Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 5 février 2024, n° 463620, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A54012KA
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par Corentin Abadie, Sensei Avocats
le 28 Février 2024
Mots clés : autorisation d’urbanisme • autorité environnementale • exception d’illégalité • mise en compatibilité • document local d'urbanisme
Par une décision en date du 5 février 2024, le Conseil d’État a apporté des précisions, d’une part, sur le principe d’autonomie de l’autorité environnementale, et d’autre part, sur la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme, dans le cadre d’un recours contre une autorisation environnementale.
Dans cette affaire, par un arrêté du 23 novembre 2018, le préfet du Doubs a délivré à une société d’exploitation d’éoliennes une autorisation environnementale unique visant, d’une part, à construire et exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison, et d’autre part, à défricher un hectare de parcelles boisées, sur le territoire des communes de Lantenne-Vertière et de Mercey-le-Grand.
Plusieurs riverains du projet et des associations locales et nationales ont toutefois demandé à la cour administrative d’appel de Nancy, compétente en premier et dernier ressort, d’annuler cet arrêté et la cour a fait droit à leur demande par un arrêt du 8 mars 2022.
Saisi à son tour d’un pourvoi formé contre cet arrêt, le Conseil d’État l’a annulé en jugeant que la cour administrative d’appel avait commis une double erreur de droit en estimant, d’une part, que l’avis de l’autorité environnementale aurait été irrégulier, et d’autre part, que le vice tiré de l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité du plan local d’urbanisme aurait entaché d’illégalité l’arrêté attaqué.
Par cette décision, le Conseil d’État a ainsi apporté des précisions sur l’application de sa jurisprudence relative, d’une part, au principe d’autonomie de l’autorité environnementale (I.), et d’autre part, à la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme (II.), dans le cadre d’un recours contre une autorisation environnementale.
I. Des précisions apportées sur le principe d’autonomie de l’autorité environnementale chargée de rendre un avis sur l’évaluation environnementale
Aux termes des articles L. 122-1 N° Lexbase : L1843MHQ et suivants du Code de l’environnement, pris en application de l’article 6 de la Directive (UE) 2011/92 du 13 décembre 2011 N° Lexbase : L2625ISZ [1], tout projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement doit obligatoirement faire l’objet d’une évaluation environnementale soumise pour avis à une autorité spécifique.
À cet égard, tirant les conséquences de l’arrêt « Seaport » de la CJUE du 20 octobre 2011 [2], le Conseil d’État juge de manière constante que l’autorité environnementale chargée de rendre un avis sur l’évaluation environnementale doit bénéficier d’une autonomie réelle, impliquant autant une autonomie de décision qu’une autonomie de moyens, vis-à-vis de l’autorité chargée d’instruire et d’autoriser le projet soumis à évaluation environnementale.
Ainsi, par sa décision du 20 septembre 2019 [3], le Conseil d’État a jugé que ne satisfont pas à cette exigence d’autonomie, les services placés sous l’autorité hiérarchique directe du préfet de région, telle que notamment la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), lorsque ce dernier est l’autorité compétente pour autoriser le projet.
En revanche, par sa décision du 5 février 2020 [4], le Conseil d’État a jugé que, lorsque l’autorité compétente pour autoriser le projet est un préfet de département, autre que le préfet de région, les services placés sous l’autorité hiérarchique directe de ce dernier doivent être en principe regardés comme présentant une autonomie réelle, sauf si le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par ces mêmes services.
Une « dérogation à cette dérogation » [5] existe toutefois lorsque l’avis a été préparé par le service d’appui aux missions régionales d’autorité environnementale (MRAe), service de la DREAL chargé de préparer les avis de ces missions en application de l’article R. 122-21 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5180MD9, les agents de ce service étant placés, pour l’exercice de leur mission, sous l’autorité fonctionnelle des présidents des MRAe selon l’article R. 122-24 du même code N° Lexbase : L5181MDA.
Comme l’a souligné le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision commentée [6], il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 25 janvier 2023 [7] que, contrairement aux avis rendus avant l’entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 [8] portant création des MRAe, les avis rendus après l’entrée en vigueur de ce décret doivent en principe être regardés comme ayant été délivrés dans des conditions garantissant l’autonomie de l’autorité environnementale, sauf s’il est établi la preuve contraire au regard des faits propres à chaque affaire.
Or, si cette « présomption d’autonomie » de l’autorité environnementale pour les avis rendus dans les conditions fixées par ce décret ne pouvait que se déduire de la décision précitée du 25 janvier 2023, elle a désormais été expressément consacrée par le Conseil d’État.
Par la décision commentée, le Conseil d’État a en effet jugé que lorsque la MRAe a rendu un avis dans les conditions répondant aux exigences des articles R. 122-21 et suivants du Code de l’environnement, elle doit être regardée comme intervenant de manière autonome à l’égard du préfet compétent pour autoriser le projet, sans que la circonstance qu’elle ait bénéficié, pour rendre son avis, de l’appui technique d’agents de la DREAL appartenant au service régional chargé de l’environnement, ainsi que le prévoit l’article R. 122-24, ne soit de nature, par elle-même, à affecter cette autonomie.
Cela étant précisé, le Conseil d’État a, en conséquence, censuré le raisonnement de la cour. Cette dernière avait relevé qu’il ressortait des termes de la convention conclue entre la DREAL et la MRAe, au cas d’espèce, que les agents de la DREAL chargés de préparer l’avis rendu par la MRAe et placés, à ce titre, sous l’autorité fonctionnelle de cette dernière, incluaient non seulement un service spécialement dédié à cette mission, mais également la directrice régionale adjointe de la DREAL référente de ce service. Pour ce motif, la cour avait jugé qu’à défaut d’élément au dossier permettant de s’assurer, d’une part, que cette directrice adjointe n’était pas la supérieure hiérarchique des agents ayant instruit la demande d’autorisation, et d’autre part, qu’elle n’avait pas concomitamment participé à la préparation de l’avis rendu par la MRAe, cet avis devait être regardé comme irrégulier.
Mais, faisant application de cette « présomption d’autonomie », le Conseil d’État a jugé qu’en estimant que l’avis de l’autorité environnementale était irrégulier au seul motif que la directrice régionale adjointe référente du service développement durable et aménagement de la DREAL Bourgogne-Franche-Comté faisait partie des agents mis à la disposition de la MRAe, sans qu’il ne soit établi qu’elle avait concomitamment participé à l’instruction de la demande d’autorisation et à la préparation de l’avis, la cour administrative d’appel de Nancy a ainsi entaché son arrêt d’une première erreur de droit.
Et à toutes fins utiles, précisons que la probabilité qu’une telle situation puisse être établie aujourd’hui semble d’autant plus faible que la nouvelle version des conventions de mise à disposition des agents d’une DREAL au profit d’une MRAe, définie par arrêté du 11 août 2020 [9], prévoit désormais explicitement que ces agents, placés sous l’autorité fonctionnelle de la MRAe, ne peuvent participer à d’autres missions que celle relative la préparation de l’avis, que dans la mesure où ces missions ne sont pas susceptibles de concourir à l’instruction d’une autorisation ayant un lien avec un dossier examiné par la MRAe.
II. Des précisions apportées sur la possibilité d’exciper de l’illégalité de la mise en compatibilité d’un document local d’urbanisme
Jusqu’en 2018, un requérant ne pouvait pas vraiment exciper de l’illégalité d’un document local d’urbanisme dans le cadre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme. Dit autrement, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme n’entraînait pas directement, par voie de conséquence, l’annulation des autorisations d’urbanisme délivrées sur son fondement.
En effet, par sa décision de Section du 7 février 2008 [10], le Conseil d’État avait estimé que, si un permis de construire ne peut être délivré que pour un projet qui respecte la règlementation d’urbanisme en vigueur, il ne constitue pas, à proprement parler, un acte d’application de la réglementation définie par le document local d’urbanisme. Dès lors, la circonstance qu’une autorisation d’urbanisme avait été délivrée sous l’empire d’un document d’urbanisme devenu illégal, n’avait pas pour effet, à elle seule, d’entraîner l’annulation de cette autorisation, et ce quelle que soit la nature de l’illégalité entachant le document. Par conséquent, l’autorisation d’urbanisme ne pouvait être annulée qu’à condition qu’il soit démontré la méconnaissance des dispositions de l’ancien document d’urbanisme remis en vigueur du fait de cette illégalité.
Et par une décision du 16 novembre 2009 [11], le Conseil d’État avait confirmé ce principe en annulant un arrêt par lequel une cour administrative d’appel avait confirmé l’annulation d’une autorisation d’urbanisme, pour le seul motif que le plan d’occupation des sols (POS) sur le fondement duquel elle avait été accordée avait été annulé, sans qu’il ne soit démontré la méconnaissance des dispositions pertinentes remises en vigueur par cette autorisation.
Cependant, de manière quelque peu contradictoire [12], la loi « ELAN » du 23 novembre 2018 [13], pourtant présentée comme visant à sécuriser les autorisations d’urbanisme [14], a conduit le Conseil d’État à faire évoluer sa jurisprudence sur la question, par l’introduction des nouvelles dispositions de l’article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9806LM7. Ces dispositions prévoient que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme est, par elle-même, sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation ou à l’occupation des sols délivrées antérieurement à cette annulation ou déclaration d’illégalité, dès lors que cette dernière repose sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet objet de la décision.
A contrario, ces dispositions permettent donc désormais aux requérants de se prévaloir des vices d’illégalités entachant un document local d’urbanisme pour contester les autorisations d’urbanisme ayant été rendues sur son fondement, dès lors que ces vices ne sont pas étrangers aux règles d’urbanisme applicables au projet objet de l’autorisation d’urbanisme.
Prenant acte de ces nouvelles dispositions, le Conseil d’État a jugé, par sa décision de Section du 2 octobre 2020[15], qu’il appartient donc au juge, saisi d’un moyen tiré de l’illégalité d’un document local d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, de vérifier si, l’un au moins des motifs d’illégalité du document d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation contestée, et est donc susceptible de l’entacher conséquemment d’illégalité.
À ce titre, le Conseil d’État avait en outre précisé qu’un vice de légalité externe est en principe étranger à ces règles, sauf s’il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet, contrairement à un vice de légalité interne qui ne leur est en principe pas étranger, sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet.
Par la décision commentée, le Conseil d’État est venu illustrer l’application qui devait être faite de sa nouvelle jurisprudence. À cet égard, précisons que si le recours était dirigé en l’espèce contre une autorisation environnementale unique, la conformité d’un projet éolien aux règles d’urbanisme doit être appréciée dans le cadre de l’instruction de cette demande d’autorisation, l’article R. 425-29-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0930LNR dispensant ces projets de permis de construire [16].
Au cas d’espèce, le PLU sur le fondement duquel avait été délivré l’autorisation contestée avait fait l’objet, un mois avant la délivrance de cette autorisation, d’une mise en compatibilité en vue de permettre la réalisation du projet. Devant la cour, les requérants s’étaient prévalus d’une prétendue illégalité de cette modification du PLU caractérisée, selon eux, par l’absence de réalisation d’une évaluation environnementale.
Or, la cour avait fait droit à leur argumentation puisqu’elle avait jugé, après avoir relevé que la mise en compatibilité du PLU conduisait à modifier la réglementation applicable à un périmètre plus important que celui du projet, que cette mise en compatibilité aurait dû, pour ce motif, être précédée d’une évaluation environnementale, et que ce vice avait ainsi privé les requérants d’une garantie et exercé une influence directe sur les règles d’urbanisme applicables au projet.
Mais, faisant application de sa jurisprudence, le Conseil d’État a censuré ce raisonnement.
Il a d’abord relevé que la mise en compatibilité du PLU avait été opérée par une déclaration de projet relative au projet en cause, et que l’autorité environnementale avait estimé, à la suite d’un examen au cas par cas, qu’il n’était pas nécessaire de soumettre cette modification à évaluation environnementale, puisque le projet lui-même était soumis à une telle évaluation.
En outre, le Conseil d’État a également relevé que, d’une part, le projet en cause avait bien fait l’objet d’une évaluation environnementale ayant le même objet que celle qui aurait dû être réalisée pour la mise en compatibilité du PLU pour le périmètre correspondant à l’assiette du projet, et que l’évaluation avait été jointe au dossier d’enquête publique permettant d’assurer l’information du public, et d’autre part, que les règles applicables aux autres parcelles situées hors du périmètre correspondant à l’assiette du projet n’étaient pas applicables à celui-ci.
Tirant les conséquences de ces constatations, le Conseil d’État a ainsi jugé que l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité du PLU devait être regardée comme un vice de légalité externe étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet, sans incidence sur la légalité de l’autorisation contestée. En retenant une position contraire, la cour administrative d’appel de Nancy a ainsi entaché son arrêt d’une seconde erreur de droit.
À retenir : Deux précisions ont été apportées : d’une part, un avis rendu après l’entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 garantit l’autonomie de l’autorité environnementale, sauf s’il est établi la preuve contraire ; d’autre part, l’absence d’évaluation environnementale préalable à la mise en conformité d’un PLU visant à permettre la réalisation d’un projet est un vice de légalité externe étranger aux règles d’urbanisme applicables à ce projet. |
[1] Directive (UE) 2011/92 du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, JOUE L 26 du 28 janvier 2012.
[2] CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-474/10 N° Lexbase : A7809HYU.
[3] CE, 20 septembre 2019, n° 428274, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3912ZPL.
[4] CE, 6°-1° ch. réunies, 5 février 2020, n° 425451, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A39973DE.
[5] Pour reprendre l’expression de Nicolas Agnoux dans ses conclusions sur CE, 25 janvier 2023, n° 448911, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20559AD.
[6] Voir à ce sujet les conclusions de Nicolas Agnoux sur la décision commentée.
[7] CE, 25 janvier 2023, n°448911, préc.
[8] Décret n° 2016-519 du 28 avril 2016, portant réforme de l'autorité environnementale N° Lexbase : L8512K7E.
[9] Arrêté du 11 août 2020, relatif au modèle de convention entre la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (MRAe) et le service régional chargé de l’environnement N° Lexbase : L6835MLQ.
[10] CE, Sect., 7 février 2008, n° 297227, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7166D48.
[11] CE, 16 novembre 2009, n° 308623, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7254ENY.
[12] Voir à ce sujet les conclusions d’Olivier Fuchs, rapporteur public sur CE, Sect., 2 octobre 2020, n° 436934, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A72333WS.
[13] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique N° Lexbase : L8700LM8.
[14] Voir à ce sujet : ministère de la Transition écologique, Contentieux de l’urbanisme : quelles sont les évolutions récentes ?, 6 octobre 2021.
[15] CE, Sect., 2 octobre 2020, n° 436934, préc.
[16] Voir à ce sujet : CE, 14 juin 2018, n° 409227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9353XQH.
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