La lettre juridique n°975 du 29 février 2024 : Construction

[Evénement] L’essentiel du colloque : « La réforme du marché d'entreprise en questions »

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par Héloïse Briodeau - Elsa Loysier - Léna Oudjedour, Etudiantes en Master Droit de la Construction et de l’Urbanisme, UPEC

le 28 Février 2024

Mots-clés : construction • contrat d'entreprise • marché d'entreprise • marché de travaux • prix • requalification de contrat • nullité • honoraires • cotraitance • effet relatif du contrat • immixtion du maître d'ouvrage • exonération de l'entrepreneur • sous-traitance • réception • atteinte à destination • promotion immobilière • devis • délai raisonnable • responsabilité • constructeur • castor • EPERS » (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire) • marché à forfait • assurances tous risques chantier  

Le 15 février 2024, la commission ouverte « Marchés de travaux », présidée par Maître Juliette Mel, cabinet M2J Avocats, a organisé un colloque intitulé « La réforme du contrat d’entreprise en questions ».  Il s’est agi de challenger l’un des rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, Monsieur le Professeur Pierre-Yves Gautier, Professeur en droit privé à l’Université Panthéon-Assas.

Les challengers étaient : Maître Manon Brauge, cabinet M2J Avocats ; Maître Gaël Balavoine, cabinet KAEM’S ; Maître Michel Vauthier, cabinet Vauthier ; Madame Marie-Laure Villemotte, Allianz OM ; Madame Thi-Minh Nguyen, cabinet M2J ; avec pour modérateur Maître Juliette Mel.


 

À titre préliminaire, le Professeur Pierre-Yves Gautier a souhaité replacer temporellement cette réforme des contrats spéciaux. La réforme du droit des contrats par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK a eu un fort impact et une incursion dans le droit des contrats spéciaux. Ainsi, deux projets de réforme ont été proposés, le premier naquit de la « Commission Henri Capitant » où les différents universitaires et juristes souhaitaient créer un droit des contrats spéciaux et des obligations spéciales. Puis le projet de la Commission nommée par la Chancellerie et présidée par le Professeur Stoffel-Munck ayant été sollicité en mars 2020.

La philosophie qui gouverne ces deux commissions est celle de garder la tradition civiliste émanant de Portalis, légiférer dans la continuité de la réforme de 2016, qui a considérablement modernisé le droit des contrats, ainsi que répondre au besoin d’un droit écrit mais sans trop écrire.

Plus précisément, le contrat d'entreprise est un contrat où il reste « beaucoup à construire ». Le Code civil de 1804 l'évoquait, mais de façon insuffisante alors qu'aujourd'hui, ce dernier fait l’objet d’une utilisation plus accrue notamment dans le domaine du droit de l’immobilier.

Toutefois, comme le rappelle le Professeur Pierre Yves Gautier, le projet de réforme ne souhaite pas se borner à légiférer les jurisprudences, mais vise à effectuer un travail de réflexion pour proposer des règles intelligibles pouvant gouverner les différents contrats spéciaux tout en ayant vocation à durer dans le temps, et ce, malgré les évolutions.

I. Le prix : définition et révision (intervention de Maître Manon Brauge)

À travers la problématique du prix, Maître Manon Brauge a souhaité poser diverses questions au Professeur Pierre-Yves Gautier afin de comprendre l'évolution de la notion de « prix » appliquée au contrat d'entreprise

L’article 1756 de l’avant-projet, 1790 du Code civil :
« CHAPITRE I - Dispositions communes à tous les contrats d’entreprise
Article 1756
Le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux.
Il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur. »

  • La notion du contrat conclu à titre gratuit : disposition d’avenir ou d’actualité ?

Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier rappelle que même si la jurisprudence actuelle n'admet pas la conclusion d'un contrat d'entreprise à titre gratuit, la réforme pourrait amener différentes parties à conclure un contrat d'entreprise à titre gratuit puisqu'elle en prévoit la possibilité. La présomption simple d'onérosité du contrat d’entreprise n'empêche nullement ce dernier d'être conclu à titre gratuit. De plus, la disposition a été rédigée en hommage à la solidarité, précise le Professeur. Cette disposition est, toutefois, difficilement applicable au marché de travaux comme le souligne Maître Juliette Mel.

  • Concernant le risque de requalification du contrat de vente et du contrat d’entreprise, la sanction de la nullité ne paraît pas être la sanction adéquate :

En effet, concernant ses dispositions le Professeur Pierre-Yves Gautier précise que même si la commission a choisi d’entacher le contrat de nullité absolue, il n'est pas convaincu et préfère la nullité de protection tout en précisant que le projet n'est pas gravé dans le marbre et continue d'évoluer. Il est vrai que la nullité absolue, imposant la démolition/reconstruction, n’est pas forcémenté adaptée aux marchés de travaux comme le souligne Maître Juliette Mel.

L’article 1762 de l'avant-projet
« Lorsque le prix a le caractère d’honoraires et qu’il a été convenu avant l’achèvement de l’ouvrage, le juge peut, nonobstant toute clause contraire, en réduire le montant s’il l’estime excessif au regard de l’ouvrage réalisé. Il en va autrement lorsque les honoraires ont été versés après achèvement de l’ouvrage, en connaissance du travail accompli ».

Après l'analyse de cette disposition par Maître Manon Brauge, deux questions ont été posées au Professeur Gautier.

  • Qu'est-ce que la réduction d'honoraires en cas de prix excessif ?

Le Professeur Gautier précise que cette question doit être également débattue d'un point de vue sociologique et économique. Le terme « honoraire » est, avant tout, attaché aux métiers d'avocats, d'architectes et de médecins. Mais il est nécessaire de préciser que si cette disposition vient à être légiférée sans modification, il sera important que le juge ainsi que les praticiens effectuent un travail d'interprétation concernant ce terme « honoraire » puisque l'objectif de la réforme est de poser des règles générales pouvant faire l'objet d'interprétation.

Néanmoins, pouvons-nous considérer que seule la réduction était admise et non l'augmentation du prix ? 

Le Professeur Gautier précise qu'il est nécessaire de faire des observations dans le cadre de l’audit en cours. En effet, l'article 1169 du Code civil N° Lexbase : L0877KZI dispose que le contrat est entaché de nullité si la contrepartie est dérisoire. Il est fait observer que la solution de la nullité est une fonction mal adaptée, radicale et difficile à mettre en pratique dans le monde du droit de la construction.

  • Pourquoi le caractère excessif est évoqué au sein de cette disposition et non le caractère dérisoire ?

Le Professeur Gautier rappelle que la réduction d'honoraires n'est pas liée à la mauvaise foi. La jurisprudence sest, effectivement, fondée sur un critère objectif et n'est pas lié à l'inexécution de l'article 1223 du Code civil N° Lexbase : L1984LKP puisque le travail a été exécuté, mais le prix du contrat est cependant excessif.

L’article 1760 de l’avant-projet :
«  Le contrat d’entreprise est valablement formé sans accord préalable sur le prix.
À défaut d’accord sur le prix, le juge le fixe en fonction de la qualité de l’ouvrage réalisé, des attentes légitimes des parties, des usages et de tout autre élément pertinent. »

À travers l'analyse de Maître Manon Brauge, une question a été posée au Professeur Gautier concernant l'office du juge en matière de prix.

Il a été rappelé que l'article 1165 du Code civil N° Lexbase : L1982LKM prévoit la fixation unilatérale du prix et à défaut de détermination, le prix pourra être fixé judiciairement. La combinaison de ces deux dispositions prévoit qu’en l’absence d’accord sur le prix, le juge pourra s'immiscer dans le contrat et fixer unilatéralement le prix.

Afin de conclure ces éclaircissements, concernant la notion de prix, le Professeur Gautier a rappelé que deux mots d’ordre gouvernaient cet avant-projet : bilatéraliser ainsi que remplacer la nullité par une solution moins radicale.

II. L’exécution du contrat (intervention de Maître Gaël Balavoine)

Concernant l'exécution même du contrat dentreprise, Maître Gaël Balavoine pose diverses questions relatives aux différents acteurs touchés par ce contrat et l'évolution que cette réforme peut apporter à chacun dentre eux. Il structure ses propos en trois phases : la phase de la réalisation de louvrage comprenant le sujet de la cotraitance ainsi que celui de l'immixtion du maître douvrage, une deuxième phase concernant la sous-traitance et une troisième phase relative à la réception de louvrage.

A. La cotraitance

L’article 1773 de l’avant-projet : « réservé »

Tout dabord, Maître Balavoine a interrogé le Professeur Gautier, concernant cet article « réservé ». Ce dernier précise que cette réserve a pour but de tenir compte des différentes observations faites par les professionnels concernant la partie « réalisation de louvrage ». Les professionnels du droit sont ainsi vivement invités à faire part de leurs remarques.

L’article 1764 de l’avant-projet :
« Si plusieurs entrepreneurs concourent à la réalisation de l’ouvrage, chacun est tenu envers le client de coopérer avec ceux dont l’intervention s’imbrique avec la sienne.
Sauf clause de solidarité, la cotraitance oblige conjointement les entrepreneurs à l’égard du client. »

Il a été préalablement souligné par le Professeur Gautier que la cotraitance est définie comme « incitant les entrepreneurs à se coordonner ».

À la lecture de cet article, Maître Balavoine pose plusieurs questions concernant la cotraitance.

  •    Comment peut être défini le terme « imbriqué » ?

En premier lieu, le Professeur Pierre-Yves Gautier rappelle que le terme « imbriqué » est emprunté au latin « imbricatus » désignant un chevauchement. Il illustre son propos en prenant pour exemple, les tuiles dun toit qui se chevauchent les unes avec les autres.

Au regard de larticle 1764, le terme « imbriqué » doit être considéré comme reflétant un état desprit des entrepreneurs les uns envers les autres. En effet, le Professeur Gautier rappelle que le but premier de ces acteurs du contrat dentreprise nest autre que lachèvement dun ensemble. Ainsi, dans le terme « imbriqué », est implicitement évoqué, lobjectif de coopération qui doit être perçu comme un objectif de moyen.

Une question subsiste cependant, quid des cas où les travaux ne seraient pas imbriqués ?

  •  Qu'advient-il de l’effet relatif du contrat ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier souligne quau sein du contrat dentreprise, la question de leffet relatif des contrats ne se pose pas puisque cest une obligation légale qui simpose aux contrats. Le contrat dentreprise ne crée dobligations quentre les parties.

Lhypothèse évoquée est celle du maître douvrage qui engage ses propres entrepreneurs et ainsi, chacun va se concerter pour parvenir à définir son rôle.

Cependant, le Professeur Gautier évoque la création d’une obligation pour le maître de l’ouvrage même si ce sont deux contrats distincts entre l’entrepreneur, le maître d’œuvre et le maître de l’ouvrage. En effet, admettre cette nouvelle obligation reviendrait à créer une obligation tripartite qui serait parallèlement admise à celle d’obligation in solidum.

B. L’immixtion du maître d’ouvrage

L’article 1766 de l’avant-projet :
« En cas d’immixtion du client dans la réalisation de l’ouvrage, l’entrepreneur, s’il estime inappropriées les instructions reçues, doit, s’il accepte de s’y conformer, émettre des réserves par tout moyen. A défaut, il ne peut s’en prévaloir pour diminuer ou exclure sa responsabilité. »

Selon l’analyse de Maître Balavoine une question se pose concernant l’immixtion du maître d’ouvrage.

  • Quid de l’exonération de l’entrepreneur en cas d’immixtion du maître d’ouvrage ? Exonération totale ou partielle ?

Le Professeur Gautier emploie le terme de « simplification de la preuve ». En effet, selon lui l’objet de cet article 1766 est de pré-constituer la preuve de l’immixtion du maître douvrage et de permettre ainsi à lentrepreneur dobtenir son exonération.

La jurisprudence rappelle régulièrement les conditions dapplicabilité de lune des causes dexonération de la responsabilité des constructeurs, souvent invoquée par eux : limmixtion fautive du maître douvrage. Larticle 1792 du Code civil prévoit en effet que les constructeurs peuvent sexonérer, totalement ou plus généralement partiellement, de leur responsabilité décennale en démontrant lexistence dune cause étrangère ayant contribué au dommage, telle que la force majeure, le fait dun tiers ou la faute du maître douvrage.

Pour que cette exonération soit rendue possible, il est impératif, souligne le Professeur Gautier, que lentrepreneur émette des réserves par tout moyen, autrement dit, quil exprime son désaccord concernant limmixtion du maître douvrage.

C. La sous-traitance

Les articles 1767 à 1771 de l’avant-projet :
L’article 1768 de l’avant-projet :

« Le maître de l’ouvrage peut exercer contre le sous-traitant toute action née du contrat de sous-traitance. Le sous-traitant peut opposer à l’action formée contre lui les exceptions qu’il pourrait opposer à son cocontractant direct. 

  • Qu’advient-il de la survie de l’arrêt « Besse » avec l’article 1768 ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier, au regard de cet article 1768, revient sur la jurisprudence « Besse ». Larrêt du 12 juillet 1991 rendu par la Cour de cassation en Assemblée plénière est une jurisprudence fondamentale (Ass. plén., 12 juillet 1991, n° 90-13.602, publié N° Lexbase : A0297ABM). Cet arrêt apporte une solution aux divergences jurisprudentielles qui préexistaient, au sujet de leffet relatif du contrat. Leffet relatif du contrat implique que vis-à-vis des tiers, le contrat ne leur est pas applicable. Il a, a priori, un effet relatif. Larrêt « Besse » traite de leffet relatif du contrat, régi par lancien article 1165 du Code civil. Selon cette jurisprudence, le maître douvrage et le sous-traitant nont aucun lien contractuel.

Larticle 1768 rompt avec la jurisprudence « Besse » en ce qu’il admet quil existe un lien contractuel entre le maître douvrage et le sous-traitant - celui du contrat de sous-traitance, qui permet ainsi aux deux parties dintenter une action lune contre lautre.

  •  Une codification possible de la loi de 1975 relative à la sous-traitance dans le Code civil ?

Ainsi, Maître Balavoine interroge le Professeur Gautier sur la pertinence dune codification concernant la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 N° Lexbase : L5127A8E. Pour rappel, cette loi du 31 décembre 1975 permet au sous-traitant d’être protégé en mettant à la charge du maître douvrage une obligation de contrôle des diligences de lentrepreneur principal.

Le Professeur Gautier fait part de son enthousiasme quant à une potentielle codification de la loi de 1975 dans le Code civil et une modification de certaines dispositions compte tenu de l'importance de la sous-traitance dans le droit de la construction.

  •  Qu’en est-il du régime de la sous-traitance ?

Selon le Professeur Gautier, lidée concernant le régime de la sous-traitance est de contractualiser les rapports avec lentrepreneur ainsi que le paiement du prix.

D. La réception

Les articles 1774 à 1778 de l’avant-projet :

Préalablement, le Professeur Gautier rappelle la définition de la réception prévue par larticle 1792-6 du Code civil, à savoir «l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »

Maître Balavoine sinterroge sur ces articles concernant la réception.

L’article 1776 de l’avant-projet :
« La réception peut être tacite si est caractérisée une volonté non équivoque du client d’accepter l’ouvrage.
La prise de possession de l’ouvrage et le paiement du solde du prix font présumer la volonté non équivoque du client de le recevoir, avec ou sans réserves. »

  • Quid de l’interprétation nouvelle de la réception tacite au travers des articles 1774 à 1778 et leur inspiration ?

Le Professeur Gautier déclare que linspiration pour ces articles sest trouvée principalement dans le droit immobilier. La définition de la réception tacite na pas été donnée ; et le Professeur Gautier invite à se référer à la définition émise par la jurisprudence, dont la plus récente date du 18 avril 2019 (Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B).

Lappréciation de la réception tacite relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels recherchent si la volonté non-équivoque du maître douvrage de recevoir louvrage est établie. La Cour de cassation a dégagé des règles dappréciation faisant présumer cette volonté lorsque les deux critères suivants sont réunis : la prise de possession de louvrage et le paiement de lintégralité des travaux.

L’article 1777 de l’avant-projet :
 « La réception peut être prononcée judiciairement, avec ou sans réserves, si l’ouvrage satisfait à sa destination. »

  • Concernant la réception judiciaire ?

Le Professeur Pierre-Yves Gautier, à propos de la réception judiciaire, se réfère à la jurisprudence antérieure.

Afin de faire preuve de simplification, pourquoi ne pas entériner la jurisprudence constante s'agissant de la réception judiciaire au lieu de faire preuve d'innovation ?

À cette question, le Professeur Gautier précise que la philosophie de la Commission est avant tout de préciser les standards. Cependant, il est vrai que l'article de l'avant-projet de réforme n'est pas plus clair et nécessite des observations de la part des praticiens.

  •  Quid de la satisfaction à l’atteinte à destination ?

Le Professeur Gautier répond à cette question en insistant une fois de plus sur le fait que tout dépend du cas d’espèce.

L’impropriété à destination est définie à l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ comme étant un critère d'appréciation de la gravité d'un dommage pouvant entrer dans le cadre de la responsabilité décennale. En pratique, cette impropriété à destination se distingue entre sa dangerosité et son inaptitude.

Concernant les impropriétés mineures, le Professeur Gautier souligne que celles-ci ne devraient pas interdire la réception judiciaire.

III. L’impact sur la promotion immobilière (intervention de Madame Thi-Minh Nguyen)

Concernant l'impact de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux sur le métier de promoteur immobilier, Mme Nguyen a interrogé le Professeur Gautier sur les questions relatives au devis ainsi qu’au délai raisonnable.

L’article 1759 de l’avant-projet :
« Un devis peut être établi pour décrire l’ouvrage à réaliser et estimer son prix.Il ne donne pas lieu à rémunération, sauf convention contraire.Le devis engage l’entrepreneur pendant la durée fixée ou, à défaut, pendant un délai raisonnable. »
  • Quelle est la portée du devis en matière de promotion immobilière ?

Le Professeur Gautier souligne que le devis est, en pratique, applicable entre lentrepreneur et le maître douvrage. Le devis peut être considéré comme une offre et dans ce cas être considéré comme le contrat définitif.

Le Professeur rappelle quun devis peut estimer le prix, mais le reste du devis est régi par la liberté contractuelle. Tout dépend de ce que les parties ont décidé.

De plus, dans une interprétation plus extensive, le devis peut être considéré comme une promesse unilatérale d'entreprise.

L’article 1763 de l’avant projet :

 « L’entrepreneur est tenu de réaliser l’ouvrage convenu et de le délivrer au client dans le délai fixé ou, à défaut, dans un délai raisonnable. »

  • Comment définir le délai raisonnable de l’article 1763 ?

Le Professeur Gautier rappelle que le délai raisonnable nest pas légalement défini. Il appartient aux juges, en fonction des cas, de définir ce délai raisonnable, car tout est question de preuve.

Le terme « raisonnable » en droit civil est considéré comme un standard juridique, apprécié dans diverses branches du droit. Ce terme raisonnable fait l'objet d'une codification, dans son essence, au sein de l'article 1231 du Code civil N° Lexbase : L0932KZK. Il ne convient donc pas, comme l'a précisé le Professeur d'y faire une appréciation différente de celle connue en droit civil français.

IV. Les responsabilités (intervention de Maître Michel Vauthier)

Maître Vauthier a souhaité interroger le Professeur Gautier afin de comprendre l’évolution de ces nouvelles règles et savoir si celles-ci vont modifier les responsabilités déjà connues jusqualors. Il structure ses propos en se fondant sur deux notions fondamentales, la notion de « constructeur » et celle de « marché à forfait ».

A. La notion de constructeur

L’article 1792-1 actuel du Code civil N° Lexbase : L1921ABR :
« Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d’ouvrage. »
L’article 1792-1 de l’avant-projet de réforme :
« Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire à titre professionnel ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage ;
4° Tout vendeur d’immeuble à construire ou à rénover, même s’il vend après achèvement ;
5° Tout constructeur de maison individuelle, avec ou sans fourniture du plan ;
6° Tout promoteur immobilier.
Est assimilée à un constructeur, toute personne profane qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a fait construire si elle ne communique pas à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’identité des constructeurs et de leurs assureurs. »

  • Le constructeur qui construit pour lui-même ou « castor » est-il toujours réputé constructeur dans la réforme ?

Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier rappelle qu’il existe toujours cette assimilation aux « castors » mais que cela suppose une formalité supplémentaire qui suppose la communication dans l’acte de vente de l’identité des constructeurs. En effet, l’idée est de responsabiliser les parties.

  • Est-ce que les « EPERS » (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire) sont réellement supprimés ?

Le Professeur Gautier répond par la positive sur le principe, mais la question reste en effet à débattre ; alors que Maître Mel a précisé que la Cour de cassation commençait tout juste à s’y intéresser.

B. Le marché à forfait

L’article 1793 du Code civil N° Lexbase : L1927ABY :
« Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ».

  • Pourquoi l’article 1793 du Code civil n’a pas été modifié alors que le Projet Henri Capitant proposait un adoucissement de ce dernier ?  

En effet, lAssociation Henri Capitant proposait un « adoucissement » à larticle 1793 en proposant que, si le maître de louvrage effectue des travaux extérieurs à la réalisation de louvrage ou de la partie douvrage initialement convenue, lentrepreneur ne peut demander une augmentation du prix que si ces travaux ont été expressément commandés ou acceptés de manière non-équivoque. Le terme « de manière non-équivoque », a ouvert le champ à tout type d’échanges en cours de chantier et prévoyait également la possibilité d’obtenir un paiement pour les travaux voulus par le maître de l'ouvrage en cours de chantier qui n’étaient pas totalement prévus, dès lors que cela conduisait à un bouleversement de l’économie du contrat.

V. Les assurances (intervention de Madame Marie-Laure Villemotte)

Madame Villemotte a interrogé le Professeur Gautier quant aux apports de cette réforme. En effet, selon elle cette réforme va changer les choses du point de vue de l’assureur.

  • En cours de chantier, dans la mesure où lachèvement de louvrage du locateur douvrage emporte le transfert des risques au maître de louvrage, quels seront les impacts sur les taux de souscription de contrats tous risques chantier et les impacts sur les dommages à louvrage ?

Le Professeur Gautier rappelle quil y aura nécessairement une adaptation à prévoir au regard des textes promulgués et au regard des assurances tous risques chantier avant et après la réception. Il précise, enfin, quil sagit de la liberté contractuelle malgré une difficulté relative à la coordination entre « qui assure quoi » et « à quel moment ». Avec la pratique professionnelle et lexpérience, il sera possible de pallier ces difficultés.

  • Quels sont les impacts de l’article 1772 de l’avant-projet sur le principe de l’unicité de la réception ? 

L’article 1772 de l’avant-projet de réforme :
« Une fois l’ouvrage achevé, l’entrepreneur est tenu de le présenter à la réception au client. La présentation de l’ouvrage achevé au client oblige celui-ci à le réceptionner ». 

Le Professeur Gautier évoque que la Commission n’avait pas la volonté, avec ledit article, de revenir sur le principe de l’unicité de la réception. Au regard des pratiques, il n’y a aucun bouleversement.

  • Qu’en est-il de la réception par lot telle qu’elle est connue par rapport aux risques du maître de l’ouvrage en cours de chantier ?

La Commission a la volonté de s’inscrire dans la tradition originaire du Code civil. Ce n’est pas parce que certaines situations n’ont pas été mentionnées qu’elles sont par défaut abandonnées. Au contraire, selon le Professeur, il y a une certaine continuité.

  • Aujourd’hui en termes de produit d’assurance, il n’existe pas d’assurance qui couvre la responsabilité civile du maître de l’ouvrage profane (soit le castor) qui fait construire et qui revend ; qu’en est-il avec la réforme ?

Il faut s’adapter au nouveau texte de l’article 1792-1 du Code civil. Le Professeur invite donc les praticiens à formuler leurs doléances puisque l’avant-projet n’a pas été encore promulgué, le but étant de créer un cadre juridique avant tout. Le contrat d'entreprise étant le contrat le plus flexible.

Et les débats auraient pu durer des heures encore

  1. S’agissant de la cotraitance : l’adoption de la réforme ne va-t-elle pas conduire à mettre un terme à la pratique du tableau de répartition des tâches entre les entreprises co-traitantes ? Afin de répondre à cette question, le Professeur Gautier est clair et y répond par la négative. En effet, cette disposition vient seulement donner un cadreet il faudra, sans doute, préciser la règle en pratique.
  2. S’agissant de la concomitance des travaux : que se passe-t-il en cas de non-concomitance des travaux entre deux entrepreneurs ayant reprise le même lot ?
  3. La question mérite assurément d’être creusée et va nécessiter une adaptation de la règle.
  1. S’agissant de la « sacralisation » de la réforme de 2016...
  2. Le Professeur Gautier rappelle que lordonnance de 2016 na prévu que peu darticles sur la promesse et le pacte de préférence qui ne sont malheureusement pas suffisants sur ce domaine des avants-contrats.
  1. S’agissant de l’analyse de l’article 1793 du Code civil, relatif au marché à forfait...
  2. Sur cette question du prix, le Professeur Gautier rappelle que « le supplétif lemporte sur limpératif » ce qui signifie que la liberté contractuelle prime. Le souci étant que le droit spécial prime sur le droit commun.
  3. S’agissant de la responsabilité et de la possibilité de s'exonérer en cas d’immixtion du maître de l’ouvrage...
  4. Le Professeur Gautier rappelle que la jurisprudence peut évoluer. Elle pourrait elle-même révoquer les réserves. La notion de réserve est un standard suffisamment souple. Le Professeur rappelle, cependant, que la réserve nécessite bien entendu une motivation.
  5. Est-il prévu une articulation entre l'actuel article 1195 du Code civil et l’article 1793 ?

Le Professeur Gautier rappelle que l’article 1195 a été exclu concernant l’article 1761 mais non par rapport à l’article 1793. Ce dernier est un article de droit spécial, qui peut par conséquent déroger au droit commun. De plus, le Professeur précise qu’il s’agit d’une reprise à droit constant.

Pour autant, l’articulation avec le CCAG/CCAP demeure complexe à mettre en œuvre avec ces nouvelles dispositions.

Bref, de quoi nourrir de nombreuses heures de réflexion et de belles plaidoiries !

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