La lettre juridique n°980 du 4 avril 2024 : Urbanisme

[Jurisprudence] La régularisation d'une autorisation d'urbanisme revoyant l'économie générale du projet (sans en changer la nature)

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 11 mars 2024, n° 463413, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A92802TU

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par Olivier Savignat, Avocat associé, Valians avocats et Gustave Barthélémy, juriste

le 03 Avril 2024

Mots clés : permis modificatif • mesure de régularisation • autorisation d'urbanisme • économie générale du projet • nature du projet 

Dans un arrêt mentionné aux tables du recueil, le Conseil d’État a rappelé que le caractère régularisable d’un vice entachant une autorisation d’urbanisme doit s’apprécier, d’une part, au regard de la réglementation d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statue et, d’autre part, en tenant compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer son projet et d'en revoir, le cas échéant, l'économie générale sans en changer la nature.


 

Au préalable, rappelons qu’aux termes de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0034LNL, le juge administratif sursoit à statuer lorsque, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation d’urbanisme, et après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, il estime qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif (mesure de régularisation).

La mise en œuvre de ce mécanisme, qui permet au bénéficiaire de l’autorisation querellée de sauver son projet en obtenant un permis modificatif le régularisant, ne constitue plus, pour le juge, une simple faculté [1] mais bien une obligation.

En effet, depuis l’adoption de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8, dès lors que le vice apparaît comme étant régularisable, le juge doit, en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, sauf à ce qu'il fasse le choix de recourir à une annulation partielle, mécanisme prévu par l'article L. 600-5 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L0035LNM, ou bien que le pétitionnaire refuse de régulariser son projet [2].

En outre, lorsque les défendeurs prennent l’initiative de demander au juge, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur leur projet, le refus opposé par ce dernier doit nécessairement être motivé.

Ainsi, le juge administratif est régulièrement amené à s’interroger sur le caractère régularisable ou non des vices entachant la légalité d’une autorisation d’urbanisme. Il en allait ainsi dans l’espèce ici commentée.

Dans les faits, le maire de Nouméa a délivré à la SCI Fly 2018 un permis de construire ayant pour l’objet l’aménagement d’une piscine ainsi que l’édification d'un bloc sanitaire avec vestiaire et débarras, le tout sur un terrain situé au sein d’un lotissement et comportant déjà une villa.

Ce projet avait ceci de particulier qu’il prévoyait, pour la piscine, un usage tant privatif que collectif. Ainsi, des cours de natation devaient y être dispensés. Comme soulevé par un syndicat de copropriétaires voisins dans le cadre d’un recours formé contre l’arrêté délivrant le permis de construire, la construction projetée aurait alors dû être assimilée à un établissement recevant du public.

Or, l’article UB 12 du plan local d’urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur exigeait, pour de tels établissements, un minimum d’une place de stationnement par 10 mètres carrés de surface accessible au public. Au regard de la superficie de la piscine, le permis de construire aurait donc dû prévoir cinq places de stationnement, là où il n’en prévoyait que quatre. Par suite, la cour administrative d’appel de Paris a annulé l’autorisation en litige.

Elle a en outre refusé d’ouvrir la porte à une régularisation du projet, en dépit de ce que la commune lui avait demandé, à titre subsidiaire, de faire application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Selon elle en effet, le vice affectant le permis de construire, tiré de la méconnaissance de l’article UB 12 précité, n’était pas régularisable.

En annulant cet arrêt sur ce point, le Conseil d’État a apporté des éclaircissements utiles sur les éléments que le juge administratif doit prendre en compte pour apprécier le caractère régularisable ou non d’un vice entachant une autorisation d’urbanisme.

I. Le juge doit tenir compte des règles d'urbanisme applicables à la date à laquelle il se prononce

Au premier chef, le Conseil d’État relève que la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte la circonstance que les dispositions de l’article UB 12 du plan d’urbanisme directeur de Nouméa avaient évolué durant l’instance.

En principe, un vice entachant une autorisation d’urbanisme peut être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée [3]. Par suite, le juge administratif apprécie le caractère régularisable des vices au regard des dispositions en vigueur au moment où il statue.

Sauf à commettre une erreur de droit, le juge doit donc prendre en compte les éventuelles évolutions de la réglementation d’urbanisme intervenue au cours de l’instance. Il est en effet possible que les dispositions dont la méconnaissance entache d’illégalité l’autorisation querellée disparaissent, ou à tout le moins évoluent dans un sens plus favorable au bénéficiaire.

Le cas échéant, une régularisation doit être envisagée par le juge et, sous réserve que le pétitionnaire sollicite et obtienne une mesure de régularisation [4] et que celle-ci soit légale, le recours contre l’autorisation peut être rejeté.

Ainsi, et à titre d’exemple, un permis de construire autorisant un dépassement de l’emprise au sol maximale résultant du coefficient d’occupation des sols (COS) peut être considéré comme régularisable dès lors qu’est intervenue, au cours de l’instance, une révision du plan local d’urbanisme supprimant ledit COS [5].

Dans le même sens, et comme rappelé par Olivier Fuchs dans ses conclusions sur l’avis du 2 octobre 2020, le terrain d’assiette rendu inconstructible du fait d’une servitude pourrait devenir constructible au gré d’une révision du plan local d’urbanisme supprimant ladite servitude, permettant ainsi la régularisation du projet par le biais d’un simple permis modificatif [6].

Au cas d’espèce, les dispositions relatives au stationnement avaient été modifiées à la suite d’une révision du plan d’urbanisme directeur intervenue le 13 février 2020.

Aux termes de cette dernière, une nouvelle catégorie « autres destinations » a été créée, à laquelle le projet de piscine autorisé devait être assimilé.

Dorénavant, il incombe au pétitionnaire de proposer un nombre d’aires de stationnement à réaliser, à charge pour lui de démontrer que celui-ci sera suffisant pour répondre à la demande en joignant à la notice du projet un exposé détaillé et argumenté.

Or, si la cour administrative d’appel de Paris a bien relevé cette circonstance, elle n’en a pas pour autant tiré les conséquences.

Comme le souligne Laurent Domingo dans ses conclusions sur cette affaire, elle aurait dû se demander « non pas si cinq places de stationnement étaient réalisables, mais si le pétitionnaire était susceptible de déposer une demande de permis de construire comportant un exposé argumenté sur le nombre de stationnement qu’il estime nécessaire au bon fonctionnement de son projet ».

Ainsi, l’assouplissement de la règlementation en vigueur aurait dû amener le juge à envisager l’hypothèse d’une régularisation. Or, en l’occurrence, une régularisation était tout à fait envisageable.

II. Le juge doit tenir compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer son projet sans pour autant étudier en détail la faisabilité de cette évolution

Pour juger le contraire, la cour administrative d’appel de Paris a considéré que, d’une part, « compte tenu de la taille contrainte du terrain d’assiette du projet et de la nécessité d’y prévoir des espaces plantés (…), il ne paraît pas que celui-ci puisse accueillir des places supplémentaires de nature à répondre aux besoins de fonctionnement de la piscine » et que, d’autre part, la commune de Nouméa « n’apporte aucune précision sur la possibilité de réaliser des places de stationnement dans l’environnement immédiat du projet ».

Le Conseil d’État a sanctionné cette appréciation, et a partiellement annulé l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette les conclusions de la commune tendant à l’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 [7].

D’une part, et comme relevé par le rapporteur public, c’est à tort que « la cour a examiné la possibilité de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1 en ne raisonnant qu’à partir du projet en litige ».

En effet, la cour administrative d’appel de Paris s’est bornée à considérer que, dans les limites de sa configuration initiale, le projet ne pouvait pas évoluer dans un sens lui permettant de répondre aux exigences du règlement en matière d’aires de stationnement, dès lors que la norme des espaces plantés s’y opposait.

Or, et comme proclamé par l’avis du 2 octobre 2020 précité, la mesure de régularisation peut modifier le projet jusqu’à en revoir l’économie générale, du moment qu’il n’en modifie pas la nature même.

Il s’ensuit que « le juge doit seulement rechercher si le vice est régularisable eu égard à sa nature et compte tenu des possibilités de faire évoluer le projet et non pas seulement si le vice entachant le projet qu’il a examiné est régularisable à projet constant ».

Ainsi, et à titre d’exemple, le vice tiré de la méconnaissance des dispositions interdisant l’abattage d’arbres existants est régularisable dès lors qu’il apparaît qu’une diminution de l’ampleur du projet peut être envisagée [8].

Le juge qui s’abstient de réaliser cette recherche et se borne à affirmer que la configuration du projet ne peut faire l’objet d’une régularisation sans en bouleverser la conception générale commet une erreur de droit [9].

Au cas d’espèce, la SCI Fly 2018 pouvait certainement faire évoluer son projet sans pour autant en revoir la nature, à savoir la construction d’une piscine. Par exemple, il pouvait revenir sur son idée de dispenser des cours de natation. Le cas échéant, le projet serait alors en conformité avec les règles relatives aux aires de stationnement.

En refusant d’envisager que le pétitionnaire puisse faire évoluer son projet, la cour administrative d’appel de Paris a donc commis une erreur de droit.

D’autre part, c’est également à tort que la cour a exigé de la commune qu’elle apporte des précisions sur la possibilité d’aménager une cinquième aire de stationnement dans l’environnement immédiat du projet.

En effet, il n’appartient pas au juge de contrôler, à ce stade de la procédure, la faisabilité des mesures pouvant être envisagées pour régulariser le projet. Pour reprendre la formule du rapporteur public, le contrôle du juge doit « se placer très en amont, en s’interrogeant seulement sur la possibilité de régulariser ».

Par la suite, le juge aura tout le loisir de contrôler la légalité de la mesure de régularisation une fois celle-ci notifiée. En attendant, il ne peut exiger du pétitionnaire ou de la commune qu’ils fournissent des éléments permettant d’établir avec certitude que le projet peut être régularisé en évoluant dans un sens donné.

En conclusion, cette décision illustre bien le « juste milieu » que doit rechercher le juge administratif lorsqu’il s’interroge sur le caractère régularisable d’un vice entachant une autorisation d’urbanisme : envisager la possibilité de faire évoluer le projet sans pour autant étudier les modalités de cette évolution. In fine, son seul rôle est de donner une chance au pétitionnaire de sauver son projet, à charge pour ce dernier de trouver une solution viable et régulière, dont la légalité sera contrôlée par le juge dans sa décision qui mettra fin au litige.

 

[1] Ainsi qu’il en allait auparavant, v. en ce sens CE, 28 décembre 2017, n° 402362 N° Lexbase : A7908W9R.

[2] V. pour le principe CE, avis, 2 octobre 2020, n° 438318 N° Lexbase : A72343WT.  

[3] CE, 7 mars 2018, n° 404079 N° Lexbase : A2823XGN.

[4] CE 4 mai 2023, n° 464702 N° Lexbase : A87719SN.

[5] CE, 3 juin 2020, n° 420736 N° Lexbase : A70113MM.

[6] V. CE, 7 mars 2018, n° 404079, préc.

[7] V. CE, 22 février 2018, n° 389518 et n° 389651 N° Lexbase : A4621XEU.

[8] CE, 22 juin 2022, n° 456477 N° Lexbase : A205178H.

[9] V. par ex. CE, 10 mars 2022, n° 447415 N° Lexbase : A38477QK.

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