La lettre juridique n°978 du 21 mars 2024 : Responsabilité

[Brèves] Contamination par le VIH et faute d’imprudence de la victime ?

Réf. : Cass. civ. 2, 14 mars 2024, n° 22-10.324, FS-B N° Lexbase : A21182UY

Lecture: 3 min

N8806BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Contamination par le VIH et faute d’imprudence de la victime ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/105728299-breves-contamination-par-le-vih-et-faute-dimprudence-de-la-victime
Copier

par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D

le 20 Mars 2024

Le fait pour une personne d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire qui lui a dissimulé sa séropositivité, ne constitue pas, à lui seul, une faute.

Faits et procédure. En l’espèce, une femme a été testée positive au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) à l'occasion d'une hospitalisation. Estimant que la personne avec laquelle elle avait entretenu une relation amoureuse et qui ne lui avait pas révélé sa séroposivité, était responsable de sa contamination, elle a porté plainte contre elle.

Un tribunal correctionnel, devant lequel son partenaire avait été renvoyé du chef d’administration de substance nuisible à la santé, a constaté la prescription de l’action publique.

Elle assigne donc son partenaire devant un tribunal de grande instance à fin d'indemnisation de son préjudice. Toutefois, selon la cour d’appel elle aurait commis une faute d’imprudence limitant ses droits à réparation (CA Aix en Provence, 21 janvier 2021, n° 19/05255). L'arrêt retient qu'elle a eu des relations sexuelles non protégées avec son partenaire, qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours et dont elle ignorait la sérologie et s'est ainsi exposée à la possibilité d'une contamination, alors que les recommandations du comité de lutte contre le sida, établies en 2006, prônaient l'usage du préservatif pour se protéger du VIH et des autres maladies sexuellement transmissibles.

La femme se pourvoit en cassation en invoquant une violation de l’article 1241 du Code civil N° Lexbase : L0949KZ8 et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR. Elle fait grief aux juges du fond de dire qu'elle a commis une faute réduisant son droit à indemnisation de 20 %, de dire que l'indemnité lui revenant s'établit à 80 242,40 euros seulement et de condamner son partenaire à lui payer cette seule somme en réparation de son préjudice corporel, alors que « le fait de la victime n'emporte exonération partielle du responsable que s'il est fautif » et que « n'est pas fautif, en raison du droit fondamental qu'a toute personne d'entretenir librement des relations sexuelles, tant qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de son partenaire, le fait de consentir à des rapports sexuels sans requérir l'usage d'un préservatif, même à l'occasion d'une relation nouvelle, lorsque le partenaire a sciemment passé sous silence sa séropositivité au VIH ».

Solution. La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond. Elle rappelle au visa de l’article 1241 du Code civil que « chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Elle énonce que le fait pour une personne d'avoir des relations sexuelles non protégées, en méconnaissance des recommandations des autorités sanitaires, avec un partenaire qui lui a dissimulé sa séropositivité, ne constitue pas, à lui seul, une faute. La Haute juridiction ne se prononce pas sur le droit fondamental invoqué, pas plus qu’elle n’apporte d’élément expliquant le rejet de la qualification de faute d’imprudence, ce qui n’allait pas de soi.

Certes, les recommandations des autorités sanitaires ne présentent aucun caractère impératif. Néanmoins, tout comme l’a fait cour d’appel, il était concevable de caractériser un manquement au devoir de prudence de la victime qui a accepté des relations sexuelles sans préservatif avec un partenaire qu’elle venait de rencontrer et dont elle ignorait le statut sérologique, alors que perdure le risque majeur de contamination par le VIH par voie sexuelle.

Peut-être est-ce l’intrusion dans un domaine qui relève de l’intimité des personnes qui a incité la Cour de cassation à trancher en sens contraire.

Pour aller plus loin : le présent arrêt fera l'objet d'un commentaire approfondi par Vincent Rivollier, à paraître prochainement dans Lexbase Droit privé.

 

newsid:488806