La lettre juridique n°978 du 21 mars 2024 : Régimes matrimoniaux

[Projet, proposition, rapport législatif] Avantages matrimoniaux, où est la logique ? - Réflexions croisées à propos de la proposition de réforme de l’article 265 du Code civil

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par Laure Gaschignard, Notaire à Paris, Angle droit notaires, et Benoît Chaffois, Maître de conférences à CY Cergy Paris université, Membre du Laboratoire d'études juridiques et politiques (LEJEP) - EA n° 4458

le 20 Mars 2024

Mots-clés : avantage matrimonial • dissolution du mariage • divorce • révocation • participation aux acquêts • clause d’exclusion des biens professionnels • proposition de réforme

Alors que, dans le cadre de la proposition de réforme de l’article 265 du Code civil, un amendement propose de prévoir expressément que « la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce », il convient de s’interroger sur la cohérence et l’opportunité de la modification envisagée.


 

L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi n°1961 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, dont la disposition phare viendrait combler un vide législatif insoutenable [1], puisqu’elle permettrait d’exclure des avantages matrimoniaux l’époux « condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de l’époux sans intention de la donner » [2].

Si le Sénat, désormais saisi du texte, vote cette partie de la proposition, ce qu’il y a tout lieu d’espérer, l’indignité des avantages matrimoniaux intégrerait enfin le droit positif [3]. Pour résumer, l’époux auteur d’un acte odieux portant atteinte à la vie de son époux ne pourrait plus bénéficier d’un avantage matrimonial prenant effet par le décès qu’il a provoqué.

Le législateur aurait pu s’en tenir à cette avancée du droit. Mais, emporté par un élan réformateur, c’est un autre sujet sans rapport avec l’indignité qui a été traité : celui de la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts. Il est désormais acquis que cette clause constitue un avantage matrimonial, lequel, en application de l’article 265 alinéa second du Code civil est révoqué de plein droit par l’effet du divorce [4]. Probablement interpellé par la situation des époux-entrepreneurs ayant inséré ces clauses dans leur contrat de mariage, et influencés par les propositions du congrès des notaires [5], une poignée de députés a déposé un amendement visant, selon les termes du dossier législatif y afférant, « à tenir compte » des décisions de la Cour de cassation en prévoyant « explicitement » que : « La clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce ».

La loi viendrait ainsi ouvertement combattre la jurisprudence pour sauver les clauses d’exclusion des biens professionnels, afin de renforcer l’attractivité somme toute mesurée du régime de participation aux acquêts.

Si l’objectif est louable, la méthode suscite des interrogations. En cantonnant l’exclusion de la révocation d’un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial à la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts, le domaine de la proposition apparaît trop restreint, tant à l’égard du régime concerné que du type d’avantages visés.

À titre d’exemple, il faut songer à la clause, courante en pratique, aménageant le calcul de récompenses en régime communautaire. L’exemple est loin d’être isolé et nous aurons l’occasion d’exposer d’autres clauses oubliées du législateur. L’essentiel est de noter qu’en dépit de la réforme proposée, pour les époux ayant contracté sur un avantage prenant effet à la dissolution du régime les difficultés résultant de l’article 265 N° Lexbase : L2598LBT du Code civil persisteront. L’avantage matrimonial sera révoqué de plein droit par l’effet du divorce, l’insertion d’une stipulation contraire dans le contrat de mariage étant, semble-t-il [6], sans effet.

Face à cet écueil, la proposition de réforme de l’article 265 apparaît trop spécifique [7]. Au lieu de ne viser qu’un avantage matrimonial pour un régime matrimonial, il aurait été préférable de traiter de tous les avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du mariage sans distinction quant au régime. Comment ? En se rappelant que la stipulation d’un avantage matrimonial fait appel à la technique contractuelle de sorte qu’il suffit de conférer une force obligatoire aux clauses stipulées irrévocables.

Sur la base de cette suggestion, nous envisagerons, en premier lieu, le traitement incohérent des avantages matrimoniaux par la proposition commentée (I), pour, en second lieu, proposer une alternative, en autorisant la conclusion de clauses d’avantages matrimoniaux stipulés irrévocables (II).

I. Le traitement incohérent des avantages matrimoniaux

Comme mentionné précédemment, l’avantage matrimonial peut être défini comme un profit que l'un ou l'autre des époux retire des clauses de son contrat de mariage, étant précisé que le législateur n’a pas défini la notion. Cette tâche est revenue à la doctrine et la jurisprudence, cette dernière ayant fait le choix d’une approche large des avantages, puisque la notion n’est pas restreinte à un régime. Elle s’applique en présence de régimes communautaires classiques [8], d’une séparation de biens avec société d'acquêts assortie de clauses inégalitaires [9] ou encore d’une participation aux acquêts [10].

Dans ces conditions, le lecteur ne peut que s’interroger, pourquoi l’amendement proposé est-il aussi limité ? Certes, il faut concéder que le sort réservé à la clause d’exclusion des biens professionnels a dérouté de nombreux époux. Créée par la pratique, la clause d’exclusion des biens professionnels était censée faire œuvre de prophylaxie pour l’époux exerçant une profession indépendante, afin de lui éviter de devoir aliéner son outil de travail en cas de séparation. Or, force est de constater que le résultat escompté n’y est guère… Suite aux décisions de la Cour de cassation, de nombreux clients ont fait le choix de changer de régime pour adopter la séparation de biens pure et simple, quitte à stipuler une contribution aux charges du mariage large, solution assez frustrante en pratique.

Aussi, était-il logique qu’une réaction soit attendue de la part du législateur. Mais fallait-il pour autant l’interpeller uniquement sur la clause d’exclusion des biens professionnels en régime de participation aux acquêts ? À suivre la pratique, la réponse est négative pour deux raisons.

Premièrement, l’avantage matrimonial n’est pas une notion limitée au régime de participation aux acquêts. Cette notion embrasse tous les régimes, de sorte que la préférence accordée à la participation aux acquêts ne s’explique pas. Du reste, en pratique, ce régime est perçu comme complexe en ce qu’il nécessite une bonne compréhension de la technique liquidative et ne peut pas être proposé à tous les époux [11]. L’amendement soumis à commentaire créerait ainsi une distorsion difficilement justifiable entre les régimes, dont et surtout la communauté légale, laquelle demeure le régime préféré des Français. À trop vouloir redorer le blason de la participation aux acquêts, c’est l’attractivité de la communauté légale qui pourrait pâtir.

Deuxièmement, la clause d’exclusion des biens professionnels n’est qu’une clause, certes célèbre, parmi la multitude de clauses stipulant d’un avantage matrimonial. Sans prétendre dresser une liste exhaustive, il faut d’abord songer, s’agissant de la participation aux acquêts, à la clause de plafonnement de la créance de participation ou la clause d’inclusion dans le patrimoine originaire des revenus des biens originaires. Ensuite, pour ce qui est de la communauté légale, il suffit de rappeler l’existence de la clause aménageant le calcul de récompenses. Enfin, en matière de séparation de biens, comment ne pas évoquer la société d'acquêts assortie de clauses inégalitaires ? [12]

En conséquence de ce qui vient d’être exposé, comment le notaire conseillant les futurs époux pourra-t-il expliquer la différence de traitement entre les régimes et les clauses ? Faudra-t-il attendre que le législateur soit interpellé et qu’il ajoute un énième alinéa à l’article 265 du Code civil ? L’exigence de clarté et de lisibilité de la loi aurait-elle été oubliée ? À trop vouloir traiter de détails, c’est la cohérence du système qui est remise en cause.

C’est pourquoi, sommes-nous d’avis de suivre une autre voie, celle d’une réforme de l’article 265 du Code civil permettant de maintenir tous les avantages matrimoniaux stipulés irrévocables sans distinction quant au régime.

II. L’irrévocabilité conventionnelle des avantages matrimoniaux

 Toute la difficulté pour les époux réside dans les effets que produira le divorce lorsque l’avantage stipulé déploie ses effets à la dissolution du régime.

En application de l’article 265, alinéa second, du Code civil, l'avantage initialement convenu est de plein droit révoqué par le divorce, sauf « volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus ».

La rédaction actuelle de l’article 265 est certainement défaillante à l’égard de l’expression de la volonté des époux quant au maintien de l’avantage. Pour une part conséquente de la doctrine, à laquelle nous nous rallions, il serait possible d’admettre que les époux peuvent exprimer « dans la convention matrimoniale leur volonté mutuelle de maintenir la clause d'exclusion des biens professionnels » [13]. Pour autant, cette interprétation du texte n’a pas les faveurs de la Cour de cassation, selon le dernier état de la jurisprudence, la volonté doit être « exprimée au moment du divorce » [14].

En conséquence, pour parfaire l’article 265, à notre opinion la solution adéquate consisterait à remodeler la partie du texte portant sur l’expression de la volonté des époux quant au maintien de l’avantage. À cet égard, il faut rappeler qu’en application de l’article 1193 N° Lexbase : L0911KZR du Code civil « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ». Cet article, siège de la force obligatoire du contrat, pose un principe simple. Sauf exception prévue par la loi, le contrat ne sera révoqué que du consentement mutuel des parties. Si l’on garde à l’esprit que l’avantage matrimonial résulte d’une stipulation conventionnelle au sein d’un contrat, certes particulier puisqu’il s’agit d’un contrat de mariage, il n’y a alors rien de choquant à considérer que l’article 1193 puisse s’appliquer aux clauses stipulant d’un avantage matrimonial.

Dans ces conditions, il suffirait d’autoriser la stipulation de clauses d’avantages matrimoniaux stipulés irrévocables. Ce type de clause serait d’autant plus bienvenue qu’en présence d’un divorce conflictuel, il est courant, si ce n’est constant, que l’époux froissé revienne sur sa parole.

Dans cette perspective, l’article 265 pourrait alors être rédigé comme suit :

« Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme. 
Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire des époux constatée dans le contrat de mariage. Cette volonté pourra être révoquée d’un commun accord dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce. 
En outre, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté ».

 

[1] Sur l’intérêt d’une telle réforme : A. Tani,  pour une ingratitude matrimoniale,  Defrénois n°21 du 25 mai 2023.

[2] Proposition de loi n°1961 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille, art. 1er venant modifier l’article 1399-1 du Code civil [en ligne].

[3] À l’image de l’indignité successorale, déjà présente en droit positif.

[4] Parachevant sa jurisprudence, le 13 décembre 2023 la première chambre civile a considéré que la plus-value industrielle accroît les acquêts nets de l’époux propriétaire : B. Chaffois, La plus-value industrielle, Acte III : accroissement des acquêts nets par la plus-value industrielle en régime de participation aux acquêt, D. 2024. 454, com. sous : Cass. civ. 1, 13 décembre 2023, n° 21-25.554, FS-B N° Lexbase : A526818M.

[5] Rapport du 106e Congrès des Notaires de France, Couples, Patrimoine : les défis de la vie à deux, spéc. n° 3493 s., p. 813.

[6] Cass., Rapport annuel 2019, [en ligne], Doc. fr., 2020, spéc. p. 36 ; Rép. min. n° 14362, JO Sénat 28 mai 2020, p. 2446 N° Lexbase : L2112L3M.

[7] Rappelons l’injonction de Portalis : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » (J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire sur le projet de Code civil : Extrait de ce discours, présenté le 1er pluviôse an IX).

[8] Cass. civ. 1, 31 janvier 2006, n° 02-21.121, FS-P+B N° Lexbase : A6438DME, D. 2006. 2066, obs. M. Nicod ; Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-19.348, FS-P+B N° Lexbase : A5212EBN ; D. 2009. 98, obs. V. Égéa.

[9] Cass. civ. 1, 29 novembre 2017, n° 16-29.056, F-D N° Lexbase : A4745W4I, D. 2019. 265, obs. S. Pellet.

[10] Cass. civ. 1, 18 décembre 2019, n° 18-26.337, FS-P+B+I N° Lexbase : A1355Z93, D. 2020. 635, note T. Le Bars et L. Mauger-Vielpeau. Elle a, ensuite, persisté et signé en rendant deux arrêts dans le même sens les 31 mars 2021 (Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-25.903, F-D N° Lexbase : A47944NU) et 15 décembre 2021 (Cass. civ. 1, 15 décembre 2021, n° 20-15.623, F-D N° Lexbase : A25877HB).

[11] Ce régime postule que les époux sauront, malgré le principe d’indépendance en cours de régime, accepter le partage des acquêts et qu’ils conservent les preuves d’emploi ou de remplois de fonds issus de leur patrimoine originaire. Or la tâche est déjà difficile pour le régime légal, elle est d’autant plus compliquée pour le régime de participation que ce dernier est méconnu, même de certains professionnels du droit. Ceci explique, parmi d’autres raisons, que la participation aux acquêts ne soit pas le régime préféré des Français.

[12] Un cas topique suffit d’exposer les difficultés : deux époux adoptent une séparation de biens avec société d’acquêts qui sera composée :

  • D’un apport de somme d’argent destiné à financer le domicile conjugal par Madame,
  • De tout logement mise à disposition de la famille et du passif y afférent

Quelques mois après leur mariage, les époux acquièrent un immeuble pour le compte de la société d’acquêts au moyen de l’apport de Madame et d’un emprunt, remboursé par l’époux au moyen de ses revenus, son épouse n’ayant pas de revenus. Quelques temps plus tard, le couple divorce avec fracas.

Monsieur réclame, une créance pour les sommes remboursés au moyen de ses revenus affectés au remboursement du prêt depuis ses comptes personnels non inclus dans la société d’acquêts (Une solution serait d’inclure les fonds déposés sur un compte dédié à l’emprunt dans la société d’acquêts, mais certains auteurs ont pu avancer qu’il s’agirait alors d’une société d’acquêts à objet variable dépendant de la volonté unilatérale d’un époux et heurtant le principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux. L’efficacité d’une telle clause pourrait donc être discutée). Le contrat prévoit une clause de dispense de récompenses qui devra s’appliquer même en cas de divorce, ce que Monsieur refuse finalement de faire en application de la jurisprudence. S’agissant de Madame, son apport à la société d’acquêts (sans prévoir de reprise en cas de divorce ou de récompense) ne pourra pas être récupéré, dans la mesure où ce dernier était chiffré et « ab initio ».

Lorsque le notaire ou le juge, saisis de la question, feront droit à Monsieur en dépit des stipulations du contrat initialement convenue, la frustration sera pour le moins patente.

[13] C. Blanchard, La clause d'exclusion des biens professionnels dans l'impasse, comm. ss Cass. civ. 1, 15 décembre 2021, n° 20-15.623, F-D N° Lexbase : A25877HB, RDC 2022, n° 200v03, spéc. n° 11. V. aussi : A. Karm, Nature juridique et efficacité de la clause d'exclusion des biens professionnels, JCP N 2020. 1059 ; B. Chaffois,  La plus-value industrielle, Acte III : accroissement des acquêts nets par la plus-value industrielle en régime de participation aux acquêts, D. 2024. 454, com. sous : Cass. civ. 1, 13 décembre 2023, n° 21-25.554, FS-B N° Lexbase : A526818M.

[14] Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-25.903, F-D N° Lexbase : A47944NU. V. aussi : Cass., rapport annuel 2019, préc., Doc. fr., 2020, spéc. p. 36 ; ; Rép. min. n° 14362, JO Sénat 28 mai 2020, p. 2446, préc..

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