La lettre juridique n°975 du 29 février 2024 : Entreprises en difficulté

[Indices et taux] La date de naissance de la créance de recours née d’une garantie financière

Réf. : Cass. com., 7 février 2024, n° 22-21.052, F-B N° Lexbase : A91392KP

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N8498BZR

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par Emmanuelle Le Corre-Broly - Maître de conférences HDR à l’Université Côte d’Azur et Pierre-Michel Le Corre - Professeur à l'Université Côte d'Azur

le 28 Février 2024

Mots-clés : date de naissance des créances • créance de remboursement du garant financier de l’opérateur de tourisme • signature du contrat • indifférence de la mise en œuvre de la garantie

La créance de remboursement du garant des opérateurs de tourisme naît du contrat conclu avec l’opérateur et doit être déclarée au passif de ce dernier indépendamment de son exigibilité.


 

La date de naissance des créances contractuelles est une question très délicate en droit civil. Deux belles thèses de doctorat [1] et un superbe colloque [2] lui avaient d’ailleurs été consacrés. Il n’est pas étonnant que ce caractère complexe de la question se retrouve en cas d’ouverture d’une procédure collective. L’enjeu est grand : il est de déterminer si le titulaire de la créance, en l’occurrence une créance de remboursement d’une garantie, doit se soumettre à la discipline collective et notamment la déclarer au passif de son débiteur. La réponse est positive si la créance est née avant le jugement d’ouverture. Au contraire, la réponse était toujours négative, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW, si la créance était née après le jugement d’ouverture, puisque sous l’empire de cette législation, les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture étaient systématiquement des créances de l’article 40. Elle reste par principe négative, sous l’empire de la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT, car cette créance est la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur. Il est en effet question d’obtenir le remboursement par le débiteur de la mise en œuvre de la garantie.

On comprend donc l’importance, dans la présente espèce, de déterminer la date de naissance de la créance de remboursement détenue par le garant financier d’un opérateur de tourisme, garant dont l’existence conditionne l’immatriculation au registre des opérateurs de tourisme.

En l’espèce, la société Q. a été mise en sauvegarde par un jugement du 3 décembre 2019, publié au BODACC le 8 décembre 2019. Cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 17 décembre 2019. 

Par une lettre recommandée du 24 février 2020, l'Association professionnelle de solidarité du tourisme (l'APST), qui avait fourni à la société Q. la garantie financière exigée pour son immatriculation au registre des opérateurs de tourisme, a déclaré sa créance au passif.

Le liquidateur lui ayant opposé le caractère tardif de cette déclaration, l'APST, après y avoir été invitée par le juge-commissaire qui avait constaté l'existence d'une contestation sérieuse, a assigné la société Q. et le liquidateur devant le tribunal de la procédure collective pour obtenir le relevé de la forclusion et l'admission de sa créance.

L'APST fait grief à l'arrêt de la déclarer forclose en sa déclaration de créance et de rejeter sa demande de relevé de forclusion, alors :
« 1/ que dès lors qu'elle est exclusive d'un état de cessation des paiements, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ne constitue pas un cas de défaillance justifiant la mise en œuvre de la garantie financière prévue au a) du II de l'article L. 211-18 du code du tourisme N° Lexbase : L6690LHA ; qu'en considérant le contraire, pour en déduire que la garantie de l'APST était mobilisable dès l'ouverture de la procédure de sauvegarde et que la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde constituait le point de départ du délai de la déclaration de la créance de l'APST, la cour d'appel a violé l'article R. 211-31 du code du tourisme, ensemble les articles L. 620-1 N° Lexbase : L9116L7R, L. 622-24 N° Lexbase : L8803LQ4 et R. 622-24 N° Lexbase : L6120I33 du code de commerce ;
2/ que tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au  jugement d'ouverture adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture, sous peine de forclusion ; qu'en se fondant, pour apprécier la forclusion de la créance déclarée par l'APST, sur la date de la naissance de la créance de garantie de l'agent de voyages et non sur la date de la naissance de créance de l'APST, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce ;
3/ que tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture sous peine de forclusion ; que la créance que détient l'organisme de garantie collective sur l'agent de voyages auquel il a accordé sa garantie financière en application du a) du II de l'article L. 211-18 du code du tourisme naît à compter de la mise en œuvre de la garantie au profit des clients lésés par la défaillance de l'agent de voyages ; qu'en considérant, pour retenir que l'APST aurait dû déclarer sa créance dans les deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, que la créance de garantie de la société Q. trouve son origine dans le contrat souscrit antérieurement à la procédure de sauvegarde et a pour date de naissance la date de la souscription de l'engagement à l'égard du client de l'agence, la cour d'appel a violé l'article R. 211-31 code du tourisme N° Lexbase : L2462KHN, ensemble les articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce. »

La Cour de cassation, sans surprise, va rejeter le pourvoi au visa de l'article L. 622-24, alinéa 1, du Code de commerce.

Selon ce texte, à partir de la publication du jugement d'ouverture, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement à ce jugement adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire. Dès lors, juge la Cour de cassation, la cour d’appel « retient à bon droit que la créance de l'APST est née du contrat qu'elle a conclu, antérieurement à l'ouverture de la sauvegarde, avec la société Q. pour procurer à cette dernière la garantie obligatoire exigée à l'article L. 211-18 du code du tourisme. Il en déduit exactement que cette créance devait, indépendamment de son exigibilité, être déclarée dans les deux mois de la publication au BODACC du jugement de sauvegarde intervenue le 8 décembre 2019 et la forclusion de la déclaration de créance de l'APST effectuée le 24 février 2020 ».

On commencera par être étonné du cheminement procédural de l’espèce. Le créancier déclare sa créance hors délai, puis saisit le juge-commissaire d’une requête en relevé de forclusion. Jusque-là tout paraît normal, même si ce n’est qu’une apparence ; nous y reviendrons.

La suite est plus étonnante. Le juge-commissaire relève qu’il y a une contestation sérieuse et se déclare incompétent. Le pouvait-il ? Non, assurément. Pourquoi ? Parce qu’il était question de la régularité de la déclaration de créance, question qui relève du pouvoir exclusif du juge-commissaire, même si la question à régler est complexe.

Le tribunal saisi par le créancier pour faire trancher ce que le juge-commissaire a appelé une « contestation sérieuse », était donc incompétent. Quel qu’incompétent qu’il ait été, il rend une décision éclairée en jugeant que la créance de remboursement détenue par un garant financier naît du contrat de garantie. Cette solution s’inscrit en effet dans la droite ligne d’une jurisprudence très fournie sur la question.

La question s’est d’abord posée dans le droit du cautionnement. Ce droit fait naître une obligation de rembourser à la charge du débiteur, mais aussi des cofidéjusseurs, pour ce qui excède la part contributive de la caution solvens. Qu’est-ce qui fait naître cette obligation ?

Statuant à propos du recours de la caution solvens contre un cofidéjusseur, la Cour de cassation a estimé que « la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l’article 2033 du Code civil N° Lexbase : L1037ABZ (devenu 2310 N° Lexbase : L0165L8M), prend naissance à la date de l’engagement de caution » [3].

Le principe de solution a ensuite été posé à propos du recours de la caution contre le débiteur principal : la créance de recours personnel de la caution solvens naît de l’engagement de caution [4]. Peu importe donc que la caution ait déjà payé le créancier : elle doit déclarer sa créance de recours personnel, même s’il est question du recours avant paiement [5]. Par conséquent, la créance de recours anticipé déclarée sous la dénomination « encours de caution » ne peut être rejetée, au prétexte que la caution n’aurait pas encore payé et n’aurait même pas été appelée en paiement [6].

La créance de recours du garant autonome contre le donneur d’ordre prend identiquement naissance à la date de souscription de l’engagement de garantie [7].

C’est donc un principe général de solution qui est posé : la créance de remboursement détenue par un garant naît de la convention de garantie.

Une fois ce point établi, peu importe que le cas de mise en oeuvre de la garantie ne soit pas encore advenu au jour du jugement d’ouverture du débiteur garanti, comme c’était le cas en l’espèce, la garantie n’ayant pas à être mise en œuvre dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, au motif que le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements. Car, ainsi que le rappelle ici la Cour de cassation, il importe de bien distinguer naissance de la créance et exigibilité de la créance. Seule la première importe.

On ajoutera que cela oblige à déclarer une créance éventuelle, mais la solution ne surprend pas en droit des entreprises en entreprises en difficulté. Tant que l’éventualité ne se présentera pas, le juge-commissaire ne peut admettre la créance. Mais ne sachant si elle adviendra, il ne peut la rejeter. Il doit donc surseoir à statuer. Ensuite, de deux choses l’une : ou bien l’éventualité se présente, c’est-à-dire que le garant est appelé en paiement et s’exécute, et la créance de recours doit être admise au passif. Ou bien l’éventualité ne se présente pas. Le garant n’est pas appelé en paiement et la créance de remboursement doit être rejetée.

Terminons par une observation qui nous apparaît déterminante dans la conduite de l’instance en cause. Le garant, de manière évidente, s’est contredit. Pourquoi demande-t-il à être relevé de forclusion, alors qu’il prétend ne pas avoir encouru la forclusion ? Lapalisse le dirait aussi bien que nous : seul celui qui a encouru la forclusion peut demander à en être relevé.

En sollicitant le relevé de forclusion, le créancier s’expose à un refus de la part du juge-commissaire, si le motif de relevé de forclusion invoqué est la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n’est pas due à son fait.

En revanche, même en se plaçant sur le terrain du relevé de forclusion, le créancier aurait nécessairement obtenu gain de cause s’il avait démontré que sa tardiveté à déclarer sa créance était la conséquence du fait que le débiteur avait commis une omission dans l’établissement de la liste de ses créanciers et du montant de leurs créances. Car il est fort à parier que le débiteur n’avait pas placé le garant financier sur la liste de ses créanciers, tout simplement parce que, à la date du jugement d’ouverture, il ne lui devait rien, la garantie n’ayant pas été actionnée.

On le voit, la gestion de ces dossiers portant sur des créances de remboursement, alors que la garantie n’a pas été activée, n’est pas simple et il faut bien connaître les arcanes du droit civil, posant les règles de formation des créances, et celles du doit des entreprises en difficulté, obligeant à déclarer au passif des créances qui ne sont encore qu’en germe !


[1] E. Putman, La formation des créances, th., Aix-Marseille, 1987 ; P.-E. Audit, La naissance des créances, Approche critique de conceptualisme juridique, th., dac. Paris II, 2013.

[2] « La date de naissance des créances », Colloque Cedag Paris V, 25 mars 2004, LPA 9 nov. 2004, no 224.

[3] Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, FS-P+B N° Lexbase : A7318DCZ, D., 2004, AJ 2046 ; Act. proc. coll., 2004/15, n° 185, note D. Legeais ; JCP E, 2005, Chron. 31, p. 32, n° 15, obs. M. Cabrillac ; RD banc. fin., 2004/5, p. 326, n° 200, obs. D. Legeais et 2004/6, p. 410, n° 244, obs. F.-X. Lucas ; RTD com., 2004, 812, note A. Martin-Serf ; RTD civ., 2004, 758, n° 2, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal., jur. 1 au 3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, juillet 2004, n° 127 N° Lexbase : N2336AB7 – Cass. com., 1er décembre 2009, n° 07-14.199, F-D N° Lexbase : A3368EPG.

[4] Cass. com., 1er mars 2005, n° 02-13.176, F-D N° Lexbase : A0946DHI, D., 2005, 1365, note P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, mai 2005, n° 168 N° Lexbase : N4227AIE – Cass. com., 8 janvier 2008, n° 07-10.394, F-D N° Lexbase : A2749D39, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 1er avril 2008, n° 07-12.238, F-D N° Lexbase : A7710D7P, JCP E, 2008, Chron., 2013, n° 7, obs. Ph. Simler – Cass. com., 8 juillet 2008, n° 07-16.686, F-D N° Lexbase : A6325D97, Gaz. proc. coll., 2008/4, p. 47, n° 1, note L.-C. Henry ; RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 2009/1, p. 70, note J.-P. Sortais – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-18.479, F-D N° Lexbase : A5948EAK, Gaz. proc. coll. 2009/1, p. 31, n° 2, note L.-C. Henry ; LPA, 21 septembre 2009, n° 188, p. 9, note J.-P. Sortais – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-16.687, F-D N° Lexbase : A5906EAY, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-16.688, F-D N° Lexbase : A5907EAZ, RTD com., 2009, 211, n° 7, obs. A. Martin-Serf.

[5] Cass. com., 3 février 2009, n° 06-20.070, FS-P+B N° Lexbase : A9438ECK, JCP E, 2009, 1347, n° 12, obs. M. Cabrillac ; JCP E, 2009, 1644, n° 11, obs. Ph. Simler ; RD banc. fin., 2009/2, p. 48, no 52, note D. Legeais ; Dr. et proc., juillet/août 2009, p. 202, note Y. Picod ; Rev. proc. coll., 2009/5, p. 47, § 113, note F. Macorig-Vénier ; RTD com., 2009, 612, n° 1, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.743, F-D N° Lexbase : A9898YU7, Rev. Sociétés, 2019, 215, note L.-C. Henry ; BJE, mai/juin 2019, 116y5, p. 34, note S. Atsarias – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.744, F-D N° Lexbase : A9832YUP – Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-22.745, F-D N° Lexbase : A9861YUR.

[6] Cass. com., 30 janvier 2019, trois arrêts préc.

[7] Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-13.461, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A9940DSX, D., 2007, AJ 158, obs. A. Lienhard, Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 32, note L.-C. Henry ; Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 40, note Ph. Roussel Galle ; JCP E, 2007, 1450, p. 23, n° 12, obs. M. Cabrillac ; RD banc. fin., mars-avril 2007, p. 18, n° 59, note D. Legeais ; RLDC, 2007, n° 2399, obs. J.-J. Ansault ; Banque et droit, janvier/février 2007, n° 111, p. 49, note F.-J. ; RTD com., 2007, 450, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 145, n° 5, obs. C. Saint-Alary-Houin ; RTD com., 2007, 837, n° 3, obs. A. Martin-Serf.

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