ere ch., 13 mars 2017, n° 15/00189 N° Lexbase : A0733T7B ; CA Nancy, 5 juillet 2018, n° 16/03404 N° Lexbase : A2671XWT).

Cette solution semblait logique car le quitus ne concerne que la gestion du syndic dans ses rapports avec le syndicat des copropriétaires, qui est son seul cocontractant et qui doit donc seul donner ou ne pas donner quitus. Dès lors, il n’existait pas de raison de considérer que ce quitus empêchait les copropriétaires d’agir en réparation d’un préjudice distinct de celui de la copropriété causé par les agissements du syndic.

Pour autant, ces décisions de cour d'appel ne tranchaient pas expressément la question de savoir si un copropriétaire qui avait voté en faveur du quitus pouvait ensuite agir en responsabilité contre le syndic.

Or telle était la question dont la Cour de cassation était précisément saisie dans l'arrêt commenté. Le pourvoi reprochait à la cour d'appel d’avoir considéré que le copropriétaire qui avait voté en faveur de ce quitus pouvait néanmoins agir en responsabilité pour les fautes du syndic en lien avec un préjudice distinct de celui de la copropriété.

La Cour de cassation commence par rappeler logiquement que le copropriétaire qui a voté en faveur d’une résolution ne peut ensuite solliciter l’annulation de celle-ci sur le fondement de l'article 42, alinéa 2, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4849AH3. Puis elle approuve la cour d'appel d’avoir considéré que le fait que Mme K ait voté en faveur du quitus ne l’empêchait pas d’agir contre le syndic pour obtenir réparation de son préjudice personnel.

Cette décision doit être approuvée car le quitus n’a d’effet que dans les relations syndic-syndicat des copropriétaires et ne peut valoir décharge de responsabilité que pour le préjudice éventuellement subi par la copropriété du fait des agissements du syndic. Le quitus ne peut avoir d’effet vis-à-vis des tiers dont font partie les copropriétaires. Dès lors le préjudice personnellement subi par un ou des copropriétaires ne peut être affecté par ce quitus.

Il faudra bien entendu que Mme K démontre la faute du syndic, la réalité du préjudice qu’elle subit et le lien de causalité entre ce préjudice et la faute du syndic. En l’espèce, elle invoquait les négligences du syndic qui avait tardé à mettre en œuvre les travaux de réfection de l'immeuble. Des décisions récentes retiennent effectivement la responsabilité du syndic liée à sa carence dans la prise en charge de travaux urgents (Cass. civ. 3, 24 mars 2015, n° 13-24.791, F-D N° Lexbase : A6738NEB ; Cass. civ. 3, 6 juillet 2017, n° 16-18.950, F-D N° Lexbase : A8345WLN) ou au fait de ne pas alerter le syndicat sur la nécessité d'une intervention et sur les conséquences prévisibles de toute carence (Cass. civ. 3, 17 juin 2014, n° 12-24.827, F-D N° Lexbase : A5958MR4 ; Cass. civ. 3, 25 février 2016, n° 14-29.434, F-D N° Lexbase : A4460QDK).

A retenir : les copropriétaires, qui sont souvent réticents à voter le quitus au syndic par crainte de ne pouvoir ensuite agir contre celui-ci pour les fautes commises dans sa gestion, devraient être désormais rassurés. En effet, si leur vote favorable les empêche de contester ensuite la résolution donnant quitus, sur le fondement de l’article 42, alinéa 2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, et de solliciter l’indemnisation du préjudice subi par la collectivité des copropriétaires, ils resteront recevables à agir pour tout agissement du syndic qui n’aurait pas été connu d’eux au moment du vote et surtout pourront désormais agir en indemnisation du préjudice qu’ils subissent personnellement. 

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