La lettre juridique n°975 du 29 février 2024 : Droit financier

[Brèves] Lutte contre les abus de marché : limites de la liberté de la presse

Réf. : Cass. com., 14 février 2024, n° 22610.472, FS-B+R N° Lexbase : A19262MB

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par Perrine Cathalo

le 28 Février 2024

► Il résulte des dispositions claires et précises de l'article 21 du Règlement n° 596/2014, du 16 avril 2014, sur les abus de marché et abrogeant la Directive n° 2003/6 et les Directives n° 2003/124, n° 2003/125 et n° 2004/72 que, lorsque la diffusion d'informations est faite à des fins journalistiques, le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), de ce Règlement doit être apprécié en tenant compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression dans les autres médias ainsi que des règles ou codes régissant la profession de journaliste, sauf si les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la diffusion de l'information ou si cette diffusion a été réalisée dans l'intention d'induire le marché en erreur.

Faits et procédure. Le 22 novembre 2016, le bureau parisien d’une agence de presse américaine a reçu un communiqué de presse se présentant comme émanant de la société Vinci, dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé Euronext Paris, qui annonçait une opération de révision des comptes consolidés du groupe à la suite de la découverte, lors d'un audit interne, d'irrégularités comptables entraînant une perte nette pour l'exercice 2015 et le premier semestre 2016, ainsi que le licenciement du directeur financier, nommément désigné, de la société Vinci et la tenue, le lendemain, d'une conférence de presse.

Le même jour, l’agence de presse a diffusé plusieurs dépêches relayant le contenu de ce communiqué de presse et le cours du titre Vinci a concomitamment enregistré une baisse de 18,28 %. L’agence de presse a ensuite supprimé ces dépêches et diffusé des dépêches les rectifiant et les démentant et la société Vinci a publié sur son site internet un communiqué de presse démentant les informations publiées.

Après une enquête sur l'information financière et le marché du titre Vinci ouverte le 23 novembre 2016, le collège de l'AMF a, le 22 octobre 2018, décidé de notifier à la société américaine le grief de diffusion d'informations qu'elle aurait dû savoir fausses ou trompeuses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel, en violation des dispositions des articles 12, 15 et 21 du Règlement n° 596/2014, du 16 avril 2014, sur les abus de marché N° Lexbase : L4814I3P (Règlement « MAR »).

Par une décision n° 18 du 11 décembre 2019, la Commission des sanctions de l'AMF a retenu que le manquement reproché était caractérisé et prononcé, à l'encontre de la société américaine, une sanction pécuniaire de cinq millions d'euros, réduite, sur recours de la société, à trois millions d'euros par la cour d'appel de Paris, qui a tout de même confirmé la condamnation (CA Paris, 5-7, 16 septembre 2021, n° 20/03031 N° Lexbase : A952644L).

L’agence de presse a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. La Haute juridiction énonce la solution précitée et rejette le pourvoi.

Plus en détail, la Cour rappelle que l’article 21 du Règlement « MAR » accorde aux journalistes ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses au sens de son article 12, paragraphe 1, sous c), un régime spécifique de protection tenant à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression, ainsi que des règles ou codes relatifs à la profession de journaliste.

Il s’ensuit qu'un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, ne peut être sanctionné au titre du manquement de manipulation de marché prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), du Règlement « MAR » s'il a respecté les règles ou codes relatifs à sa profession. À l'inverse, un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a, sans respecter les règles ou codes de sa profession, diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, peut être sanctionné au titre de ce manquement lorsque les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression le permettent. Enfin, un journaliste qui a diffusé une information fausse ou trompeuse pour en tirer ou en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou pour induire le marché en erreur peut se voir sanctionner au titre du manquement de manipulation de marché sans qu'il y ait lieu d'appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ainsi que les règles ou codes relatifs à sa profession pour apprécier la caractérisation de ce manquement.

La Haute juridiction ajoute que les journalistes sont soumis à une obligation de vérification, prévue non seulement par les règles déontologiques propres aux journalistes, la Charte d'éthique professionnelle des journalistes publiée par le syndicat national des journalistes et la Charte mondiale des journalistes, mais aussi par les procédures internes de la société américaine, afin de s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.  

Dès lors, la Cour affirme que les informations journalistiques relatives à la situation financière de sociétés cotées et destinées aux investisseurs n'ont pas, dans une société démocratique, la même importance que les informations journalistiques relatives à des sujets présentant un intérêt général ou historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, de sorte que la liberté de la presse peut, en matière financière, lorsque l'activité journalistique s'adresse au public des investisseurs, être davantage restreinte pour garantir l'intégrité et la transparence des marchés financiers et la protection de ces investisseurs.

Or en l’espèce, compte tenu de l'absence de vérifications réalisées antérieurement à la publication des dépêches en litige malgré l'importance de l'information concernée, la Chambre commerciale juge que la société américaine n'a pas agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession et que le manquement qui lui est imputable a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs et a porté atteinte à l'intégrité des marchés financiers et à la confiance des investisseurs dans ces marchés. 

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