La lettre juridique n°980 du 4 avril 2024 : Sûretés

[Jurisprudence] Absence d’indépendance et qualification d’une garantie

Réf. : Cass. com., 13 mars 2024, n° 22-15.438, F-B N° Lexbase : A05052UA

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N8939BZ4

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par Stéphane Piédelièvre, Professeur à l’Université de Paris-Est

le 03 Avril 2024

Mots-clefs : sûretés • cautionnement • garantie autonome • qualification • indépendance par rapport à la dette.

Dès lors qu’un engagement a pour objet la dette du débiteur garanti, on se trouve en présence d’un cautionnement et non d’une garantie autonome.


 

L’autonomie de la volonté permet de recourir à une sûreté non accessoire, comme la garantie autonome. Cette volonté doit être certaine et clairement exprimée. Or, on s’aperçoit que, pratiquement, de nombreux actes suscitent des difficultés d’analyse, en raison d’ambiguïté dans leur rédaction. Le plus fréquemment, les garants, recherchant la garantie la moins contraignante, soutiennent que leur engagement doit être qualifié de cautionnement, alors que, selon les bénéficiaires, il s’agit d’une garantie à première demande.

Par un arrêt du 13 mars 2024, la Cour de cassation a été une nouvelle fois confrontée à une difficulté de qualification et à cette occasion, elle a rappelé aux juges du fond certains principes importants.

En l’espèce, il suffit de retenir qu’une société. A. avait été mise en redressement judiciaire. Un plan de redressement par voie de continuation avait été adopté en sa faveur. Deux sociétés avaient signé un acte aux termes duquel elles se sont engagées « irrévocablement et inconditionnellement à régler directement auprès du commissaire à l'exécution du plan, à première demande de sa part et dans la limite du montant des échéances du plan non honorées par la société A. le tout à hauteur d'un montant maximum de 725 193,86 euros ». Ultérieurement, la résolution du plan de redressement avait été prononcée et la société A. avait été mise en liquidation judiciaire. L’administrateur et le mandataire judiciaire ont alors demandé aux deux sociétés garantes, elles-mêmes soumises à un redressement judiciaire, d’exécuter leur engagement.

La question s’est alors posée de la nature de l’engagement souscrits par les deux garants. Les juges du second degré ont considéré que l’on se trouvait en présence d’une garantie autonome. Outre l’intitulé de garantie à première demande, ils ont considéré que les garants se sont engagés « irrévocablement et inconditionnellement, d'ordre et pour le compte de la société A. (débiteur garanti), sans pouvoir faire valoir d'exception, d'objection ou de contestation, à régler directement auprès du commissaire à l'exécution du plan désigné, à première demande de sa part et dans la limite du montant des échéances du plan de redressement par voie de continuation non honorées par la société A., le tout à hauteur d'un montant maximum de 725 193,86 euros » et que « ce montant maximum garanti sera réduit d'année en année à chaque date anniversaire de la date d'homologation du plan ». 

Ce mode de raisonnement ne convainc pas la Cour de cassation. Après avoir rappelé la définition de la garantie autonome prévue par l’article 2321, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L1145HIA, elle censure les juges du fond aux motifs que l’engagement des deux garants avait le même objet que celui du débiteur principal. La conséquence en était alors nécessairement que l’on se trouvait en présence d’un cautionnement.

Cette décision s’insère dans une importante lignée jurisprudentielle. On ne peut nier qu’il existe une certaine proximité entre le cautionnement et la garantie autonome qui appartiennent à un même genre, celui des sûretés personnelles, ce qui explique les difficultés de qualification. En application des principes généraux du droit des contrats, le juge possède le pouvoir, par le biais de l’interprétation, de donner à l’acte qui lui est soumis la qualification lui semblant en harmonie avec la volonté réelle des parties [1]. Il n’est pas tenu par les formules employées, certaines étant parfois pour le moins obscures, comme le démontrent les expressions de « cautionnement payable sans élever de discussion » ou de « cautionnement à première demande » [2] . Ce pouvoir des juges du fond s’exerce sous le contrôle de la Cour de cassation. Ils peuvent recourir aux règles prévues par l’article 1188 du Code civil N° Lexbase : L0905KZK, selon lequel le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes, mais à condition de ne pas dénaturer la réalité de la volonté des parties.

Mais, proximité ne signifie pas pour autant identité. L’article 2288 du Code civil N° Lexbase : L0129L8B  définit le cautionnement, comme « le contrat par lequel une caution s'oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci ». De son côté, l’article 2321, alinéa 1er, définit la garantie autonome comme « l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant les modalités convenues ».

Même si la définition de la garantie autonome se révèle ambigüe, l’objet de l’engagement souscrit apparaît primordial pour trancher une difficulté de qualification. Si le garant souscrit une dette distincte de celle du débiteur principal, on se trouve en présence d’une garantie autonome. Si à l’inverse, le garant couvre la dette du débiteur principal, on se trouve alors nécessairement en présence d’une cautionnement. Les intitulés figurant dans l’acte deviennent plus accessoires.

La jurisprudence a posé assez rapidement ce critère de démarcation. Par un arrêt du 10 mai 1994, la Cour de cassation avait censuré des juges du fond qui avaient qualifié de garantie autonome un engagement au motif « qu’il était stipulé que Mlle M. garantissait à la banque le “remboursement de sa créance envers [le débiteur]” et qu’elle s’engageait à régler “toutes les sommes dues par le débiteur comme décrit ci-dessus”, ce dont il résultait qu’en dépit de l’intitulé de l’acte et de la mention, même manuscrite, de paiement à première demande, l’engagement litigieux, ayant pour objet la propre dette du débiteur principal, n’était pas autonome » [3] . Elle réitère régulièrement cette solution [4].

Ce critère de démarcation, en apparence simple, est souvent difficile à mettre en œuvre, parce que les contrats de garantie autonome font toujours références au contrat couvert. Ce dernier, puisque la cause a disparu, constitue la raison d’être de la garantie. Une référence au contrat couvert n’est pas exclue, si elle sert seulement à identifier la sûreté, avec comme conséquence qu’elle ne remet pas en cause le caractère autonome. Comme l’a indiqué la Cour de cassation, « de telles garanties ne sont pas privées d’autonomie par de simples références au contrat de base, n’impliquant pas appréciation des modalités d’exécution de celui-ci pour l’évaluation des montants garantis ou pour la détermination des durées de validité » [5]. La portée de l’engagement du garant ne résulte pas de l’étendue des obligations du débiteur garanti.

Dans la présente espèce, visiblement les juges d’appel s’étaient arrêtés à une simple analyse de certains des termes employés dans le contrat litigieux, à savoir engagement « irrévocable et inconditionnelle » ou « sans pouvoir faire valoir d’exception, d’objection ou de contestation ». Selon eux, ces éléments étaient de nature à établir que l’on se trouvait en présence d’une garantie autonome. Mais ils occultaient également le fait que la garantie jouait « dans la limite du montant des échéances du plan de redressement par voie de continuation non honorées par la société A ». Ce faisant, ils avaient omis les éléments les plus pertinents. La garantie présentait alors incontestablement un caractère accessoire, puisque la référence à l’obligation garantie influe sur le régime de la garantie, puisque cela débouche sur sa subordination au contrat couvert. Le prétendu garant pouvait réclamer toutes les sommes dues au titre du plan de redressement avec un montant maximum.

L’existence de certaines stipulations relatives au contrat couvert ne disqualifie pas en soi l’engagement autonome. Tel est le cas pour les garanties dites sur demande justifiée. On s'était parfois demandé si cette obligation de justifier la demande mise en jeu de la garantie ne disqualifie pas l'engagement pour le faire retourner dans la catégorie des engagements accessoires [6]. Il s'agit d'une modalité relevant de la liberté contractuelle : le garant, lorsqu'il souscrit une telle garantie, prend un engagement personnel et non pas l'engagement de payer la dette d'autrui. Une remarque similaire peut être faite pour les garanties à extinction progressive, encore dites garanties glissantes. Ces garanties s'éteignent progressivement au fur et à mesure de l'exécution du contrat couvert. Cette clause oblige, d'une certaine façon, le garant à s'immiscer dans l'exécution de l'opération couverte, ce qui est contraire à son rôle. Cependant, à raison, la Cour de cassation a indiqué que cette clause ne disqualifiait pas la garantie sur demande [7].

On relèvera une nouvelle fois l’imprécision, peut-être parfois voulue d’ailleurs, qui préside à la rédaction de certains contrats de garanties qui comportent des clauses difficilement conciliables entre elles. Le recours au juge devient alors nécessaire. Ici, le contrat était particulièrement mal rédigé et a entraîné faussement la cour d’appel vers la qualification de garantie autonome. Les parties doivent être attentives à la clarté de leurs stipulations, surtout compte tenu des enjeux de cette qualification. De même, certains juges du fond doivent parfois faire preuve de plus de rigueur dans leur qualification.

 

[1] Cass. com., 19 mai 1992, , n° 90-16.784, publié N° Lexbase : A4237ABK, RTD com., 1992, 657, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.

[2] V. de manière contestable, CA Paris, 5 avril 1994, JCP, éd. E, 1994, II, 603, note S. Piédelièvre.

[3] Cass. com., 10 mai 1994, n° 92-10.212, publié N° Lexbase : A6716ABD.

[4] Par ex. Cass. com., 12 décembre 2018, F-D N° Lexbase : A6998YQA, RD bancaire, 2019 n° 13, obs.  D. Legeais –  Cass. com., 24 mars 2021, n° 19-14.082, F-D, N° Lexbase : A67404ML, LEDB, mai 2021, p. 7, obs. S. Piédelièvre ; Gaz. Pal., 2 novembre 2021 30, obs. S. Piédelièvre ; JCP, 2021 1218, n° 12, obs. Ph. Simler.

[5] Cass. com. 18 mai 1999, 95-21.539, publié N° Lexbase : A5061AWD, JCP, 1999 II 10199, note J. Stoufflet ; D., 2000, 112, note Y. Picod ; RTD com., 1999, 734, obs. M. Cabrillac ; RD bancaire, 1999, 127, obs. M. Contamine-Raynaud – v. également, Cass. com. 30 janvier 2001, n° 98-22.060, publié N° Lexbase : A8844AQM, JCP, 2001, II, 10552, note J.-P. Rémery ; Defrénois, 2001, 1319, note S. Piédelièvre ; JCP E, 2001, 568, note D. Legeais ; Banque et droit, mai-juin 2001 50, obs. A. Prüm ; D., 2001, somm. 3426, obs. A. Honorat ; RTD com., 2001, 763, obs. A. Martin-Serf .

[6] Cass. com., 12 juillet 2005, n° 03-20.365, FS-P+B N° Lexbase : A9213DI3, JCP E, 2005, 1860, no 10, obs. Ph. Simler.

[7] Cass. com., 5 décembre 1989, n° 88-14.174, inédit N° Lexbase : A2246CNI, D, 1990 somm. 207, obs. M. Vasseur.

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